"C'est... Haut."

Le regard levé sur la cime des montagnes qui m'encerclaient comme des racketteurs, je resserrais les pans de mon manteau autour de mon épaule, autant par froid que par vertige devant les hauteurs divines. Observant les pistes qui serpentaient sur les flans, je cherchais des marcheurs ou des caravanes : C'était un peu le lieu de ma mission ici.

En partant de Seizan, j'avais concentré quelques ressources pour survivre dans les montagnes, en quête d'une chose bien précise : La présence d'un réseau de contrebande à la frontière du Pays des Ours. La région, connue pour son exploitation maritime, coquillage ou algues, ainsi que d'autres choses que je n'avais plus en tête, voyait ses ressources fuiter vers une autre région, bien proche, chez du village des sables. C'était un problème économique, donc un problème politique... Et c'était aux villages de s'occuper de ça, pour ne pas laisser l'économie stable de l'empire se faire court-circuiter par des individus qui n'aimaient pas jouer le jeu de la douane et des taxes.
Resserrant le bandeau autour de mon front, je m'engageais sur le sentier qui montait sur l'adret de la montagne la plus proche, il fallait bien commencer quelque part... Le soleil tapait durement sur mon dos, mais j'étais content de me retrouver dans cette galère en hiver et pas en plein cœur de l'été. Seulement, j'étais un peu agacé... Mes recherches sur le fameux bois cité par ma mère ne menait clairement vers les monts Orochi. Les archives de Seizan devaient être épluchés et je n'avais pas le temps de m'occuper de quelques idiots. Soufflant amèrement, autant par l'effort que par la contrariété, je laissais vaguer mon regard sur les hauteurs qui m'accueillaient à bras ouvert, si je me donnais la peine de forcer le pas.

Cette montagne, c'était la plus haute du coin... c'était bien ma veine.

Encadrant ma marche, les éboulis faisaient peine à voir : Si certains disaient qu'il s'agissait d'un banal glissement de terrain qui aurait fait tomber le "pic", d'autres prétendaient que se serait ici qu'aurait eu lieu le combat entre Susanoo et Orochi. Ce serait l'épée du dieu guerrier qui aurait alors tranché le haut de la montagne, n'y laissant plus que le plateau que l'on connaissait aujourd'hui et que je visais en fin de matinée. La végétation avait pris ses droits depuis ce duel divin... Ou bien c'était l'érosion et les déplacements des marcheurs qui avaient fait leur part dans ce phénomène qu'on pouvait facilement qualifier de millénaire. Je n'en savais rien.
Mes parents avaient toujours cru dans l'émanation des dieux, et j'avais donc été éduqué dans une ferveur poli, sans jamais être réellement forcé de prier... j'avais donc intériorisé par mal de mythe, pas mal de croyance, et le plus souvent je mettais de côté cette religion quotidienne pour m'occuper de mes affaires. Qu'est-ce qu'un dieu qui laisse un fils perdre son père ? Que penser de cette maladie qui avait brisé un noyau familial ? Une punition divine ? Une moue colérique naquit à cette pensée et comme d'habitude je changeais de sujet pour ne pas m'épuiser dans une marche agressive, guidée plus par mes émotions que par un vrai empressement.

J'avais rendez-vous, oui, mais j'étais large : Un représentant de Sakyuu not sato devait me rejoindre pour légiférer sur l'opération, c'était une collaboration donc entre deux villages... Même si tout seul, j'allais être bien suffisant pour m'occuper de quelques brigands se croyant bien malin. À midi, donc, je devais me trouver sur le plateau et la chaleur vint me rappeler vaguement l'horaire, qu'importe, plus mes pensées divaguaient, plus j'avançai pour bientôt atteindre la plaine montagneuse qui sonnait comme une libération après l'ascension.

- Bon, je fais quoi maintenant ? Rejoindre le collègue, puis chercher des sentiers pratiqués par beaucoup de gens pour enquêter, puis filtrer de plus en plus... Peut-être qu'il y avait des grottes où les connards se planquaient ?

La première étape était donc d'attendre et je m'assis dans l'herbe pour interagir avec le soleil autrement que par la douleur de l'effort.

"C'est presque agréable."

"Etrange"

Sur la plaine, où je jouais paresseusement avec un brin d'herbe, surgit sous le soleil cuisant une ombre au tableau... Et quelle ombre ! Un félin énorme, accompagné d'un humanoïde de taille normale. Cette vision me fit me relever rapidement, sans manquer de m'arracher un petit râle de frustration d'être ainsi coupé dans mon confort végétal. Avec un peu de hauteur, tout m'apparu plus clair : Le félin était un tigre, mais quelque chose était étrange dans son apparence. Il était noir et blanc, mais des reflets bleutés secouaient son pelage de manière... Exotique.
Fronçant les sourcils, mes yeux glissèrent sur le cavalier de cet étrange animal pour découvrir une tout aussi spéciale vision. Un jeune garçon, au milieu de l'adolescence, dont les cheveux étaient aussi blancs que les miens. Le haut de mon visage se détendit donc assez vite : c'était surement l'autre ninja qui devait me rejoindre. Je voyais mal un contrebandier se balader avec un signe aussi ostentatoire, ni être aussi jeune...

Évidemment, les apparences pouvaient être trompeuses.  

C'était donc un allié, aussi incroyable soit son entrée en scène dans ce cadre si vert et vide. La tranquillité de ce début d'après-midi allait être troublée, mais c'était mieux ainsi. Je le laissais ainsi venir et il me salua un peu fraichement, mais qu'importe : On ne se connaissait pas et avec ma dégaine je pouvais ne pas être son collègue du jour. Souriant légèrement, je démontrais un peu crânement le bandeau que j'avais noué à mon bras.

- Bonjour ! Oui, je suis Kunao, de la famille Fumiri. Et t... Vous ? Je relevais à peine son vouvoiement qui était soit une marque de politesse, vu qu'on ne se connaissait pas, ou bien, car j'étais son ainé en âge. Je ne connaissais pas son grade, mais vu la bête qui se baladait avec lui, il pouvait très bien être un chuunin comme moi. J'avais eu mes galons à quinze ans, je ne pouvais m'étonner de rien. Mes yeux repartirent sur le compagnon animal du garçon, qui me jaugeait d'un air sévère sans grommeler le moindre son, ni même miauler... Je ne savais pas que les ninjas de Sakyuu avaient des alliés félins, il sera très utile pour notre mission du jour. Tu... Vous avez eu un briefing sur notre cible ? Très vite, je notais les yeux bien trop clair de mon camarade. C'était hypnotisant. Toussant un peu pour évacuer le léger malaise que j'avais eu en pénétrant dans le bain glacé de ce bleu-là, j'essayais de reprendre le fil de mon discours. Bon, la montagne est un vrai nid de grottes et de passages dérobés, alors si on multiplie ça à tous les massifs du coin, c'est une mission d'enquête complexe, mais pas impossible... Il faut une piste assez dégagée pour pouvoir passer avec une charrette, mais isolée des axes principaux pour ne pas se faire repérer. Si Sakyuu a mis sur le coup un ninja, c'est qu'ils passent la frontière bien assez...

Un plan se mettait en branle : Surveiller les axes, fouiller tous les trous pour dénicher la vermine ou bien vérifier la frontière pour prendre sur le fait les contrebandiers. Tout se valait, mais le plus rapide était souvent le mieux.

- Je vous propose de surveiller les passages à la frontière, du côté de Kuma no Kuni, histoire de ne pas chercher l'aiguille dans une botte de foin. Une cargaison de coquillages et autres marchandises issus de l'exploitation maritime qui ne porte pas l'écusson des guildes commerciales, cela ne doit pas courir les chemins... Peut-être camouflée sous des sacs civils ? En tout cas, ils ne le crient pas sur les toits, ce sera à nous de venir à eux. Cette fois, le chat devenait un problème, car il criait la présence d'un maitre ninja qu'il secondait dans sa tâche, cependant son flair pouvait servir et mettre la pression aux plus stressés des voleurs de bénéfices. Je n'ai pas reçu beaucoup d'informations, juste la présence de ce groupe nocif et qu'il passe par la terre. La mer est bouclée et un navire non numéroté par les armateurs, c'est très visible.  S'ils passent la frontière convenablement, c'est qu'ils sont malins et organisés, mais pas dangereux. Un homme en arme, c'est suspect... On peut s'attendre à une absence de résistance si on les choppe, mais dans le cas contraire...   Qu'est-ce qu'on faisait si on choppait un convoi ? Tous les tuer, ou les attraper pour récolter les informations ? Mine de rien, la seconde option me semblait la plus sympathique. Soupirant devant l'alternative du combat, je ne pus que clore la chose. Essayons de faire en sorte que la mission se passe le plus parfaitement du monde, la contrebande c'est une épine dans le pied.

