Le Village de Beppu était comme son voisin le village de Kusatsu dédié entièrement aux sources thermales. C'était la grande légende des communes sœurs, avec une activité semblable... Pourtant, il avait toujours souffert de la réputation grandissante de l'autre et bon nombre de onsen avaient dû fermer. Aujourd'hui, depuis l'attaque sur le village de Kusatsu; le village avait un regain d'intérêt.
Protéger un trou du cul, c'était ulcérant : Il fallait  constamment lui courir après, mettant ma vie après la sienne, comme si gratter du papier et lécher les bottes de l'Empereur le rendait supérieur à moi... La comparaison avec de la vermine se faisait bel et bien et ma mission m'avait un peu frustré. "Du temps perdu." Pour autant, cela avait été l'occasion de découvrir un homologue mystérieux, mais ravissant, et son arme, ce qui avait un peu enrichi mon quotidien pour quelques jours...

La vie, c'était un peu des rencontres, non ?

Pour la nuit, avant de partir faire mon rapport à Seizan, j'avais décidé de séjourner dans un petit village à la porte de mes montagnes... Même si la région était connue pour ses services thermales, je pouvais bien trouver quelques produits locaux et c'était sous la forme d'une bière appauvrie en alcool, d'un plat de brochette cuites par les vapeurs aquatique que je dégustais le repos bien mérité après des emmerdes pas possible.
Bien entendu, cette affaire n'avait pas fait grand bruit, car on ne criait pas sur tous les toits le passage d'un ponte de la capitale. Les paysans n'en savaient rien de ce qui se tramait vraiment dans les montagnes et, à y réfléchir, moi non plus. Enfin, les contrebandiers, oui, mais les Yokaï qui devaient élire domicile dans quelques grottes, j'y connaissais que dalle aussi... Ma région apparaissait donc aussi mystérieuse et dangereuse que les autres, mais au moins je n'avais pas des vers de sables qui pouvaient prétendument manipuler le désert entier. "Nom d'un Kami." Pour autant, Beppu siégeait à proximité de forêt épaisses qui ne donnaient pas vraiment envie de faire des promenades... Comme la pleine mer et ses krakens, des forces colossales devaient siéger dans les cimes.  

Le signe ostentatoire de mon affiliation à Seizan sur le bras, le bandeau sur le front pour dissimuler la cicatrice disgracieuse, je prenais de grandes fourchettes du mets local sous le regard ravi de la tenancière qui voyait quelques ryos être ajouté à sa bourse, avec ma présence. Les ninjas étaient bien payés et leur passage apportait toujours un petit plus à l'économie local, surtout que la plupart du temps, ils ne réfléchissaient pas à la dépense et prenaient ce qui leur allait, quitte à mettre un peu plus de rond sur la table. Du coin de l'œil, je voyais la demoiselle lupine parler avec un client un peu perdue : Elle allait le plumer pour sûr ! Les touristes, même menacés par des Yokai, ne loupaient jamais une occasion pour vider un peu leurs poches et les sources relaxantes étaient une bonne justification.

Le milieu de soirée approchait et la porte fut ouverte, dans un bruit discret, pour découvrir un nouveau membre de notre petite communauté paillarde... Une jeune femme et je devais avouer qu'un bref instant, je la dévisageais avant de revenir vers mon plat.

"Pas très samouraï tout ça."

- Hmm ? Un morceau de viande dans le gosier, je ne pus pas répondre directement, même si j'en avais envie.

La nouvelle arrivante s'était jetée sur moi comme si j'étais le seul client de la taverne et d'un coup d'œil rapide, je vis d'autres tables libres, mais c'était moi qu'elle avait choisie. "Soit." Avalant expéditivement ma bouchée, je lui souris avant de lui adresser quelques paroles encourageante :

- Bien évidemment ! Je ne comprenais pas bien dans quoi je m'étais jeté, mais elle n'avait pas l'air dangereuse, ni sournoise, ni même quelque chose de négatif ! En temps normal, j'aurais viré le monsieur ou la dame qui venait s'inviter à ma table comme cela, mais chez la demoiselle il n'y avait aucune volonté de nuire, juste elle recherchait de la compagnie et je devais être le seul dans sa tranche d'âge dans la pièce... Un point commun qui rapprochait pas mal dans ce village isolé.

"Les thermes, c'est un peu ça... Rencontrer, rapprocher."

Son œil était curieux et son attitude assez peu méfiante. Une confiance naïve que j'avais eue assez peu d'occasion d'observer, en fait mes premiers voyages en tant que genin avaient été marqué par un comportement similaire. Soutenu par des vêtements de voyage richement produits et brodés, elle ressemblait à l'un des accompagnateurs du haut fonctionnaire de teito, mais en plus jeune et mignonne. On pouvait aussi ajouter une attitude bien moins hautaine.
En fait, l'un des seuls obstacles, c'était qu'elle n'avait rien devant elle alors que j'avais mon plat et ma boisson, poliment je lui tendais une brochette que je n'avais pas touchée, mais je fus coupé par sa main qui demanda l'exacte réplique de mon repas, avec un verre d'eau en plus. "Intéressant." Avec la proximité, je pus développer l'observation que j'avais faite à son arrivée, avant même qu'elle débarque à ma rencontre :  Elle était plutôt jolie, mes yeux s'arrêtèrent un peu sur le grain de beauté sous son œil avant de repartir vers le deux pupilles dont le bleu était dissonant avec l'ambiance chaude de la taverne. Tout cela, je pus le distinguer pendant qu'elle était occupée à commander, mais quand elle revint sur ma personne, je dus m'introduire, comme elle s'introduisait :

- Ahah, Kunao de la famille Fumiri. Involontairement amusé, j'étais presque stupéfait par l'attitude enfantine de sautiller devant quelque chose d'assez banal, si on sortait un peu. Je pouvais donc deviner que la jeune femme n'était pas d'içi et rien que sa tenue m'inspirait cette théorie. Vous allez voir, la viande est vraiment bonne... Les vapeurs thermales rendent presque le plat relaxant. Une petite blague qui suivit un conseil moins épatant. Par contre la bière n'est pas très bonne, ce n'est pas la spécialité... j'aurai dû prendre autre chose. Plus loin vers la mer, un homme m'avait conseillé plutôt l'eau-de-vie, alcool de la région, peut-être qu'ici aussi il y avait une boisson maison. Vous ne venez clairement pas d'içi, en fait vous tranchez pas mal avec les tenues rudimentaires de nos voisins, ou de moi. D'où venez-vous ? Pas une once de méchanceté, c'était une curiosité appuyé par des faits.

Yui ne venait pas d'ici, cela se voyait comme le nez au milieu de la figure... Ou comme un Yokaï au milieu d'un village. En tout cas, elle était une petite surprise de ma soirée, une surprise rafraichissante et pas désagréable à l'œil.

- Héhé, on n'impose jamais rien à personne ! J'aurais pu refuser si cela me gênait un tant soit peu ! Ma mère m'avait toujours dirigé vers la politesse et la bonhommie, ce qui m'avait amené à accepter sa demande qui n'était pas bien difficile à accepter : Qu'est-ce que me coûtait la chose ?  Devant mon explication des pour et des contre concernant le repos, elle pencha la tête à la manière d'un peu chien dont le cerveau rencontrait un processus trop compliqué, ce qui était presque mignon si on oubliait que je venais de la comparer à un animal... Mais sa proposition me fit regretter cela : Elle voulait m'offrir un verre pour me remercier. C'était étonnant, voire un peu trop, mais je souris pour accepter enfin : La bière est toujours un peu la même, partout où je vais, donc c'est une valeur sûre... j'ai peut-être un peu abusé quand j'ai dit que c'était mauvais, mais en tout cas elle n'a rien de spéciale ! C'est vers les régions plus agricole qu'ils produisent les meilleures ! Pour me commander une autre chose, voici ma réponse pour vous : Oh, si le cœur vous en dit ! Partagez alors avec moi, que je ne sois pas le seul à apprécier une bonne boisson ! D'un geste théâtral, je surjouais ma dernière sentence, comme si j'étais touché en plein cœur par une flèche invisible.

Du romanesque.

