Il était difficile de déterminer si la remarque d'Honoka était légèrement ironique ou non, mais dans tous les cas, le Faucheur pouvait confirmer qu'il n'était guère venu pour rien. Certains de ces échanges s'étaient déjà révélés enrichissants pour lui, et il n'avait que rarement affaire à des individus aussi singuliers que son interlocutrice. Sa manière d'être et sa vision du monde étaient grandement différents, ce qui suscitait chez Kirei un intérêt tout particulier. Même s'il ignorait toujours des informations cruciales à son égard, il comprenait aisément en quoi Satoru estimait intéressant de les faire se rencontrer. Il ne restait plus qu'à creuser, mais la tâche s'avérait délicate, en ce que la samouraï n'était pas du genre à accorder sa confiance au premier venu. Tout comme lui cela dit, si bien qu'il n'était point en position légitime pour s'en plaindre.



Même s'il comprenait théoriquement le comportement de ces individus moutons, et les explications parfaitement logiques de la jeune femme, une part de lui-même avait encore du mal à en accepter l'existence. Du haut de ses idéaux, de sa jeunesse, de son inexpérience, il ne tolérait que difficilement ce genre d'attitude visant simplement à se laisser porter par le courant. Bien sûr, il pouvait parfois lui-même trouver ça agréable, lors qu'il n'avait qu'à s'en remettre à la guidance d'un supérieur prenant les décisions, sans devoir en assumer les responsabilités ou à se fatiguer. Pourtant, il n'envisageait cette manière d'être que dans des domaines qui lui importaient peu, ou après avoir justement mûrement réfléchi, afin de s'assurer que ce dans quoi il s'engageait, ou que les personnes qui auraient autorité sur lui, étaient compatibles avec son propre système de valeurs.



Ecoutant avec humilité les sermons de la demoiselle, le prêtre de Tsukuyomi ne pouvait que lui donner raison sur le fond. Il avait beau contester dans l'intimité de quelques conversations privées, il ne faisait rien de concret afin de faire entendre son opinion. Cette opinion plus générale, que d'autres devaient partager, mais qu'ils s'efforçaient tout comme lui de garder silencieuse afin de ne pas avoir à subir les conséquences de ces propos. Pourtant, ces critiques étaient légitimes, pourquoi ne pouvaient-elles guère émaner de personnes extérieures au clergé, ou carrément au Kamisuuhai ? Si les moines eux-mêmes devaient agir avec prudence, les répercussions pour les autres étaient moins risquées. Mais eux non plus, ne disaient rien. Par ailleurs, de par son allégeance Jashiniste, Kirei ne pouvait se permettre d'attirer l'attention en faisant preuve d'une dissidence publique. Une raison à son inaction, qu'il ne pouvait toutefois avouer.

Alors que je continuais à cloper tranquillement, je ne pus m'empêcher de retenir un rire jaune lorsque j'entendis le moine dire que "ma barre de confiance" devait être élevé. C'était peu dire. Mon entourage proche était particulièrement limité à... deux personnes, et je ne leur causais pas beaucoup et encore moins de ma vie, même à mon vieux. J'étais pas une femme de confidence et encore moins de confiance. Est-ce que cela pouvait se révéler choquant ? Je supposais, surtout dans le cadre de mon boulot. Difficile d'imaginer que l'on concéda placer sa vie dans la main de type dont on se méfiait naturellement. Mais je voyais les choses sous un angle autre. Je pouvais donner du crédit à des compétences, mais pas forcément à celui qui les portait.


Je tournais mon œil un peu blasé dans la direction de Kirei pour souligner que je trouvais ça un peu con. Je parlais de sa dernière question. Si je conservais un secret, c'était qu'il n'était pas bon à être partagé. Et puis, je n'étais pas du genre confidence pour confidence. Mes affaires ne regardaient que moi.


Un secret et demi. On le planquait à l'attention de certains, mais pas à d'autres. Un peu comme une secte quoi. Mais je trouvais que ça sonnait plus comme quelque chose qu'on n'assumait pas, plutôt qu'une réelle cachoterie. Mais qu'importait, c'était pas mon problème. J'assumais le bon comme le mal. La seule exception à cette règle était Yahaba pour qui je préférais omettre la vérité. Non pas que je ne désirais pas la lui confier, je le ferais seulement en temps voulu. J'attendais simplement qu'il devint un adulte accompli et je ferais face à mes responsabilités à ce moment-là. Il serait libre de me détester ou de réclamer vengeance.


Sans feu, ça serait la tristesse absolue. Pour la forgeronne que je pouvais être. Pour la samuraï aussi. Pour la femme et grande consommatrice de tabac, j'en parlais même pas. Mais il y avait une chose qui était évidente, c'était que je me prenais pas le chou comme le prêtre avec toutes ces questions à la con. Quand bien même il était raisonnable de douter de sa propre foi de temps en temps, y avait pas besoin de tortiller du cul sur d'autres principes. Il y avait toujours moyen de concilier certaine chose, fallait juste accepter que ça réclamerait quand même quelques sacrifices.


Portant un regard un peu plus sérieux sur le moine, je ne dissimulais pas ma contrariété face à un tel comportement. C'était plus fort que moi. Comme si tout devait nous tomber dans la main, comme si toutes les solutions devaient être des évidences et que la réponse viendrait forcément des autres comme une révélation.


Sur mon long discours, je me décidais subitement de me lever, allumant une nouvelle clope parce que je venais de consumer la précédente. J'en avais marre d'attendre et d'avoir les fesses au sol, j'avais besoin de me dégourdir les jambes.


Je supportais pas qu'il me tendit des plans aussi foireux.

S’il avait correctement supposé que la samouraï n’était pas du genre à accorder facilement sa confiance ou à se livrer sur elle-même, y compris auprès de proches, le Souhei ne s’attendait guère nécessairement à une posture aussi radicale. De son propre aveu, elle ne confiait rien à personne, ou du moins, aucun secret d’importance significative. Elle redoutait l’inconstance, la fragilité, ou tout simplement la bêtise de la nature humaine facilement friable ou corruptible, et susceptible de se retourner contre elle. Une démarche dont le Faucheur se demandait s’il devait s’en inspirer, afin de maximiser sa sécurité. Cependant, Honoka sembla légèrement tempérer son propos, en distinguant les véritables secrets qui ne franchiraient jamais la frontière de ses lèvres, ainsi que les confidences semblables au passé de Satoru, qu’il valait mieux ne point ébruiter sans qu’il s’agisse de quelque chose de fondamentalement confidentiel. Du moins, auprès d’amis avec qui l’on avait pu nouer un lien solide.



Le prêtre de Tsukuyomi ne put d’ailleurs s’empêcher de retenir un sourire, en entendant la jeune femme souligner une trop grande propension à s’exprimer sur la religion. Pourtant, il avait veillé à ne point en faire l’unique sujet de leurs échanges, si bien qu’il s’interrogeait sur la véracité de cette remarque. S’agissait-il de la réalité sans qu’il ne s’en soit rendu compte, ou bien d’une caricature de ce qu’il avait vraiment pu dire, ce qui s’avérait parfaitement compatible avec le caractère de la demoiselle ? Les deux hypothèses semblaient toutes les deux aussi probables l’une que l’autre, mais il retenait volontiers que ce sujet n’était de toute manière pas celui dont elle était experte ou qu’elle souhaitait spécialement aborder. Si elle était Carboniste, sûrement n’avait-elle aucun intérêt à ce que la conversation puisse pointer en cette direction, au même titre que sa propre Foi Jashiniste. Et si elle ne l’était pas, alors il y avait d’autant plus de chances pour que la religion ne l’intéresse pas plus que ça, au-delà de sa pratique personnelle.  



