Cet endroit était dangereux et le prêtre d'Inari le savait. Néanmoins il avait été de son devoir d'aller remplacer de manière temporaire la prêtresse qui s'occupait du petit sanctuaire d'Inari pour une durée d'une semaine, peut être deux. Une mission confiée par le village caché des dunes, le temple de Sakyuu avait du trouver un remplaçant et ce fut dans le maître des renards que Kaede trouva un candidat viable pour elle. Shingen n'avait pas été un grand fan de la nouvelle, mais c'était son devoir.

Cela faisait quelques heures que le jeune homme était arrivé, s'il n'avait pu effectuer un ménage complet du petit sanctuaire, il était a peu près présentable ce qui était déjà un bon point. Le jour tombant dans un superbe crépuscule, Shingen décide de prendre un peu l'air, son masque se révélant assez étouffant dans cet espace. Le jeune homme inspirant l'air frais du début de la soirée... Ses yeux luisant légèrement dans l'obscurité, ne pouvant s'empêcher de replacer deux ou trois choses dans la place du temple.

Du coin de l'oeil une forme pale attire son regard, une jeune femme. Saisissant par réflexe son masque pour dissimuler son visage et surtout ses yeux de félin. Elle avait tout l'air d'être une voyageuse...

**Elle a l'air jolie de loin... Si tu l'invitais au sanctuaire?**

**Oui tiens, pourquoi pas?**

**Rappelle toi il nous reste de quoi cuisiner des ramen, parfait pour quelqu'un qui a besoin de reprendre des forces**

**Je sais ce qu'il me reste**

Le sourire du jeune homme était souriant sous son masque, son kimono blanc indiquant sa qualité de prêtre et le motif de renard de son masque permettait sans trop de soucis de comprendre son appartenance au sanctuaire de la déesse Inari, déesse du foyer et du commerce.

"Bien le bonsoir mademoiselle. Je me prénomme Shingen, du sanctuaire d'Inari. Je sais que cette invitation va paraître surprenante, mais souhaitez vous partager le dîner avec moi?"

Les bras croisés derrière le dos, le jeune homme penche très légèrement la tête. Arriverait-elle a deviner son sourire derrière le masque?

Light my fire

À chacune de mes traditionnelles visites au sanctuaire du feu, je finissais par trainer n'importe où. J'avais beau avoir mes habitudes, d'autres avaient la vie dure et je n'avais jamais compris pourquoi ce pays me rendait si mélancolique. Peut-être la chaleur, peut-être les dunes, peut-être tout simplement parce que mon instinct me disait que mes origines se trouvaient ici. Drôle quand on y pensait. J'aurais sans doute mené une vie bien différente si j'avais grandi à Sakyuu, du genre que j'étais à peu près certaine que je ne serais pas devenue forgeronne. Marionnettiste. Sûrement. Cet art que les sakyujin s'étaient appropriés me fascinait. Peut-être aussi parce que j'avais une fâcheuse manie d'être encline à trouver leurs mecs pas trop mal.

" Putain, je suis où là ? "

La nuit était commencée à tomber et comme j'avais la tête ailleurs, j'avais juste suivi mes pieds pour... un autre sanctuaire ? Celui-là, je le fréquentais pas, mais la gueule me disait quelque chose. C'était pas comme si je connaissais tous recoins de la zone non plus, mais me semblait être déjà passé devant.

Par contre, autre fait nouveau, c'était l'arrivée d'un prêtre masqué qui m'aborda directement pour m'inviter à... dîner ? Ils avaient le droit de faire ça les types ? De but en blanc ? J'en connaissais qui serait content de voir leurs règles changer...

" Whoo. Sérieux ? T'invite des nanas comme ça, fanco ? Tu dois vraiment avoir faim mon petit renard. "

J'étais pas certaine qu'il comprit le double sens, mais au moins, je pourrais rapidement me faire un avis sur l'énergumène et son approche. S'il voulait me bourrer le mou avec ces paroles évangélistes, il serait vite servi. Si c'était autre chose, j'étais pas tellement branchée soirée costumée.

" Alors on va déjà commencer par les présentations. Moi c'est Honoka et je préfère t'annoncer la couleur, qu'il serait moins maladroit d'annoncer tes intentions, l'ami. Ta proposition est plutôt tendancieuse.  "

Un petit sourire mesquin se profila sur mon visage alors que je regardais de haut en bas. Mais entre sa tunique et son masque, difficile de se faire une réelle opinion sur le bonhomme. Il y avait un loup. Sûr. J'avais jamais eu de la vaine donc...