Économiquement, oui, mais aussi diplomatiquement... c'était Seizan qui n'avait pas réussi à assurer ses flux, mais c'était Sakyuu qui devait intervenir en parallèle pour arranger les choses.

"Akari et Kagami." D'un sourire, je notais les noms dans mon esprit. Au retour à Seizan, j'allais bien devoir faire un rapport au bureau du Kage... Autant montrer que la collaboration s'était bien passé et que j'avais retenu le nom de mes collègues du moment.  

Pour le coup, l'information sur le gros chat qui ne mordait que les méchants me fit sourire et je laissais s'évanouir ma crainte au sujet de ce félin étrange qui accompagnait ce ninja du désert. Autre endroit, autres mœurs et ma distance avec les arts ninjas me coupait de pas mal de choses, tel que la domestication de ce type de créature. L'animal avait l'air puissant, mais correctement discipliné par le garçon qui n'était pourtant que très jeune. "Admirable."
Pour autant, mon partenaire n'en savait pas plus : Son arrivée avait été brusqué par une intervention extérieure et c'était avec un sourcil levé que j'accueillis la mention d'un ver géant :

- Une bien étrange créature que vous avez là... Un ver géant ? Votre désert est donc si dangereux, je n'avais jamais imaginé entendre ce genre de chose. Ils sont nombreux ? Dans ma vie, j'avais pas mal voyagé pour faire des livraisons ou protéger des partenaires commerciaux, quand j'étais genin, mais une destination n'avait jamais fait l'objet d'une mission : Le village du sable, pourtant si proche.

Sans doute que la traversée du coin était trop dangereuse pour mon niveau, il y a quelques années, et qu'aujourd'hui c'était juste la faute à pas de chance. Enfin... La question n'était pas là et très vite la conversation revint sur la mission et notre procédure pour arriver à sa finalité. Akari notifia donc son objectif, en accord avec le mien : Capturer vivant les contrebandiers, pour les livrer... Un truc en souplesse qui me rassura assez.

- Oui, démanteler le réseau... Si on arrive à attraper une des cargaisons, ça mettre assez la tension au reste des commerçants illégaux, mais ils trouveront une autre voie pour faire passer. Les informations avant, la justice après. Enfin, les deux peuvent aller de pair ! Justement, en parlant de ça, pour gagner du temps, le garçon proposa de mettre à contribution les talents de son animal en l'envoyant chercher, sous couvert de sa taille normale, pour repérer une possible cible. Je n'ai pas souvenir d'avoir déjà croisé des tigres dans le coin, les montagnes ne sont pas vraiment le meilleur habitat... Mais peut-être dans les vallées ? Chez nous, on reste plutôt dans les sommets... Une question d'habitude, sans doute, de survie aussi ! On se sent mieux quand on peut voir tout autour de nous ! Une boutade amusante, qui me fit ricaner gentiment. Mes excursions plus bas n'étaient que pour grimper une autre montagne.

La domination de Seizan dans son territoire se faisait par la supériorité géographique et les vallées n'étaient que peu conditionnées par l'aménagement du village. Qu'importe, quand pour attaquer les murailles de la structure, il fallait se fatiguer dans une marche de grande ampleur.
Pressant le pas, le ninja des sables envoya son tigre vers son objectif alors que l'on s'engageait vers une descente pour trouver l'un des axes de passage : Si mon village était un centre de la région, il y avait des villages civils tout autour qui jouaient leur rôle pour l'accueil, l'exploitation et la vente. Des gens qui faisaient leur petite vie, sans demander grand-chose, et en attaquant l'ubac du Mont Orochi on pouvait déjà apercevoir une procession morcelée. Des commerçants, des civils qui voyageaient voir de la famille ou pour s'installer ailleurs, des agriculteurs qui revenaient à leurs champs pour continuer leur labeur après un bon repas... Dans cette farandole, c'était la vie qui s'orchestrait devant nous. Une autre vie que celle de soldat. Plus paisible, plus fragile aussi...

Notre rôle, c'était de les protéger.

Pour le coup, je ne me sentais pas protecteur, mais bien plutôt gardien de la stabilité économique... Est-ce que cette contrebande changeait quelque chose à leur existence ? Sans doute pas à court terme, mais plus ce réseau existait, plus on pouvait craindre que les prix montent pour amortir cette perte d'argent pour les gros exploitants. Qu'importe si c'était véritable ou non, c'était notre mission.

- Il va falloir vérifier chaque chariot, même si on peut imaginer que les vieillards burinés par le soleil et l'effort ne sont pas notre cible première pour le passage illégal des richesses... Peut-on imaginer qu'ils cachent des choses dans le paquetage d'innocent ? Ce serait vicieux, mais probable... Il faudrait alors récupérer le tout avant la réception. Une moue pensive, tout en avançant. Le dénivelé masqua très vite la vue, pour déboucher ensuite sur un défilé qui rejoignait la voie passante. Il faut viser les voyageurs, même s'ils ne passent la frontière que pour traverser le pays des oasis et se tourner vers le plein Ouest. Un travail de longue haleine, pour sûr. Mes yeux dérapèrent au-dessus de la voie tracée pour chercher d'autres postes, perchés, qui pouvaient abriter des sentiers secondaires. Kagami pour les fuyards, nous pour le grand bazar. Une rime pauvre, puisque je n'étais pas un artiste convaincu, mais la remarque m'amusa et ma marche n'en fut que plus agréable. Je me risquais alors à chercher à mieux connaitre mon prochain : Alors... Que pensez-vous de mon pays ? J'imagine que cela change pas mal avec le vôtre... Comment est la vie dans la Province du sable chaud ?

Avec la nouvelle de la présence de vers géants, cela ne sonnait pas très accueillant... De mon côté, je ne pouvais pas attester que les montagnes étaient dénués de danger, chaque contrefort pouvait abriter un monstre et la présence d'un village placé stratégiquement sur les hauteurs n'était pas étranger à cette menace. Je n'avais jamais combattu de Yokai majeur, mais quelques gobelins avaient bien dû passer sous ma lame.

Avec la discussion, la vallée devenait une nouvelle hauteur et la piste commerciale s'approchait de plus en plus et avec elle le bruit des roues et des discussions qui écharpaient celui de la nature paisible. La civilisation avait cet effet-là sur son habitat et je devais bien souvent m'éloigner des murailles de mon foyer pour pouvoir apprécier le chant des oiseaux et les quelques bruissements des végétaux en interactions avec les animaux.

Patiemment, j'écoutais les simili évidences que dispensaient  Akari... Apparemment, je devais le savoir et cette affirmation me donna un peu honte de moi. J'avais raté un truc dans mon éducation ? Un chuunin qui ne savait pas ce genre de chose, c'était problématique. "Je crains". Cependant, il fallait avouer que cette capacité fantasmagorique de contrôler le sable était bien fâcheuse dans un désert...

- Ainsi, c'est donc un adversaire terrible dans votre habitat... N'ont-ils jamais attaqué les localités civiles ou même le village ? Je peine à concevoir comment on peut affronter un tel mastodonte, surtout si elles contrôlent cet élément-ci. Du coin de l'œil, je regardais le fourreau de mon katana, c'était bien peu face à la peau sans doute très épaisse de ces créatures. "Je suis bien faible... Et ignorant." Les autres dangers sont du même acabit ? Dans nos montagnes, on trouve des griffures étranges sur les roches. Elles sont trop grandes pour être celles d'un ours, même d'une taille supérieure à la moyenne... Amèrement, je concevais que, nous aussi, nous avions des saloperies dans le coin. J'imagine que chaque région à son petit monstre local.

