C y a l a n a

Après qu’il ait repris place aux cotés d’Heizen, une veine colérique se gonfla tout à coup en travers de son front, à l’écoute des mots soudainement prononcés par Naoko. La jonin de Sakyuu no Sato n’en démordait pas, elle comptait visiblement faire de Jashin, le sujet principal de cette réunion. Le regard du colosse à l’armure sombre se durcissait dangereusement, pendant qu’il l’écoutait mettre en parallèle sans la moindre preuve, les agissements de Mugen avec ceux du sombre culte. Et tandis qu’il restait silencieux, il sentait l’envie d’arracher la tête de la jonin au regard solaire bouillir à l’intérieur de ses tripes. A vraie dire, sa colère s’intensifiait à un point où les mots qu’elle prononçait lui rebondissaient sur les tympans, sans passer par la case cerveau. Ces histoires de greffes et autres complots supposés était trop fumeuses pour qu’il y prête une quelconque attention. En revanche l’impertinence avec laquelle elle avait balayé l’effort qu’il venait de fournir pour recentrer la discussion sur Mugen, ça il ne comptait pas le laisser passer ! Ganryu était le premier à vouloir réduire le culte de Jashin en cendres, mais ça n’était pas la question du jour ! Il hallucinait de voir avec quelle facilité Naoko avait en premier lieux lié son nom au culte, puis énuméré tout un tas de connexions farfelues, sans la moindre once de respect pour les propos tenus jusqu’ici par les membres de l’assemblée. Il était clair qu’avec les récents évènements liés à Mugen, le problème jashiniste ne pouvait pas être la priorité de cette réunion. Mais elle n’en avait rien à faire et leur faisait bien comprendre ! Décidément, leur prochain entretient risquait d’être particulièrement électrique, et il lui tardait d’avoir l’occasion de mettre la main sur elle en privée.

Pour l’instant, il se concentrait surtout sur le fait de rester calme. Hélas pour lui, la suite de la discussion n’allait pas l’aider du tout pour y parvenir. En effet, ce fut l’hôte de la réunion elle même, qui se décida à répondre en première aux théories de Naoko. Or quand Kaleah commença à décrire le type d’opération mise en place par Jujou no Sato pour enquêter sur le culte jashin,  l’estomac du colosse borgne commença à se révulser. « Non mais, elles déconnent complètement ou quoi ces femmes ?! » Il avait envie de hurler, de tout retourner sur place. La kage de Jujou était en train de leur décrire en toute décomplexion comment elle formait des soldats pour infiltrer le culte, le tout en balançant même des noms ! Pour Ganryu il n’y avait pas à la jouer finaude avec Jashin…  Il n’en avait rien à faire des jeux d’ombre. Pour lui, seul le châtiment importait. Qu’on puisse réunir des informations sur Jashin, tout en les laissant continuer d’agir dans le but d’en glaner d’autres, c’était tout simplement tolérer les meurtres qui en découlaient. Ses poings se serrèrent d’eux même, à mesure qu’il continuait d’écouter cette discussion puante. Chaque mots qui y était prononcé résonnait tel un crachat au visage de sa défunte sœur. Son corps tout entier tremblait légèrement sous la pression de sa fureur. Sans le savoir, en échangeant ces quelques phrases, Kaleah et Naoko venaient de remplir un bidon d’huile auquel il ne manquait plus qu’une étincelle pour qu’un brasier ne se déchaîne.