Je gardais en tête que la dernière personne qui avait commandé à boire avec moi avait essayé de me faire racker comme le dernier des connards, mais la demoiselle devait moi n'était pas cet empaffé qui m'avait pris pour un con. La coïncidence fut belle : La serveuse vint pour apporter les victuailles de l'autre belle, comme quoi une bonne situation arrivait aux bonnes personnes. D'un grand sourire et d'un regard éclatant, je demandais à la demoiselle en tablier, échaudée par les multiples commandes, quel était la spécialité du coin !

- Oh bah... On fait de la liqueur de pêche pas mal, mais notre spécialité, ce sont les bains, monsieur, pas la gnôle ! Une réponse assez peu satisfaisante, mais au moins sincère ! D'un air entendu, j'acceptais la réponse sans rien dire de plus. "Je peux pas m'attendre à avoir toujours des bonnes surprises !"

La soirée était pourtant très loin d'être gâchée, j'étais en bonne compagnie ! Je précisais bien vite qu'elle ressemblait clairement à une étrangère et que donc j'étais curieux de son origine, mon regard suivit le mouvement de ses cheveux quand elle me répondit : Oui et cela l'embêtait, car elle voulait passer incognito, ce qui eut pour effet de la faire rougir un peu. Niveau illustration de ses émotions, elle se posait là. Elle venait donc de Jujou, le village forestier que j'avais eu l'occasion de visiter pendant mes années de genin... Enfin, de manière très faible puisque le tourisme n'était pas la raison de ma venue, à cette époque. Avec un mentor, elle était venue pour en apprendre plus sur les apports bénéfiques des thermes. Mes yeux ambrés s'ouvrirent en gros devant sa réponse puisque cette option ne m'était pas venu à l'esprit, mais je n'eus pas l'occasion d'ajouter quelque chose, car le bleu se précisa sur moi.
Elle était venue à moi car j'étais seul et à peu près de son âge, ce qui me fit un petit coup au cœur puisque j'imaginais qu'il y avait des raisons plus personnelles... À dix-neuf ans, on cherche à valoriser sa beauté, son charisme, pas sa solitude ou le hasard des âges ! Beppu lui était inconnue et elle s'attendait à ce que je lui en apprenne plus sur la localité, ce que je ne pouvais pas vraiment faire et c'était ce que je lui dis :

- Eh bien... Pour tout vous dire, je suis aussi un étranger. Je viens de Seizan no Sato, je me suis arrêté après une mission pour manger et dormir un peu, avant de repartir demain... C'est la première fois que je passe par Beppu et ce que je sais, c'est que contrairement à sa voisine, elle n'a pas gouté aux assauts de Yokai... Mon regard se fit plus sombre un instant. Et bien sûr qu'elle possède des thermes ! J'espère y gouter ce soir, avant mon départ. Le ventre plein, l'entrée dans l'eau allait être désagréable, mais la chaleur réglait tous les tracas !  Pour l'outrecuidance, je pense que ça ira ! Sans doute qu'on découvre un peu le village en mangeant ici, mais également qu'après on pourra un peu voir ce qu'on trouve... Mais je pense quand même que la principale activité, c'est le bain, pas de monument culturel ou d'activité économique annexe ! "Très dépendant, du coup."

Pendant que je parlais, elle avait pris avec sa fourchette un petit bout de viande et à la fin de ma déclaration, elle l'avait portée à sa bouche pour savourer et enfin donner le résultat : Très bon ! D'un grand rire, je la vis attaquer plus vite des morceaux plus gros.

- S'ils n'ont pas de spécialité en alcool, on peut au moins dire que leur viande cuite par les vapeurs est super tendre ! Accompagnant le rythme, je pris moi-même quelques bouchées de mon plat qui avait un peu refroidie depuis le début de la discussion. Jujou a des spécialités culinaires ? Je n'avais pas eu l'occasion de gouter vraiment à la cuisine locale !

Beaucoup de "oui", beaucoup de "allons-y"... Yui présentait une face radieuse et facile à vivre. Lentement, je tombais dans le jolie panneau de céder à une certaine joie radieuse.

La boisson allait donc être partagée, mais je retenais le compliment : J'étais un homme amusant et cela eut bientôt fait de me donner du baume au cœur. Oh, rien qui n'allait me pousser à exagérer mes gestes pour reproduire ce petit rire si charmant, mais savoir que je n'étais pas qu'un samouraï indifférent et spartiate était une bonne chose.
Dans mon esprit, papa avait été comme ça : Je ne me rappelais pas l'avoir déjà vu sourire, trop occupé à satisfaire un Bushido qui lui demandait d'être lointain, distant de la vie, pour offrir ainsi son existence à l'art de la lame. Je ne me rappelais pas un seul geste d'attention non plus, mais une chose était sûre : Il m'aimait du plus profond de son âme, seulement il n'était pas le genre à le montrer. Ma mère avait dû produire et illustrer tout l'amour pratique, les câlins et les caresses, sans jamais se départir d'un sourire pour son charmant mari qui ne le rendait pas. Pareillement, Hachi aimait follement sa compagne, devenue sa femme et la mère de son bambin. Il était parti du domaine Fumiri pour que la Miyamoto prenne son nom et qu'ils fondent un foyer non troublé par les coups de marteaux et la chaleur de la forge. Bref, je tirais donc suffisamment de ma mère pour apprécier et voir comme une qualité d'être visiblement drôle.

Une pointe au cœur, quand même, en m'apercevant qu'une partie de mon père ne m'avait pas été transmis...

Une grande respiration et je revenais dans le flot continu de la soirée, où l'ambiance chaleureuse rendait les choses plus douces. La demoiselle m'avertissait que l'alcool n'était pas son fort et qu'elle s'excusait d'avance pour des bêtises qu'elle pouvait faire : le convenable, la bienséance. Elle voulait faire les choses dans les règles, se tenant comme une aristocrate, et l'idée me plût qu'elle soit de la haute, mais qu'elle le cachait pour ne pas que mon comportement change. Hochant la tête, je ne pus que répondre :

- C'est bien noté, si cela devait arriver, j'essaierais de vous ramener à la raison, ou au moins à l'autorité compétente pour vous ! Son mentor devait se trouver quelque part et si elle partait dans un délire de beuverie, il fallait bien la mettre en sécurité. Un petit sourire aux lèvres, je laissais couler la chose : Il n'y avait pas de raison que Yui ne devienne saoul avec un ou deux verres. La liqueur n'était pas connue pour être si chargé que ça...

Non ?

Rapidement, des questions et des aspirations arrivèrent avec la découverte de mon gentilé : Elle enviait les grands espaces et s'imaginaient déjà se sentir si petites devant les montagnes de fer. Ricanant un instant en repensant à ma région natale, je ne pus m'empêcher d'en parler comme si un feu brûlait en moi :

- C'est une région magique, majestueuse... Tout le village se trouve sur une chaîne de montagne, on a une vue ouverte et terrible sur les vallées environnantes. Bien que l'intérêt soit uniquement pour la sécurité, il faut avouer que l'esthétique est très poétique et impressionnante. Sur le pic où se trouve le bâtiment de mon Kage, je peux voir jusqu'à Kuma No Kuni et chaque point enjambe des vallées... C'est vertigineux ! Le reste de la région n'est pas en reste : Faille, montagne, vallée... Chaque pas peut nous conduire sur un monde différent : hauteur, profondeur, verdure ou roche... L'adret ou l'ubac transforme le paysage et je mets au défi quiconque de passer une journée à marcher dans ces provinces sans changer au moins cinq fois de cadre. Dans les entrailles des montagnes bleues, ou proche du village de Tetsu, un réseau de tunnel circule sous la terre... Long, intense et nombreux, on a perdu la trace de certaines galeries et on ignore aujourd'hui où elle débouche. Que ce soit en haut, ou en bas, on se perd... Le regard et le corps n'arrivent pas à comprendre cette immensité qui s'étale devant ou sous nous. M'amusant de cette vigueur que je tenais dans mon discours, je ne pus que conclure ainsi : Cela fait dix-neuf ans que je vis là-bas et je ne peux pas dire que j'ai tout vu : C'est grand, trop grand.

