Kyoshiro avait appris, il y avait bien longtemps, qu'il n'y avait que sur lui qu'il pouvait réellement compter. Que sa force, seule, était celle qui importait vraiment, au bout du compte, et c'était pour cela qu'il n'était pas très bon pour jouer en équipe. Il ne souhaitait pas partager la réussite ou la gloire, mais avant appris que s'il voulait réussir des concessions étaient parfois nécessaires. Ainsi il avait appris à tolérer la présence de son ami, Maho, ainsi que de tous les guerriers à peu près compétents de Seizan. Il ne les portait pas dans son cœur, bien entendu, mais s'ils savaient se débrouiller, une lame à la main, alors c'était sans doute tout ce qu'il pouvait attendre d'eux.
Les guerriers de Seizan étaient disciplinés, marchaient d'un seul pas, avançaient dans la même direction ce qui rendait, finalement, le travail d'équipe assez simple. Il n'avait pas à craindre de compétition, ou des idiots voulant jouer au héros pour impressionner la galerie. Ils s'en tiendraient tous aux ordres, ce qui rendait ce travail d'équipe moins terrible qu'il ne l'avait pensé au départ.

Alors pourquoi ce mécontentement sur son message ? Certes, la bête devant lui était impressionnante, il pouvait sentir cette puissance de là où il n'était, mais telle n'était pas la raison. Combattre aux d'autres guerriers de Seizan était simple, mais impliquer un autre village compliquait bien trop les choses à son goût. Chaque village avait sa propre vision des choses, ses propres objectifs et, de toute évidence, ceux des deux villages allaient rentrer en conflit les uns avec les autres, aujourd'hui. Seizan voulait des réponses tandis que Toge, de leur côté, semblaient bien trop contents de donner toutes les réponses à l'oni, au risque de laisser de côté la piste de Hikaru. Seulement voilà, égoïste ou non, Kyoshiro n'était pas homme à oublier sa mission et, surtout, il était un homme n'ayant pas une once d'empathie en lui.

Le monstre voulait faire pression en rappelant l'otage tenu dans sa main ? Eh bien qu'il le fasse, une mort de plus n'empêcherait nullement l'aveugle de dormir. C'était le plus initial, en tout cas, jusqu'à ce qu'une guerrière de Toge ne vienne tout foutre en l'air en dévoilant tout ce qu'elle savait sur la cible de l'oni, sans négociation, sans donnant-donnant. Étaient-ils tous aussi stupides, à Toge, ou le principe de coopération n'était-il qu'un concept obscur ? Le Tadake sentait déjà la rage monter en lui, jusqu'à ce que l'oni n'avance ses pions, dévoilant une hache massive au groupe devant lui.

L'odeur de cette hache était étrange. Sa présence, son énergie était dérangeante pour Kyoshiro, mais ce dernier n'était pas au bout de surprise. Maintenant que l'oni avait tout appris, les guerriers en face de lui n'avaient plus rien à lui apprendre, plus aucun levier de négociation alors, oui, l'oni décida de se débarrasser du poids qu'il tenait dans sa main. Le coup fut aussi rapide que brutal, dénotant une évidente force alors que l'aveugle, oui, resta de marbre alors qu'il attrapait le corps qui lui fut violemment jeté. D'autres auraient été choqués, repoussant ce corps avec horreur mais l'enfant de l'hiver resta là, tenant ce corps comme s'il s'agissait d'un sac de patates, alors que l'oni lui parlait de la conséquence de ses paroles.





Nonchalamment, le jeune homme jeta sur sa droite le corps sans vie de la femme. La main gauche toujours posée autour de son arme, il tourna son corps tout entier vers le monstre qui lui faisait face, bien conscient qu'il pourrait aussi lui écraser la tête sans mal. Certes Kyoshiro était un guerrier, un protecteur, un bouclier mais, avant tout, il était un homme profondément égoïste qui sacrifierait père et mère si cela lui permettrait d'accéder à la grandeur...sans pour autant nuire à son image. Certes il était responsable de la mort de cette femme, aucun doute là-dessus, mais Toge était autant à blâmer que lui car, s'ils avaient un peu attendu, ils auraient pu négocier des informations sur Hikaru, plutôt que de lui livrer tout sur un plateau d'argent. Ainsi, sur un ton détaché, neutre, il demanda alors au monstre face à lui :





