Light my fire

J'avais connu des cuites sévères et même des très sévères. J'allais pas vous mentir, mais celle-là, elle ferait partie des méchantes qui vous retournaient le cerveau. Bon, j'avais cherché un peu. J'aurais pu ralentir la cadence si je l'avais voulu, rien ne m'avait poussé à enchaîner les bouteilles mais... quand la compagnie était bonne et drôle, on faisait pas la fine bouche devant la gratuité du dîner.

Ce fut donc une nuit... une nuit... euuuh.... bordel, je ne me souvenais de presque rien. C'était le trou noir quasi complet. Oh, j'avais quelques images qui me revenaient en tête, des plutôt agréables à vrai dire, mais c'était tellement flou dans mon esprit que cela me paraissait être du véritable gâchis. Ronchonnant, le nez dans le coussin qui se trouvait sous ma tête, je me rendis compte que j'avais un peu froid. Y avait des courants d'air dans ce temple ? Mais à peine cette idée m'effleura que je crus sentir un drap me recouvrir. Là, c'était mieux.

Peu encline en me sortir de là, j'avais l'impression que mon corps pesait une tonne, que l'on avait sonné la charge avec. J'avais mal partout comme si j'avais effectué un marathon. Je vous parlais même pas de mon crâne où des joueurs de tambours organisaient un concert aussi affreux qu'affligeant. Mais au bout de quelques minutes, je tentais tout de même à me montrer un peu raisonnable et j'ouvris mon seul œil valide. Allongée à même le sol, un lit de fortune uniquement digne pour un moine, je me rendis compte qu'il n'y avait personne à côté de moi. Inquiète ? Pas du tout. Je supposais qu'en d'autres circonstances, j'aurais même été soulagée parce que ça évitait les déconvenues des lendemains… mais j'étais dans le temple de Shingen, donc forcément... il devait traîner dans les proches environs.

" Bordel de merde.... j'ai encore brillé on dirait... "

Enfonçant mon nez dans le coussin pour râler, je finis tout de même par redresser, non sans mal. Je faisais clairement pas la fière, d'autant que ma tête tournait horriblement et qu'une affreuse nausée aux goûts de liqueur de saké me saisit à la tronche avec une violence inouïe.

" Faut vraiment que je me décide à arrêter la picole. "

C'était ce que je disais toujours les lendemains de cuite trop forte. Ce fut alors que de mon œil vitreux, je balayais la chambre à la recherche de mes affaires. Il me fallut bien dix bonnes minutes pour parvenir à tout retrouver et tout enfiler correctement. Il n'y avait que dans les bouquins où l'on pouvait imaginer que les femmes étaient capables d'être encore désirables dans des moments pareils. Une belle connerie oui !

La gueule enfarinée, les cheveux encore ébouriffés, je parvins tout de même à me redonner un semblant d'humanité, malgré les cernes qui faisaient dix kilomètres de long. Je quittais donc la pièce, avant d'entendre le bruit d'une bouilloire dans la "cuisine".  Il se cachait donc là le petit moine. Me tenant sur le coin de la porte, j'affichais un petit sourire en coin alors qu'il se faisait du thé.

" Tu aurais dû me réveiller, joli cœur. Imagine si tes ouailles me trouvent ici. Ça va jaser. "

Je ne rentrais pas dans la pièce, il pouvait voir que j'étais déjà habillée pour reprendre la route, même si je n'étais pas vraiment réveillée.

" En tout cas, je te remercie pour ton hospitalité. Je pourrais prétendre avoir rencontré un moine qui a le sens du partage et de la générosité. "

Mon sourire s'élargit alors que je lui adressais une sorte de clin d'œil.

" Si c'était pour moi, t'embête pas. Je déjeunerai sur la route. Le chemin sera long pour Seizan, autant que je m'y mette dès maintenant... et en tout cas, ça vaut ce que ça vaut mais... t'es pas si mal pour un moine. "

Je me mis à rire, avant de quitter les lieux. Je ne savais pas encore comment je reprendrais la route, sans doute que je m'inviterais dans une caravane de marchands, avec, peut-être, un peu moins d'apriori sur les prêtres... juste un peu moins.