Les paroles d'Honoka concernant sa situation interpellaient grandement Kirei. Dans un premier temps, il considérait que ce qu'elle appelait avoir la trouille s'apparentait plutôt à une prudence ou à une attitude rationnelle compte-tenu de sa position actuelle. Continuant à écouter attentivement son aînée, à la philosophie bien différente de la sienne, celui-ci commençait à entrevoir ce qu'elle voulait en réalité exprimer, comprenant mieux le sens de ce qu'elle impliquait. S'il était fondamentalement dérangé ou tiraillé par les éléments qu'il venait d'évoquer, alors il pouvait tout simplement quitter ses fonctions de prêtre, et continuer à aider tel qu'il l'entendait, libéré des chaînes qui le retenaient. Un discours qu'il approuvait totalement, en ce qu'il était parvenu à la même conclusion, pour suivre la Parole du Seigneur en embrassant le Jashinisme. Une vérité qu'il ne pouvait toutefois divulguer aussi facilement.



Le Faucheur s'était relevé à son tour, imitant le mouvement de son interlocutrice dont il partageait la suggestion. En revanche, il ne savait nullement où commencer à chercher, ou bien où s'installer.

Des questions, des questions, des questions... Le moine semblait ne jamais s'arrêter dans le domaine et il enchaînait sans discontinuité. Sans déconner, il était presque aussi emmerdant que le gamin avec ces interrogations qui en amenaient toujours une autre.


Et je me contenais de ça. Je préférais ne pas m'étendre parce qu'il était capable de partir encore en vrille sur le sujet et je préférais m'abstenir. Tout son blabla sur les personnes de confiance, ça me dépassait un peu. Je n'y arrivais pas de toute façon. J'avais beau me creuser la tête, ma méfiance et mon cynisme m'eurent toujours convaincu qu'il était préférable de fermer sa gueule. Curieux ? Possible. D'autant plus que je n'avais jamais vécu d'histoire qui aurait pu me pousser à penser dans ce sens. Je supposais que c'était juste dans ma nature. Et puis me tourner vers qui ? Pourquoi faire ? Étaler mes états d'âmes ? Pitié. Je n'avais jamais ressenti le besoin d'être comprise, ni celui même de me justifier. Mes choix, mes problèmes, mes secrets. Pour autant, il ne fallait pas croire que je ne comprenais pas les paroles du prêtre, et de ce besoin de partager les choses avec un alter égo. Mais arriver à un tel degré de fusion avec quelqu'un... Non. Pas moi. Clairement pas pour moi. Je n'avais pas été taillée dans un moule qui pouvait s'accorder avec un autre. Je n'étais pas faite pour aller par paire, je prenais trop de place. Et si vous me demandiez si cela pouvait me peser, je vous ferais un doigt d'honneur parce que ça ne vous regarderait pas.

Et en parlant de chose qui pouvait ne pas regarder les autres, la propension à mon cher petit moine tatoué de la lune à imaginer des choses semblait sans limites. Voilà qui m'imaginait une servante des dieux ?


Je me trancherais certainement pas les veines pour mon dieu. Alors évidemment, cela pouvait étonner d'imaginer que moi, la pragmatique, avait quelques croyances. Je supposais qu'il pouvait être choquant que j'eus affirmé être une carboniste. Mais je refusais d'être une fanatique aveugle. Croire, c'était une chose. Mais dans un dieu, pas dans les hommes qui prétendaient parler pour lui.


Si on omettait tout le délire de Jashin, nous ne pouvions pas passer à côté des gosses de Kagutsuchi puisque leur temple se trouvait à Seizan. Mais mon père m'avait clairement poussé à ne jurer que par le dieu du Feu lorsqu'il eut compris que j'étais touchée par la flamme. Une bénédiction pour un forgeron. Je supposais qu'à l'origine, j'avais pas élevé ma réflexion plus loin que ça. Toutefois, j'étais assez lucide pour savoir que l'influence de mon vieux était importante dans cette foi pragmatique. Ma mère était moins fan dans mes souvenirs.

Sur tous ces caquetages casse-noix, je finis par me relever, la clope au bec, pour aller chercher Satoru. Marre de poireauter et visiblement, c'était aussi le cas du prêtre. Par contre, quand il me parla des cochonneries qu'avaient ramenées le blondinet, je lui fis un signe de laisser tomber.


La mine blasée, je fis un petit signe de tête à Kirei avant de le trimballer dans les rues passantes du village. Il y avait déjà son petit peuple, ça fourmillait d'un peu partout et Satoru aurait pu très bien se retrouver n'importe où. Ce chacal était même tout à fait à même de nous espionner. L'enfoiré... Passant devant les établissements que je savais qu'il fréquentait, je ne vis pas sa tête de blond dépasser. On avait dû tourner bien une dizaine de minutes, jusqu'à ce que cela me gonfla.


Et puis, j'avais soif.

Des qualificatifs pour le moins originaux. Le prêtre de Tsukuyomi était d'ailleurs le premier à le reconnaître. Pourtant, ils verbalisaient plutôt bien le propos qu'il cherchait à exprimer, là où son interlocutrice semblait beaucoup plus hermétique à l'idée d'atteindre un tel degré de confiance avec quelqu'un d'autre. Et en pratique, c'était effectivement très délicat, et comme elle le disait si bien, ne rien confier était le meilleur moyen de ne guère en subir les conséquences derrière, même si disposer d'un partenaire revêtait aussi ses avantages. Quant à la religion, sa réaction se faisait soudainement plus conforme au portrait qu'il s'était forgé d'elle, balayant d'un revers de main le dévouement religieux qu'il avait pu lui prêter quelques instants plus tôt. Il était à ses yeux hors de question de devenir l'esclave d'un Dieu, et si elle admettait respecter les enfants de Kagutsuchi, elle n'était guère revenue sur la mention spécifique de Jashin... Une réaction que le Faucheur trouvait intéressante, en ce qu'elle ne souhaitait peut-être prendre parti. De manière générale, elle lui paraissait minimiser sa piété religieuse, soit afin de préserver une image de rebelle indépendante, ou de le détourner d'une piste gênante.



Alors qu'il envisageait d'emmener les confiseries avec lui, il fut stoppé dans son élan par la samouraï, préférant les laisser sur place. Les qualifiant de saloperies, elle était certainement plus du genre salé, acide ou amer que sucré, et peut-être souhaitait-elle ennuyer Satoru lorsque qu'ils reviendraient en ces lieux. Il était vrai qu'en laissant les friandises, d'autres pourraient en profiter, ce qui correspondait également au Cinquième Précepte, tandis que lui-même ferait preuve de maîtrise en se détournant de la gourmandise. Une entorse qui aurait somme toute été très sommaire, et qui ne l'aurait point dérangé pour autant. Suivant la jeune femme, il ne trouvèrent aucune piste de leur ami, la conduisant à suggérer un lieu où elle serait davantage dans son élément. Lui proposant de lui payer à boire, Kirei réalisait qu'il n'avait fait que différer son manquement au Principe qu'il venait de se remémorer, quand bien même en pratique, nombre de ses homologues buvaient occasionnellement ; notamment à l'occasion de certaines cérémonies religieuses.



Une question potentiellement naïve, mais il ne voulait guère tirer de conclusions hâtives et la juger sur ses seules apparences ou impressions. Après tout, peut-être fumait-elle autant pour des raisons religieuses liées aux Kamis du Feu, et rien ne garantissait qu'elle était fondamentalement une adepte de l'alcool et du tabac... Quand bien même pouvait-il raisonnablement l'envisager. C'est après quelques minutes de marche, qu'ils arrivèrent enfin à l'endroit sélectionné par Honoka, devenue sa guide à travers le village, et dont la mauvaise influence l'entraînait désormais vers des lieux de débauche et autres débits de boissons. Un quartier où les prêtres se faisaient sans doute rares, mais qui saisissait la curiosité du Faucheur, lui qui avait tout de même d'ores-et-déjà accompagné certains frères Jashinistes dans des endroits parfois douteux, voire malfamés.  

Je ne pus m'empêcher de rouler des yeux lorsque le prêtre m'envoya à la figure qu'il trouvait "remarquable" ma dévotion au dieu du feu. Je préférais m'abstenir de tout commentaire à ce sujet parce que honnêtement, cela n'en méritait pas. J'étais fidèle, mais delà à dire dévote, il y avait tout un pont. Mais c'était peine perdue de me perdre dans ces détails avec un fanatique. Parce que oui, à mes yeux, Kireï en était un. Il fallait l'être pour passer son temps à parler autant de religieux et d'en respirer à longueur de temps. Si je savais à quel point il était, ça me ferait marrer de l'apprendre.