" Si c'est de l'embrigadement religieux, tu devras te passer de moi. Si c'est un vrai repas gratis, ça serait sympas de retirer ton masque. Si c'est un message codé pour jouer au docteur, on se connait pas assez mon mignon.  Alors ? "

La messe était dite comme dirait les prêtres.

**Elle a vu tellement clair, je l'adore. T'as ma bénédiction épouse la carrément, oh j'adore**

La renarde était entrain de mourir de rire dans l'esprit de Shingen, alors que ce dernier penche un peu plus la tête en signe d'incompréhension. Bon, bon bon... Qu'allait il lui répondre. Un léger rire franchis ses lèvres, croisant les bras dans son dos comme a son habitude, ses yeux félins luisant légèrement dans la nuit. D'accord, elle était beaucoup plus intéressante qu'il ne l'avait cru au tout début. Secouant la tête légèrement il la fixe dans son oeil libre:

"Non non, malheureusement mon ennui est le contraire. Je suis loin d'avoir assez d'appétit. Voyez vous je viens d'être affecté a ce sanctuaire et le temps que j'arrive beaucoup des vivres sont dans un état... comment dire... limite. Je peux les cuisiner ce soir, mais je n'ai pas assez d'appétit pour finir. Il y a bien de quoi manger pour deux, voire trois. La chance a voulu que vous soyez le premier voyageur a qui j'ai pu offrir le couvert, voire le gite si vous le désirez?"

En soi, ce n'était pas un mensonge, il y avait vraiment beaucoup trop d'aliments limite qu'il devait passer dans les plus bref délais. Shingen espérait avoir réussi a endormir sa méfiance. Une présentation en bonne et due forme allait avoir lieu donc? Eh beh, pour qu'on lui offre un repas elle est vraiment capricieuse, même s'il devait admettre qu'elle avait raison:

"Je m'appelle Usui Shingen entièrement donc. Je suis chuunin au village caché des dunes et le gardien de ce sanctuaire pour quelques semaines. Prêtre de la déesse Inari, la déesse du foyer, du commerce et du riz... ainsi que ses dérivés"

Et son prédécesseur ne s'était pas vraiment privé sur les dérivés. Honnêtement, il y avait limite plus de bouteille de sake que de nourriture. A croire que l'ancienne se nourrissait plus de liquide que de solide ça avait estomaqué Shingen. Bon, il n'allait pas pouvoir jouer a l'idiot beaucoup plus longtemps, sa main se portant lentement a son masque, commençant a le retirer avec une lenteur excessive pendant qu'il lui réponds:

"Honnêtement, je ne suis pas la pour prêcher ma paroisse. A moins que vous vouliez me confier vos problèmes de couple, parler commerce. Il n'y a pas de raisons pour que je tente de vous parler religion. Inari n'est pas une déesse a qui vous devez dédier votre vie, mais elle est la si vous avez ponctuellement besoin d'elle. Avez vous besoin d'aide? Un docteur après plus ample discussion peut être?"

Le renard avait fini d'ôter son masque a la demande de la femme, révélant son visage, ses yeux de renard luisant légèrement plus qu'ils ne le devraient avec le reflet de la lune. Rangeant son masque, il tends son bras a la femme pour lui permettre de le saisir et la guider:

"Je vous prierais d'excuser mes yeux, c'est une déformation de naissance. Vous comprenez la présence de ce masque désormais. Dites moi Honoka? D'ou venez vous?"

Si elle le suivait, il allait la guider au sanctuaire.

Light my fire

Alors, j'avais entendu des tas d'excuses à la con pour inviter une femme à bouffer chez soi, mais le coup "j'ai trop à bouffer, viens dîner", on me l'avait jamais fait. C'était tellement saugrenu que ça devait être vrai... sinon c'était vraiment un type aux mœurs bizarres. Mais du coup, j'étais en train de me demander si je devais pas me sentir un peu vexée au fond puisque c'était juste... parce que j'étais là. Prends-toi ça dans les ratiches ma vieille Honoka ! Aujourd'hui serait le jour où ton sex-appeal était définitivement mort.

" Mouais... super... "

Il me semblait difficile de refuser de gâcher de la nourriture, et puisque j'étais le genre de femme qui crachait pas sur tout ce qui pouvait être gratuit, il n'était pas vraiment question de reculer maintenant. Un repas, un toit. Trop rare pour le balayer du revers de la main. Et puis, la nuit tombait. Il me faudrait être débile pour traîner encore à l'heure tardive qui se pointait. Je l'étais d'habitude, mais là, pas envie.

