C y a l a n a

Bien qu’une légère brise venait lui caresser la colonne vertébrale, le soleil pointait haut dans le ciel durant cette belle matinée de printemps. Comme convenu lors de leur réunion précédente, réunion pendant laquelle il avait eu la joie d’assister aux promotions de ses petits protégés de l’Ao Oni no Ken, Ganryu avait ensuite rejoint son kage aux portes du village caché des Montagnes Bleues. Bien qu’il était censé être « l’accompagnateur » durant leur trajet, c’est pourtant le jonin borgne qui arriva le premier sur les lieux. Comme à sa habitude, Heizen devait sûrement perdre son temps à flâner dans le village. Il faut dire que le vénérable seizankage n’hésitait jamais à accorder de son temps libre aux habitants quand il descendait dans les rues de Seizan. Au delà des apparences, c’était un homme simple et surtout humble. Et s’il s’agissait là d’une qualité indéniable à tout bon dirigeant, se rendre aussi accessible avait tendance à bousculer son emploi du temps déjà bien chargé. C’est pourquoi, quand son chef se pointa enfin au rendez-vous, Ganryu ne put s’empêcher de l’accueillir avec quelques gentilles remontrances :

- Oîi Heizen onji san ?! Je peux savoir pourquoi tu es encore en retard ?!Il tapotait du pied sur le sol, tout en gardant les bras croisés. Puis, remarquant quelques miettes coincées dans les poils drus de la barbe du géant des montagnes, il comprit immédiatement les raisons de son retard. Ne me dis pas que la vieille boulangère du coin de la rue t’a encore retenu avec ses briochettes au sucre ?!

Apparemment amusé de voir son jeune partenaire lui faire la leçon, Heizen se contentait de lui répondre en l’invitant à partir sur le champs. C’était ubuesque ! Il avait beau être celui qui s’était fait attendre, voilà qu’il faisait comme si de rien était ! Un sourire en coin se dessina sur le visage de Ganryu tandis qu’il répondait d’une voix « blasée-comique » :


Tss décidément, tu ne changeras jamais Heizen san. Très bien ! Allons y boss !

Après l’acquiescement de Ganryu, la voix d’Udezuku san s’éleva dans les airs, avant qu’un nuage de poussière ne vienne emplir l’air de la grande place située à l’entrée du village. Et quand les fines particules qui flottaient dans l’air retombèrent, tous pouvaient admirer la présence du légendaire Fenrir. Bien qu’il avait déjà eu l’occasion de l’observer par le passé, c’était toujours une expérience singulière pour Ganryu d’être en présence du Varg au pelage nacré. Il faut dire qu’avec sa taille démesurée et sa rangée de dents acérées, la bête avait de quoi impressionner. Heizen grimpa alors sur la scelle de cuir qui trônait sur le dos du Yokai, avant de tendre la main à son compagnon de route, l’aidant ainsi à mettre le pied à l’étrier. Le loup géant s’élança alors à grande enjambées sur la route qui serpentait du bas du Mont Atlas, vers les plaines verdoyantes de la Province de Kyojinyama.

Le voyage entre Seizan et Jujou allait durer deux jours. Ils avaient donc largement le temps de se préparer pour cette réunion particulièrement suspecte. En effet, à l’image d’Udezuku, Ganryu ne voyait pas non plus cette réunion d’un bon  œil. Il faut dire qu’entre les résurgences du culte de Jashin, et surtout l’apparition soudaine de Gekirin Kirai, la paix qui régnait actuellement sur l’Onogoro s’était vue sérieusement menacée. Cela dit, même si le royaume avait été secoué récemment, ça ne rendait pas moins suspecte cette soudaine réunion. Comme venait de le dire Heizen, réunir les quatre kages était une chose toute à fait inédite. Et les liens pré- établies entre la chef du village de Jujou et le togekage, mais surtout neveux de l’empereur, ne présageaient rien de bon. C’est pourquoi, il répondit d’une voix pour le moins perplexe :

- Tu as raison… Il vaut mieux rester méfiants. Son regard s’égarait à admirer le paysage qui défilait à toute vitesse. Tout le gratin de l’Onogoro sera présent… Même si on peut supposer que la jujoukage a tout intérêt à ce que les choses se passent sans embûches. On ne peut pas se permettre de se relâcher. Ils ont quand même l’avantage d’organiser l’évènement chez eux. Qui sait si quelques mauvais coups ne nous attendent pas en coulisses ? Même si le village est entre de bonnes mains avec maître Lee Yen, Seizan ne peut pas se permettre de te perdre à cause d’une vulgaire embuscade. Un sourire presque carnassier se dessina ensuite sur son visage avant qu’il ne plonge un regard plein de confiance dans celui d’Udezuku sama. Enfin, encore faut-il qu’ils arrivent à nous passer sur le corps si ils tentent quoi que ce soit. N’est-ce pas jiji !