En attendant, il était temps pour nous de décamper de la zone puisque l'autre andouille ne revenait pas. on allait tenter de le débusquer nous même. Il allait passer un sale quart d'heure une fois que je lui serais tombée dessus. Me faire perdre mon temps de la sorte me mettait les nerfs en pelote. Le pire était que mon degré d'irritation avait atteint des sommets parce qu'il ne se trouvait pas dans ces coins habituels. Même la cigarette suffisait pas à me calmer. Autant aller boire un coup. Dans mon âme généreuse, j'invitais l'autre coincé dont la réponse ne m'étonnait guère.

" Habituée ? À quoi ? Boire ? Tu serais pas en train de me traiter de pocharde par hasard ? "

Je tournais vers lui un regard aussi suspiscieux que blasé. J'avais une tête de poivrote ? Oh celui-là j'allais me le faire... Moi aussi j'avais un petit égo quelque part planquer sous l'épaisse armure. Et dire à une femme qu'elle avait une tête d'alcoolique, ça ne passait pas. Est-ce que c'était faux ? Là n'était pas la question. Seul le principe comptait.

" En tout cas, t'avais pas besoin de me le dire pour savoir qu'un type aussi propre que toi est pas le sens de la fête. "

Heureusement qu'il était moine. Une meuf se ferait sans doute vachement chier avec un coincé pareil. Soupirant lourdement, je trimballais donc mon petit moine aux airs de saint dans un pub que je connaissais. Pour sûr, il ferait tâche dans le décor, mais pas parce que l'endroit n'était pas chic. Il y avait du charme dans la rusticité qui contrasterait forcément avec l'allure bourgeoise de celui-là.

" Je t'emmène dans une taverne qui s'appelle "les 5 bras ".  C'est un endroit assez simple, mais ils servent de bonnes boissons pour toutes les tailles de porte-monnaie. Et puis, c'est que du local. Un passage obligé quand on vient à Seizan."

On repérait aisément l'enseigne parce que cela représentait, comme son nom l'indiquait, cinq bras qui se croisait pour former une sorte de carré. Je savais pas qui était le génie qui avait pensé à cette représentation, mais au moins, on pouvait pas l'oublier.


Le bâtiment était principalement creusé dans la pierre, rappelant l'ancienneté des lieux. Pourtant, la devanture et la grande porte de bois montrait que c'était bien entretenu, preuve de son succès. Fallait dire que c'était assez typique du village et la plupart des breuvages n'étaient que des boissons locales. Bref, le genre de lieu qu'on devait pas raté ici. Bien entendu, j'y avais mes petites habitudes et lorsque je rentrais, j'annonçais déjà la couleur.

" Salut Toji ! Sers-moi la même chose que d'habitude à la même place que d'habitude. "

Je fis un simple petit geste de la tête au barmaid, avant de m'arrêter dans mon élan.

" Ha oui ! Et pour le camarade qui me suit, sers lui une de tes spécialités, tu sais ton machin avec les feuilles de je sais plus quoi. "

Me tournant légèrement vers Kirei, j'eus un petit sourire en coin.

" Je t'ai commandé un truc local digne du moine que t'es. Il va nous apporter ça directement à notre table. "

Je n'en disais pas plus, laissant planer le doute sur la fameuse boisson, d'autant plus qu'elle était servie chaude, un peu mousseuse et un goût légèrement anisé. Il boirait ça comme du thé, à tous les coups. Fallait dire que ça faisait illusion mais... on verrait bien dans quel état ça nous le mettrait. Peut-être que ça le rendrait drôle.

Rapidement, je désignais nos places, dans un coin de l'établissement où on pouvait avoir un regard sur tout, notamment sur ce qui entrait et sortait. On avait une bonne vue sur le bar pour facilement appeler les serveurs et surtout, je pouvais fumer sans faire chier les voisins. Il y avait une banquette taillée dans la pierre et des coussins disposés pour le confort, et bien évidemment deux autres chaises en face. Moi, je pris place d'un côté de la banquette, bien sûr.

" Assieds-toi où tu veux. Les boissons arrivent. "

Au même moment, un serveur s'avançait dans notre direction avec son plateau avec deux grandes pintes, une pour moi, et la mystérieuse pour mon camarade.

Par inadvertance, les propos que le prêtre de Tuskuyomi venait de tenir semblaient avoir vexé ou incommodé la jeune femme, à qui il avait demandé si elle était une habituée de la boisson. Une formulation maladroite, qui découlait surtout du fait qu'au regard de ses propres standards d'abstinence, ce qu'il entendait par une consommation régulière était, dans son esprit, quelque chose que la plupart des gens qualifieraient simplement d'occasionnel. Malgré tout, compte-tenu de son tempérament et de son affinité avec le tabac, l'expérience suggérait que ses chances de boire régulièrement de l'alcool restaient plutôt élevées. Honoka ne se priva d'ailleurs nullement de faire une remarque à l'égard du moine, sous-entendant qu'il n'avait pas le sens de la fête. Des propos sur lesquels le principal concerné n'avait pas vraiment d'avis, en ce que son parcours et ses fonctions ne lui avaient presque jamais permis de tester sa nature festive. Il comprenait toutefois sans peine que l'on puisse penser ainsi de lui, et de l'ensemble de ses collègues.



La samouraï les avait ainsi conduit dans une taverne qu'elle présentait comme un passage obligé à Seizan. Un établissement a priori emblématique et traditionnel, tant dans ses boissons que dans son décorum, ce que le Faucheur put rapidement constater de ses propres yeux. Creusé à même la montagne, sa structure était effectivement fascinante, et ces lieux présentaient de toute évidence un réel intérêt culturel et touristique. S'il avait imaginé que la demoiselle puisse faire usage d'un tel argument afin de le convaincre plus facilement, son discours se vérifiait dans la pratique. Pénétrant à l'intérieur des locaux en suivant sa guide, la manière dont elle connaissait le tavernier et parlait de ses commandes habituelles trahissaient ce qu'elle avait un peu plus tôt cherché à camoufler. Une réalisation qui décrochait un sourire aux lèvres du Togejin, qu'elle n'avait peut-être pu remarquer dans la mesure où il se trouvait dans son dos.

Elle venait apparemment de lui commander une spécialité locale digne du moine qu'il était ; une formulation qui n'était pas forcément pour le rassurer. La présence de plantes et la valeur culturelle supposée du breuvage finirent tout de même par le convaincre, sans compter qu'il ne souhaitait refuser ce que son hôte voulait lui faire essayer. S'il se doutait qu'elle ne lui aurait point laissé son mot à dire, accepter l'invitation lui apparaissait également comme le choix le plus adapté. Dans la foulée, le tandem prit place à l'endroit indiqué par Honoka, dont l'emplacement dans le bar était idéal, celle-ci s'installant subséquemment dans une banquette elle-même taillée dans la pierre. Curieux d'expérimenter lui-même un tel confort et cet environnement si particulier, il s'assit au même endroit, directement à côté de la jeune femme au lieu d'en face d'elle, comme il était souvent coutume de le faire. Une configuration plutôt atypique, qui refaisait sourire le moine.



C'est alors que les boissons commandées arrivèrent. Apparemment, celle qui lui était dévolue était un breuvage chaud à l'agréable fumet, dont l'odeur et les vapeurs lui rappelaient un agréable parfum anisé. Une spécialité qui n'était point sans lui faire penser à une infusion, qu'il n'osa pas immédiatement porter à ses lèvres, dans un souci de bienséance.



Après qu'ils aient trinqué ou non, Kirei commença enfin à déguster cette boisson qui ravissait son palais. S'il ne pouvait en déterminer la teneur en alcool, celle-ci n'était aucunement interloquante. Ce qui en disait long sur sa faible quantité, ou au contraire, son aspect particulièrement traître, en ce qu'il n'était lui-même pas le plus habitué à en consommer. Sûrement que les prochaines minutes lui permettraient de savoir si ce breuvage était en réalité plus alcoolisé qu'on ne pouvait le croire... Dans tous les cas, son ton commençait à se faire plus taquin, alors qu'il tournait la tête en direction de sa voisine de banquette.

