Adossé à un mur d'une caserne, j'attendais que l'homme à qui j'avais donné rendez-vous se pointe : je lui avais demandé de me rejoindre, informé qu'il était en ville par la secrétaire méprisante qui s'était amusé furieusement à me faire languir pour sortir les listes des entrées et des sorties du village. J'avais dû bien sécher pendant une heure, le temps qu'elle trouve le dossier et qu'elle lise péniblement les noms et les adresses pour retrouver qui je cherchais. Tadakatsu Ganryu, chuunin quand je l'avais connu et un beau diable en combat, à y repenser mon torse recommençait à me faire mal, mais c'était sûrement mon imagination.
Le Quartier Militaire de Seizan était le plus grand quartier du village, plutôt normal vu la spécialité de celui-ci. Situé juste à côté du quartier marchand, les soldats avaient pour habitude de se fournir en armement auprès de leurs amis forgerons, quand ils n'étaient pas eux-mêmes des artisans du fer. Les deux quartiers cohabitaient depuis des décennies et possédaient le même côté rustique avec leurs habitations troglodytes. En gros, les civils et les soldats habitaient à côté, ce qui apportait une aura paisible à l'ensemble... L'économie et la guerre faisaient assez peu bon ménage, sauf quand c'étaient des individus en garnisons qui consommaient, évidemment ! Tout ceci se plantait au sommet du Mont venteux, mais les plus motivés partaient s'entraîner sur la plateforme d'entraînement, au sommet du Pic des bourrasques... Ce n'était pas le sujet du jour.

Notre dernière rencontre remontait à une année entière. Depuis, certaines choses avaient changé, surtout du côté de Ganryu : Il avait eu ce qu'il voulait, il était devenu juunin. On s'était quitté sur une note triste, mais pas non plus négative. Évoquer mon père n'avait jamais été problématique, cela me rappelait juste que j'avais du mal à me rappeler son visage : Aujourd'hui plus qu'hier. "On ne peut rien y changer, alors tant pis." J'avais appris de ce combat, malgré tout, et surtout je m'étais amélioré... Sans doute lui aussi. Un nouveau duel aurait une finalité tout autre, en tout cas, c'était ce que je me disais.

Ma missive n'était pas au sujet d'un défi, cependant, j'avais besoin de lui pour une mission... en tout cas, de ces capacités et son statut. La piste du Guichetier était toujours d'actualité et mes affaires personnelles avec les édénistes s'aggloméraient vers l'ouest, où la capitale Toge ressemblaient à des fenêtres ouvertes pour les mystères ! La seule difficulté, c'était d'arriver à faire valider la mission anti-contrebande.
Si un chuunin avait beaucoup de droits par rapport à un genin, celui de proposer des missions et de diriger un groupe d'intervention n'en était pas un... Il fallait un ninja supérieur, et j'en connaissais un. Kazumasa n'avait pas le bon grade, même si sa réputation pouvait surement m'ouvrir des portes. J'avais besoin de Ganryu, j'avais besoin d'un chef d'équipe et donc de l'entourage qui allait avec. De plus, je savais qu'il était fiable, le bougre !

Akari et moi, on ne suffisait pas... Il fallait plus de monde sur le coup, et plus l'effectif était grand, plus j'allais pouvoir négocier quelques discrétions pour interroger des membres du culte des fleurs. "Le bois d'eden, c'est sûrement lié..." Enfin, selon l'héritier des Tenma, moi j'avais proposé une piste un peu plus... Folklorique, mais ce serait pour plus tard.

Bien plus tard.

Et puis, je me demandais comment il allait. J'aimais bien le grand gaillard, il avait une certaine aura de force et de charisme, le peu de temps que j'avais passé avec lui m'avait convaincue de tout ça, même si sa façon de m'adresser ses sagesses n'étaient pas des plus diplomates. Je lui avais adressé quelques mots de sympathie, avant d'aborder le fin mot de ma requête : Autant jouer carte sur table, ce n'étaient pas des plus respectueux de jouer sur les mots ou de le prendre pour un con. Ma demande avait un intérêt pur et dur, ce qui signalait le lieu aussi : Le quartier militaire était le meilleur endroit pour parler d'une future opération, là j'avais choisi un bar par défaut pour mon enquête mystique avec Kazumasa.