Suite à cela, le garçon m'expliqua qu'il ignorait la provenance de son tigre de compagnie, une nouvelle qui me fit froncer les sourcils : Il était vrai qu'un tigre dans une région connue pour son désert n'était pas des plus logiques, mais ce mystère autour de l'origine de Kagami créa une certaine curiosité chez moi et je définis bien vite qu'il n'était pas vexant de demander quelques informations, au moins pour créer de la conversation :

- Ainsi, vous voyagez avec Kagami ? Comment vous êtes vous retrouvé avec un tigre aussi beau et sans doute puissant ? un compliment qui n'était pas de la flagornerie, je peinais à m'imaginer sortir sans encombre d'une confrontation avec une telle concentration de pelage et de muscle. En adéquation, je posais une question sémantique : C'est plutôt un serviteur animal ? Ou un associé ? Les gens qui possédaient des animaux avaient parfois du mal à évaluer un lien de domination, ou de propriété, il fallait donc jouer serré pour ne pas accumuler les mauvais mots et les occasions de paraitre idiot.

Pour autant, le garçon parut assez peu chatouilleux et mon probable bon mot ne fut qu'assez peu apprécié. "Tant pis." Cette bonne humeur que j'essayais d'installer, ce n'était pas par soucis de confort, mais bien pour dissiper un peu le malaise de la rencontre, quitte à sembler un peu envahissant d'un point de vue acoustique. Peut-être que ce ninja de Sakyuu aimait marcher dans le silence. Cependant, je ne me laissais pas prendre et mes questions suivirent sur ses impressions... Sans être chauvin, j'appréciais le paysage de mon pays et je désirais avoir le point de vue de quelqu'un qui n'était pas né ici, juste pour pouvoir vanter les mérites de vivre en hauteur... Le grand air, toujours.
C'est à ce sujet que Akari se dérida, utilisant un vocabulaire plus familier et sympathique. Son "bah" me fit un baume au cœur et je fus ravi de l'entendre ainsi vouloir rester un peu plus longtemps pour profiter, seulement la mission relevait d'un temps éphémère.

- Il y aura d'autres opportunités, je serais ravi de vous faire découvrir plus de ma région ! Un grand sourire radieux, clairement j'étais patriote jusqu'au bout des ongles. La nature, les montagnes, ... C'était bien plus précieux que juste quelques murs, plus haut, au sud, au sommet d'une chaîne de montagne. Sakyuu demeure assez intéressant, je n'ai jamais séjourné là-bas... Vous avez dû le remarquer. Un petit ricanement pour apaiser ma propre idiotie. J'ai fait quelques voyages quand j'étais genin, mais jamais au nord même de Kuma no Kuni.

Sur ces mots, une charrette déboula devant nous. À sa tête, un bonhomme assez grand, habillé de vêtements couvrant une grande partie de son corps. Pour la saison, c'était logique, mais la tenue éveilla une certaine méfiance vu les conditions de notre mission. Un petit regard vers mon partenaire et j'accélérais le pas pour présenter ma main tendue devant moi, signalant clairement un "stop" au voyageur. Celui-ci me regarda, tout aussi méfiant, avant de se relaxer devant le bandeau de Seizan que je présentais en montrant clairement mon bras. C'était un signe que je me faisais du mouron pour rien, sa réaction était plutôt celle d'un civil en confiance, maintenant, devant un représentant de la loi. Pas un bandit qui se sentait piégé.
L'individu amena ses yeux sur le garçon, avant de revenir sur moi. Je lui expliquai ainsi que j'allais devoir vérifier son chargement, ce qu'il accepta sans s'empêcher de grogner devant le ralentissement de son trajet avec nos étapes intermédiaires, que c'était un peu autoritaire ces temps-ci et qu'il en allait en parler avec les autres du village...

Bref, il râlait et était prêt à se syndiquer contre l'armée qui lui faisait des misères, à ce pauvre bichon.

Sans un mot, je venais regarder l'arrière de son engin pour découvrir quelques coffres remplis de vêtements et des amphores contenant des liquides colorés. Au nez, c'était du vin. L'homme déboula sur mes talons en expliquant que c'était un cadeau pour son cousin qui habitait à Teito. Haussant les épaules en acceptant sa justification, je relevais un pan des tissus qui protégeaient le chargement des intempéries pour découvrir plus de coffres que je m'empressais d'ouvrir d'un air concentré, même si l'idée qu'il soit coupable était bien loin désormais. Finalement, je le laissais partir sans oublier de m'excuser pour le contre-temps, ce qu'il apprécia dans la limite de ses revendications stériles.

Pendant que je m'occupais du bonhomme, un autre charrette était passé, mais j'avais laissé le ninja de Sakyuu s'en occuper, puisque j'étais déjà sur un coup... La rapidité de vérification allait devoir augmenter, sinon on allait laisser passer notre cible ou bien créer un bouchon. Dans les deux cas, c'était une erreur puisqu'un blocage sur une route passante, c'était une puce à l'oreille de nos contrebandiers. Raclant ma gorge, accompagné du bruit des roues de notre râleur temporaire, je m'assis sur les bords du chemin pour attendre la prochaine vérification.

- Bon, on est parti pour un bon moment. Pour me faire mentir, des discussions arrivèrent une minute plus tard pour faire débouler un couple qui se chamaillait sur une broutille, la dot de la fille qui somnolait à l'arrière, sans doute assommé par le soleil cuisant en ce début d'après-midi. Halte ! Je vais devoir vérifier votre chargement ! Pas de pitié pour les familles et le signe de mon appartenance à l'armée fit bientôt un bel effet sur les quinquagénaires qui mirent pied à terre alors que la donzelle s'affolait, réveillée en sursaut par l'arrêt et l'activité de ses parents.

Sans tambour ni trompette, je jetais un œil sur les affaires : Des sacs en jutes dont l'odeur ne fit pas illusion, c'était de la nourriture, et toujours des vêtements... Pour trois, cette fois-ci, c'était logique et rien de particulier ne me fit craindre une entourloupe. Par curiosité, je demandais la nature de leur voyage et ils sourirent en annonçant le mariage de la dormeuse qui se révéla trop endormis pour démontrer une quelconque joie ou peine devant ces noces. Elle était jeune, pourtant, peut-être mon âge et la mère, saisissant mon regard, souffla un peu fort à son mari qu'un soldat était peut-être un meilleur parti qu'un négociant de Toge. Le murmure me parvint, peut-être à dessein, et cela me fit un peu rire avant que je me détourne de cette affaire.

On était encore dans l'expectative, mais au moins j'avais bien rigolé.

Portant ma main au ciel, je vérifiais les dires de Akari : De fines gouttes vinrent se réfugier dans ma paume, froides comme on pouvait s'attendre pour la saison. Ce n'était pas bon signe pour nous, qui étions sur une route passante un peu loin de toutes localités, mais surtout embêtant, car la mission s'annonçait plus compliquée avec cette externalité. Visiblement, le ninja des sables était d'accord avec ma pensée silencieuse, mais il n'avait pas vraiment de solution contre la météo. Moi non plus d'ailleurs, mais il fallait bien avancer, alors je proposais la chose suivante :

- L'orage qui va arriver après cette petite pluie va arrêter pas mal les voyageurs... Ceux qui n'ont rien à se reprocher s'arrêteront et il ne restera que les pressés comme notre ami le partageur de vin ou les contrebandiers. On va donc un peu diminuer les contrôles inutiles pour n'avoir que les spécimens les plus sympathiques à l'étude. De manière flegmatique, je vins me réfugier sous un arbre en continuant mes élucubrations. Faute d'une piste plus en hauteur, on va sas doute devoir rester sur les valeurs sûres comme cet endroit... En tout cas, tant que Kagami ne revient pas avec une mise à jour ! Vous avez un moyen de communiquer autre que verbale ? Cette question de contrat pouvait permettre d'autres options que la simple invocation, mais je n'y connaissais pas grand-chose au final...

Déjà, de ma position, je pus observer l'arrivée d'autres caravanes... L'orage n'était pas encore strictement sur nous et certains devaient réfléchir à pouvoir prendre de vitesse la météo. Soupirant, je dus repartir sous l'intempérie pour continuer les vérifications, mais ils se révélèrent être uniquement des passants comme les autres. Chou blanc, encore et toujours. Une moue contrariée, je pus vite sentir sur mes vêtements un rythme bien plus soutenu de goutte, devenant un véritable rideau devant mes yeux. On était sous l'orage et c'était très peu agréable, revenant sous le couvert végétal, je fus un peu pris de court par une masse d'eau qui s'était accumulé sur une feuille et qui avait lâché juste au-dessus de moi...