Je ne pus m'empêcher de porter un regard plutôt réservé sur le moine. Le fait qu'il n'est pas voulu me vexer, ok, je le lui accordais. Il avait pas l'air très fin niveau relation sociale, quand bien même, il prétendait adorer blablater. Débattre c'était une chose, s'amuser une autre. Alors quand il me cita en exemple ces fêtes religieuses et autres cérémonies, je ne retins pas un petit rire moqueur. Tu parlais de soirée...

" Pas ennuyeux, hein ? Je demande qu'à te croire, mon vieux, mais on verra bien.  "

Il y avait des choses que je préférais vérifier par moi-même après tout. J'étais une femme de concret, pragmatique, même dans la foi, c'était pour vous dire. Quoiqu'il en fut de ces quiproquos, et après avoir salué le tavernier et pris commande, je guidais mon nouveau camarade près de ma table habituelle. Je retrouvais donc mon petit coin cosy des grands soirs. Dis ainsi, on pouvait croire que je venais tous les jours pour picoler. Erreur. Ça m'arrivait de venir pour bouffer aussi, ou boire des choses non alcoolisées. Incroyable mais vrai.

Cependant, ma plus grande surprise, alors que j'avais proposé à Kirei de s'installer où bon lui semblait, était de le voir poser son petit postérieur à côté de moi. Je ne pus m'empêcher une nouvelle fois échapper un petit rire.

" Tu n'as pas à te justifier gueule d'ange, tu t'assois où tu veux. Faut dire qu'on a la meilleure vue sur les spécimens de Seizan. Tu aurais de quoi causer quand tu rentreras à Toge. "

Je me permis de lui glisser un petit clin d'œil, complice pour le coup, même si en étant borgne, ce n'était pas forcément ce qui pouvait couler de source. Sur cette boutade, on nous amena nos boissons, pas peu fière de mon choix, surtout pour le prêtre. J'avais hâte de voir les effets que cela pouvait avoir sûr lui. Il me paraissait tellement coincé que ça ne pouvait être que drôle.

" Et si on trinquait à nous, beau gosse ? À notre si atypique rencontre et à l'entente entre moine et samurai ? "

Je souris et levai mon verre en direction de Kirei, les faisant tinter l'un contre l'autre.

" Que les dieux nous sauvent ! Ha ! "

C'était de l'ironie bien entendu, et je m'empressais sur ces paroles à boire une gorgée de ma bière ambrée, rafraîchissante au possible et fortement appréciée à la vue de notre situation merdique. Au moins, cela sauverait la grosse foirade de cette journée et peut-être calmerait mes nerfs vis-à-vis de Satoru. Le clou du spectacle ? Oh, il se tenait à côté de moi et je ne pus m'empêcher de le regarder boire avec un petit sourire en coin.

" Regardez-moi ça...  Le moine dans toute sa splendeur, ça sonnerait presque le futur sermon, même si tu dis que cela ne l'est pas.  J'ai des habitudes ouais, mais ils servent aussi à manger, tu sais. C'est très vilain de juger si vite. "

Mon sourire se fit carnassier.

" Dis-moi, est-ce que tu aimes ce que je t'ai commandé ?  Je me suis pas trop ratée ? "

Le nom de cette petite spécialité était "le mirage des montagnes". Ce n'était pas mauvais au goût, plutôt doux, mais complètement traître parce que, en plus d'avoir les feuilles de je-ne-sais plus quelle plante locale qui macérait dans l'alcool, le sucre et le fait que cette boisson était servie chaude dissimulait l'amertume et le goût prononcé de l'alcool. Le truc était en réalité sacrément imbibé, mais c'était un peu la boisson des bizuts.

" Tiens à propos, je suis plutôt curieuse. Tu m'as dit tout à l'heure que tu savais ne pas te montrer ennuyeux. Mais j'ai du mal à voir comment les moines s'amusent. "

Est-ce que j'avais des préjugés ? Carrément. Mais ça me gênait pas qu'on me démontra le contraire. Quelques-uns y étaient parvenus, mais Kirei le bien sapé ? J'attendais de voir à quoi il ressemblerait une fois qu'il s'enlèverait le balai qu'il avait dans le derrière et là, là je commencerais à mieux l'apprécier.

Le rire moqueur d'Honoka n'était pas passé inaperçu, mais le moine ne pouvait la blâmer pour sa réaction, compte-tenu de l'image que pouvait renvoyer sa caste, et des préceptes qu'il se devait de respecter. Les festivals restaient malgré tout un autre contexte, même s'il soupçonnait sans peine que la samouraï était sûrement familière de dérives beaucoup plus notables. Elle ne semblait pas avoir pris ombrage du fait qu'il se soit finalement assis à côté d'elle, l'invitant à profiter de leur place afin d'observer la population locale. Sans grande surprise, il pouvait remarquer une majorité d'imposants guerriers, dont il supposait que nombre d'entre eux devaient être manieurs d'armes, à l'instar de la samouraï et de lui-même.

Le clin d'œil de la jeune femme le surprit grandement, lui qui ne l'imaginait pas du tout faire montre de ce type d'attentions. S'il avait clairement perçu son relâchement et sa familiarité, il lui trouvait jusqu'alors une certaine forme de sévérité ou de cynisme, et l'idée de la voir sourire ou effectuer des clins d'œil n'avait nullement traversé son esprit. A fortiori lorsque l'on considérait qu'elle était borgne. Peut-être se sentait-elle revigorée et dans son élément, bien installée dans la banquette de sa taverne favorite avec une pinte d'alcool entre les mains. Un constat qui amusait le Souhei, souriant en retour à son hôte presque rassérénée par ce changement d'atmosphère, lui proposant elle-même de trinquer en leur honneur et celui de leur rencontre.



Ce n'était pas l'apôtre de Jashin qui allait considérer ces propos comme de simples paroles en l'air. Bien au contraire, c'était pour lui une sorte de prière parfaitement sincère, dans l'attente du jour où le Seigneur reviendrait sur Onogoro afin de lui offrir le Renouveau dont il avait désespérément besoin. Commençant à siroter sa boisson, Honoka ne s'était pas faite prier pour en faire de même, admettant qu'elle avait bel et bien ses habitudes en cet endroit. Elle se défendait toutefois en avançant qu'il lui arrivait souvent d'y manger, et qu'elle n'y venait guère seulement pour boire, s'attendant à un éventuel sermon de la part du prêtre, malgré ses intentions de ne point la juger.



Son interlocutrice lui avait également demandé s'il appréciait ce qu'elle avait commandé pour lui, assortissant sa question d'un sourire carnassier ; ce qui apportait probablement la réponse à l'interrogation qu'il se posait plus tôt...



Entre taquinerie et soupçon légitime, le Faucheur s'attendait à tout type de réponse, si bien qu'il ne serait aucunement surpris d'une réponse où elle assumerait fièrement ses méthodes sournoises avec les pauvres âmes qu'elle s'amusait à dévoyer par la boisson. Elle revint ensuite sur les propos qu'il avait pu tenir quelques minutes auparavant, lorsqu'il se disait ne pas être si ennuyeux qu'elle pouvait peut-être l'imaginer, selon le contexte dans lequel il se trouvait. Elle se demandait ainsi comment les moines s'amusaient, une question dont la réponse allait peut-être la décevoir, ou conforter ses stéréotypes.

Je laissais échapper un léger petit sursaut de rire, tandis que nous étions sur le point de trinquer avec Kirei. Est-ce que je croisais souvent des moines ? Je les évitais le plus souvent, peut-être pas comme la peste, mais nous dirions que moins j'en voyais, moins, cela me convenait. Il n'y avait que quelques exceptions à la règle, et généralement, c'étaient des religieux qui sortaient de l'ordinaire.