Après quelques dizaines de kilomètres parcourus, Heizen se décida alors à lui révéler qu’il disposait d’une information suggérant qu’il y avait peut être anguille sous roche. Bien qu’il garda pour lui son contenu, il avoua tout de même au colosse borgne avoir pris quelques précautions en amont. Même s’il ne le mettait pas dans la confidence, Ganryu gardait une confiance entière envers Heizen. Il savait pertinemment que son vieux chef n’était pas qu’une simple armoire à glace. C’était aussi un dirigeant particulièrement avisé et malin, sous ses allures de bête sauvage. C’est pourquoi, sans chercher à savoir en quoi consistaient ces quelques « mesures », le jonin répondit d’une voix calme et posée :

- Hmm je vois. J’imagine que je dois m’attendre à ce que ça bouge au final ! Il jeta un coup d’œil à l’imposante lame couleur d’ébène harnachée dans son dos, avant de lancer un regard conquérant vers Heizen. En tout cas ! Sache que tu peux compter sur ma lame !

La suite du voyage se passa sans le moindre problème. Grâce à la puissance de Fenrir, les provinces avaient défilés les unes après les autres. Cela ne les avait pas empêché d’effectuer plusieurs arrêts en chemin, histoire de boire des coups. Après tout, nos deux loubards restaient de sacrés amateurs d’alcools. Et ce n’était pas les habitants des auberges croisées en chemin qui allaient dire le contraire !

C’est donc repus et bien détendus que les deux hommes étaient arrivés à destination. Et alors que Fenrir était congédié par son invocateur, Heizen vint tout à coup poser sa main sur le torse de son subordonné. Légèrement surpris par le geste du seizankage, Ganryu remarqua un changement de ton chez son chef. Après qu’Heizen lui ait confié avec plus de sérieux qu’à l’accoutumé, que ses relations n’étaient pas au beau fixe avec la jujoukage, il insista ensuite sur le fait que le jonin devait absolument garder son calme lors de cette réunion. On pouvait sentir qu’Udezuku avait peur que les tensions pré-existantes entre lui et Kaleah ne conduisent vers quelques provocations. Il voulait donc s’assurer que Ganryu se tienne bien à carreaux. Même si le borgne n’appréciait pas beaucoup ce genre d’avertissement, il savait aussi que c’était de bonne guerre à cause de sa réputation bagareuse. C’est pourquoi, d’une voix où s’entremêlaient vexation et compréhension, il répondit :

- Tss, ça va j’ai compris ! Il rendit son geste à son seigneur, venant poser sa main sur le pectoral d’Heizen, avant de dire avec sérieux : Tu peux compter sur moi Heizen. Je te laisse mener la barque boss. Il retira alors sa main avant de sourire avec sincérité. Ne t’inquiète plus de moi et concentre toi sur la réunion. De mon coté, je gère ta sécurité. Il troqua son sourire contre un petit rire : Héhé ! Même si je ne suis pas sûr que tu aies besoin de moi pour ça !

Les deux hommes traversèrent ensuite un à un, les différents quartiers qui composaient la capitale militaire de la Province d’Ussoumouri no Kuni. On pouvait sentir toute effervescence générée par cette première réunion historique, car les rues de la cités étaient tout simplement bondées. En plus, marcher aux cotés d’une célébrité telle que le grand Udezuku Heizen, ça attirait particulièrement l’attention. Les habitants se pressaient donc de chaque cotés de la rue pour admirer le cortège officiel de Seizan no Sato, qui se frayait tant bien que mal un chemin dans cette foule. Au milieu de cette cohue, une vision amicale vint soudainement faire sourire Ganryu. Il venait de croiser le regard d’Urumi, l’espace de quelques secondes, bien caché derrière un des cordons de badauds qui bordaient le trottoir. Il put aussi remarquer la présence de Kunao à ses cotés, même si pour le coup, son jeune camarade ne le remarqua pas en retour. Bien qu’il n’eut pas le temps d’aller à leur rencontre à causes de ses propres obligations, la vue de ses amis lui donnait du baume au cœur ! Ça lui faisait du bien de les savoir dans le coin, au cas où les choses tourneraient au désastre. Peut être que leur présence ici même avait un lien avec les précautions mentionnées plus tôt par Heizen ? Toujours est-il qu’avoir ses collègues de l’Ao Oni no Ken dans les parages était plus que bienvenue. Ne manquait plus que Saki pour être au complet. Mais connaissant la bête, la kunoïchi aux cheveux d’argent ne devait pas non plus se trouver bien loin.