En revanche, par delà le flot d’émotions qui agitait ses pensées, Ganryu se devait de reconnaître une chose. Les autres villages avaient l’air bien plus en avance dans leur réaction concernant Jashin que Seizan no Sato. Cela ne faisait qu’ajouter un peu plus de frustration au cocktail explosif qui circulait dans ses veines. Certes, il y avait bien eu la création de son escouade en réponse au récent Edit impérial. Cependant il ne pouvait s’empêcher d’avoir l’impression qu’à l’intérieur des frontières de Seizan, les jashinistes n’étaient qu’un problème secondaire… Rien qu’à écouter les informations circuler durant l’échange entre Kaleah et Naoko, il s’était rendu compte du gouffre qui existait entre leurs service de renseignement et celui du village des Montagnes Bleues. C’était une chose qu’il ne pouvait tolérer plus longtemps, et il comptait bien le faire savoir plus tard à Heizen. Et tant pis si ça impliquait de prendre un sérieux savon, ou même de devoir la jouer en solo pendant un temps. Croisant les bras pour tenter de cacher la tension qui secouait ses muscles, Ganryu continuait donc d’écouter ses interlocuteurs en silence. Le tout pendant qu’un emploi du temps particulièrement chargé concernant les prochaines semaines, commençait s’agencer dans son cerveau.

Finalement, une éclaircie s’offrit à l’esprit de Ganryu, quand l’attention de la discussion changea enfin de cap pour tourner autour des indépendants. Ce fut d’abord Kaleah qui évoqua, non sans surprise, ne faire aucunement confiance à ce genre d’individus. Cela parut quand même surprenant aux oreilles de Ganryu. Car après tout, elle avait à l’image d’Heizen, eut recours aux services de Ryuuza. Mais à la différence du Géant des Montagnes, elle n’avait pas l’air de porter le karatéka en haute estime. D’ailleurs, Tobu s’empressa lui aussi d’enchaîner sur le sujet, évoquant de lourds griefs à l’égard de ceux qui refusaient de ranger leur don de chakra sous l’égide de l’armée impériale. Pour être honnête, peu importe l’uniforme, seul les actions comptaient au yeux de Ganryu. Qu’ils soient soldats ou indépendants, tout dépendait des décisions que prenaient les gens dans les moments qui comptent. Combien de fois avait-il croisé des soldats qui n’étaient pas dignes de leur insigne ? Il ne les comptait même plus… Entre les incompétents, les génies trop confiants et les shinobis corrompus, il avait déjà connu son lot de déceptions dans l’armée. De son point de vue, l’entrave à la loi et l’ordre dépendait bien souvent d’un bandeau confié à la mauvaise personne, plus que de gens qui souhaitaient avoir plus d’indépendance. Après, il se devait d’admettre que ce n’était pas non plus un sujet sur lequel il pouvait se permettre d’intervenir. Bien que sa rencontre avec Ryuuza lui avait laisser une bonne impression, il ne devait pas en être de même pour tous les indépendants. Au moins cette discussion avait eu le mérite de le calmer un peu. D’autant qu’au travers de l’aide potentielle des indépendants, cela avait au moins permis de remettre la coopération contre Mugen au centre des débats.

Et en parlant de débats, les mots qu’il avait prononcé plus tôt n’étaient pas passés inaperçus, puisqu’une voix s’éleva pour s’adresser directement à lui. Tobu s’amusait visiblement de sa petite proposition de chasse, et il comptait bien lui faire comprendre les limites de son plan. Alors qu’il plongeait son regard dans celui de son noble interlocuteur, un sourire se dessina tout à coup au coin des lèvres de Ganryu. Bien évidemment qu’il avait formulé cette proposition sans avoir l’espoir qu’on la prenne au sérieux. Lui même avait proposé ça à titre de boutade. Cependant il fut plus qu’agréablement surpris de constater que ça avait eu le mérite de stimuler l’esprit du sakyuukage. D’ailleurs, après que Tobu eut fini de s’adresser à lui, Ganryu lui répondit d’une voix posée, tout en accompagnant son propos d’un léger mouvement de tête en signe de respect :


- Je suis bien conscient que ma proposition vous ait parut un peu « bas du front », Hashikure sama. Mais sauf votre respect, il y a une différence entre paraître affaibli et paniqué, et l’être vraiment. Il toussota légèrement dans sa main, avant de se redresser pour plonger un regard où s’entremêlaient sérieux et respect, dans celui du général des forces armées de Sakyuu no Sato. Hum Hum … Ce que je veux dire, c’est que nous pouvons tirer parti du fait d’avoir l’air de réagir dans la précipitation. Si les villages leur paraissent affaiblis, alors ils auront envie d’attaquer. Ce qui nous donnerait une occasion parfaite de leur tendre un piège. Vous avez évoqué vous même leur puissance. Il suffit de retourner cette force contre eux en y ajoutant un peu d’excès de confiance… Du moins, ce n’est que mon humble avis, seigneur. Conclut-il tout en baissant le regard avec respect.