" Les moines ? Disons que je ne les attire pas, et je ne cacherai pas que je préfère les éviter autant que leurs sermons. Mais je ne connais pas que Satoru... d'ailleurs, cet idiot ne portait pas la toge quand je les connus. "

On finit alors par lever nos verres, et je ne pus m'empêcher d'avoir un petit sourire en coin face à sa dernière remarque.

" Et bah que les dieux nous sauvent si ça peut te faire plaisir. "

Il ne m'en fallut pas plus pour boire une bonne lampée qui me parut largement plus rafraîchissante que toutes les saloperies que nous avaient donné à bèqueter Satoru. Fallait dire que ses sucreries donnaient soif, et quand bien même boire de l'eau aurait pu être plus raisonnable, c'était me gâcher une partie de mon plaisir.

" Mieux me comprendre ? Tu m'as déjà sorti ça tout à l'heure. Mes habitudes alimentaires t'aideront pas des masses à cerner la femme que je suis, prêtre. Et fait pas ton petit malin ! "

Je le pointais du doigt, un index inquisiteur sur le fait qu'il mentionna que la bouffe pouvait tout aussi bien être accompagnée de verre alcoolisé. Il avait pas tort, mais croyez-le ou non, je buvais pas à chaque repas. Difficile de bien gérer une mission ou bien faire son boulot quand on était complètement imbibée. Je m'adonnais à ses petits plaisirs de la vie que lorsque je n'étais pas au travail ou bien que je ressentais le besoin de me vider la tête.

Ce fut alors que Kirei me fit la remarque sur la nature de sa boisson, chose qui ne manqua pas de me faire rire. Démasquée ? Fallait dire que j'avais pas tellement cherché non plus à me cacher. Pas si bien en tout cas.

" Par chez nous, on dit que si tu viens à Seizan, tu dois faire comme un seizanjin. Vois ça plutôt comme un honneur plutôt qu'une filouterie, et puis joli cœur, ce n'était pas comme si t'avais pas déjà eu des doutes au moment même où j'ai commandé, non ? Mais ça t'as pas empêché de boire. "

C'était pas moi qui lui forçais la main, mais j'allais clairement lui servir d'excuses. J'en rougissais pas le moins du monde de honte ou quoique se soit. Je trouvais ça juste marrant.

" Et puis, tu y vas un peu fort, Kirei. Te saouler ? Tu aurais une bien maigre résistance si avec juste cette pinte, tu ne t'en remettais pas. Mais je ne nierais pas que je serais plutôt curieuse de voir dans quel état cela te mettrait ! Hahaha! Sache que si tu roules sur la table, je t'y laisserais.  "

Je ne pus m'empêcher de rire un peu en ayant l'image en tête. À vrai dire, cela me paraissait à peine probable, mais drôle à imaginer. Oh bien évidemment, je ne serais pas assez vache pour le laisser se faire dévorer pour la clientèle féminine qui adorerait abuser de si joli minois. Toutefois, pour être honnêtement, ça me ferait aussi grandement chier de devoir traîner sa carcasse dans un temple ou une auberge.

Par contre, lorsqu'il m'énuméra les manières dont il disposait pour "s'amuser", je ne pus m'empêcher de me tourner vers lui en le regardant avec un air désabusé.

" Si t'appelle ça t'amuser, pardon de te dire que ta vie est chiée. Vous et vos préceptes, je ne comprendrais jamais. Il y a des tas de manières de rendre les choses plus amusantes, sans forcément avoir recours aux artifices. "

Je pris alors quelques secondes pour chercher un exemple plus concret.

" Les défis ? Et je te parle pas des défis d'intello, du genre à lister tous les pays du monde. Je te parle de défis dignes d'une compétition qui te sort de ta zone de confort. En général, il faut se dire que ça n'a rien de très… intelligent. Bref, n'importe quel jeu qui te permet de lâcher la bride et de pas trop réfléchir. "

Lâcher la bride. C'était nécessaire si on ne voulait pas finir par exploser, et contrairement à ce que l'on pouvait penser, cela permettait de chasser les nuages qui vous embrouillaient, et d'avoir les idées plus claires.

Il était vrai que Satoru n'était clairement pas le moine le plus représentatif, et que la samouraï l'avait connu bien avant qu'il ne décide d'intégrer les ordres. Il était compréhensible qu'elle cherche à éviter la fréquentation des prêtres et leurs sermons, surtout si elle assumait un style de vie aux antipodes des Cinq Préceptes. S'ils ne s'appliquaient pas aux laïques, beaucoup d'ecclésiastiques n'hésitaient nullement à les juger sur la base de leur pureté au regard de ces principes. Il était dès lors facile d'imaginer qu'ils devaient se montrer bien ennuyeux et trop critiques pour Honoka, au regard de sa personnalité et de son style de vie. Si ses habitudes alimentaires n'étaient guère ce qu'il y avait de plus pertinent afin de se faire une idée, elles pouvaient parfois rester représentatives d'une certaine hygiène de vie. Mais surtout, les habitudes en matière de boisson restaient grandement révélatrices des inclinations d'une personne.



La jeune femme le pointait du doigt, suite à sa réflexion sur les repas qui n'empêchaient pas de consommer de l'alcool en même temps. Elle n'avait toutefois pas nié que c'était bel et bien possible, tendant à confirmer aux yeux du Souhei les hypothèses qu'il avait établies dans sa tête. Il connaissait également le proverbe dont elle venait de faire mention, et c'est notamment dans cette optique qu'il s'était prêté au jeu de la boisson. Il admettait intérieurement qu'il avait d'ores-et-déjà eu des doutes au moment même de la commande, mais des raisons dont il ignorait la nature lui faisaient apprécier de jouer la victime effarouchée. Sûrement était-ce là un bon moyen de se dédouaner, tout en rejetant la faute sur sa guide plus délurée. Et puis, comme elle le disait, ce n'était pas, en théorie, une seule pinte qui devait constituer un excès déraisonnable et embrumer son esprit... En théorie.



Avec sa langue de velours habituelle, la fidèle de Kagutsuchi ne s'était pas privée de critiquer le quotidien des moines et la manière dont ils s'amusaient. Des propos qui à ce stade, ne pouvaient que faire sourire le prêtre de Tsukuyomi, qui ne s'attendait absolument pas à une autre réponse. Elle parlait de manières de s'amuser qui lui étaient relativement inédites, faisant notamment mention de défis, afin de sortir de sa zone de confort. Un concept intéressant, qui tout de même, devait grandement favoriser les dérives et autres excès en tout genre... A fortiori quand elle insistait elle-même sur l'aspect peu intellectuel de la chose. Une dimension totalement étrangère à l'apôtre de Jashin, qui avait eu la chance de recevoir une bonne éducation en dépit des circonstances terribles ayant pu affecter son village, avant d'intégrer le Haut Temple de la Création et de devenir prêtre. Si cela n'impliquait pas alcool, jeu et autres artifices, il peinait dès lors à imaginer ce dont elle pouvait parler... Mais il n'avait aucun doute qu'elle saurait éclairer sa lanterne.

Je lâchais un petit rire sec à la vue de son affirmation sur sa manière de juger les gens en fonction de leurs habitudes. Personnellement, si je ne pouvais nier que cela pouvait en dire long sur certaine personne, mais de là à en faire une généralité, j'étais pas certaine. Bon, cela semblait être un peu l'hôpital qui se foutait de la charité à la vue de ma manière de le caser dans sa caste de prêtre, mais fallait dire que des types originaux, je n'en avais pas croisé beaucoup.

" Des moines purs comme tu dis, ouais. Je pense que t'es le seul que j'ai croisé jusqu'à maintenant. Faut dire qu'à la vue de ma soi-disant mauvaise vie, les prêtres sont plutôt le genre de bonhomme que j'évite. Je n'ai jamais été fan des donneurs de leçons. "

M'adossant sur le mur qui servait de dossier au banc sur lequel nous étions assis, je pris ma pinte entre les mains avant d'en boire une petite gorgée. Il me fallait m'éclaircir la gorge, j'avais jamais autant causé avec quelqu'un.

