Les dernières neiges commençaient à se dissiper dans l'Onogoro : Pour la province des montagnes bleues, c'était la promesse d'un changement d'ambiance. Le blanc des pics redevenait un gris minéral alors que les pentes n'étaient plus propices au glissement, mais bien plus aux éraflures et aux dégringolades sous le gravier sec... Cependant, subsistait encore quelques provocateurs qui gardaient jalousement l'eau crystallisée, comme un manteau d fin de saison qu'on aimait trop porter pour le mettre au placard.
Dans cette ambiance alternative, de changement, de promesse d'un rose et d'un brun plus clair pour le printemps, que le festival des lames s'ouvrait chaque année dans la Province des Griffes... Bien que le dénivelé de la région soit propice à un tourisme hivernal, la vraie activité était la forge et le minage. Tout ce qu'il y avait en rapport avec les armes et pour célébrer la fin de l'hibernation, le village de Tetsu avait pris l'habitude d'aménager la place du village et les forges attenantes pour ouvrir un genre de marché avec des animations et des réunions autour d'un sujet si simple, et pourtant si ouverts, les armes !

Ce festival était l'occasion pour les hommes du feu de montrer leurs dernières innovations, ainsi que de vendre leur matos produit pendant la période blanche... Mais depuis quelques années, c'était aussi le moment pour quelques festivités comme des présentations de grandes écoles de kenjutsu ou de bojutsu. Il y aurait-il un tournoi cette année ? Mais également pour de stricts regroupements de samouraïs qui s'amusaient à disserter sur le Bushido.

Chacun avait fait sien ce moment de l'année et je ne ratais guère ce point dans mon calendrier pour aller marcher jusqu'à la commune centrale de Tsume No Kuni. Le Village de Tetsu ne devait son existence qu'aux mines de fer et d'argent à proximité. Il regorgeait d'artisan capable de maîtriser le fer afin de créer des armes absolument unique et des armures de grande protection. Bien que sa réputation était associée au festival des lames, la vraie source de sa renommée venait que c'était en ce lieu qu'était né le premier membre des Épéistes des Monts de Fer. C'était suffisamment pour marquer son nom dans la conscience collective des habitants.
Longeant les monts qui connectaient la province de Seizan jusqu'à ma destination, je ressentais une vive excitation... J'avais entendu parler d'un projet du village pour créer un genre d'équipe, ou d'escouade, concernant l'étude des armes démoniaques. J'espérais voir les premiers membres émerger dans ce festival, avec quelques découvertes déjà alléchante... De plus, c'étaient les démonstrations martiales qui créaient chez moi le plus d'engouement. Étant très peu forgeron, malgré mon lien avec la famille presque renommée des Fumiri, je ne désirais que voir des guerriers présenter leur style pour m'inspirer et voir l'écart qu'il y avait avec eux. Me comparer, c'était mon activité principale à ce moment de l'année !

Le tournoi était donc un parfait endroit pour mettre à profit mon envie de voir, d'observer, de rivaliser !

Au loin, je pus voir les premières fumées de cheminée, montrant que j'approchais de la collectivité : De la colline où je me trouvais, je pouvais déjà entendre le fracas de marteaux contre l'acier, les forgerons étaient déjà à l'œuvre pour des productions spécialement pour le festival. Avec d'autres voyageurs, de passage ou spécialement venu pour ça, j'approchais des premières maisons austères alors qu'en débarquant dans les rues d'entrées, je pouvais discerner les couleurs de la place ainsi que le brouhaha des discussions ainsi que les cris des marchands qui voulaient à tout prix gonfler leur chiffre d'affaires.

Autant touristique que technique, le festival des lames de cette année me semblait bien spéciale !

L'était-elle ?  

- C'est un peu cher...

Devant moi, le vieux forgeron fronça ses sourcils épais pour ensuite m'observer de pied en cap. Les artisans de l'acier n'aimaient pas qu'on critique leur travail, que ce soit sur la qualité ou bien le prix qu'ils admettaient sur leur marchandise. Ainsi, il montra les dents métaphoriquement en répondant :

- Parceque tu pense que mon travail mérite pas ce prix ? Logique, presque attendu, je fus presque surpris qu'il ne soit pas plus agressif... Ramenant ma main derrière ma nuque, un peu gêné tout de même de cette confrontation, je balbutiai devant le vétéran.
- Ce que je veux dire c'est qu'il faut être un peu commerçant... Dans un festival. "Bah oui, sinon on va chez la concurrence..." Je ne pensais pas à mal, mais pour des messieurs comme lui qui passaient l'année devant leur fourneau, un client n'était pas une opportunité, mais bien un emmerdeur qui freinait leur activité en critiquant à tout bout de champ. Nan, mais je sens bien qu'on s'est mal compris, ce que je veux dire, c'est que le festival des lames a pour objectif de présenter votre travail...
- Bah je le présente là ! "Oui, mais tu essaies de me voler là, monsieur." L'homme se ravisa, ressentant qu'il sombrait dans une amertume rare pour un homme de son âge. Il devait y avoir un passif derrière ce beau katana qu'il vendait : De l'émotionnel ? Une histoire tragique autour du travail ? Je n'en savais rien, mais il revint à la charge. J'ai passé des nuits et des jours pour affiner cette lame, je ne peux pas l'offrir pour une bouchée de pain !