Essayer de le prendre par les sentiments était clairement la pire des méthodes avec lui. Cette femme n'était rien de plus qu'un dégât collatéral, une perte acceptable, mais ce que l'aveugle entendit ensuite le déplut bien plus que le carnage qui venait d'avoir lieu. La voilà la menace, la vraie. La promesse d'une mort brutale si le jeune homme avait le malheur de dégainer son épée et, l'espace d'un instant, son corps tout entier lui hurla de passer à l'action. Il voulait du sang, il voulait se battre, il voulait voir combien de membres de l'oni il pourrait trancher avant de se faire faucher par cette massive hache...cette horrible lutte interne dura une éternité, jusqu'à ce qu'il se rappelle pourquoi il était là.
Se battre tout seul était simple. Risquer sa propre vie était aisé mais, ici, il n'était pas seul. Comment serait-il accepté, au retour à Seizan, si toute son équipe se faisait massacrer à cause de son entêtement ? Réussir était une chose, mais se faire accepter était aussi important. Qui voudrait encore se battre avec lui, s'il était connu comme celui qui apportait le malheur sur ses compagnons ? Il devait voir plus large, plus loin et ce fut pour cette raison que, au lieu de tenir tête au monstre, il pivota sur le côté, éloignant la main gauche du manche de son arme, avant de montrer le chemin au monstre, sans un mot.

Il n'avait pas envie de dire qu'il faisait cela pour ses compagnons, car il aurait l'air d'un faible. Il ne voulait pas admettre que cette soumission forcée était en train d'ébrécher son ego. Alors, au lieu de cela, il se tourna vers ses compagnons et, d'un ton sombre, cracha un dernier :






Ils n'apprendraient plus rien ici, grâce à la...générosité de Toge. Il était temps de rentrer, et d'affronter le jugement du géant des montagnes.

Comme prévu, sans aucune carte à jouer, la négociation était vouée à l'échec. Le Kaice ne put retenir un soupir bruyant à la remarque d'Ume... L'incompétence de sa collègue n'était donc pas une erreur individuelle, mais bien une tare de leur village. M'enfin le moment n'était pas aux querelles. La bête se mit en mouvement. Révélation soudaine, un Oni dans toute sa splendeur. Bien qu'il connût les légendes au sujet de ces monstres, Maho n'en avait jamais rencontré. La peur s'instilla malgré lui dans ses muscles, mais à ses côtés une montée d'adrénaline, l'excitation du présent.

L'engouement fut néanmoins de courte durée. Craquement des os, la vie s'éteignit en un instant, et malgré ses propos le visage du moine se crispa d'horreur. Son émoi ne fut visible qu'un instant, mais un poids se logea dans ses entrailles. Combattre le feu par le feu, pour protéger l'œuvre d'Izanagi, il fallait embrasser la mort et l'horreur.
Le chef prit les devants, et le Souhei rentra dans les rangs. Même sans la sensibilité de l'aveugle, il sentait bien que ce combat était perdu d'avance. Pourquoi donc mourrait il d'envie d'essayer ? Il ne suffisait que d'un signe, un mouvement de Kyoshiro, pour que son ami s'élança. Hélas, hormis dédain et froideur, aucune lame ne fut tirée. Ayant compris la résignation, l'éphèbe attrapa le cadavre lancé. Une femme sans vie, le corps entre les mains, aucun espoir ne fut permis. Il enroula donc la dépouille dans son manteau, conscient qu'il faudrait au moins la rendre au Edéniste.
Un hochement de tête, il n'avait rien besoin d'ajouter, il ne devait rien ajouter. Il le sentait bien, l'égo bafoué du fier épéiste. L'échec en soit n'était pas un problème pour son viel ami, mais en ce moment ils payaient tous le prix de la stupidité. Bref, chacun ses méthodes apparement.



Ce vous s'adressait bien entendu au Seizajin. La Kobayashi n'eut droit qu'à un regard glacial, la neutralité pour masquer le mépris. Il se doutait bien qu'elle comptait l'accompagner, il s'agissait après tout de son culte. Toutefois Maho voulait être présent pour contrôler la narration. Cette première collaboration se solvait par un échec, et il s'agissait maintenant de décider qui de Toge ou Seizan en paierait le prix.
Sans aucun mot pour sa compagne forcée, le Kaice se dirigea vers le village, la victime toujours emmaillotée dans son manteau. Il aurait voulu marcher en silence, se laisser aller au travers de l'égo, mais ce n'était pas son genre. Après quelques minutes, la colère s'étant atténuée, il tenta un rapprochement.



Il continua à avancer, ne sachant pas vraiment quoi dire, quoi faire. Son ton restait malgré lui trop accusateur, oui, il restait de l'avis que l'autre s'était foirée, mais cela ne rendait pas l'échec plus aisé.



Des mots qui ne signifiaient rien pour un cadavre, des phrases balancées au vent. Difficile de se retrouver seul avec ses pensées, lorsqu'on revenait bredouille.