Étrangement, la ferveur que je tenais pour parler de chez moi fut coupée par la proposition de Yui de prendre un bain après... L'homme expliquant avec passion laissa sa place à l'adolescent, ou le puceau, et je pris rapidement une gorgée de bière amère pour me laisser le temps d'appréhender la chose. Le liquide âpre passa dans ma gorge alors que mes joues se rossèrent légèrement. Finissant ma looooongue gorgée, je pris une grande inspiration avant de noyer le poisson :

- Bien sûr, si vous voulez. Rien de plus, rien de moins... Il fallait gérer à l'instant T la chose. Seulement, une petite panique naissait dans le fond de mon ventre devant l'idée de se retrouver bien trop dénudée dans un bain bien trop chaud...

Avec une fille qui pouvait être à tout moment un peu trop alcoolisée et, comme elle disait, inconvenante. "L'occasion est plutôt belle". La phrase tourna un instant dans mon esprit et je décidais d'un peu temporiser le moment critique avec une promenade. En parallèle, la belle commença à parler des spécialités culinaires de Jujou : Des fruits, des plats de fruits, des alcools de fruits. Tout tournait donc autour du sucre naturel et de la chair colorées qui passaient entre les dents. Tellement qu'elle parla du bananier offert à l'Empereur. Hochant la tête, je ne pus qu'apprécier l'illustration en imaginant sous mon palais quelques mets venant d'ailleurs...

Et à cet instant, la liqueur arriva avec deux verres propres et adapté à la consommation... Les yeux grands ouvert, je pris les choses en main en attrapant le goulot et en servant ma partenaire, pour enfin remplir mon propre godet. Attrapant celui-ci, je le levais avant de présenter mes hommages :

- Alors aux fruits et... aux bains.  C'était une sale histoire, je le sentais et tout pouvait mal se passer, mais... Étrangement...

Cela ne me déplaisait pas.

Noyer le poisson, je n'avais pas l'habitude, mais devant l'observation de mon interlocutrice sur mes joues qui viraient au carmin, je ne pipais mot et ma bière devenait plus douce alors que mon palais devenait un peu pâteux : Soit la honte, soit l'alcool faiblement dosé qui faisait effet.
Heureusement, la liqueur arriva à point et le toast permit d'un peu évincer le sujet du bain commun, même si la phrase était un peu badine. Chacun but un coup et vite je pus remarquer la grimace sur le visage de la demoiselle devant moi, j'étais également assez peu réceptif au goût subtil pas mal couvert par les tanins... Un arrière-goût laissé deviner la composante fruitière, toutefois.

- C'est très fort, ouais,  mais on peut dire que c'est mieux que la bière... Une affirmation relativement discutable.

Je n'étais pas un fin buveur : Un samouraï n'avait pas l'œnologie dans ses compétences, mais au gré de quelques voyages, j'avais pu gouter un peu aux productions liquides des régions, sans être un expert. Cela forgeait une petite culture, très petite même. L'engourdissement des sens était un réel danger pour un soldat et un guerrier... les gestes devenaient plus lourds, plus patauds et si un problème survenait, cela pouvait devenir dramatique.
En réfléchissant à tout cela, j'avais loupé les premières secondes de Yui qui commençait à chialer devant la chaleur interne et la force du goût qui, admettons-le, pouvait brûler la gorge des non avertis. Peu expert dans le sauvetage des glottes, j'attrapai la cruche d'eau pour servir un verre à la victime en lui tendant le tout d'un air un peu pressant. Pour ne pas gêner la demoiselle avec un silence d'ange gardien pesant, je répondais à la question qu'elle avait bégayé, la bouche en feu :

- Oui, ça peut aller, mais je peux comprendre que ça soit surprenant. Autant les alcools neutres qui s'infusaient de fruits pouvaient avoir une certaine puissance, autant là, c'était quand même beaucoup... Ils doivent rajouter quelque chose, ahah. Cherchant à dédramatiser le traquenard qu'était cette auberge depuis qu'on avait commandé l'alcool de fruit.

Laissant le contenant disposée devant la belle, je revenais sur mon propre verre pour discerner si la surface montrait quelques traces de plantes ou une couleur autre que celle attendue : Rien, c'était peut-être moi qui m'étais laissé avoir ? "Étrange." Alors que je retournais, sentant un regard sur mon dos, je vis la tenancière me jeter une œillade entendue... Comme si elle savait exactement ce qui se passait. Sa liqueur donnait toujours cet effet-là ? "On doit pouvoir récurer des chiottes avec tout ça..."

- Essayer de manger un bout, histoire de laver le gosier. La liqueur tape pas mal et celle qui nous l'a vendu le savait parfaitement, ils aiment bien se moquer des nouveaux ici... Ce n'était pas bien méchant, mais vu la réaction de Yui, cela pouvait la demoiselle à être totalement au tapis.

Encore un peu curieux, je reniflais la robe ambré pour reculer derechef tellement c'était fort. Effectivement, ils appréciaient pas mal donner une liqueur qui servait plutôt de combustible... Une blague locale ? Un bizutage ? "En plus on a payé pour ça."

- Je vous propose qu'on finisse de manger rapidos pour ensuite aller marcher, ça peut que nous faire du bien... Je pensais évidemment que cela pouvait bénéficier plutôt à elle. Cela vous va ?

- C'est clairement le cas... On est devant un cocktail un peu étrange, mais la spécialité locale est ce qu'elle est. Pourquoi ne pas nous l'avoir dit ? C'est un mystère, mais en tout cas elle doit bien rigoler à nous voir faire la grimace... Une petite moue, pas forcément coléreuse, mais un peu honteuse de s'être fait avoir comme ça. Les lois de la consommation.

Il était vrai qu'on avait commandé un peu innocemment, par-dessus la tête, en donnant notre pleine confiance à la tenancière qui en avait profité, peut-être par jeu... Mais on ne s'amusait pas avec l'argent et la nourriture des gens. Devant l'affirmation de ma partenaire sur le caractère immoral de la chose, je ne pus que sourire :

- Oui, c'est parfaitement immoral... C'est la première fois qu'on vient ici et ça sera un mauvais souv... Une leçon amère. Bizarrement, je m'étais abstenu sur ma phrase, laissant une possibilité à mon séjour dans Beppu d'être agréable, sûrement grâce à Yui ?

En tout cas, suivant mon conseil, elle se mit à consommer sans modération la nourriture et surtout la liqueur, alors que chaque gorgée lui tirait un effort conséquent. C'était étrange, mais je fis de même pour suivre la dynamique : Autant l'alcool était puissant, autant je penchais sur la viande et l'accompagnement pour éponger un peu, servit sur de grandes rasades d'eau pour noyer le mal sous d'épaisses couches aqueuse.
J'avais déjà eu l'occasion de picoler un peu trop, avec des camarades de caserne et parfois avec ma mère, d'ailleurs elle avait l'alcool étonnamment serein, mais cette fois je me sentais drôlement bizarre : En contrôle, les yeux alternant de ma camarade de table à mes mets pour surveiller ses réactions et un peu gouter à un autre plaisir, non pas culinaire, mais également dans un laissé allé amené par la liqueur qui tapait quand même pas mal ! Je me retenais de tousser comme mon interlocutrice, mais l'envie était là. Il ne fallait pas renvoyer une mauvaise image à la demoiselle, sauf si mes joues rouges et les yeux papillonnant n'étaient pas déjà assez. Pris de vitesse, je fus presque admiratif en voyant la dame de Jujou se lever d'un coup après avoir vidé chacun de ses godets. Loin d'être stable, elle m'affirmait déjà avoir le tournis... À cause du verre ? "Oui, sans doute." Pas assez rapide pour donner ma réponse, elle filait au comptoir pour... Régler ? Les yeux grands ouverts, je la vis sortir les ryos nécessaire à la consommation et je serrais les dents pour ne pas accourir et contribuer.

Si je me levais maintenant, aussi vite qu'elle, je pensais ne plus pouvoir donner l'illusion...

Soufflant un coup pour me donner du courage, je sortis de la chaise en me tenant solidement sur la table. Devant moi, il restait un fond de bière que je récupérais pour me donner un peu de carburant... C'était sans doute la goutte de trop ? Debout, c'était un peu mieux, mais je crus sentir dans les premières secondes de mon érection un petit vertige...

