Durant un moment le temps sembla suspendu, puis la silhouette commença à se liquéfier sur le comptoir et éclata en une nuée de petits lépidoptères qui parsemèrent la grotte dans une pléiade d’étoiles mouvantes d’un noir luisant au-dessus de la surface du lac.
Dans le même temps, Urumi put ressentir une forte montée de chaleur qui disparu soudainement sous le bois de son siège, mettant fin au Fûinjutsu explosif activé depuis le début de l’épreuve, et qui avait plané tout autour d’eux comme une épée de Damoclès durant de longues minutes.
Ganryu avait réussis.
Le jeune homme commençait à peine à se détendre quand soudain, une autre forme se découpa à l’endroit où s’était tenue la précédente pour prendre apparence humaine. À l’inverse de l’autre, cette dernière semblait plus matérielle, presque palpable, et adopta les traits d’un homme d’âge mûre à l’aspect longiligne.
Encore un Jutu. Songea-t’il en avisant le regard perdu dans le vague de leur nouvel interlocuteur dont le visage, détouré de noir, semblait lui aussi recouvert d’encre.



Urumi s’accouda sur le buffet, les mains croisées devant son faciès dans une expression perplexe. Ses sourcilles se haussèrent légèrement lorsqu’il fut mention de la boussole, mais ses traits demeurèrent implacables.
Ainsi, il leur aurait suffi de passer leurs menottes devant l’artefact pour en annuler les effets. C’était astucieux. À la fois simple et subtile, la solution était sous notre nez depuis le début.
Il repensa à la charade exposée dans le couloir qui marquait l’entrée de l’édifice…

Il faut que Nord - Sud - Est et Ouest pénètrent en ce lieu.
Si vous perdez ou ne remplissez pas les conditions, aucun retour ne sera permis.
L’objet qui donne la direction est la clé si vous réussissez.

…puis laissa échapper un gloussement.
À aucun moment l’un d’eux avait pu envisager cette perspective.
Il y avait quelque chose d’ironique dans cette fable ; ils avaient réussi à passer toutes les épreuves qui leur avaient été soumises, conjuguant astuces et cohésions au travers de conjonctures qui nécessitaient un certain degré de réflexion. Aucune ne leur avait résisté.
Excepté une seule…
…la plus enfantine.
Un aphorisme lui traversa l’esprit.
Plus il évolue en âge, plus l’être humain cultive l’art de chercher la complication dans la simplicité.
Il réprima un sourire et ramena son attention vers le discours de l’inconnu… ou tout du moins vers l’image rémanente que cet inconnu –probablement mort à l’heure actuelle- avait laissé derrière lui.
Urumi sourcilla à nouveau quand ce dernier termina son allocution par une dernière énigme.

Ne préférez-vous pas un futur imprévisible plutôt qu’un présent certain ?

Le froncement se changea en rictus.
Fut un temps où il aurait trouvé la perspective séduisante, à une époque où la réalité du monde qui constituait son univers se limitait à l’ingénuité d’un enfant de six ans… et où la plupart des préoccupations qui avaient accaparé son esprit vivotaient entre l’affection d’une famille aimante et les projections d’aventures qu’il se figurait en regardant vers l’étrange Forêt de Pierre se profilant en lisière de la forge familiale, au Nord, où vers les hauts plateaux de sa province natale, là où il pouvait apercevoir les ruines d’Iwa se découper dans un étrange jeu d’ombre et de pénombre au soleil couchant.
Oui. En ce temps-là l’imprévisibilité l’avait attiré…

…quoiqu’elle lui avait paru nettement moins attrayante le jour où une troupe armée avait surgie dans la nuit pour tuer ces mêmes rêves en même temps que ceux qu’il avait jusque-là appris à aimer.
L’enfant au fond de lui non plus n’y avait pas survécu.