" Quant aux habitudes et aux mœurs un peu trop affichées, si j'étais toi, je m'en méfierais. Les gens ne montrent que ce qu'ils veulent bien montrer.  Facile de se faire passer pour un alcoolo et un désœuvré pour pas qu'on ne s'intéresse à soi. Comme il est facile de se faire passer pour un saint alors qu'on n'en est pas un. "

Un petit sourire en coin se profila sur mon visage alors que mon œil se tourna vers le jeune moine. Là, je remis mon nez dans ma mousse alors que mon attention se tourna à nouveau vers son verre à lui. Il râlait un peu pour l'alcool, mais en attendant, il le descendait bien le gredin.

" Dévergonder un pauvre moine ? Arrête, tu vas me faire pleurer. Je pense pas que t'es besoin de moi pour ça. Si vraiment t'étais si à cheval sur tes principes, tu ne finirais pas ton verre et tu l'aurais repoussé dès la première gorgée. J'ai pas tellement besoin de te pousser, joli cœur., et la politesse à bon dos. Ha ! "

Pour sûr, il n'allait pas réussir à me faire culpabiliser pour si peu et je ne le prenais certainement pas pour un agneau tout gentil. Si c'était le cas, j'étais pas certaine qui s'entendrait si bien avec Satoru. Après, le fait qu'il était barbant comme un moine, ça, malheureusement, on ne pouvait pas lutter. Mais encore une fois, c'était surtout l'image de lui qu'il voulait me renvoyer.

" Qu'on soit d'accord sur une chose mon mignon, je ne force jamais personne à quoique se soit. Si t'as pas envie de profiter du moment pour enrichir ton expérience, en te la jouant pour quelques heures comme un Seizanjin, et bien tant pis pour toi. Mais au moins, ça serait une occasion de te faire des souvenirs sympas. "

Ou pas. J'avouais que s'il finissait complètement saoul à rouler sous la table... Il n'en serait pas très fier, mais j'étais certaine qu'il pourrait finir par en rire. Reposant ma pinte sur la table, je soupirais quand je m'aperçus qu'il avait une imagination assez limitée.

" Bordel, mon vieux, il faudrait penser à te sortir le balai que t'as dans le postérieur. Quand je parle de ta zone de confort, je parle quand même de truc amusant. Les trucs d'intellos, ça restera toujours drôle que pour les intellos. Là, je te cause de truc plus sportif ou des dingueries. Des concours qui peuvent aller aux jeux de fléchettes ou à des trucs du style capable de faire ci ou ça.... Bref. Ce genre de conneries. "

Je tournais la tête vers le moine avec un immense sourire.

" Je ne te mentirais pas en te disant qu'on a rarement l'air bien malin, mais au moins, on rigole bien. Parfois, tu peux même te surprendre toi-même. Ha! "

Je pensais bien évidemment à ce dont on était réellement capable. Une fois qu'on était désinhibé - surtout avec l'aide d'un coup dans le nez - on se rendait compte qu'on pouvait faire des choses insoupçonnées.

Sans aucun doute, la samouraï était devenue beaucoup plus expressive, laissant cette fois s'échapper un rire lorsque le moine évoqua les habitudes des individus, pouvant permettre de se faire une opinion d'eux. Comme il s'en doutait, ses homologues étaient prompts à la juger sur ses mœurs plus délurées, et il était compréhensible qu'elle préfère ne pas avoir affaire à eux. Elle n'avait pas non plus nié qu'elle recourait elle-même à cette méthode, afin de se forger un premier avis, ayant probablement fait de même en jugeant le prêtre de Tsukuyomi sur la base de sa caste. Elle tempéra toutefois cette approche, avançant qu'il était facile de feindre les apparences.



Le Faucheur commençait clairement à se sentir un peu plus désinhibé, au fil des gorgées qu'il enchaînait à un rythme relativement soutenu. Du moins pour quelqu'un qui n'avait que peu l'habitude de l'alcool, bien aidé par le choix judicieux - ou pernicieux - de la demoiselle ayant sélectionné une boisson au goût traître. Celle-ci continuait à se dédouaner de toute responsabilité, imputant tout sur le dos de Kirei, dont les arguments ne l'avaient que partiellement convaincue. Mais il partageait son constat, quant au fait que personne ne l'avait forcé à boire, et qu'il aurait été dommage de se priver d'une telle expérience en tant que Seizanjin. Une opportunité pour laquelle il souhaitait la remercier, se demandant au passage s'il aurait aussi facilement bu de l'alcool sans cette dimension touristique ou traditionnelle. De manière générale, il lui aurait paru déplacé de rejeter une telle invitation, et il n'était point homme à boire pour le seul plaisir.  



Une nouvelle fois, Honoka ne se fit guère prier pour qualifier le Souhei d'individu extrêmement coincé - avec, bien évidemment, le langage fleuri qui l'accompagnait. S'il était question de sortir de sa zone de confort, ces défis n'avaient de toute évidence pas vocation à recouper des activités plus intellectuelles, qui pourtant, pouvaient elles aussi être amusantes... Pas au goût de tout un chacun, comme ne manqua pas de le rappeler la samouraï. Elle donna alors différents exemples plus concrets, donnant ainsi une meilleure idée de ce dont elle parlait à son interlocuteur, évoquant entre autres des défis sportifs, ou des jeux d'adresse telles les fléchettes. Des activités étonnamment raisonnables, qui pouvaient même parler au prêtre de Tuskuyomi, lui qui en dépit de ses apparences d'érudit fondait son style de combat sur ses aptitudes physiques et techniques. Cela étant dit, elle admettait qu'il était fréquent que ces défis se terminent de manière peu flatteuse pour leurs participants, sous-entendant qu'ils devaient aussi recouper des occupations un peu plus douteuses, ou des gages...

Je ne pus m'empêcher de me montrer un peu dubitative quand la gueule d'ange m'expliqua que tous les religieux n'étaient pas prompts à juger son prochain. J'avais presque envie de dire que c'était un peu la base de leur job, faire culpabiliser les pauvres âmes égarées pour les mettre dans le droit chemin. Fallait bien une méthode pour convertir la masse, non ? Est-ce que j'étais sévère ? Sans doute. Mais que voulez-vous, j'avais un peu de mal avec ceux qui prétendaient servir un Dieu et s'imaginaient plus dignes que les autres à cause de motifs pernicieux.

" Tu te sens toujours obligé de faire des grandes phrases, joli cœur ? Tous les humains passent leur temps à juger son prochain, toi y compris, ne t'en déplaise de toute façon. On ne peut pas s'en empêcher. Et pardonne-moi du peu, mais t'es cinq préceptes, je n'ai jamais entendu un truc aussi hypocrite que ces règles. Ça ne voudrait pas meilleur, pas plus chaste, pas plus saint. Je comprends même pas qu'on continue à vous enfermer dans cette illusion. Toutes ces conneries vous brident plus qu'autre chose, et pas pour le mieux. "

Je ne pus m'empêcher de secouer la tête négativement tellement je pensais que c'étaient des conneries. Oh, bien évidemment, il était libre de me dire que le code du Bushido était aussi un code moral qui ne valait pas mieux. C'était certainement le cas, mais à la différence des moines, le code du Bushido ne réclamait pas que l'on aille à l'encontre de notre nature humaine. De mon point de vue.

Prenant une gorgée de ma pinte, je me mis à écarquiller un sourcil à la nouvelle réponse du moine. Là, je m'approchais de lui, un œil vaguement plus suspicieux que d'habitude. Peut-être un peu trop près d'ailleurs, mais ça m'importait peu.

" Kirei, en quoi cela t'importe que je fus déçue ou non ? Tu ne me dois rien du tout et tu n'as strictement rien à me prouver non plus. Me décevoir devrait être la dernière de tes préoccupations, à moins que tu veuilles obtenir quelque chose de ma part et là, là, tu m'intriguerais. "

Je reculais un peu avant de me mettre à rire. C'était assez inimaginable qu'un jeune gars de Toge, même ami avec Satoru, voulut quoique se soit. Si c'étaient mes services pour la forge, il y avait des moyens bien plus simples et directs que tout ce bordel pour tenter de me cerner.