- Oula... un murmure, mais aussitôt la belle me sortit comme si de rien n'était en indiquant qu'elle avait réglée. Elle était étrangement entreprenante et mon bras fut vite pris en otage par le sien : Est-ce qu'elle avait besoin de moi pour tenir droit ? Est-ce qu'elle sentait que j'avais besoin de soutien ? Peut-être qu'on se tenait mutuellement comme deux immeubles collaient qui s'échouaient sans l'autre. Qu'importe. Il fait un peu froid, mais avec tout ce qu'on a bu... ahah ! Pitoyablement risible, mais dans mon état un peu pompette, je ne pouvais pas faire mieux...

Dans le fond de mon esprit, une réponse gratuite à mon affirmation, me rappelant amèrement un enseignement un peu trop matriarcale de ma génitrice : "L'alcool déshydrate en cas de forte chaleur... Et en plus ça ne réchauffe pas du tout l'hiver !" Ce n'était pas bien grave si j'avais tort, au moins actuellement je n'avais pas froid, si proche de Yui que son parfum m'arrivait dans le nez, galvanisant un sens un peu apitoyé par l'alcool ainsi consommé.
Sa peau était douce et j'appréciais quand même pas mal ce contact-ci, même ses cheveux qui m'arrivaient un peu dans le visage n'étaient pas désagréables du tout... Un instant, je l'observais et elle le fit en retour. M'empourprant, j'avançai dans la rue, autant pour changer de sujet que pour montrer qu'un fond d'air frais ne me faisait pas peur ! La rue était éclairée alors que la lune faisait déjà bien son office, le pas léger et un peu lent comme pour apprécier un peu la scène, j'observais les logements et les boutiques qui s'agglutinaient dans un centre-ville qui se voulait économique. Si les badauds venaient pour les sources, ils restaient pour les multiples services...

- Le ciel est aussi beau à Jujou ? Une question bête, mais avec la hauteur de Seizan, je pouvais voir tout ce que je voulais du haut de ma fenêtre, mais les autres... Ceux d'en bas ? Vous avez froid, vous ? Si elle avait proposé de rentrer, peut-être que c'était une manière polie d'indiquer qu'elle se gelait ? Un bref instant, je pensais à lui refiler ma veste... Un geste honorable qui me condamnait, moi, à goutter à l'air féroce.

J'avais l'habitude, dans mon village... La belle vue s'accompagnait aussi d'une température plus basse, comme pour signaler qu'un bien ne venait pas sans un mal ! Inconsciemment, je me collais un peu plus... Le froid ? L'alcool ? Autre chose ?

- En tout cas, merci pour le repas... Vous n'étiez pas obligé de tout payer, mais c'est apprécié. Les lanternes défilaient durant notre procession, certains badauds nous suivaient du regard en ricanant. Ce village était quand même sacrément tourné contre moi, contre nous. Hmm... Donc les bains, quelles sont leurs bienfaits ? J'imagine que ça relaxe pas mal, mais il y a autre chose ? Je n'en savais rien, les bains que je prenais chez moi ou dans Seizan n'avaient rien de thérapeutique. C'était uniquement de l'hygiène, rien de plus et rien de moins. J'ai du mal à croire qu'il puisse avoir de vraies applications hors du musculaire !

Je voulais un peu dissimulé les chuchotements des passants, qui me mettaient un peu mal à l'aise... Pourquoi donc ?

Boire avec modération ? Je n'avais pourtant pas bu beaucoup, mais la chaleur qui naissait dans mon estomac, source de joie et d'une certaine candeur, ne pouvait venir que de l'alcool, non ? "Ce serait donc une illusion ?"

Trés vite, elle m'expliqua que le ciel à Jujou no Sato était beau, quand on trouvait un créneau à travers les arbres pour le voir... C'était fâcheux, pour un garçon de la montagne comme moi, d'avoir un accès si limité à la voûte céleste. Pour autant, cela pouvait sonner comme une récompense... Trouver le bon endroit, découvrir les étoiles et l'astre lunaire par une petite fenêtre sur le monde.

- J'ai... J'ai toujours pu voir le ciel, privilège de la hauteur. Peu de choses pouvait me cacher la vue. Mes pas se faisaient plus solide et cette chaleur dans mon ventre se précipitait presque au contact de l'autre course, à mes côtés. En fait, j'avais l'habitude quand j'étais enfant de regarder le ciel par ma fenêtre, une chose qui m'a un peu manqué quand j'étais à la caserne pour mes premières classes, mais depuis quelques années que je suis revenu chez ma mère, je me permets quelques plaisirs quand je ne suis pas en mission. Une attention gratuite pour mes yeux, là où certains allaient boire un coup pour se détendre. Tout cet infini, étalé devant nous... Comme la mer, en fait, mais bien plus proche... Poétique, mais un peu ridicule avec du recul. Le ciel était infiniment plus loin que l'eau en grande quantité, surtout dans ce village.

Tournant enfin le visage vers Yui, je pus apercevoir qu'elle m'observait en souriant et je ne pus m'empêcher de lui rendre cette esquisse... La chaleur augmentait, comme si montrer mes dents faisait un appel d'air pour le brasier en moi. "Sacrée cheminée ?" Pouvait-elle le sentir ? Elle me révéla qu'elle n'avait nullement froid vu que je lui faisais profiter de cette énergie corporelle qui permettait de ne pas souffrir du froid. Comme une réponse légitime, je serrais plus mon bras contre ma hanche, ce qui l'amenait à se rapprocher plus... Si je pouvais la réchauffer, pourquoi pas ?
Remerciant son paiement devant notre commande, la belle me surprit en m'expliquant qu'elle avait "achetée ma compagnie" ? Je ne comprenais pas bien le sens de cette phrase, mais son regard et sa question sur le fait d'une certaine rancune me fit froncer les sourcils d'incompréhension, avant de finalement lâcher d'une voix doucereuse :

- Je ne sais pas bien ce que vous voulez dire par tout ça, mais je dois dire que ce n'est pas désagréable d'être avec vous, donc non, je ne vous en veux pas ! Les pas comme une danse, à deux, les rues défilaient devant nous avec le murmure des badauds comme musique de fond.

Justement, pour un peu changer de sujet dans le but d'évincer cette question sur la rancœur, je m'intéressais aux vertus des bains et il fallait dire qu'elle connaissait bien son sujet : Relaxante, astringente, désinfectantes, drainantes... Seule la mention des vieux, très représenté dans ces lieux, rendait le discours moins agréable, mais bien plus complet ! Finissant le tout avec un petit rire charmant en déclarant que tout le monde devrait prendre des bains dans ce type de source !

- Ahah, c'est vrai que ce sera ma première fois, d'habitude ce sont juste des douches ou des bains d'eau claires... Je me demande si c'est vraiment différent à la texture, ou les impressions. Je voyais la chose comme une expérience toute nouvelle, alors que cela restait de l'eau donc... Bien connu.

D'ailleurs, une banderole sans équivoque arrivait à notre vue : Un cercle non complet dont s'échappait des trois vagues verticales, sans doute écho à la vapeur ? Ou la chaleur ? De mon bras libre, je désignais la chose :

- En parlant du loup... Je pouvais ajouter qu'il montrait sa queue, mais cela me semblait un peu superflu dans l'exercice. Ensuite, parler ainsi pouvait à tout moment me faire rougir et évoquer chez ma compagne une présentation perverse de ma personne, et je ne l'étais pas... Même si je me disais que c'était pervers de dire ça, et de le penser maintenant. "Merde." Voila un bon moyen pour se réchauffer, prête à avoir une meilleure circulation ? Entraînant la demoiselle dans le domaine, introduit par un petit jardin zen qui donnait bien l'air de la soirée, je passais doucement un volet de bois qui coulissait et une petite dame vint nous accueillir dans un kimono impeccable.

Elle nous observa un bref instant avant de nous saluer d'une révérence très aimable tout en ajoutant, un léger sourire aux lévres :

- Konbanwa ! Je suis ravi de vous accueillir ! Désirez-vous un bain ? Un rafraîchissement ? Derrière elle s'affairait une demoiselle qui agitait des boissons, l'établissement servait de bar ?
- Bonsoir ! Eh bien... Un bain, je crois. Je regardais la fille à mes côtés pour avoir ses impressions.
- Mixte, ou séparé ? "Ah..." La question était légitime, et un peu gênante...