Après quelques dizaines de minutes à parader dans les rues de Jujou, les imposantes racines du « grand arbre maison », résidence principale de la cheffe du village, se dessinaient à présent sous leur regard. En bas cette merveille de la nature, la maîtresse des lieux les accueillait, accompagnée là encore d’une vision familière. En effet, la garde du corps de leur hôte n’était autre que la belle Chinone, avec laquelle il avait partagée une exploration tragique à Insen no Kuni. Cette funeste journée où ils avaient croisé la route de Kurai avant qu’il ne tue son apprenti, le pauvre Rei. Cela ne faisait que quelques semaines, et là voilà qui se trouvait pourtant aux cotés de sa dirigeante, toujours investie de ce même regard glacial. Sans chercher à remuer le couteaux dans la plaie, Ganryu évita d’évoquer toute cette histoire, se contentant de la saluer avec dignité en retour. C’est alors qu’Heizen le présenta à Kaleah. Ganryu s’inclina alors avant de répondre d’une voix grave, mais totalement calme :


- C’est un honneur, jujoukage sama.

La délégation seizanjin était la première arrivée sur les lieux. Les deux colosses avaient donc été invités à patienter à l’ombre d’un magnifique cerisier, dont les fleurs aux couleurs vibrantes faisaient honneur à cette belle journée de printemps. Alors qu’il s’était adossé au tronc de l’arbre, fixant le personnel qui finissait d’organiser la suite des évènements, Ganryu ne put s’empêcher d’envoyer une petite vanne à l’attention d’Udezuku :

- Et beh ! Si j’avais du parier sur le premier kage à arriver, ce n’est définitivement pas toi qui me serait venu à l’idée. Comme quoi ! Tu es comme le bon vin faut croire ! Tu t’améliores avec l’age ! Ahaha

Quelques heures s’écoulèrent avant que la seconde délégation ne fasse son entrée. Il s’agissait du sakyuukage et de son escorte. Là encore, Ganryu reconnu la jonin qui se tenait aux cotés de son dirigeant à la réputation sulfureuse. Il s’agissait de Sabaku Naoko, une jonin sakyuujin proche de Takayanagi. Après la mort de ce dernier, Ganryu l’avait contacté pour la prévenir de son enterrement. Après un discours poignant qu’elle avait prononcé lors de la cérémonie, ils avaient pu échanger quelques mots concernant la fin tragique d’Hikaru. Même s’il ne la connaissait pas vraiment, elle lui avait fait une bonne impression. Tout le contraire de son seigneur, qui affichait un détachement presque glaciale vis à vis des autres convives. Notre colosse ne connaissait Tobu que de nom. Un nom dont la réputation rimait avec mensonge et duplicité. Le genre d’homme qui se situait totalement à l’opposé d’Heizen. Alors que les minutes défilaient, on vint ensuite leur faire part du retard du togekage. Décidément, ce gamin était encore pire qu’Heizen niveau ponctualité ! Ce fut d’abord le sakyuukage, accompagné de Naoko, qui prit congés pour aller visiter le village de Jujou no Sato. Avant que les deux géants seizanjins n’en fassent de même. Il passèrent donc la nuit dans une belle auberge du quartier marchand, à boire et festoyer comme à leur habitude.

Une fois à nouveau réunis le lendemain dans les quartiers de Kaleah, le tant attendu togekage fit enfin son entrée. Une entrée remarquée qui plus est ! Mais pas pour les bonnes raisons… Ce gamin détonnait complètement au milieu de tous ces militaires de choc. Arborant une tignasse blonde, presque blanche, légèrement mal coiffée, dont la couleur était caractéristique des membres de la famille royale, et un air un peu benêt sur le visage. Le jeune seigneur s’était même ramassé la tête la première en descendant de son cheval. Pourtant, au-delà de cette apparente faiblesse qui se dégageait de lui, Ganryu put sentir à la façon qu’il avait d’ignorer l’énervement que sa présence générait, que ce garçon n’était pas du tout un adolescent comme les autres. En revanche, pour une fois, la jeune femme qui accompagnait le chef militaire de Toge no Sato lui était inconnue. La seule chose qui l’interpella à son propos était son grade. Une chunnin hein ? Cette jeune femme aux yeux bleus océans ne devait pas être une lieutenant comme les autres si elle accompagnait Yamato Daichi. Pendant que nos deux colosses seizanjins observaient légèrement à distance, les kages de Jujou et de Toge s’échanger des cadeaux, Ganryu chuchota à l’attention d’Heizen, évitant d’être entendu.

- Alors c’est lui le fameux prodige de Toge ? Il marqua un temps d’arrêt. J’ai rencontré ses cousins/cousines il y a peu de temps à Teito. Deux jumeaux du nom de Minamoto Byakuren et Hyouren. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils n’avaient pas l’air de porter l’empereur dans leur cœur… Même s’ils font eux aussi parti de la famille royale. Son regard s’arrêta sur le blondinet. Je me demande si il en va de même de Daichi…

Ce n’était pas vraiment une question qu’il posait à Heizen, mais plus une simple remarque qu’il avait envie de pointer. De toute façon, les deux représentant du village caché des Montagnes Bleues n’allaient pas tarder à savoir jusqu’où ils pouvaient avoir confiance en leur homologues...  Car la réunion allait enfin pouvoir commencer !