- Bon sang... Les cheveux devenus une bouillie blanche et mouillée, je ne pus m'empêcher de ricaner de honte devant le spectacle que je démontrais. Kagami ne va plus trouver de pistes olfactives avec cet épisode pluvieux intense, c'est fâcheux... Il a d'autres talents que ceux communs aux félins ? Cette idée de partenariat me plût assez, en y repensant. Je n'avais jamais vraiment eu de coéquipier unique, juste une équipe de genin dont j'avais fait partie puis une autre que j'avais dirigé... Un duo, c'était un doux rêve pour moi.

Rêvassant un peu, je fus pris de court par l'arrivée d'un groupe hétéroclite arrivant dans une marche vive à notre hauteur : Le chariot qu'ils tiraient au moyen d'une bourrique me paraissait bien lourd, mais le nombre de clients pouvait expliquer la chose. Dés vêtements, des vivres... Tout cela devenait bien lourd quand on dépassait un certain effectif.
Les capes qui couvraient une grande partie de leur corps étaient, elles aussi, explicable par la météo et je ne me méfiais que trop peur de ce spectacle... Nous n'avions croisé que des familles et des particuliers isolés, mais les groupes marchands pouvaient être bien plus ! Un sourire cajoleur sur le visage, un peu mouillé de circonstance, je me découvris sur la route ouverte pour tendre ma main et refaire le numéro du garde douanier en plein milieu de Kuma No Kuni. Comme si j'étais un ours mal léché, habituel dans la région, ils se figèrent comme s'ils avaient vu un fantôme.

Pour le coup, ça, ce n'était pas excusable par la météo, ni par la surprise... je n'avais pas pris la peine de me cacher sous mon arbre, ainsi ils m'avaient vu de loin, mais la pénombre et la probabilité assez faible que je sois un emmerdeur leur avait fait chasser, sans doute, l'idée que j'étais un ninja, un garde, ou quoi que ce soit qui pouvait leur barrer la route. "Raté les copains."

- Je dois prendre connaissance de la nature de votre voyage et du contenu de votre chargement. L'air un peu moins amusé, je mis la main sur mon fourreau en présentant très dignement mon épaule où s'affichait le symbole de Seizan no sato. C'est bien évidemment une obligation et se regarder dans le blanc des yeux sous la pluie, c'est une situation de chanbara. Avec une certaine nostalgie, je me souvenais de la première pièce de théâtre que j'avais vu du genre de cape et d'épée... Enfin, ce n'était pas la question.

Ils restèrent immobiles, guettant mon mouvement, avant qu'une voix résonne derrière eux : c'était le pilote de la cargaison qui se leva sur sa hauteur de bois pour m'ouvrir les bras.

- Bien sûr mon ami ! On ne peut pas refuser un ordre du village, nous allons vous montrer le tout. Une voix accueillante, mais qui tranchait un peu avec le temps de réaction anormalement long. Lentement, je m'avançais vers le groupe pour les contourner et atteindre l'arrière de la procession.

Sur les six lourdauds silencieux, je pus distinguer des visages émaciés tranchant comme des couteaux sous les capuches. Les regards me suivaient comme si j'étais un fauve opérant une manœuvre dangereuse et je fus bien ravi de jeter un regard à Akari pour m'assurer de son soutien s'ils bougeaient le moindre muscle.
Le problème n'était pas le combat, la contrebande n'était pas le foyer de guerriers rusés et mortels, mais tout pouvait se compliquer s'ils se séparaient pour courir dans les bois ou dans les hauteurs. Un seul encapuchonné qui revenait au bercail pour prévenir ses copains et c'était le réseau qui partait dans les profondeurs pour revenir dans quelques semaines ou mois, ailleurs et avec d'autres itinéraires... "Plus prudent, évidemment." Me raclant la gorge, sentant un peu trop le froid sous mes vêtements, je pus enfin jeter un œil aux caisses transportaient par le bousin. Le cocher avait fait volte-face pour me regarder du haut de son siège, un sourire collé sur le minois comme si c'était avec un clou... Douloureux, crispé, pensant que je ne voyais rien avec ma concentration sur les biens en dessous de lui.

- C'est visiblement en règle. Une manière de le soulager un bref instant avant que je ne décide à mettre les mains sous la couche superficielle pour guetter les profondeurs du transport.
- C'est toujours en règle, monsieur. Nous sommes de simples marchands ! Une voix toujours bienveillante, il savait bien jouer un rôle...
- Vous êtes beaucoup, non ? J'ai connu des convois avec moins de négociants et plus d'hommes en arme.
- On laisse la sécurité aux villages, cela crée moins de dépenses pour si peu de problèmes... Un petit ricanement de ma part, c'était presque risible. Ma main gauche, libre de toute emprise sur un fourreau annonciateur de défi, vint farfouiller entre les coffres pauvrement décorés pour chercher d'autres sacs sous l'épiderme factice.

Le bout de ma phalange ressentit un contact soyeux, comme une poche en jutes, dissimulait sous le bois rugueux et je ne pus que vaguement cacher mon embarras devant la situation : Devais-je sortir moi-même la chose ou bien demander à l'homme bien gentil de m'en parler lui-même ? Pour provoquer un peu les événements, j'empoignais moi-même la situation, quitte à faire chavirer un peu les biens au-dessus de ma cible. En tirant, je fis un peu de bruit et je pouvais parfaitement imaginer les autres gourgandins se tourner, sous tension, devant leur couverture qui s'envolait en même temps que caracolaient sur le côté les coffrets.

- Désolé, j'ai toujours été maladroit.
- Pas de soucis, monsieur. Un ton bien plus tendu, sans équivoque, et d'une tape du pied, il envoya un signal qui avait dû bien être étudié par le groupe. Tout de suite, il sauta sur le côté pour se barrer... "Et merde..."
- Akari ! Lâchant le sac, je courrais à la suite du malandrin et je fus bien assez rapide pour lui attraper le col, coupant toute sa dynamique tout en lui coupant crânement le souffle en tirant comme un sauvage pour l'envoyer comme sa charrette dans un bruit brutal.

D'autres s'enfuyaient, c'était la débandade totale du groupe... Avec un sourire un peu désolé devant la bonne organisation du simili chef de file, je fus bien obligé de lui fracasser la tête contre le bord de son transport pour l'assommer, histoire de partir à la chasse aux autres connards.

Tout s'accéléra, autant la pluie que l'action. La vermine partait dans tous les sens et même si j'avais réduit la capacité de mouvement de l'un, les autres courraient comme des dératés. Dans ma vision périphérique, je pus voir des éclats surgir et finir dans les jambes de pauvres hommes qui ne faisaient pas le poids contre l'art ninja... Le ninjutsu, c'était quand même une belle invention. "Dommage que je sois un samouraï" Mes parents m'avaient toujours mis en garde des arts chakratique et je devais bien avouer que j'avais intériorisé des réflexes un peu conservateurs. J'étais un combattant à l'épée, et c'était bien tout ce que je savais faire. "Oui, mais je le fais bien..." Triste réconfort de la chose.

Propice à une entrée en matière musclée, le jeune garçon parti attraper les hommes au corps-à-corps et je pus discerner à ses côtés le glorieux tigre qui faisait son entrée... "Jamais bien loin, effectivement." Aussitôt, il m'affirma me laisser m'occuper des autres, envoyant en soutien son associé animal ! D'un ricanement, je sautais sur l'occasion pour suivre son ordre subtil et parti en courant à la suite des trois derniers fuyards qui circulaient entre les arbres. Avec le couvert végétal et le rideau de pluie déployé au-dessus, la visibilité était plus que dégueulasse et mes talents n'étaient clairement pas utiles pour me diriger dans cette bouillasse visuelle. Je devais me fier à la direction que j'avais pu observer et au bruit de course, camouflé légèrement par le bruissement de la pluie épaisse sur les troncs et la vie au sol.
Si Kagami avait été envoyé pour prendre en tenaille le groupe avec moi, je fus plutôt sur la position de le laisser s'avancer pour le suivre : Il avait des sens plus aiguisés, j'étais donc le soutien du gros chat et ça m'allait très bien. Comme des cafards, les contrebandiers avaient filé ensemble, profitant du fait que l'on s'occupait de leurs copains... Ils pensaient nous échapper, mais nous étions habilités à des courses plus intense et longue. Le fourreau battant à ma hanche, je suivais le pelage blanc et noir entre les arbres et en quelques minutes, peut-être même pas deux en fait, je réussis à trouver les trois coureurs déjà en mauvaise posture avec le monstre félin.