J'étais motivé, les dernières missions ressemblaient à des contre-temps : je voulais m'occuper de ma tache finale !

Une violence naturelle, une aura puissante autour de lui soutenue par un accoutrement sobre, mais efficace et bien sûr son immense épée ? Oui, c'était Ganryu et tout le monde dans la pièce semblait le voir comme un pilier de la maison, sans doute par sa taille. Quelques murmures sans équivoque et malgré ma place, je savais bien qui était entré dans le troquet. Sur son passage, quelques badauds se tirèrent du chemin, par peur d'être ainsi tamponné par l'homme. Un air sérieux sur le visage, je laissais le temps filer alors qu'il s'avançait pour me saluer.
Une main sur l'épaule qui activa derechef un grand sourire : Le garçon était amical comme tout et si sa poigne ne pouvait pas m'étouffer d'un rien, j'aurais pu le voir comme un bon copain ! La dernière fois, on avait échangé plus de coups que de paroles, mais je me souvenais parfaitement de ce coup de pied agressif qui m'avait enfoncé quasiment la cage thoracique.

- Héhé ! Et oui, le temps file... Des missions, du repos et encore des missions ! Je ne l'avais pas contacté pendant un an car les activités ne manquaient pas dans la vie d'un soldat et que lui-même était en vadrouille un peu partout dans l'Onogoro. La vie de juunin incluait pas mal de voyages et de séjours à l'étranger, sur la trace de je-ne-sais-quoi à sa discrétion propre. "Parfaitement ce dont j'ai besoin."

En le voyant s'attabler devant moi, je remarquais une nouveauté sur visage buriné du guerrier : Une cicatrice tenace qui lui prenait la paupière, celle-ci inexorablement fermée comme une porte close... Pas de doute, derrière c'était bel et bien mort, ou vide. En tout cas, mon comparse était ainsi devenu borgne, comme Honoka... Comme ce Tenma que j'avais affronté il y a quelques mois.

- Je vois que tu as eu fort à faire. Qu'importe s'il comprenait ou non la référence, mais je n'allais pas lui faire remarquer directement cet handicap... je n'étais pas impoli et si j'avais perdu un œil, je n'aurais pas franchement aimé qu'on me le signale comme si j'avais un épinard entre les dents ou une mèche mal coiffée. Très vite, il me demanda comment j'allais et je ne pus que lui servir des nouvelles banales : Oh, la vie file. Toujours chuunin, contrairement à toi j'ai appris ! Veinard ! Je ne le pensais pas, je ne voulais pas être un juunin... J'étais très bien dans ma situation intermédiaire. Je reviens d'une mission à Kuma No Kuni et j'enchaîne les travaux subalternes dans le village, comme s'il fallait m'occuper pour ne pas que je m'ennuie... Faire la visite du village à un nobliau, ce n'était pas très cool, même si la compagnie d'un genin en gueule de bois avait apporté un peu de tension bienvenue au tout ! Dans quelques jours, je pars pour une escorte... Un haut fonctionnaire de Teito qui veut traverser jusqu'à Jujou, et donc il cherche à avoir un peu toutes les armées en activité. Je n'allais pas lui faire le registre de mes missions, mais à côté de ça je n'avais pas grand-chose à raconter... Et toi ?

Une commande plus tard, je pus observer mon précieux camarade boire au goulot de sa boisson. Les missions ne rendaient pas plus civil, mais qu'importe : Avec son grade et les aventures qu'il vivait, il avait bien le droit de se passer des commodités comme un verre. Ma bière à la main, je sirotais gentiment en l'écoutant me faire l'inventaire de sa derniére année, avant que la vraie question n'arrive sur la table : Pourquoi je l'avais contacté et comment il pouvait m'aider ?