" Ses dérivés, hein ? Tu m'en diras tant...  "

À dire vrai, j'avais un léger doute sur ce que je devais comprendre derrière cette phrase, mais l'idée que ce prêtre ne se rendit pas compte lui-même de tous les doubles-sens de ses phrases était en soi assez marrant. Bon, il se disait Prêtre de Inari, je supposais que c'était pour ça l'excès de bouffe et sans doute que le reste, ça devait être logiquement de la picole pour accompagner. Mais je reconnaissais que je n'en avais aucune certitude. Fallait dire que je ne m'étais intéressée qu'au dieu du feu, donc toute sa bande de potes, j'avais un peu de mal à en connaître tous les rituels.

En tout cas, Shingen finit par enfin lever le voile sur son masque, le retirant avec une lenteur qui me donnait envie de le lui arracher des mains pour le balancer. J'acceptais de bouffer, pas besoin de spectacle de kabuki ! Là, je vis simplement un beau gosse avec des yeux bizarres. Pas de quoi fouetter un chat. Si encore il avait eu une ou deux cicatrices sur la tronche, j'aurais compris, mais là... Le coup du mystérieux... Cliché.

" Problème de couple ? Parce que j'ai une gueule à être mariée ? Et sans offense Shingen, la dernière personne que je viendrais voir pour ce genre de problème, c'est bien un prêtre qui n'a jamais trempé le biscuit. "

Fallait être logique. Depuis quand les prêtres s'adonnaient en plus à offrir ce genre de conseil ? Les religieux... Parfois, je me disais qu'ils étaient les pires escrocs de notre humanité.

" Et je vois pas pourquoi j'aurais besoin de voir un médecin.  T'es vraiment un type bizarre Shingen, mais j'accepte quand même l'offre du dîner et du gite. "

Sur ces paroles, je suivis le prêtre aux yeux de renard, tout en répondant à sa dernière question et me montrant sans doute un peu trop franche et trop directe.

" Bon le beau gosse. Déjà, arrête ton charabia de religieux gentils tout mignon. Tu me la feras pas avec ton blabla. Déformation de naissance ? Mes fesses. Mais si ça peut te rassurer, je m'en tamponne.  Je te demanderais pas si t'as volé les yeux de ton chat, et même si c'était vrai, c'est tes affaires, pas les miennes. Donc l'histoire du masque pour te planquer, garde ça pour les petits sensibles. "

Je me mis alors à fouiller dans mes poches pour me prendre une cigarette et me l'allumer tranquillement.

" Quant à moi, je viens de Seizan, village de rustres et de gens qui aiment pas trop qu'on vous la fasse à l'envers.  Mais si ta question est pourquoi je suis ici parce que c'est assez évident que je suis pas de la zone, c'est parce que je suis passée au temple du feu. J'avais une bricole à faire là-bas. Est-ce que monsieur beaux yeux est satisfait de la réponse ? "

Je me mis à souffler un rond de fumée, tout en tournant mon œil dans la direction de l'intriguant. Noter que si mes paroles semblaient assez sèches, ma voix ne l'était pas tellement. Mon ton était plutôt las et blasé, comme la nonchalance de ma démarche.

Shingen est dépité, ne comprenant pas vraiment la réaction d'Honoka comme si elle était déçue de sa réponse? Qu'aurait elle voulu entendre? Qu'elle espérait qu'il avait des ambitions cachées auprès d'elle?

**Essaie de lâcher un petit compliment ou un truc du genre...? C'est un truc qui fait toujours plaisir aux femmes.**

Ses yeux de félins se posent sur Honka, la fixant avec intensité derrière son masque avant de lâcher un petit rire devant sa moue peu convaincue, décidant d'appliquer la directive de la renarde:

"Il y a un soucis? Si tu préfères, vois ça comme un rendez-vous galant?"

Un ton taquin, assez pour qu'il soit difficile de distinguer s'il était sérieux ou pas dans ses dires. Selon les dires d'Ari ça allait retirer cet air boudeur qui naissait sur le visage de la belle borgne. De l'avis du maître des renards, cet air boudeur gâchais la beauté de son visage, même si sans elle restait magnifique. Penchant la tête, il se dit qu'il serait peut être temps de se diriger la ou ils avaient prévu de manger... enfin la ou il avait prévu de l'emmener manger.