- Alors ? On veut quitter la fête ? Assumant un rythme de sprint, je fonçais sur le plus loin du tigre pour lui sauter dessus et lui attribuer un généreux coup de fourreau, donc non mortel, sur le crâne.

Si Akari faisait des clés de bras, moi je jouais plutôt sur le fait de les mettre inconscient... Ils étaient moins envieux de courir s'ils étaient complétement assommés. Kagami avait attrapé une jambe, tirant le dépositaire vers son partenaire, au chariot. La pauvre victime de la mâchoire puissante hurlait des excuses solennelles qui, j'en doutais assez, devait lui permettre de s'en sortir... Laissant le duo danser sur le sol mouillé et poisseux, je laissais ma charge sur place pour m'élancer sur le dernier insecte qui continuait à vagabonder, passablement excité par les cris de son copain. "C'est dingue ce qu'on peut courir vite quand on a peur..." Il allait plutôt vite pour un civil et je dus m'essouffler un peu pour l'atteindre et, comme le pilote, lui couper le sifflet en lui attrapant le col. L'énergie cinétique aidant, dans la démarche, je déchirais un grand pan de sa cape sans le vouloir, ce qui le fit plutôt trébucher et rouler toujours en avant. Moi, de mon côté, je glissais dans la boue compacte et feuillus avant de l'impacter de mon pied droit et finir moi aussi au sol, un peu calamiteux.

- Quel enfer... La tête dans la terre, je crachais l'humus qui avait trouvé refuge dans ma bouche. Prestement, je me relevais, comme mon camarade de jeu qui repartait, toujours dopé à l'adrénaline.

La cape en lambeaux, je pus discerner des traits tirés : C'était un travailleur, sans doute un pécheur, qui n'avait rien trouvé de mieux pour arrondir ses fins de mois que de participer à cet amusement illégal... Repartant à la chasse, crachant dans l'effort ce qu'il restait du sol, je ne pris plus le risque de l'arrêter dans sa course et l'aider à avancer en lui sautant dessus pour lui caler mon genou de manière dynamique entre les omoplates. Devenu une planche que je chevauchais pour glisser dans la boue fraiche, je lui intimais, avec un petit tapotement sur le crâne, de rester au sol à manger un peu de terre.

- Bon, tu m'as fait courir, c'est bien, maintenant il faut arrêter... On va discuter, et tu as plutôt intérêt à me parler si tu veux conserver ton dos en bon état... Amusé un peu par la situation, même si mon sourire était un peu crispé, je l'attrapais par les cheveux pour le tirer vers celui que j'avais assommé.

Quelques instants plus tard, j'émergeais du sous-bois avec deux charges précieuses que je tirais derrière moi comme des poids morts... Je n'allais pas me casser le dos à être aimable. Le premier était encore grognant de douleur, la tête en vrac, alors que l'autre se tenait tranquillement, légèrement inspiré par le fait qu'à chaque mouvement de mon poignet, je pouvais lui retirer une touffe de poil et un peu de peau avec... Relâchant le tout devant Akari et Kagami, je me frottais les mains pour la suite des événements.

- Bon bon bon... On a attrapé quelques contrebandiers, maintenant il faut les faire parler... Soupirant, j'espérais secrètement qu'ils n'allaient pas jouer les fiers à bras, sinon il y allait avoir plus de casse que quelques coups sur la tête ou les membres. Pas mal le coup du ninjutsu, ils ont bien dû être surpris ! Lorgnant sur le pilote qui commençait à se réveiller de ces quelques minutes de dodo, je m'orientai vers lui pour mettre un genou à terre, histoire de parler à hauteur égale. Noms, routes, butins... La totale, sinon je commence à couper.

Pour soutenir la menace, je fis glisser légèrement la lame de mon katana hors de son fourreau, dans le but de faire entendre le petit bruissement de l'acier contre le support protecteur. "C'est pas vraiment honorable ça..."

- Ce type m'a fait passer un mauvais moment, j'aurai pu faire les choses vite... La bouille encore un peu enfarinée, enfin, pleine de terre, je dus me retenir pour ne pas cracher ses mots au visage de l'intéressé. Pour autant, le gamin avait raison sur un point, je n'avais peut-être pas à brutaliser autant les civils qui n'avaient cédé qu'à l'appât du gain.

En soupirant bruyamment, je lâchais le pauvre hère qui atterrit au sol sans oublier de grommeler, à la fois un peu de douleur et un peu de soulagement pour sa voûte capillaire. Ce fut ensuite que je vins interroger le champion des six branleurs, avec une attention agressive qui devait tout autant inquiéter Akari pour son prochain, de l'autre côté du chariot je l'entendais demander à un contrebandier de parler gentiment, ce qui eut l'effet de me faire sourire alors que le pilote me regardait circonspect, toujours mutique. Doucement, je m'approchais de lui pour lui souffler, à l'abri des oreilles indiscrètes :

- Tu as pas de chances, tu es tombé sur moi... Même s'il est un ninja, je suis dans ma région donc selon la loi, c'est moi le chef du duo. Un pieu mensonge, mais qu'est-ce qu'il pouvait en savoir ? Donc on joue selon mes règles, pour ton plus grand bonheur. Un sourire franc qui eut pour effet de le faire un peu pâlir.

Il avait joué, il avait perdu.

Un bref instant, il hésita... C'était ce qui séparait le soldat du civil, ou bien une catégorie fidèle d'une autre. Ce qu'il gagnait en jouant la forte tête, c'était bien de la douleur et une mort certaine, mais pour l'instant, nous n'avions tué personne et le peu de souffrance provoquée venait de quelques coups et des cheveux tirés... Pas franchement des tyrans. C'était sûrement ce qu'il se disait, car sa langue se délia bien vite :

- Le Guichetier, celui qui mène le réseau s'appelle le Guichetier. On connait pas d'autres noms, il dit que c'est mieux comme ça. On... On part de Kaigara, c'est l'un des seuls villages qui exploite la mer. On prend ce qu'il nous faut à la source. "Évidemment." Avalant un peu de salive pour humidifier sa gorge, il reprenait doucement ses esprits après le coup à la tête. C'est surtout des coquillages, des algues et quelques perles... Parfois on complète avec des galets volcaniques. Rien de bien... Important.
- Si je suis là, c'est que c'est assez important... On a rien contre toi personnellement, ni contre le Guichetier. On veut juste arrêter votre petit jeu, quitte à taper un peu fort sur vos têtes de cons. Un argot brutal qui transmettait cette tension animale, histoire qu'il ne perde pas le nord sur la domination que j'avais sur lui. Il jouait le jeu, mais les huitres pouvaient se refermer d'un coup. Tu as pas plus précis que Kaigara ? Une grotte ? Un bâtiment là-bas ? Il hésita encore un bref instant, mais mon regard n'acceptait aucun pas en arrière.
- Il y a un coin, un tunnel naturel à l'est du village... C'est pas bien grand, mais assez pour contenir nos charrettes et pour stocker le temps de partir. Il parut soulager, comme si un poids partait de ses épaules, mais ce n'était pas encore fini.
- D'accord, vous êtes combien ? Si vous êtes sept sur ce voyage, c'est que vous êtes un peu plus dans votre... Quartier général ? La surprise d'un trop gros nombre, je n'en voulais pas. Il calcula un instant, les yeux posés sur le sol à ses pieds.
- On est vingt, mais on est pas toujours réunis... Tout le monde à son métier à côté. "Faut croire que non si tu te permets des petites escapades." Tapotant gentiment sa tête, je me relevais pour enquérir à mon camarade les confidences sur l'oreiller.
- Bon, Akari, vingt bonhommes dans une grotte à quelques kilomètres d'ici. Pas des soldats, leur chef s'appelle le Guichetier... Ils connaissent rien d'autres de lui, c'est donc un étranger. Sans doute issus de l'ouest, vu qu'ils partaient par là. Un intermédiaire pour des acheteurs ? J'en sais rien, mais on va lui demander... Tu as trouvé quoi, toi ? L'attitude faussement brutale avait porté ses fruits, et l'innocence juvénile ?