Puis, un sourcil surpris se dressa sur son front quand Tobu leur adressa son ultime question à lui et Chinone. Prenant le temps de la réflexion, Ganryu se concentra pour se remémorer avec précision, les paroles qu’avait prononcé Kurai au moment où ils avaient trouvé la porte du coffre fort où reposait l’écaille du dragon Orochi. C’est alors que ça lui revint comme un flash. Ses yeux s’écarquillèrent avant qu’il ne réponde au sakyuukage :

- Maintenant que vous le dites, ca me revient ! Il a dit pouvoir sentir ce qu’il recherchait ! Il a aussi mentionné le fait qu’il n’était plus le même depuis une récente « transformation ». Et enfin, il a dit que c’est son maître qui lui avait donné la capacité de sentir ce qu’il recherchait. Il s’arrêta une seconde, laissant son regard se balader entre les nervures de la table à mesure qu’il réfléchissait. C’est sûrement une capacité dont nous pouvons nous servir pour les attirer à un endroit précis !

Ganryu reprit place et silence aux cotés d’Heizen, pendant qu’il écoutait avec la plus grande attention le plan d’action qu’était en train de leur présenter Tobu. Il était tellement absorbé par le court que venait de prendre leur discussion, qu’il ne sentit pas la tempête arriver. C’est alors que la voix rauque et puissante d’Heizen s’éleva dans les airs. Puis un bruit sourd de bois se rompant avec fracas s’en suivit. Quand la poussière retomba, Ganryu dévisagea son vieux compère d’une mine perplexe. Il venait d’éclater la table avec violence et style en même temps. Notre colosse borgne ne put s’empêcher d’afficher une mine gênée, pendant qu’il se grattait la tête en chuchotant à lui même :

- Oïii Qu’est-ce qui lui prend encore à jiji ?!

Les tables défoncées, ça arrivait à peu prêt toutes les semaines dans les bureaux d’Heizen à Seizan no Sato. Si il y en avait qui ne manquaient pas de travail par chez nous, c’était bien les menuisiers. Du coup, Ganryu n’était pas vraiment surpris de voir celle-ci voler en éclats elle aussi. Mais quand même... C’était une réunion entre kage bon sang ! Si dans leurs montagnes natales, c’était aussi commun que de voir la neigne tomber, c’était pas forcément le cas partout ! Ganryu se demandait bien quelle mouche venait de le piquer. Puis il croisa le regard un brin espiègle de son seigneur avant que celui-ci ne lui fasse un clin d’œil. Il écouta ensuite la longue tirade passionnée qu’Heizen adressa à ses homologues concernant les propos qu’ils avaient tenu plus tôt au sujet des indépendants. Bien que dans l’ensemble, lui et Ganryu partageaient la même vision des choses. Éclater le mobilier de son hôte n’était peu être pas la bonne stratégie à adopter pour emporter l’adhésion de ses camarades kages. Toujours est-il que Ganryu ne pouvait s’empêcher de sourire face à la détermination sans faille de son seizankage. Bien que ça risquait de compliquer le dialogue, ce courage et cette vision de la justice un peu trop romanesque représentaient les principales raisons qui l’avait poussé à avoir confiance en Heizen. Il porta tout de même discrètement la main sur la garde de son épée. Même s’il y avait dans cette démonstration , plus de théâtralité qu’autre chose, cela risquait d’échauffer les esprits. Et bien qu’Heizen n’était pas du genre à avoir besoin d’aide, Ganryu se tenait quand même sur le qui-vive. Prêt à assumer son rôle de garde du corps au cas où un des participants de la réunion avait  l’audace d’essayer de s’en prendre au Géant des Montagnes.