Ses yeux bleus gris détaillèrent la silhouette d’encre en train de s’estomper avec une froide intensité.
Après quoi, l’imprévisibilité s’était manifestée de bien de manières ; quand Udezuku Heizen l’avait convoqué pour lui annoncer la mort d’un homme qu’il croyait invincible… quand il avait cru pouvoir protéger certains de ses amis au combat… quand il avait pensé gagner l'amour d'une femme qu'il avait naguère désiré... ou, quand il avait lui-même été vaincu là où il pensait ne jamais perdre.

Il continua de fixer l’endroit où s’étaient tenue la silhouette artificielle, quelques instants avant de disparaître.
Un futur imprévisible plutôt qu’un présent certain ?
…vraiment ?
Puis revint à la réalité en avisant les derniers papillons qui se dissolvaient dans le clair-obscur au fur et à mesure que la technique s’estompait.
S’il pouvait comprendre la poésie de ce type d’axiome, Yugure Urumi restait avant tout un guerrier, un être dont la plupart des actions se définissaient au truisme de la certitude et de la factualité dans une réalité bien tangible. Bien sûre, il y avait du paradoxe dans cette même perspective parce qu’il existait des paramètres sur lesquels un guerrier n’avait aucune prise ;
Une lame dans le dos. Un jutsu inesquivable. Où encore la trajectoire d’un kunaï que l’œil n’avait pu voir.
Autant de détail qui faisaient baigner ses certitudes dans un océan d’imprévisibilité.
Hélas, s’il s’autorisait des conjectures tel que « et si ? » ou « pourquoi ? », il savait qu’il finirait par devenir une victime impuissante de cette réalité qui broyait tout sur son passage au travers du chemin qu’il avait choisi d’arpenter seul.

Et dans cette réalité-là, il n’y avait nulle place pour les brumes de l’inconnu.

Une main qui hésite ne frappera jamais juste.



Lâcha l’épéiste en se détournant du comptoir.





Le bracelet tomba au sol quand son poignet effleura la boussole, lovée dans la main de Saki, puis le jeune homme désigna la petite aiguille directionnelle de la pointe du doigt.



Ils longèrent la grève sur une bonne centaine de mètres jusqu’à ce que le sentier bifurque subitement à angle droit pour s’enfoncer directement dans le lac. Pendant un instant, Urumi concentra son chakra sous la plante de ses pieds, au cas où il ne leur faille marcher sur la surface de l’eau –la sensation lui apporta un certain bien être, comme s’il retrouvait une part de lui-même après avoir été libéré de la babiole- puis il distingua une légère coloration entre les ondulations couleurs d’encre. Comme si quelque chose à l’intérieur du lac leur éclairait la direction à prendre.
Le passage était toujours là et s’arrêtait devant un monolithe fendu en son milieu, qui présentait une petite encoche pour y glisser un objet. Machinalement, Saki y emboita la boussole et la pierre s’ouvrit sur elle-même dans un grondement caverneux…

…Urumi n’en cru pas ses yeux.

L’eau qui scintillait désormais pleinement tout autour du chemin était d’une pureté translucide, et sa surface semblait presque iridescente dans la pénombre ambiante.
Si l’on pouvait encore parler de pénombre ; plus ils avançaient, plus la clarté se faisait plus forte.
Les yeux du jeune homme distinguèrent quelque chose, dans le lointain, qui semblait brûler d’un feu chatoyant au centre d’un petit îlot. Au fur et à mesure qu’il se rapprochait, ses paupières s’écarquillèrent de plus en plus.



Murmura Urumi lorsqu’il arriva au niveau de la source de lumière qui avait pris la forme d’un arbre naissant, dénué de feuillage, mais aux boutures imbibées de ce qu’il devinait être du chakra pur.
Son regard remonta le long du tronc pour s’arrêter sur un unique bourgeon qui pointait timidement, tout en haut de la cime.



Les paroles de Kunao le tirèrent de sa contemplation.



Les paroles de l’homme d’encre inondèrent à nouveau son esprit.
Ne préférez-vous pas un futur imprévisible plutôt qu’un présent certain ?
Et un demi sourire coula discrètement sur les traits fins d’Urumi…
Je vois…
…qui se tournèrent vers Kunao.