"Parfois je parle vraiment comme un vieux con..." À dix-neuf ans, c'était un peu tôt. En tout cas, on avait notre destination, seulement il fallait s'occuper des branleurs qu'on avait réunis sur le chemin. Le doigt grattouillant mon menton, je cherchais un moyen de gagner du temps au lieu de les entasser sur le chariot pour les emmener jusqu'à la douane frontalière.

- Je suppose qu'on a pas le choix... Va falloir les mettre en lieu sûr avant de continuer, sinon ils vont recommencer dans pas longtemps. C'est problématique. Une vision déterministe qui était franchement discutable, peut-être que le centre de l'affaire, c'était ce Guichetier et qu'ils avaient juste répondu à l'appât du gain du roi de la vermine ? Qu'est-ce que j'en savais ? Grommelant, un peu moins sûr maintenant de ma phrase, je posais la question au garçon aux yeux clairs : Qu'est-ce que tu en penses ?  

- Cela ne doit pas être bien difficile. En montant sur le siège en bois peu confortable, j'attrapais les rennes de la mule à qui je fis signe d'avancer par un geste tonique sur les liens. Pas de réponse de l'animal et cela me remplit assez vite d'une vague de frustration. "Pas si difficile, ouais..." grognant un peu, je me risquais à demander plus poliment à l'intéressé : Tu peux avancer, silteplait ?
- Elle s'appelle Crystal...
- Silteplait... Crystal ? Et voilà que cette saloperie commençait à marcher. Gentiment, j'avalais la couleuvre, l'important était que cela avance.

Pendant ce temps, je réfléchissais à ce qu'on allait pouvoir faire... On avait choisi d'amener les trouble-fêtes au village, pour les confier aux camarades de Akari. C'était le plus juste et le plus rapide, mais certains se démenaient derrière moi pour trouver un bon angle de vue, entre les coffrets et les sacs de ressources. Ils comptaient repartir à la conquête des bois ? Sans doute pas, vu la présence du tigre à nos côtés. En tout cas, ils étaient cuits pour un bon procès... Libre ensuite au juge de les punir correctement, soit pas des travaux d'intérêts généraux, soit par des châtiments plus personnels.

- Tout ça pour quelques mollusques et des ryos en plus ? Si certains coquillages étaient prélevés pour la chair des mollusques qu'ils protégeaient, d'autres l'étaient uniquement pour servir de décoration. C'était notamment le cas du nautile, un mollusque marin à la sublime coquille spiralée et multicolore composée de plusieurs couches protectrices. C'était cher payé, évidemment.

Je ne savais rien de leur vie, mais une petite voix me disait qu'ils ne faisaient pas ça pour le plaisir... La misère touchait les milieux ruraux et ce type de trafic relevaient plutôt de la survivance que de la cupidité morbide.

- Vous vous êtes laissé trompé par le Guichetier, ce connard vous a utilisé pour sûr. Aucune réponse, c'était peut-être la vérité, peut-être plus compliqué que ça...

Ma vie de soldat n'était pas la même que celle d'un agriculteur ou d'un marin. D'autres enjeux. J'avais vécu dans une certaine opulence avec comme seule rançon des missions et risquer ma vie... Mes parents avaient fait de même et je ne m'étais jamais posé la question sur les conséquences d'un manque d'argent car cela n'était jamais arrivé. Les populations de villages comme le mien étaient des privilégiés et... Je le comprenais enfin, la bouche cousue cette fois, je me laissais avancer pour ne pas raconter plus de connerie.
La vitesse était limitée, mais au moins on avançait avec tout ce qu'il fallait. Le plus problématique était l'orage qui giflait notre visage par le vent et les gouttes. Ceux qui étaient stockés à l'arrière étaient protégés, moi je devais tout prendre dans la tronche comme un grand... Est-ce que Akari avait pris place sur le chariot ou bien il marchait à côté ? Je ne me risquais pas un regard, par peur de me retrouver avec de l'eau dans les yeux. Ceux-ci, déjà plissé par la bise méchante, ne pouvaient pas se permettre un tel mouvement.

Assez vite, on put atteindre la destination voulue : Ce fut désagréable, mais l'important était d'arriver à bon port. L'intempérie était toujours sur nous, mais au moins la présence de bâtiments permettait de couper les déferlantes. Déjà à l'horizon, le poste de douane siégeait comme un roi sur son trône : Il devait apparaitre comme impérieux pour amener les gens vers lui pour une ultime vérification. Pas de places pour les contrevenants comme ceux que l'ont transportés. D'ailleurs, ils ne faisaient plus de bruits... Sans doute qu'ils cogitaient sur leur avenir.

Stoppant le tout, je laissais Akari faire sa part pour appeler ses camarades : Entre ninja de Sakyuu, ils savaient comment communiquer et être efficace, moi je me projetais aussitôt en pensée vers ce tunnel et ses habitants illégaux.

Ce fameux Guichetier m'inquiétait pas mal.

Perché sur le chariot, je regardais les choses se passer d'un air un peu distrait : Mes oreilles suivaient les bruits des trouble-fêtes derrière alors que mes yeux fixés le sol. Quelques gouttes troublaient cette concentration relative en perlant de mes oreilles et de mon nez et si je n'étais pas aussi ennuyé par l'orage, les larmes naturelles qui tombaient sur mes avant-bras me dérangeraient également.
la scène avançait devant mes yeux : Un ninja, le déchargement des clampins et un tigre qui était délivré de sa mission de garder les convives en place. Tout se goupillait plutôt bien et je fus rapidement demandé pour repartir vers le quartier général du Guichetier.

La finalité de la mission, pour sûr.

l'intempérie tapait affreusement sur mes nerfs et descendre du chariot pour le confier au coéquipier de Akari fut une nouvelle satisfaisante pour me pousser à me bouger : D'un saut simple, j'évacuais la tête de pont, non sans flatter la croupe de Crystal qui avait supporté comme moi cette situation de merde.

- Au revoir Crystal. Et elle dégagea sous les ordres d'un nouveau pilote, qu'est-ce qu'il allait lui arriver à cette pauvre mule ? Secouant la tête, j'évacuais cette idée. Allez, faut partir. Et sans tambour ni trompette, je commençais à marcher vers la direction du village de Kaigara. Selon mes calculs relativement précis, il devait se trouver à quelques kilomètres : Pour des soldats comme nous, c'était l'histoire d'une bonne demi-heure.

la pluie, probablement, allait nous ralentir mais personne n'allait s'attendre à une intervention en plein orage... On allait avoir l'avantage de la surprise et c'était la meilleure situation pour ne pas faire de victimes collatérales.

- Bon, seul le Guichetier reste une inconnue dangereuse, les autres sont des marins ou des ouvriers donc aucune formation militaire… A l'image des types qu'on vient de mettre aux arrêts. Le pas sûr malgré la boue qui constellait mes chaussures, je continuais : Je connais la direction, mais une phase de recherche sera sûrement nécessaire... Donc on peut être repéré s'ils sont un peu vigilant, Kagami peut nous griller. Très vite, les arbres alternèrent avec des plaines de montagnes. Au bout d'une colline, je pus discerner les contours du bleu sombre de la mer qui se détachait mal du ciel nuageux et constellés d'éclairs. Silence, vitesse, ... Précaution, aussi. Si on se débrouille bien, on en finit ce soir de cette histoire... Faut que personne en réchappe et surtout pas le Guichetier. Celui-ci, il fallait que j'en apprenne plus sur lui car si c'était juste un contact pour un plus gros truc, hors de la province des ours, c'était loin d'être fini et un autre allait prendre sa place... Mais ce n'était pas le moment de penser à ça.

Focus, Kunao, focus !

Sur les abords du village des apnéistes, il y avait pas mal de grottes : La mer faisait bien son affaire et prenait ce qu'elle pouvait sur les rivages et les côtes de mon doux pays. Si la plupart étaient infréquentés, ou juste populaire auprès de la jeunesse un peu furibonde, cette que l'on cherchait était assez spacieuse pour servir de stock à nos salauds. Il fallait donc chercher en hauteur et praticable pour les chariots ? c'était une belle histoire car tout ce qui était proche d'une voie carrossable pouvait être repéré, c'était l'équilibre entre visibilité et discrétion qui rendait l'affaire complexe.

- Faut se séparer, on a pas mal de terrain à couvrir et on ira plus vite comme ça : Suivez la route pour pas vous perdre, moi je vais m'enfoncer un peu pour chercher, vu que je connais mieux le terrain. Bon courage ! Sans plus de précautions, je m'enfonçais dans la végétation basse des paysages de garrigues.