Ah ah ah.

L'eau réchauffant mon corps, je laissais ma bouche sous l'eau pour faire des bulles, pensif de la scène que je venais de vivre... Si la belle ne s'était pas démontée devant la question, la réponse m'avait surpris comme tout un chacun. Les bains mixtes avaient été choisis et, laissant Yui devant la porte de son vestiaire, je m'en retournais vers la pièce des hommes et une impression étrange surgit en moi en enlevant mon haut, puis mes chausses.
Je ne m'étais jamais baigné avec une femme, les bains d'enfant avec sa mère ne comptait évidemment pas... Ainsi, c'était une expérience aussi nouvelle que celle de gouter aux thermes. À ce moment-là, en fait, cela occupait toutes mes pensées, si bien que l'intérêt thérapeutique de cet endroit me sorti de la tête. Qu'est ce que je devais faire ? Qu'est ce qu'il fallait faire ? Aller vite pour courir me réfugier dans l'eau chaude, par peur de découvrir un peu trop de nudité ? Ou bien laisser le temps courir pour qu'elle soit à l'aise, sans le regard gêné de l'individu déjà sur place ? Les dents serrés, je rangeais mes vêtements dans un casier prévu pour avant d'attraper une serviette et de faire mon choix : me dépêcher et baisser les yeux quand la jolie demoiselle se révélerait.

C'était le mieux !

Seulement, une certaine nervosité apparu au contact de la surface un peu bouillonnante : J'avais quitté le molletonneux de la serviette pour me révéler au grand air, assez vulnérable... Le Bushido avait un chapitre sur le fait de prendre des bains sans son katana ? L'orteil agrippa la pierre sous l'eau et le réconfort de la chaleur vint me cueillir dans l'entièreté de mon être, qui s'avança dans la source pour ressentir la tendresse de l'établissement. Comment allait se passer cet entretien qui sonnait de plus en plus comme un rendez-vous galant ? Bel et bien puceau, je n'en restais pas un idiot pour autant ! Yui était agréable, douce, et la perspective de la découvrir avec comme seule couverture de l'eau chauffée et de la vapeur, cela pouvait faire de l'effet à tout un chacun... Ainsi, à l'abri des regards, je fis des exercices de respiration pour calmer cet esprit et ce corps un peu trop bouillonnant. L'alcool ne faisait plus effet, ou alors il était passé au second plan devant la certaine anxiété devant ce cas de figure inédit ! On avait beau s'entraîner des années, il y avait des situations qu'on ne pouvait combattre le cœur calme... Et l'ambiance de la caserne, très masculine, ne m'avait jamais préparé à ça.

J'étais donc assez soucieux et les bulles issus de ma bouche n'illustraient que les soupirs devant la peur et... l'attente ? Un garçon de dix-neuf ans, cela avait des pensées contraires. Un bruit de porte et ma camarade arriva sur les bords du petit étang, uniquement vêtu de cette foutue serviette que je craignais autant que j'appréciais... Peut-être que l'alcool était encore là ? Une nouvelle chaleur s'alluma dans mon ventre, la même que dans la rue, et stressé devant elle, je baissais les yeux : je ne voulais pas passer pour un pervers ! Ainsi, je ne pus pas bien percevoir l'attitude de la demoiselle, puisque sous l'effet de cette crainte croissante, je plongeai sous l'eau... Le feu thérapeutique m'atteint au visage et je dus fermer les yeux pour ne pas sentir une pointe de douleur dans mes orbites.

"Nom d'un Yokai..." Revenant à la surface, après avoir tenu un beau record en apné, je pus enfin me retrouver nez à nez avec Yui, qui était entrée dans l'eau, les cheveux déroulé sur l'entièreté des épaules. Elle me faisait face et je prenais grand soin à la regarder dans les yeux, et même un peu au dessus pour ne jamais être tenté ! C'était presque louche, mais c'était mieux. Elle m'annonça ses espérances sur le temps d'attente, qu'elle voulait le plus court possible, et je ne pus lui répondre ce que j'avais en tête : "j'ai attendu comme un dingue, tendu comme un arc même..."

- Ahah, nan ne vous inquiétez pas ! Les garçons ont toujours plus de facilité à se changer que les dames ! On est plus brouillon, sans doute... L'air aimable, je m'adossais contre une pierre pour être un peu plus à mon aise, mais la sensation d'être un animal piégé m'agrippa le corps. L'eau est tellement chaude, dur de croire qu'on est au cœur de l'hiver... Laissant mes bras remonter à la surface, jouant avec la poussée d'Archimède, je me réconfortais en regardant le cadre : Personne, la nuit avait chassé les badauds et il ne restait que nous dans l'air paisible et... délicieuse ? C'est vraiment quelque chose, et dire que j'ai passé des années sans vivre ça...

Dur à croire que je parlais des thermes, hein ? Et pourtant si... la vie était pleine de surprise et la belle Hasegawa représentait une sacrée nouveauté dans mon retour de mission.

- Alors, que vouliez-vous savoir sur mon village ? Attention, il y a des secrets militaires que je ne peux révéler ! Un léger sourire, avant de déclarer un rire franc. Mais j'imagine que les étoiles, ce n'est pas si politique !

Si les yeux étaient des armes, la demoiselle devant moi pouvait être un grand danger... En fixant ses yeux, je m'en persuadais de plus en plus.

Les débuts de ce bain comment furent assez banales et je réussis à me détendre un peu : La jolie demoiselle se révélait une bien joueuse personne, puisqu'elle flotta un petit moment, en se laissant porter par les faibles courants des affluents de la source. L'eau était bonne et si on pouvait ajouter aux vertus thérapeutiques quelques notions ludiques, cela ne pouvait être que mieux ! Une brève minute, je réfléchis à une réponse concernant cette "attente" qu'elle m'avait fait vivre et qui concernait ses coquetteries, ce faisant je laissai échapper un murmure si peu audacieux :

- Je ne vous trouve pas si coquette... Je ne remarque pas ces choses-là. Avait-elle entendu ? pouvait-elle entendre, au moins ? Espérant que non, je laissais échapper ma chance de lui faire un compliment. Bien que sincère, ce type de propos ne se prêtaient pas vraiment au cadre...

C'était déjà assez étrange de prendre un bain avec une fille de mon âge. Je fus presque content quand, pour changer de conversation, je fis mine de parler du bain et qu'elle me répondit.

- Les douches sont plus rapides, c'est clair... Mais pour une première fois, je suis quand même pas mal convaincu par ces thermes ! Je viendrai plus souvent, si mes missions me le permettent ! Seulement, peut-être que c'était la présence de Yui qui rendait le tout si délicieux ? Secouant la tête, mettant celle-ci à demi dans l'eau, je fis quelques remous pour, ridiculement, refroidir mes idées. Seulement, une idée désagréable me vint, emprunt d'une certaine jalousie, sortant la bouche de la surface, j'esquissai un mauvais dessein : Vous prenez souvent des bains avec des "amis" ? Le genre n'était pas visible à l'oral et cette vision me blessa un peu, alors que je ne la connaissais que depuis quelques heures.

Finalement, la conversation devint plus stable, sans doute car la demoiselle s'arrêta pour adopter une posture assisse, un peu comme une enfant avec les genoux devant le reste de son corps. Ce fut presque un soulagement car mes yeux, bloqués sur son visage, ne furent plus sous le risque d'apercevoir un début, ou une fin, de chair que je ne devais pas voir.
Lâchant cette emprise, mon regard brusqua sur la peau de ses genoux et, une brève seconde, je me sentis quand même un peu hors la loi. Les jambes se croisaient dans un espace bien plus interdit que n'importe quelle poitrine... Cherchant à évacuer un certain malaise, surtout chez moi, je demandais si elle avait des questions en accompagnant le tout d'un train d'humour, elle s'en amusa également avant de mieux préciser ses idées : Moi et mon quotidien ? C'était asse large, en vérité, mais elle voulait mon autorisation !