" Et si ça peut te rassurer, je suis déjà déçue. Une belle gueule qui entre dans les ordres, c'est toujours un gâchis monumental si tu veux mon avis. "

Je haussais les épaules alors que mon nez se replongea quelques secondes dans ma bière, avant que mon œil se promena sur la foule environnante de la taverne. Cela braillait déjà de tous les côtés, il y avait une bonne ambiance, bonne enfant en tout cas. La plupart des Seizanjins ici affichait un large sourire de contentement, ça plaisantait. Une image d'un petit bonheur simple entre amis. C'était le genre d'atmosphère qui me faisait plaisir... et paradoxalement qui ne me faisait pas sentir à ma place. J'étais peut-être pas taillée pour la joie.

" Faire pâlir un moine ? Oh oui, et ce n'est pas comme si c'était bien difficile. Des défis honteux... euuh là...  j'avoue que je n'ai pas de grands exemples qui me viennent en tête. Danser sur une table en chantant une chanson grivoise ? Provoquer gratuitement le mec le plus balaise de la salle ? Des grands classiques. "

Ce fut alors que je tournais la tête vers le grand dadet, un petit sourire amusé sur le visage.

" Si je devais te lancer un défi et pour te sortir de ta zone de confort, je pourrais te demander d'aller draguer la plus vilaine fille du bar, ou un truc du genre. Quoique te faire danser et chanter un truc grivois, ça serait assez marrant aussi. Hahaha! "

Au moins, il arrêterait de parler comme un bouquin et me deviendrait peut-être un peu plus sympathique en se montrant plus simple et abordable. Sûrement que l'alcool ferait sa magie s'il s'imbibait un peu plus.

Les propos de la samouraï étaient porteurs d'une part de vérité que le prêtre de Tsukuyomi acceptait volontiers, malgré le côté critique de ce qu'elle pouvait formuler à l'égard des Cinq Préceptes. En tant que Jashiniste, il ne se sentait pas spécialement lié à ces derniers, et considérait lui aussi que ces principes posaient parfois problème. Notamment lorsque les moines en avaient une interprétation trop extensive, ou quand l'empereur attendait qu'ils soient également des soldats, et donc prêts à tuer, ce qui rentrait également en contradiction avec ces commandements. En revanche, si Honoka les trouvait hypocrites, le Faucheur y voyait des lignes directrices vers lesquelles tendre. Des idéaux clairement respectables, dont la mise en application était aussi source de bienfaits. Après tout, ce n'était pas car les hommes avaient des tendances parfois délétères, qu'il ne fallait pas forcément lutter contre elles afin de préserver l'harmonie générale.



Lorsque la jeune femme se rapprocha soudainement de lui, le Souhei fut légèrement surpris et décontenancé, ne sachant pas comment réagir. Son attention fut alors rapidement absorbée par les paroles de son interlocutrice, qui touchait du doigt une question non pas sensible, mais extrêmement pertinente. Pourquoi lui importait-il qu'elle ne soit pas déçue ? En y réfléchissant, ce n'était pas la première fois qu'il adoptait un tel comportement. A fortiori avec les femmes. Cela avait-il un rapport avec sa mère, comme lorsqu'il rejoignit le Haut Temple de la Création pour faire plaisir à ses parents ? Pourtant, il avait aussi ses propres motivations qui l'avaient incité à accepter. En réalité, il se sentait redevable, et dans ces circonstances, ne pas décevoir l'autre, ou obtenir son approbation, lui procurait une satisfaction qu'il ne pouvait réellement expliquer. Puis, se reculant, Honoka se mit à rire, avant de formuler une allusion qui ne manqua pas de l'interpeler. Venait-elle de le complimenter sur son physique ? De formuler des avances ? Ou bien l'alcool lui montait-il déjà à la tête ? C'est empli d'un certain embarras, qu'il tenta de lui répondre...



A écouter les défis auxquels s'était adonnée la samouraï, il était d'autant plus clair que son mode de vie était très différent de celui de Kirei. L'imaginant danser sur la table en chantant des paroles grivoises, il ne pouvait s'empêcher de retenir à son tour un léger ricanement d'amusement, tant cette situation tranchait avec le sérieux ou l'austérité qu'elle pouvait parfois renvoyer, tout en collant parfaitement à sa démarche plus iconoclaste ou débraillée qu'elle avait laissée entrevoir. Cependant, ce n'est guère sur elle-même qu'elle avait décidé de s'attarder, mais bien sur le Togejin, pour lequel elle cherchait justement l'un de ces défis...

Plus que je discutais avec le moine, plus je pensais que c'était peine perdue de philosopher avec ce type. Il fallait dire qu'il semblait particulièrement bien endoctriner dans son délire, ou tout du moins, qu'il avait une réponse à tout, bien préparée. À mes yeux, cela manquait tellement de spontanéité que cela en était ennuyeux. Rien de ce qu'il me disait me surprenait réellement, parce que ce n'était pas la première fois que j'entendais ce genre de speech. Est-ce que j'étais une croyante emplie de contradiction ? Totalement. Ça m'empêchait de dormir ? Absolument pas.

" Pardon du peu, mais la frontière entre une illusion et un idéal est sacrément fine. Si l'humanité était vertueuse, ça se saurait, et c'est pas en faisant semblant et en prétendant qu'on cherche à l'être que cela arrivera un jour. "

Et si personne ne l'avait compris, fallait pas s'étonner si tout partait en vrille dans le monde. Laissant tomber tous ses règlements à la con, je préférais m'intéresser au bonhomme et pas le moine. Je comprendrais jamais que des jeunes gens perdent les années les plus précieuses de leur vie dans les ordres. Sans déconner, quitte à finir cloîtré, autant attendre d'être vieux et décrépits.

Un petit sourire mesquin aux lèvres, alors que je continuais à boire ma chope, j'écoutais la réponse de Kireï, non pas s'en trouver ça drôle, surtout en le voyant rougir légèrement et là, c'était comme s'il me tendait une perche que je ne pouvais que saisir.

" Bah alors Kireï ? On rougit ? Qu'est-ce qui te gêne le plus, le compliment ou l'idée que je te ferais du rentre dedans ?  HAHA ! T'as un côté marrant finalement. "

Laissant échapper mon rire moqueur, je reposais mon verre à moitié vide. J'eus un peu pitié de lui, et préférais mettre les choses au clair avant de le mettre plus mal à l'aise sur ce plan. S'il commençait à se braquer, cela serait beaucoup moins drôle.

" Rassure-toi, joli cœur, c'était une forme de compliment. Ils sont rares, mais ça arrive. Et puis, c'était pas comme si c'était une grande révélation. T'as une bonne gueule et je suis quasi certaine que tu dois avoir la cote auprès des femmes. "

Mon sourire s'étira, je me permis de lui donner un petit coup de coude dans une intention complice.

" Si j'avais voulu te draguer, je n'y serais pas passée par quatre chemins. Et puis, on le dirait pas comme ça, mais j'ai quand même des principes. Je provoque pour le jeu, surtout avec les religieux pour les mettre en face de leur contradiction. Je ferais rien qui puisse t'offenser... mais essayer de faire rougir comme une tomate, ça, c'est un défi assez drôle. "

Finissant finalement par reporter mon attention sur la salle après avoir charié le moine, le petit malin se défila à l'évocation du challenge que je pouvais lui lancer, préférant que je jouasse les modèles en exemple.

" Petit futé, regarde-moi comme tu te défiles. Pourtant, je suis certaine que tu connais pas mal de chanson ridicule. Moi, personnellement, j'ai rien à prouver mon vieux ! J'ai même pas besoin d'être défié pour lancer les hostilités ! Et puis, si c'est une chanson populaire, nos braves seizanjin chanteront en chœur avec toi. Hahaha ! "

Je repris ma chope et la leva comme si je trinquais avec les gens de la salle. Bien entendu, c'était uniquement pour l'image alors que Kireï joua les moralisateurs.