En avant !

Un léger frisson me parcouru quand j'entendis la voix du tigre... Un gros chat comme ça, ce n'était pas sencé parler et je sentais clairement que Akari ne m'avait pas tout dit sur l'animal. "Au moins, il a pas créé de problèmes." Qu'importe la nature de la saloperie, il avait servi les intérêts de la mission et je ne pouvais que le remercier, malgré qu'il s'était bien gardé de communiquer avec moi. Un tigre timide ? Loin de moi l'idée.

Enfin, en approchant du village le plan fut le suivant : Se séparer, cela semblait valorisé par le jeune ninja des sables et il demanda malgré tout des précisions, surtout sur la façon de se regrouper. Tapotant mon menton de mon index, je fus tenté de lui donner une limite horaire, type une à deux heures, avant de se retrouver sur la route, mais cela pouvait donner un temps infini aux adversaires pour s'organiser si on était repéré. Dans le doute, je lui répondis :

- Dans les montagnes, on a un ensemble d'oiseaux : des rapaces ou des corbeaux, entre autres. Arrange-toi pour faire un cri dans le style, pour rester dans le théme on a des corneilles qui fait des... Je me raclais la gorge pour exercer une imitation relative du "croa croa' de l'animal avant de repartir sur la suite. Et ensuite des grands corbeaux qui font des sons plus lent, tel que... Cette fois, le "craaaaa" plus aigu du pendant nocturne. L'orage couvrira ton manque de pratique, ou la mienne, mais on reconnaitra la chose. Un peu amusé, je tournais le dos à mon compère pour ne pas qu'il prenne mal le côté ridicule de ma déclaration, seulement il fallait être un peu sérieux. Dans le doute, siffle, j'arriverai le plus vite possible. L'important est de ne pas laisser de marge de manœuvre, quitte à ce que tu engages pour que je vienne te couvrir ensuite. Je suis rapide, ne t'inquiète pas.  

Sur ces mots, je franchissais la barrière végétale pour pénétrer dans le sous-bois des collines côtières. La main sur le fourreau, au cas où j'avançais rapidement puisque j'étais encore bien loin des premières grottes que je connaissais : Des sentinelles ou des patrouilles, ça prenait du temps et des effectifs, de plus c'était louche donc ils devaient éviter le plus possible ce genre de défense. Restait alors le fuinjutsu, peu probable dans le milieu civil, ou bien les choses plus conventionnelles comme les dalles mécaniques qui se refermaient sur les pattes de loups ou d'ours... je n'imaginais pas les dégâts sur les membres humains. Un peu prudent suite à cette pensée, j'avais les yeux fixés sur l'ensemble des feuilles qui parsemaient mon parcours en quête d'un peu de métal qui dépassait.
Rapidement, je pus rejoindre un premier mur rocheux qui annonçait une falaise... Ce n'était pas encore le bruit des vagues qui atterrissait à mes oreilles, mais j'étais en bonne voie. Selon mes repères mentaux, j'avais à longer cette limite pour arriver à un réseau de caverne qui transformait la montagne en un gruyère complexe. Ce n'était pas encore les tunnels dans les montagnes bleues, mais c'était un bon exemple d'emmerdement ! Une bonne demi-heure fut demandée, en scrutant précieusement les contreforts, pour arriver au premier objet d'enquête : Un trou sombre où l'éclatement de la mer se répercutait comme si on faisait exploser un parchemin ninja chaque minute. Précautionneux, j'attaquais l'inspection d'un pas délicat en cherchant une ombre dans les coins ou une trace, même minime, de caisses ou de sacs : Chou-blanc, c'était évident.

Sortant du premier échec, je partis en quête d'une deuxième entrée : Dans le coin, il y en avait des tas. Le chef de l'expédition m'avait bien précisé que c'était un tunnel plutôt grand qui pouvait accueillir des chariots, alors les petites crevasses ne m'intéressaient guère et j'en passais des tas avant de tomber sur un deuxième point d'intérêt. Encore vide, à part des bouteilles de bières qui jonchaient le sol... Si la jeunesse de Kuma No Kuni passait par là, ce n'était clairement pas le terrain de jeu de nos contrebandiers. Se faire griller leur entrepôt par des branleurs, c'était pas pro du tout... Une bonne indication qui m'évitait des heures de recherches infructueuses. Je devais viser autre part et mon pas devint une course alors que je me dirigeais vers une autre falaise, bien en vue de ma position et dont la mer donnait des fâcheuses illustrations de fin du monde : Donnant sur des calanques percés de rochers pointues, la moindre chute de ces hauteurs pouvaient créer de belles brochettes ou exploser les os des soldats les plus solides. De ma position, je ne pouvais pas voir si des pistes serpentaient, mais en tout cas, c'était bien plus isolé que la planque des adolescents en mal d'aventures !

En avant !

La main droite posée sur mon fourreau, j'attendais dans l'obscurité d'une crevasse un mouvement dans la grotte à proximité : Non pas que j'étais trop prudent, mais j'avais vu, bel et bien, la présence de quelqu'un. Entre les rochers, une ombre furetait en prenant bien garde de ne pas trop s'approcher du bord... Se méfiait-elle de la lumière ou bien du vide qu'une glissade mal négociée pouvait rendre mortelle ? En tout cas, cette vision m'avait fait filer contre la pierre trempée pour ne pas me faire repérer.

C'était le moment de siffler ?

Pas sûr, encore, si la jeunesse du pays des Ours occupait les grottes de l'autre côté de la baie, pourquoi elle ne ferait pas de même pour une partie ? Faire rappliquer le ninja des sables avec qui je faisais équipe ne pouvait que me faire passer pour un idiot, si le Guichetier se révélait être un branleur mal luné qui prenait la formation rocheuse pour un lieu de débauche, au mieux , ou une pissotière, au pire. Il fallait vérifier l'information et j'allais devoir m'approcher : "Pas des guerriers, pas des guerriers..." Même avec cette idée en tête, tendre pommade, je devais avouer que je méfiais toujours des positions ennemies totalement inconnue. Des pièges ou des surprises, un univers entier de mauvaises choses pouvait arriver alors que j'étais seul. Le Guichetier pouvait être une saloperie d'utilisateur de ninjutsu, ou pire, de genjutsu... Et ma piètre expérience avec les arts des illusions pouvait m'amener à finir dans l'eau, bien trop bas pour mes propres chances de survies.
D'un autre côté, surprendre un gamin en train de se branler ou lui faire peur avec ma lame au clair, c'était pas non plus ma finalité rêvée pour cette infiltration vague. Soupirant un peu, je risquais un pas vers la suite de la piste qui allait jusqu'au point de rencontre entre l'air chargé de pluie et l'ambiance caverneuse.

Quelques éclairs me firent jurer, car la lumière éphémère se projetait partout et mon esprit me hurlait que j'allais me faire repérer de cette manière... Assez peu probable, vu l'intensité qui faisait plisser les yeux de quiconque était en vue. Un autre pas et l'intérieur du tunnel s'offrait à mes yeux, enfin quelques centimètres de plus que durant ma précédente observation. De l'espace, beaucoup d'espaces, et une profondeur qui ne me permettait pas de véritablement distinguer le fond de la pièce minérale.
Pas d'ombre en vue, mais si c'était un complexe assez vaste, elle pouvait être n'importe où... Ce n'était pas une preuve qu'elle m'attendait dans un angle mort. "Elle n'a rien vu, c'est sûr." Allongeant mes flexions, je gagnais du temps sur la réaction de mes muscles et avançant, toujours prenant garde à qui ou quoi pouvait me voir. Pliant légèrement mon corps pour pouvoir me jeter en avant, en cas de contact, j'arrivai enfin avec une vision complète de l'entrée du réseau de grotte qui s'annonçait devant moi.

Bingo.

Quelques sacs trainaient dans le début d'un boyau obscur et des raclements sur la pierre pure signalaient que quelque chose de lourds passait par là, enfin... Roulait. Les chariots, les marchandises... Il ne manquait plus que les effectifs de contrebandiers pour dessiner le tableau final. Un léger sourire aux lèvres, je me permis enfin d'alerter mon camarade en filant vers la crevasse où j'avais caché mes petites fesses devant une ombre et croasser comme je n'avais jamais croassé dans l'espoir que l'orage ne couvre pas le signal d'alerte pour le petit Akari.