- Nous sommes dans des bains ensembles, donc je peux bien me mettre à nu devant vos questions... Une phrase maladroite qui se voulait convenante, mais sur le coup je me sentis un peu bête. Nullement atteinte, elle attaqua une liste de questions et, une main sur la nuque, j'accueillis le flot comme si la source se jetait directement dans mon visage, avait une visible douleur pour tout enregistrer.

Le flot s'atténuant, je découvris un trop large sourire qui me poussa à lui rendre, comme si c'était un prêt. Mon cerveau n'avait pas encore tout enregistré, mais j'essayais le mieux possible de restituer la chose... Levant une main, je marquais un pouce pour numéroter mes réponses :

- Eh bien... Pas mal, on se regroupe sur les sommets et on circule par des ponts, donc on n'est pas vraiment très nombreux, mais pour un village, c'est pas mal ! Peut-être qu'à Jujou vous êtes plus nombreux ? Je n'en savais rien, mais je passais à la deuxième en marquant le coup de mon index. On est pas trop porté sur la cuisine, le peu de choses uniques que l'on a, c'est dans la métallurgie... Mais j'ai l'audace de penser que notre fromage de chèvre des montagnes est ce qui se rapproche le plus d'une spécialité ! Le majeur maintenant, marquant un trois. Hmm... J'ai mangé pas mal de choses, dans mes quelques voyages, mais je dois dire que la viande à la vapeur de tout à l'heure est à égalité avec la salade terre et mer que j'ai pu apprécier dans les oasis ! On entamait le milieu de la liste et, une moue pensive, je cherchais à rejoindre les bouts. Pendant ce temps, l'annulaire débarquait dans la ronde : Pas toutes... En fait, on parle beaucoup de chaînes de montagne dans la province des montagnes géantes. Sans doute que les locaux, dans les vallées, ont donnés des noms à celles qui les encadrent, mais je ne connais que celles de mon coin :  le Mont Atlas, la plus grande, sert de base au bureau du Seizankage.  l’Aiguille, la plus fine abrite l'hôpital du village. Le Pic des Bourrasques et le Mont Venteux avec les quartiers résidentiels, militaires et marchands. À côté d'ici, il y a la province des Ours avec le mont Orochi !

Je tirais le tout de ma tête, cherchant à être complet sans tout dire pour ne pas l'ennuyer. Baissant la tête, le nez dans l'eau, je réfléchis à la suite de cette liste sans fin de questions... "Le dieu, le dieu." L'auriculaire vint avec.

- Non, enfin si... Je suis culturellement polythéiste, mais je n'ai jamais suivi un cursus religieux. Avec les Yokai, avec le chakra, avec les armes démoniaques... Il y a des choses qu'on ne peut pas expliquer, donc les kamis doivent être une réalité ! Pour autant, j'ai un peu peur des abus... Le jashinisme, le carbonisme... C'est étrange, hein ?

Secouant la tête, j'avais répondu, mais cela passait dans une frange un peu personnelle de moi, que je ne maitrisais pas. La religion, c'était un aspect lointain de la société auquel mes parents avait toujours pris soin de me mettre à l'écart, je n'étais pas athée, mais je n'étais pas un fervent pratiquant. Justement, la famille ! Le souvenir de sa question suivante arriva et je lâchais automatiquement le décompte avec les doigts, replongeant ma main dans l'eau je répondis :

- Je suis fils unique. Une réponse simple, un peu évasivement faussement car je me souvenais maintenant de la question d'après, celle sur la petite amie. Un peu plus rouge, je laissais échapper un "non" clairement pas évasif, puisque complétement muet. Reprenant une certaine contenant, je me relevais légèrement contre la pierre chaude pour redevenir un rude soldat de Seizan et pas un puceau dans l'eau. Je n'ai pas le temps, vous savez ! je voyage beaucoup, oui ! surtout pour les missions que je fais pour mon village : Protection, élimination, enquête ! Paquant les trois dernières demandes en une sentence, j'essayais de noyer le poisson, même si à ma mine un peu vermillon et mon torse bombée comme pour récupérer un peu de fierté, je n'étais pas dans mon assiette.  

Pourquoi la question sur mes relations amoureuses me mettait dans cet état ? Sans réfléchir, sans même bien élaborer ma phrase, je soumettais la belle à un interrogatoire futile qui ne visait qu'une seule question dans sa liste, celle sur la romance, sans pour autant le dire :

- Et vous ? Quel idiot j'étais !

"Des prêtresses ?" Si le quiproquo était marrant, je découvrais un vrai élan religieux chez la belle qui m'accompagnait. Devant mon presque athéisme, je me sentais un peu couillon, mais qu'importe ! La légère jalousie, déplacée, vue notre méconnaissance totale l'un de l'autre, s'évanouit aussitôt. Il y avait eu énormément de questions et sur la fin je perdais un peu les pédales, sans doute à cause de ce grain de sable concernant les relations amoureuses... Si tout me semblait clair, dans ma tête, il fallait bien croire que Yui n'avait pas compris le sens de ma question et avait répondu, à son tour, à toutes ces questions ! La bouche ouverte, un instant, comme pour la stopper, je fus totalement incapable puisque j'allais devoir expliquer le sens premier de ma question...

"Quel enfer !"

En tout cas, j'en appris assez sur elle, notamment sur sa religion : Tsukuyomi ? Dans ma mémoire, je cherchais les fonctions de ce dieu alors qu'elle révélait être la dernière de sa famille... "Un massacre ?" Avec l'allure triste de son sourire, je pouvais pencher pour cette explication. Vint assez vite la question du petit ami et elle me fendit le cœur en disant qu'elle n'était pas assez intéressante. Grognant un coup, je ne pus que tendre la main vaguement sous l'eau, invisible au regard, en voulant lui dire que non, ce n'était pas le cas, mais le geste fut rompu quand elle reprit sur les voyages : Elle avait vécu à Toge ? Avant de partir à Jujou ? Était-ce en lien avec sa vie monastique et sa famille ? Pas mal de mystère autour de ma compagne du jour, mais je devais aussi en être un pour elle, car elle se plaça à mes côtés... Mes yeux suivirent sa dynamique, avant de saisir un peu l'outrecuidance et qu'il se plante face à moi pour ne pas trop l'indisposée. Un petit bruit quand le dos de Yui toucha les pierres où je me trouvais et la chaleur monta pas mal, sans qu'aucun propriétaire n'ait touché la température. Le visage dans l'axe de mon torse, je ne me permettais pas de dévier du regard sur le côté... Même avec la question de la demoiselle sur mon front, je ne me détendis pas, mais il fallait bien répondre :

- Eh bien... C'est une blessure bête. Durant une mission à Kuma No Kuni, quand j'étais genin, on a dû s'occuper de groupe de bandits : Des petits larcins, du racket, ... Pour mettre les recrues au pas, c'est une bonne manière, alors ils ont envoyé mon équipe. Infiltration, pour commencer, mais une erreur d'un camarade a amené à un combat : Ils étaient nombreux, pas forcément bien entraîné, mais on a dû quand même batailler sévère. Pour ma part, je me suis laissé prendre par le nombre et un masakari, une hache de "guerre" qui n'en avait que le nom dans les mains du voleur que je combattais, a perforé mon bandeau frontale et a réussi à atteindre ma peau. Ricanant un coup, je donnais mes avis sur la question. C'est violent quand j'en parle, mais en fait j'étais occupé à croiser le fer avec quelqu'un d'autre, il m'a juste cueillis sur le passage en voulant attaquer le chuunin dans mon dos... Un dégât collatéral, quoi ! le bruit résonnait encore dans ma tête quand j'y pensais, un petit "bonk". Maintenant, je porte le signe de mon village sur l'épaule et je cache cette cicatrice sous du tissu... À vrai dire, je ne sais pas trop pourquoi, un combattant devrait être fier de ses blessures ! Mais il n'y a pas vraiment de quoi être fier d'avoir été pris dans l'élan d'une hache. je rigolais un petit coup, un peu apathique devant ce souvenir. Suite à cette mission, on m'a mis au grade de chuunin... Comme quoi, une blessure et on a tout ce qu'on veut !