- Justement, ma mission à la province des Ours m'a permis de détruire un réseau de contrebande tout à fait lambda, sauf que le chef de la meute était un mec doué du ninjutsu... peu commun, hein ? Faire une boule de feu et un mur, utiliser des fils de chakra pour balancer des objets. Il avait même une petite formation en taijutsu. Sans mon camarade de Sakyuu, j'aurais été brûlé ou percuté de plein fouet par des gravats. Mon bras chauffait encore à cette pensée, traverser ainsi un voile de flamme n'était pas la meilleure idée que j'avais eue. Une caravane partait vers l'ouest : Teito, Toge, ailleurs... Je ne sais pas, mais un type comme ça ne travaille pas seul. J'ai donc eu l'idée d'aller chercher, mais seul c'est une tâche difficile et je ne pense pas qu'un chuunin puisse monter une telle opération, en tout cas pas juste sur une intuition. J'ai ramené le monsieur au village, mais il garde bien ses informations le bougre. C'est là où tu rentres en piste, j'ai besoin d'un juunin compétent pour prendre la main sur cette enquête... On partirait vers l'ouest, pour chercher ainsi des indices et débusquer ces fils de pute. Nous deux, et d'autres si tu as des noms. Plus on est nombreux... Me mordant la langue, j'hésitais à proposer d'autres noms. Une fois Ganryu maitre des événements, je ne pouvais pas juste lui dicter quoi faire. Le respect, la politesse... Le ninja qui m'a accompagné, venant de Sakyuu, il était puissant et utile, sans doute qu'il aura également envie de terminer le travail commencer.

Finissant ainsi ma petite introduction, j'observais la réaction dans l'œil unique de mon interlocuteur. C'était un peu osé, mais le système militaire des villages apportait des droits et des limites aux soldats. Un genin ne devait que suivre, le chuunin avaient quelques pouvoirs, mais les vraies quadors de la stratégie et des préparations étaient les ninjas supérieurs, les juunin. Sans lui, je ne pouvais pas aller jouer en dehors de la région. Pour cela il fallait être mandaté par le kage, par l'Empereur, ou par des clients civils tel que le haut-fonctionnaire qui contactait les puissances pour protection ou service.
Un bref instant, j'hésitais sur le bien fondé de ma proposition et surtout sur sa capacité à accepter : Il avait peut-être autre chose à faire que de chasser des chimères...

"Et encore, il a pas entendu l'autre partie."

- Hmm ? Un frisson devant l'air nostalgique de l'homme, épicé de quelque chose de malsain... Les circonstances de la perte de l'œil de Ganryu m'étaient inconnus, mais je savais qu'il y avait du sang derrière tout ça. Un bon paquet.

Cette impression me rappela quelque chose : Je ne voulais pas être l'ennemi de ce type, non pas que je me pensais totalement inférieur, mais il y avait comme un air animal chez lui... SI j'avais une bonne volonté, je savais que lui était du genre chien sauvage à ne pas laisser partir sa cible sans lui avoir tranché un truc et, un instant, j'eus une certaine crainte face à mon compatriote. Cette violence, cette aura de haine froide... Je la sentais contre quelqu'un et mon cœur me disait de ne jamais être l'objet de ces pensées.
C'était sans doute de naissance... Ou créait par l'expérience et les traumatismes. Je n'avais rien vécu de vraiment épouvantable, à part la mort de mon père, j'étais un privilégié et cette faveur de la destinée m'avait permis de ne pas être un enragé ou un haineux comme pouvait l'être Ganryu à cet instant. Un manque honnête de vice déjà pointé par mon camarade lors de notre session d'entraînement. Très vite, je laissais passer la chose : Plus pour moi que pour lui, je ne voulais pas savoir ce qui était arrivé au type qui lui avait pris l'orbite.

L'ambiance changea tout autant quand je fis le résumé de l'année écoulée : Rien de particulier, sauf des missions à tire larigot... Il signala cependant que j'avais la confiance du village, ce qui me fit sourire quelque peu. J'avais l'impression d'être juste un outil et cela ne me plaisait pas : Pour quelqu'un qui voulait trouver la vérité sur son existence, le but de notre présence ici, je passais trop de temps à faire le boulot des autres... Le sable s'égrainait lentement. Tout l'inverse de la bouteille de saké qui passait dans le gosier de Ganryu comme si c'était du petit lait. Cette vision m'amusa et je pus avancer sur mon histoire sans trop me faire couper et une fois fini, je pus constater un certain détachement : Il ne s'intéressait pas à tout ça, il ne voulait pas bosser avec une équipe... C'était un solitaire et il l'affirmait avec une certaine fierté. De mon côté, la moue pensive que j'affichais ne faisait que s'accroitre, mais tout changea quand il céda enfin. Autant pour moi que pour la promesse d'argent... Je ne savais pas ce qui le motivait le plus et je m'en fichais bien.