Baissant les yeux sur l'objet de toutes les disputes, je fis le compliment de m'accroupir pour regarder de plus prés cette fierté incarnée dans du métal chaud, puis froid, devenu tranchant comme la mort elle-même. Effectivement, le katana était beau, gracieux avec des décorations fantastiques qui évoquaient des élans samouraïs, mais un léger défaut me sauta aux yeux... Maintenant avec la ligne fixe au niveau de mes yeux, je pus percevoir une imperfection sur la droiture du tranchant. Soupirant, je me relevais pour recevoir en retour le regard insistant du vieux : Il semblait perdre son temps, mais c'était bien moi qui me faisais prendre pour un con.

- Il y a une faiblesse, là. Je pointai du doigt l'endroit exact où j'avais repéré la faiblesse de la structure. C'est pas bien grave içi, mais en combat réel c'est le premier endroit qui va lâcher... L'écart va s'élargir. Bien que non-forgeron, je faisais partie d'une famille qui en avait fait l'activité principal et je pouvais accompagner cette expérience technique basique avec ma propre maîtrise du kenjutsu. Je savais pratiquer et reconnaître une bonne arme quand j'en voyais une de prés.
- Comment ça ? Grondant plus qu'il ne parlait, il enlevait l'arme du présentoir pour l'observer lui-même, les bras tendu au dessus de la tête comme si ça allait révéler au grand jour la vérité. Il n'y a rien ! Revenant sur moi, je compris vite que... Il mentait, pour son propre honneur, ou son égo.

Qu'importe.

Faisant volte face, je refaisais corps avec la masse individuelle qui circulait dans la rue : Me laissant guider par le courant, je voyais dans ma vision périphérique des stands se multiplier. Des lances, des lames longues, courtes, ... Également, plus loin, je voyais s'élever les corsets de fer, signe de la partie des armures du festival. Si la festivité parlait des lames, c'était toute la pratique des métaux qui étaient mis en l'honneur ! Seulement, je ne venais pas pour me recouvrir défensivement et je quittais le flot pour prendre une rue parallèle. Certains touristes prenaient la même décision que moi, autant pour respirer que pour rejoindre plus rapidement un autre point du village. Avançant comme si c'était chez moi, les mains dans les poches, je surprenais un curieux attroupement devant une enseigne de loisir. Intéressé par cette animation inattendue, pensant que c'était prévu dans le festival, je me rapprochais pour découvrir des visages durs. Des civils regardaient d'autres individus, plus proches de l'entrée.  
De dos, je pus difficilement reconnaître Honoka et Kyoshiro de ma position, mais en me rapprochant, je fus presque content, avant de voir ce qu'ils regardaient avec autant d'insistance : Deux hommes qui se faisaient face, l'un fumé avec le bras contre l'encadrement de la porte. Tranquille. L'autre, diplomate ? Lui parlait. Mes pas m'amenèrent à côté de mes camarades de Seizan, qui avaient pris parti dans cette conversation tout juste balbutiante. De l'angle de mon entrée, je pus voir des membres à l'intérieur, laissé au sol car rattaché à des cadavres...

- Qu'est-ce qui se passe ? Laissant passer cette question simple, je répondis moi-même à ma réthorique en analysant mieux la scène.

Vu la disposition des acteurs, cela devait être le fumeur le plus proche qui avait causé ce carnage. L'autre paraissait trop tranquille pour être  un tueur sanguinaire, mais je pouvais me tromper...  Le délit était accompli, il fallait alors voir ce qu'on pouvait faire, si on devait faire quelque chose d'ailleurs... En tant que soldat de l'empire, on devait assurer la paix et la sécurité. Dans le festival des lames, les choses étaient sous contrôle, mais évidemment que l'attroupement de tant d'égos devait créer quelques émules. Un duel qui était devenu un règlement de compte généralisé ? Certains combattants s'amusaient à sillonner les dojos pour prouver leur valeur, mais l'établissement ressemblait plus à une taverne qu'à un lieu martial.

- Normalement, il y a un tournoi pour pouvoir se mesurer aux autres, ça évite ce genre de pépin. Laissant la remarque voler dans la rue, je guettais la réaction des interlocuteurs.  

Quel emmerdement...