Ce n'était pas la vérité, avec le temps, j'avais appris à respecter mes faits d'arme et cette mission avait été l'occasion de montrer que même avec les yeux ensanglantés par cette méchante coupure au front, j'avais réussi à sauver mes compagnons de cette mauvaise passe... Il fallait reconnaitre ses qualités, même avec beaucoup de retard. Avec ce moment des confidences, c'était le moment pour poser ma question, le regard toujours posé ailleurs :

- Dites-moi, vu qu'on se confie dans les vapeurs des thermes, qu'est-ce qui s'est passé pour que vous partiez à Jujou ? C'est un long voyage d'un bout à l'autre de l'Onogoro. Est-ce lié au fait que vous êtes la dernière de votre famille ? Une question indiscrète, peut-être un quiproquo comme les "amies", mais cela me rendait curieux... Une rencontre, c'était une porte ouverte sur tout un univers : Un passé, un présent... Un futur ?

La proximité me rendait malade, mais pas comme une grippe...

- Une hache oui, une masakari... Enfin, c'est ce que j'ai vu, elle était de mauvaise qualité si elle s'est arrêté en traversant mon bandeau métallique ! Un petit sourire réconfortant, cela pouvait sembler un violent, mais la guerre était toujours brutale. Sinon ce n'était pas la guerre. Sur le coup, l'inquiétude de la demoiselle me fit chaud au cœur, mais je devais quand même atténuer ces sentiments négatifs : J'aurais pu, oui... J'ai été bien sonné, en réalité, mais j'ai survécu, comme les autres ! Je n'avais aucune envie de contrebalancer le malheur avec la réussite militaire, ce n'était pas mon genre de me vanter !

Toutefois, j'avais dû montrer une mauvaise facette à ma compagne, car elle se demanda si je n'étais pas trop ambitieux... Ma faute, sans doute, à blaguer sur le lien si ténu entre réussite et blessure : La question me plaça quand même dans un état un peu méditatif, quelques instants, pour bien comprendre ce qu'elle disait par là. Pendant ce temps, elle se recroquevillait, sans doute un peu peureuse devant son léger coup de voix... Je lui faisais peur ? Risquant un petit regard, je découvrais un genou très proche d'un début d'épaule, je détournais rapidement pour ne pas paraitre trop observateur... Ou voyeur.

- Je n'ai malheureusement pas le don de divination, peut-être que ma prochaine mission m'amènera à combattre et donc à me blesser ? En tant que chuunin, je n'ai plus la chance d'être protégé constamment par un chef d'équipe, ou un ninja supérieur. La plupart de mes missions sont avec mes égaux : Des chuunins, eux aussi. Une gradation qui implique que je dois savoir me débrouiller seul, et jusqu'ici, je l'ai fait. La cicatrice sur mon front n'en disait pas autant, mais si Honoka m'avait dit un jour que ma bonne étoile n'existait pas, sur le moment j'avais cru dur comme fer que cette hache avait été bloqué par le destin même... La chance, ou bien un petit rappel pour me dire de faire plus attention la prochaine fois. Depuis, je prends grand soin de mes angles morts et quand quelqu'un porte une hache, je m'écarte bien de lui ! Une petite boutade, pour détendre une atmosphère qui s'épaississait, et je ne parlais pas de la vapeur qui nous encadrait. Mon courage, je ne sais pas s'il est bien important, mais j'essaye de faire mon travail... je n'ai pas beaucoup de capacités, alors je me dois d'être toujours au contact, ça amène des bonnes choses comme des mauvaises. Je réagis vite, mais je suis le plus susceptible de me blesser... Qui sait ? Ma prochaine cicatrice pourrait être conséquence d'un couteau ? Ou un coup de corne d'un Yokai ? J'ai la peau dure, ce n'est pas ça qui va me tuer !

Je n'en savais rien, mais je préférais me voir plus endurant que je ne l'étais... Cela évitait les doutes en plein assaut. En tout cas, je n'étais pas la définition même de prudent, c'était sûr.
Avec ma question sur sa provenance, je pus percevoir des bras se resserrer autour des fines gambettes de Yui. Je ne fus pas, au départ, suspicieux, mais le ton de sa voix m'informais que j'avais touché une corde sensible. Un grand-père et un père décédé, pas de frère ni de sœur, et sans doute un départ douloureux de chez elle pour l'autre bout du monde... Devant la demande de la Hasegawa, je ne pouvais qu'acquiescer : La source ne pouvait être corrompue par la douleur, la tristesse ou les larmes.

- Évidemment, vous n'êtes obligé de rien ! Je m'excuse même pour cette question qui réveille déjà vos douleurs... De la main, vaguement, je vins toucher dans un signe de réconfort le bras de ma voisine. Un peu hésitant, au départ, je ne pus que me dire que c'était une bonne idée puisque j'étais l'emmerdeur qui avait posé la mauvaise question.

Je me permis même de tourner la tête, prenant grand soin de ne pas trop baisser les yeux au cas où : La belle avait la tête ailleurs, et je ne parlais pas de la position de sa nuque, à l'inverse de moi. Une masse de cheveux, avec bien trop de peau nue en dessous... Déglutissant, je cherchais rapidement un autre sujet de conversation pour renouveler l'air qui devenait étouffant avec ce sujet :

- Connaissez vous le désert de Sakyuu ? Je n'ai pas eu l'opportunité d'y aller moi-même, mais j'ai entendu dire que des créatures vivaient là-bas : De grands vers des sables qui peuvent manipuler les petits grains qui composent leur habitat. C'est un petit ninja qui invoquait des tigres qui m'en a parlé... Il en a vu de ses yeux ! Un petit sourire, presque admiratif, bien que ces choses devaient être également bien trop dangereuse... Un village s'était composé dans leur territoire, c'est que sans doute cela devait aller, nan ? C'est impressionnant qu'à une semaine de route, on puisse totalement changer d'habitat... le monde est si grand !

Je faisais ce que je pouvais, hein.

L'action de Yui me glaça sur place. En fait, c'était une façon de parler : J'avais chaud, bien plus chaud que ce que pouvait produire chez moi ce bain thermal. Regardant de nouveau devant moi, j'essayais de retenir le rouge qui me montait aux joues, mais également cette chaleur qui montait dans mon ventre. C'était la surprise ? La proximité ? Non, le contact de ma main sur son bras n'avait pas créé ce type de réaction... Alors c'était sa bouche ? Les deux yeux cherchant à déterminer, dans l'air, une piste de réflexion, je baissais vite le tout pour deviner une autre réaction, sous l'eau. "Heureusement que la vapeur et la couleur de l'eau empêche Yui de voir ça."

Un peu gêné de cette trahison de mon corps, j'avais reporté mon attention sur ce qu'elle disait : Elle n'avait rien remarqué, ouf !

Même si elle n'avait jamais mis les pieds dans le village du nord, elle en connaissait un rayon... La sablothérapie ? J'imaginais mille fantaisies qui ne devaient absolument pas coller à la réalité des faits. Je restais assis, à l'écouter, continuant sur les fameux vers que j'avais cités. J'allais répondre que je n'avais pas vraiment l'impression que c'était lié à l'économie du village quand elle se tourna vers moi pour me donner quelques paroles qui rendent quelqu'un heureux. "Le contraire aurait été regrettable." Je restais là à rendre son regard, admirant plutôt que d'observer.  Sans une réponse de ma part, en fallait-il une ? Elle me précisa que les invocations, elle n'y connaissait rien, ce qui eut pour effet de briser un peu la magie de ce moment, en tout cas pour moi... La timidité revint, et pour l'étouffer, une petite explication :

- Je ne sais pas vraiment non plus, mais en posant sa main sur une surface, il peut invoquer un tigre... Il le voit comme un partenaire de combat et de mission, ce qui est assez satisfaisant. Beaucoup de gens prennent leurs animaux pour des doudous ou des esclaves, surtout dans toute cette facette militaire ! Réfléchissant, je détaillais un peu la chose. Il était de taille de normale, peut-être un peu plus gros ? J'ai pas forcément eut le temps de bien l'observer, mais il savait faire du ninjutsu... Je l'ai vu envoyer une trombe d'eau sur un adversaire alors que son invocateur mobilisait l'électricité. En tout cas, c'était impressionnant. Un peu penaud, je ricanais dans mon coin. Je sais pas du tout faire ce type de chose, mon katana est bien ma seule défense et ma seule attaque. L'extension de moi-même résidait dans un placard et je me sentais un peu nu sans lui, il fallait dire que je l'étais vraiment en vérité. J'ai pu rencontrer des gens assez intéressant, oui ! Une dame d'un certain âge qui utilise des fils de chakra pour désarçonner son adversaire, un homme qui porte un bandeau sur les yeux et qui voit mieux que moi... Et un homme qui porte une épée gigantesque, pour mieux te surprendre en te plaquant avec sa masse musculaire ! Des souvenirs, des tas de souvenirs... Ils étaient tous importants dans ma vie et mon développement, chacun à leur façon.