" Comment on peut être si jeune et si rabat-joie, sans déconner ! C'est pas parce que tu dragues que tu ramènes la personne chez toi. Jouer de compliments et se montrer sympathiques, c'est pas la mort. Et puis excuse-moi, mais les moines, en une certaine façon, ça passe son temps à faire du gringue pour convertir les brebis égarés ! Alors question morale... Dis plutôt que tu sais pas comment t'y prendre. "

Dans ma tête, j'avais envie de le traiter de puceau et je devais dire que je ne sus pas ce qui me retint.

Ce n'était certainement pas le Faucheur qui contredirait Honoka sur la nature vertueuse - ou en l'occurrence, non-vertueuse - de l'humanité. C'était d'ailleurs l'une des principales raisons pour laquelle ce monde souffrait autant, et nécessitait l'intervention du Renouveau. Et si les Hommes étaient à l'image du dieu créateur Izanagi, il ne fallait guère s'étonner de cette nature souvent viciée des représentants du peuple Ebisu. Il établissait toutefois une différence entre ceux qui prétendaient ouvertement être vertueux, et ceux qui ne revendiquaient rien de tel, mais s'efforçaient de l'être le plus possible. La caste des moines recoupait les deux catégories d'individus, et on ne pouvait non plus en exclure une troisième : certes, ces gens étaient rares, mais les personnes réellement vertueuses pouvaient aussi exister. Ils restaient malheureusement l'exception



Malheureusement pour le pauvre prêtre, sa réaction à l'alcool et aux commentaires de la samouraï, incitèrent vivement cette dernière à se jouer de lui. Soulignant ouvertement qu'il rougissait, ce qui ne manquait pas d'exacerber le phénomène, elle semblait très divertie par le spectacle qu'il offrait malgré lui, et riait ouvertement à ses dépens, le considérant finalement comme ayant effectivement un côté marrant ou divertissant. Dans la foulée, elle se montra toutefois rassurante, ce qui atténuait légèrement l'embarras du Souhei, par ailleurs surpris et perturbé par les compliments et les propos qu'elle venait de lui adresser.

Depuis son enfance, en passant par sa formation au Haut Temple de la Création, et son ordination au Sanctuaire de Tsukuyomi, il n'avait jamais vraiment reçu ce genre de commentaires ou fait l'objet d'avances ou de séduction de la part des femmes. Ou alors, il ne l'avait jamais remarqué, mais il était raisonnable de présupposer que de par sa fonction, il n'était pas le genre d'homme sur lequel les femmes, et encore moins les fidèles, allaient s'intéresser ouvertement. Ce statut avait néanmoins conforté Honoka dans ses petites provocations, avouant qu'elle se montrait volontiers plus joueuse avec les religieux, et que susciter ce genre de réactions comme la sienne était un défi plutôt drôle.



Son inexpérience criante transparaissait de manière des plus évidentes, et celle-ci amusait grandement la Chuunin, qui gardait plus d'une corde à son arc. Outre le titiller sur ce terrain, elle cherchait également à lui faire réaliser l'un de ces défis étranges, partant du principe qu'il connaissait par exemple pas mal de chansons ridicules. Il en avait bien une ou deux en tête, mais il était bien trop timide et propre sur lui, de même que soucieux de l'image qu'il renvoyait du Temple de la Lune, afin de céder à cette pression sociale malgré l'alcool qu'il avait ingéré.

Levant les yeux en direction de la jeune femme, s'étant redressée en brandissant sa chope tout en prenant la pose, elle était pour sa part totalement décomplexée. Il l'observait le traiter de rabat-joie en dépit de son âge, présentant même ses défis de drague comme de bonnes actions mettant en œuvre des compliments et de la sympathie. Elle comparait d'ailleurs ce genre de séduction à la démarche des moines tentant de convertir des fidèles, affirmant qu'il ne savait en réalité pas comment s'y prendre en la matière...

Quand je revis le visage rougissant du moine, il me faisait penser à un gosse dans un corps d'adulte. Les prêtres pouvaient se révéler vraiment désespérant parfois. Comment prétendre vouloir aider les autres avec altruisme et se vouloir de bon conseil quand on ne connaissait rien de la vie ? Quelle misère ! Mais au moins, maintenant qu'il avait un petit coup dans le nez et qu'il osait parler un peu plus ouvertement, il y avait quelque chose à en tirer.

" Oh ? Jamais ? HA! Les Togeins ont des critères vraiment rudes dans ce cas. Mon pauvre bonhomme. Mais t'inquiète, t'es pas vilain si ça peut te rassurer. Hahahahaha! "

Je me moquais ? Bien évidemment, et pas qu'un peu. Hors de question de ne pas profiter de cet instant, les choses devenaient bien plus intéressantes. Reprenant alors une gorgée de mon verre, je me permis néanmoins de rajouter quelques mots à sa petite pique à mon attention.

" Hey ! On s'amuse comme on peut avec ce que nous avons sous la main. Personnellement, je ne trouve rien de plus marrant que de contrarier ceux qui jouent les petits saints. Et puis, je te le dis, t'es une tête marrante quand tu rougis. "

Une nouvelle fois, je me mis à rire, bien que je tentais de le retenir pour ne pas le froisser de trop. Il était coincé, c'était évident et comme la plupart des bourgeois de son village, il était trop attaché à son image. J'avais toujours trouvé les Togejins superficiels, on pouvait pas dire qu'il m'aidait à changer d'avis.

" Moooh ! C'est qu'il serait presque chafouin la petite canaille moniale ! "

Souriante, je me permis de lui donner un tout petit coup de coude amical, comme si je voulais le pousser à se décoincer encore un peu.

" Fais pas la gueule !  Arrête de rougir et souris un peu ! "

Ce fut à cet instant que je lui pinçais légèrement la joue comme pour le forcer à sourire et rendre son visage plus amical. Je voulais que les choses vinrent de lui, qu'il se trouva lui-même les moyens de passer outre tout le bourrage de crâne sur les protocoles de son pays. Si jeune et si vieux dans son comportement...

" Allez... je vais être sympas et pas continuer à te tourmenter. Je finis ma pinte et on repart rechercher l'autre tocard de Satoru. "

Sur ces mots, je finis par vider d'une seule traite le fond de ma chopine avant de pousser un soupir de bien-être quand le tout fut ingurgité. Ça faisait du bien là où ça passait après tout. Déterminée après cette courte pause à retrouver notre camarade commun, je finis par me lever de la banquette et fit un petit signe de tête au moine.

" Il est vrai que j'aurais adoré te voir pousser la chansonnette, mais j'ai pitié de toi. Je t'épargne pour aujourd'hui, mais sache que si je dois te revoir, tu n'y échapperas pas. "

Telle une promesse entre nous, je lui adressais un clin d'œil... enfin ce qui y ressemblait vu que j'étais borgne. Je passais alors au comptoir où je donnais les quelques ryos pour payer les consommations, quittant alors la taverne des joyeux compagnons pour retrouver mon blondinet préféré. Suivi du prêtre, je m'allumais une cigarette dès que j'eus le pied dehors.

" Bon. Je ne vois qu'une dernière option pour Satoru. Il est assez con pour s'être finalement planqué dans le temple en imaginant que je ne viendrais pas le chopper… ou bien, il s'est fait arrêter là-bas parce qu'il a oublié de rendre des comptes à ses supérieurs... Ça sera l'occasion pour toi de voir tes... "frères" ecclésiastiques. "

Et moi, un bon endroit pour y laisser Kireï, parce qu'on allait pas se mentir, j'avais aussi des choses à faire, comme je l'avais déjà dit au début de ce rendez-vous. Mais est-ce que Satoru en avait quelque chose à foutre ? Non.

" Ha. Tant que j'y pense. Tu devrais manger quelque chose pour couvrir... ton haleine. Ça serait con que tu te fasses engueuler par tes supérieurs en sentant l'alcool, hein ? Ils connaissent bien ce que tu as pris donc... "

Un nouveau sourire moqueur se dessina sur mon visage, prête à me moquer à nouveau de sa gêne. La vie était trop courte pour pas se marrer un peu.