En piste !

- Hmm ?! Un peu surpris, je vis émerger Akari du tunnel que je surveillais discrètement en attendant l'arrivée de... Eh bien... Akari. Les sourcils froncés, je fis vite le lien entre le bruit tonitruant et le jeune ninja qui filait vers moi, avec sur les talons quelques gorilles qui se crispèrent dans l'encadrement du trou qu'il avait dû former avec son chakra transformé.

Un grand sourire aux lèvres, j'accueillis le bonhomme en ricanant légèrement tout en dénudant ma lame dans un glissement parfaitement inaudible dans la cacophonie de pas, de pluie et de foudre. Tout se goupillait bien, il suffisait juste de finaliser la chose et vu la tronche des contrebandiers de fortune, ils ne devaient pas connaitre le ninjutsu. D'ailleurs, moi non plus. Restait à savoir si j'avais affaire avec le Guichetier et des sbires, ou juste un groupe hétéroclite de connard.

- Pas la peine de chercher alors... Tout me vient dans la bouche, comme un requin. Bondissant en avant pour arrêter toute réponse de la part de mes adversaires, je passais à côté de Akari non sans lui faire un clin d'œil en passant pour m'affranchir de la lumière en arrivant dans la pénombre du tunnel.

Si celui-ci accueillait plutôt bien le soleil en journée, dans le cadre d'un orage les ombres s'agrandissaient pour avaler tout le monde... Plissant les yeux pour n'oublier personne, je pus décompter quatre lourdauds qui étaient encore sous le choc de la détonation produite par un si jeune garçon. C'était une chance pour moi qui apparaissais comme un grain de sable en plus dans leur rouage. Le pas rapide, je sautais sur le plus proche pour le menacer de la pointe de mon katana : Évidemment, l'objectif n'était pas de les tuer, mais de les assommer ou leur ficher la trouille. Précisément, je vins fixer le métal froid sous la glotte du monsieur comme si elle avait été toujours là et, sans coup férir, j'admirais les autres :

- Ok les amis, maintenant que j'ai pris part à la fête, on peut discuter aimablement... À part si vous ne tenez pas trop la vie de votre camarade en haute estime. Je ne savais pas qui j'avais pris en otage, mais si c'était le cerveau de la bande, j'étais mal. Si mon ami, ici présent, à refait la topographie de votre tunnel, c'est que vous êtes pas des gentils... C'est tant mieux, d'ailleurs, car moi non plus. Renforçant ma prise sur la gorge, sans doute nouée, de mon bouclier humain, je souris de plus belle. Maintenant, vous allez jeter vos possibles armes et vous mettre à genoux, c'est une descente de l'armée sur votre petit business juteux.

Un regard plaintif de l'un aux autres, et ils regardèrent même celui que je tenais en joue, comme si cela allait changer quelque chose... L'un se risqua même à me parler.

- Monsieur, je ne comprend pa...
- Teu teu teu, je m'en fous. D'abord couché, ensuite on parle ! Lentement, mais sûrement, j'appuyais sérieusement de la pointe sur la peau fine pour faire couler une petite goutte, histoire d'accélérer les choses. Attendant qu'ils s'exécutent, je m'adressais à mon partenaire, où qu'il soit : Akari, qu'est-ce que tu sais ? Tu peux identifier notre gros client du jour ? Évidemment, je parlais du Guichetier, mais la jouer subtil était plus amusant, surtout quand on pouvait observer la crainte dans leurs yeux.

C'était sûr qu'ils ne s'attendaient pas à voir débarquer deux soldats en plein orage, surtout vu les biéres qu'ils avaient à la main... Ce n'était pas des armes, bien évidemment, mais je ne tenais pas plus que ça à recevoir les contenants sur la tronche. L'un d'eux baissa rapidement sa garde pour mettre le cul de la bouteille sur la roche encore sèche et enfin se mettre en position servile. "Bon garçon." Les autres faisaient encore un peu résistance, malgré le danger et ma présence relativement charismatique et intimidante... "Je ne fais pas si peur avec mon katana sur la gorge de votre pote ?"

Claquant la langue, je leur laissais encore cinq secondes avant de m'énerver...

Une boule de feu,
Et une autre qui surgit au-dessus de ma tête pour se confronter.

Les yeux plissés par l'intense lumière qui illumine le tunnel, tout autour de moi, je ne ressens que la puissance de la déflagration quand les deux émanations s'opposent. Mon otage, habitué sans doute à l'art de son patron, en profita pour se dégager et un bref instant je le laissais faire avant de reprendre la main : J'étais un soldat, bon sang !
Mon bras libre vint attraper l'épaule droite du fuyard pour l'envoyer, à l'aide ma musculature travaillée longuement pour pallier mon manque de ninjutsu contre le mur... Je ne pouvais pas pulvériser la roche comme ça, mais je pouvais me vanter du bruit que je produisis lors de l'impact entre le corps du monsieur et la paroi. Un emmerdeur de moins sur le terrain. Une onde au-dessus de moi me fit lever les yeux : Akari était déjà à l'œuvre, alors qu'il se jetait sur le Guichetier...

Pour le coup, lui, c'était un problème... J'avais eu raison de me méfier, les autres n'étaient que des ouvriers et des marins, mais lui était pourvu de capacité chakratique. C'était clairement la cible à abattre et le ninja des sables ne se trompait nullement. D'un autre côté, les pions s'avançaient pour me mettre une raclée : Malgré le sabre et malgré leur pote qui gisait assommé à côté de moi. Leur patron leur donnait une sacrée pêche, mais cette initiative pouvait vite être contenue...

- Venez à moi, ce sera plus simple. Rengainant mon arme, je me mis en position, le fourreau en main pour pouvoir leur éclater le crâne sans les tuer... Vous allez déchanter. Le premier débile vint lever son bras bien haut pour me le mettre dans la figure, mais c'était téléphoné au possible.

Décalant mon corps de quelques centimètres, j'esquivai l'attaque qui passait devant mon visage, déstabilisant le pauvre homme qui fut puni par une construction en bois dans le ventre, projeté à une bonne vitesse. Laissant ma cible choir au sol, je bondissais sur le suivant, à deux pas derrière. Lui, qui avait vu son camarade se faire étaler sans aucun effort, se stoppa sur place, mais il était déjà trop tard : Attrapant le sommet du contenant de ma lame, je me fixais devant lui d'un coup sec pour faire glisser celui-ci entre ma paume et écraser le nez du monsieur. Dans un craquement, il se plia en deux et j'accueillis sa tête qui se baissait par mon genou pour enfoncer le clou. Pas de bruit, mais je sentais bien dans la chute lente et douloureuse, qu'il était hors piste... "Pauvre homme."
Le dernier s'arrêta et je lui souris sans bouger d'un pas, posant négligemment mon arme de fortune sur mon épaule. Ricanant, enfin, je fis exprès d'avancer mon pied droit et il recula aussitôt, extrêmement craintif.

- Je suis échauffé maintenant. De ma main libre, je vins tapoter ma tempe : Réfléchis un peu, qu'est-ce que vaut ce combat pour toi ? Dégage, tu n'as pas à protéger le Guichetier... Comme réponse, il n'y avait pas un seul mouvement... Le pauvre était paralysé, sans doute que le chef du réseau lui faisait autant peur que moi, voir plus. Soupirant, je fis un pas de plus et il s'élança sur moi... Malheureusement, mon plan d'intimidation n'avait pas vraiment marché.

Quelques coups de poings, que j'évitais gentiment, avant que j'attrape le bras du malheureux pour le tordre d'un coup sec. En réponse, sans se débiner, il utilisa son bras encore capable pour me balancer son coude dans la tête. Quelques centimètres de décalage, sous la force de l'attaque, mais ma prise ne changea pas : j'avais pris plus que ça dans la tronche.

"Un samouraï ne doit pas se laisser affaiblir."

- Bien... Essayé. Ma diction compliquée par un os dans la joue, je serrais encore plus avant de relâcher le tout et lui appliquer mon pied dans les omoplates pour qu'il percute le mur. Grognant de douleur, il se laissa tomber et moi je détournais du trouble-fête en me grattant le visage à l'endroit du choc.

Il m'avait un peu fait mal, ce con.

Dans le chaos, je me tournais enfin vers le chef des lieux qui luttait Akari. J'allais rejoindre l'assaut, sauf s'il avait déjà vaincu !