La conversation reprenait son calme, sans doute que la tempête sensorielle et hormonale était passée... Soupirant, je profitais un peu de ce bain qui prenait tour à tout des élans de drame, de roman à l'eau de rose, ou de documentaire sur les ninjas. Glissant le bas de mon visage dans l'eau, je fis quelques bulles pour m'amuser avec la surface. Des moments de calme, c'était bon parfois... Pour autant, je sentais bien que la belle aimait parler, découvrir et partager, relevant ma bouche pour de nouveau gouter à l'air, je posais une question :

- Avec vos recherches dans les soins, êtes-vous ninja ? J'ai toujours admiré de loin les capacités en iroujutsu, sans jamais m'y intéresser puisque le ninjutsu et moi... Bref. En vérité, peut-être que la demoiselle faisait plutôt de l'herboristerie, mais les fleurs et les bains, cela n'avait rien à voir. Comment cela marche, en fait ? J'ai toujours pu témoigner du côté offensif du chakra, mais comment cela se passer pour... guérir ? Cela doit demander une grande maitrise quand même ! "Plus que je ne pourrais jamais en avoir."

Comme je le disais si bien : Je sais pas faire grand-chose, mais ce que je sais faire, je le fais très bien ! Mes récents progrès, me permettant de découper une grande partie du domaine du vivant et du non-vivant, pouvait débloquer pas mal de voie, mais également protéger contre des attaques chakratique. Je ne me voyais pas comme un prodige physique. C'était plutôt du registre de la vantardise plutôt que d'une affaire de pragmatisme. En face d'un bonhomme comme Kazumasa, dire que j'arrivais à encaisser les coups ou à bien les esquiver, c'était se moquer un peu du monde...  

- Pourquoi être partie sur cette voie, d'ailleurs ?

"Hmmm ?" Devant la proposition de donner ma main, je restais circonspect : je connaissais les grands principes de l'iroujutsu, mais je pensais que c'était en réaction à une blessure. Mes mains, bien que cornés par la pratique un peu trop intense du katana, la garde irritant les parties en contact, je ne pouvais pas dire que je m'étais fait mal quelque part... Toutefois, je ne risquais rien à tendre ainsi ma paume vers la belle qui attendait, toute contente, de pouvoir montrer ses talents.

Comment résister à cela ?

Ainsi, je donnais le peu que j'avais et, couvrant ma peau de ses deux mains, je ressentis d'abord le contact doux de cette enveloppe si avenante. C'était un peu gênant, au départ, et je sentais le rouge me montait aux joues, mais rapidement une autre sensation : Inédite, exquise. Une chaleur qui ne pouvait être comparé aux bains, je sentais que cela palpitait de moi plutôt qu'en contact avec mon épiderme. Les yeux étonnés, je regardais ainsi le vert brillant qui s'engouffrait entre les pores de mon être, venant clairement d'elle... En fait, de cette main ainsi offerte, je ressentais une relaxation, qui faisait tâche avec la tension que je ressentais depuis le début de l'entrevue. "Très agréable." C'était le maitre mot, sans aucun doute.
Revenant sur le visage de Yui, presque sans m'égarer sur le buste quasiment découvert, je découvrais avec ravissement son petit visage qui m'expliquait un peu mieux ce que je ressentais. En se connectant avec mon chakra, elle activait ma guérison plus vite que ce que pouvait faire mon propre corps... Un catalyseur ? Un multiplicateur, peut-être. Tout partait de moi, ainsi... Rien de magique ? "Si, un peu."

Lâchant ainsi ma main, je ressentis un pincement : Non pas car l'iroujutsu s'arrêtait, mais bien car la Hasegawa n'était plus en contact avec moi... Pour autant, je conservais sur ma main gauche un reliquat de ce qu'était ce bref instant. En parallèle, je pus observer un grand changement sur le visage si adorable de ma compagne... Elle expliqua assez vite le pourquoi du comment : La nouvelle genin de Jujou no Sato voulait se rendre utile, pouvoir être quelqu'un qui comptait, sur lequel les autres pouvaient se reposer... L'iroujutsu était un art qui sauvait des vies, par centaines, dans la vie d'un ninja. Elle avait choisi la bonne voie, pour sûre, mais elle doutait encore ? Ne pipant mot, je la laissais poursuivre et je pus découvrir un peu plus de la vie de la demoiselle. Perdue, malade, c'était le village sous les arbres qui s'étaient occupé d'elle... Il me manquait des éléments pour comprendre tout, mais subsistait la grande détresse de cette fille.

Je la regardais, complétement démunie. Vraiment ? Non, bien que chuunin, j'avais connu ce sentiment d'être trop petit dans un monde trop grand, à vouloir montrer ma valeur sans jamais me sentir "assez". Comment faire pour prouver sa grandeur à un mort ? Un père, disparu, qui ne pouvait être satisfait ? Évidemment, il fallait passer outre, mais une grande partie de ma vie avait connu comme filigrane le regard imaginaire de ce parent sur mes capacités, ma maitrise de la lame, alors que son image me portait autant qu'elle m'alourdissait. Je devais être digne de l'image exagérée que je créais de Fumiri Hachi. C'était ce qu'elle ressentait, elle ? Je n'en savais en fait rien... Mais je pouvais faire quelque chose.
Cette main qui avait connu l'iroujutsu, je la tendais pour attraper sous l'eau celle, si petite, de Yui. Qu'importe les écarts, je regardais immobile le visage de cette fille alors qu'elle me demandait si c'était une erreur, ou une faute de caractère chez elle...

- Non, bien sûr que non, c'est très noble de vouloir être utile ! Votre talent est rare, et précieux. Serrant un peu pour prouver ma présence, je m'approchais un peu. Pourquoi ? Je n'en savais rien, un réflexe sans doute. Si je me blessais en mission, je serais reconnaissant envers vous, pour le soin... Prenant l'échelle du côté trop pragmatique de mon discours, je cherchais d'autres arguments. Soupirant, je lâchais enfin le morceau. Je viens d'une famille de samouraï, j'ai toujours "du" manier le sabre et c'est devenu ma nature. C'est comme ça. je n'ai jamais appris le ninjutsu et je me suis toujours concentré sur le katana, et rien que lui. Pourquoi donc ? Mon père est mort quand j'avais cinq ans, après s'être échoué durant un de nos entraînements. Depuis, j'ai toujours ce sentiment de faire le mieux que je peux pour porter un... Héritage ? Je n'ai jamais l'impression d'être assez fort, assez rapide, assez digne. C'est juste un sentiment général ? Un manque ? Probablement. Alors quoi, la solution était de dire que "c'était dans la tête" ? Non, assurément pas. Ce que je veux dire, c'est que vous êtes bien assez pour le monde... Qu'importe ce qu'on vous dit, si votre sentiment est le bon, alors vous serez un élément central de votre équipe. Le chuunin parla alors. En mission, on doit protéger en priorité le médecin. Non pas car il est le plus faible, mais car il est le plus utile : Avec mon katana, avec toute ma bonne volonté, je ne peux pas soigner les gens. Vous, si. Vous êtes précieuse, n'en doutez jamais.

C'était assez ? En tout cas, c'était sincère, et avec la proximité, je fus tenté de faire autre chose que bavasser... Prenant mon courage à deux mains et mué par les vapeurs autour de nous, j'approchais mon visage pour poser mes lèvres sur les siennes. L'iroujutsu faisait quand même du bien, je me sentais pas mal relaxé ! C'était doux, intense... Un cocktail surprenant que je n'avais jamais éprouvé.

Seulement, je compris très vite ce que je faisais et je me décollais presque immédiatement pour me retourner, bredouillant quelques mots :

- Dés... Désolé.