- Je t'en devrais une, ouais ! Ce groupe pourrait déséquilibrer l'économie de l'empire et faire du mal aux habitants concernés par le commerce dérivé... C'est eux qui t'en devront une ! Je ne savais pas pourquoi je prenais autant à cœur la destruction de ce réseau, mais c'était une opportunité en or pour aller voir des édenistes et faire mes recherches !

Il concéda bien vite que j'allais avoir besoin d'un capitaine... Si dans l'armée, les grades étaient bien précis et séparés, les choses se compliquaient quand on changeait de région : Un juunin d'ici avait autorité sur les chuunin et genin d'ailleurs, mais entre deux ninjas du même grade, c'était le natif qui avait la supériorité. Avoir Ganryu avec moi me permettait de passer plusieurs portes, là où j'aurais dû me placer sous l'autorité d'un type de Toge pour faire mes trucs... J'avais donc bien plus de latitude et c'était tant mieux ! Avec cela, on pouvait prendre Akari (et donc Kagami) avec nous. Le genin était tout à notre service, même si sur le terrain je le considérais comme un égal vu l'utilité et la force dont il avait fait preuve.

- Bien reçu, Akari est loin d'être un fardeau ! Il peut invoquer un tigre et son ninjutsu est puissant, j'ai pu voir deux éléments à son actif... Ce n'est pas rien, je ne sais pas du tout en faire autant ! Ce n'était pas un handicap, ou un aveu de faiblesse, le garçon avait juste orienté ses compétences vers le chakra alors que je m'étais appliqué à entraîner mon bras et ma lame. Dans une vie, on ne pouvait pas tout maitriser.

Mes parents ne m'avaient jamais guidé vers le chakra, sans doute par un conservatisme un peu trop rigoureux... Mes parents n'utilisaient pas le ninjutsu et donc je n'avais jamais eu l'exemple pour m'amener vers cette facette du combat. Je savais me battre avec un katana, et juste avec lui, mais je savais très bien le faire ! Assez vite, un autre détail fut élevé par le colosse : Les frontières ne se franchissaient pas comme ça et les opérations devaient être validé par le village de la région où ça se passait. Une main sur le menton, je réfléchissais avant de donner une réponse. Le type en face de moi était quand même mon supérieur hiérarchique, qui allait me guider dans une mission, je devais avoir l'air sérieux et responsable :

- Pour l'instant, on pourrait uniquement se concentrer sur la zone autour de Teito ? La caravane que j'avais intercepté traversait Kuma No Kuni et Oashishu No Kuni... Sans doute qu'elle s'orientait vers le plein ouest. J'imagine mal un réseau de contrebande se réfugier près d'un village puissant. On pourrait d'abord voir dans la province des vents chauds et la province des hauteurs ce qu'on trouve... Avant de se diriger plus vers le sud, à la capitale et, à l'extrême limite, Toge. Il y avait du chemin à parcourir et même si le culte que je voulais interroger se trouvait majoritairement à Toge, sans doute que des individus, ou des poches, étaient trouvables à la capitale ou ailleurs dans l'ouest... Il fallait voir. On peut évidemment envoyer un message pour avoir du renfort, cela concerne tous les villages en définitive... L'idée m'embêtait un peu, mais à bien y réfléchir je pouvais faire avec.

Pourquoi je prenais tant à cœur la chose ? Me renfrognant, je laissais courir ma main droite sur la table, en quête de rien du tout. Je flairais le danger : Le Guichetier avait fait preuve de capacité assez développée et le reste de ses potes ne pouvaient être que du même acabit, voir pire. Il fallait s'en occuper car, au-delà du business parallèle qu'ils entreprenaient, ils étaient dangereux s'ils se mettaient dans d'autres domaines que le commerce.

- Il faut aussi que je te parle de quelque chose... Je veux profiter de cette opération pour interroger des membres du culte des edénistes. Rien d'officieux, ni d'illégal... Je veux juste m'informer sur quelque chose. Cela ne rentrera pas en contradiction avec la mission. Je ne savais pas bien quoi avouer, ou quoi garder pour moi, mais parler de cela ne pouvait que me faciliter les choses une fois arrivée dans les environs de Teito.

Quelle histoire !