"Tous les dérivés de riz... du tofu au saké au dango, Inari-sama a donné le riz aux hommes et nous nous autorisons sa consommation pour dégustation. Néanmoins vous comprendrez que je ne peux aller dans l'excès? Vous êtes mon invitée par contre, ne vous embarrassez pas de règles qui s'appliquent a moi."

Oui, il venait de lui annoncer une soirée de picole gratuite tant qu'elle le laissait lever le coude a son rythme pour pas finir déchiré. En réalité personne ne s'en rendrait compte s'il avait une gueule de bois le lendemain matin mais il commençait a se dire qu'il transgresserais quand même trop de règles sur le coup. Enfin, faudra aviser avec Ari pour le coup...

Bizarrement, elle semble surprise lorsqu'elle entends dire que tu donnes des conseils pour que les couples réussissent a tenir. En quoi c'est si étrange? Ahhhh ça? Elle sera surprise d'apprendre la vérité plus tard dans la soirée si le sujet viendrait a tomber, mais Shingen était loin de correspondre au prêtre tout ce qu'il y avait de plus banal... Sans doute en serait-il un s'il se contentait du code des hommes, mais il en suivait un autre, celui des messagers divins...

"Je peux comprendre que t'aies pas confiance. Honnêtement, tu es une belle femme Honoka, drôle aussi. Il n'y a pas de raison, je suis sûr que plein d'hommes que tu connais rêveraient de te mettre la bague au doigt. Sauf si tu cherches pas la c'est une autre histoire. Tu sais... beaucoup sont devenus prêtres sur le tard, tu pourrais être surprise. Pour le médecin c'est toi qui parlais de message codé pour le docteur hein?"

Ambigu? Sûrement mais c'était trop drôle de la faire tourner en rond. Temps en temps donner l'air de savoir de quoi il parlait pour ensuite détruire le tout avec une petite réflexion qui détruisait tout cet aspect. Bien sûr qu'il avait saisi ce qu'elle voulait dire par jouer au docteur, il n'était pas idiot a ce point la et connaissait toutes les métaphores qu'il avait a connaître. Enfin le renard était confiant sur son répertoire de réflexion gravleuse.

Comme beaucoup elle ne goba pas l'histoire de la déformation de naissance... bon au moins elle s'enfuyait pas apeurée c'était déjà ça. Sans doute était elle confiante en sa force? C'était néanmoins vaguement nouveau pour Shingen de voir quelqu'un avec une réaction tout ce qu'il y a de plus... neutre? Rangeant son masque a la ceinture, c'était la surprise qui prédominait dans ses pupilles d'or... Avant d'éclater d'un grand rire, soupirant:

"C'est vrai, c'est plus compliqué que ce que je viens de te dire, mais on est pas dans une région de gens aussi tolérant que toi. Je peux pas prendre le risque de me faire lyncher par les... sensibles comme tu dis. Mais je ne le mettrais plus avec toi ça te vas? Puis beau gosse? Tu me fais trop d'honneur, tu es superbe toi aussi."

Arrivant sur le palier du petit temple, Shingen s'arrête pour se retourner, fixant Honoka avec un demi sourire. Un village de gros rustre qui aimait pas qu'on les prennent pour des idiots hein? Donc elle voulait savoir ce qu'il voulait? Mais il lui avait déjà dit encore et encore... Son sourire énigmatique revient sur ses lèvres alors que ses mains se placent a nouveau dans son dos:

"Je te l'ai déjà dit Honoka, partager un repas, boire des verres, bavarder et rire un peu puis s'il y a assez d'affinité entre nous deux passer a des activités plus agréables, voire coucher ensemble. Est ce que cela répond aussi a ta question? Je comprends bien, je t'imaginais plutôt athée a t'entendre parler tiens. Je suis surpris."

De son ton, il était difficile de dire s'il pensait réellement ce qu'il disait, même si pour le coup c'était son but initial. Poussant la petite porte, Honoka peut sentir l'odeur des ramens entrain d'être maintenus au chaud venant du fond du temple, probablement l'annexe ou le prêtre vivait:

"Est ce que tu veux me suivre?"

Light my fire

Ce moine était définitivement un type bizarre... parce qu'il n'avait clairement pas l'attitude d'un moine. Je me demandais s'il venait à peine de rentrer dans les ordres, le genre à avoir gardé ses mauvaises habitudes. En tout cas, ça me fit sourire et j'étais animée de beaucoup moins de scrupules.

" Un rendez-vous galant avec un moine... ça fait un peu femme désespérée... "

Carrément même. Ça sonnait comme ses vieux plans miteux de rendez-vous arrangés. J'eus un frisson dans le dos rien que d'y penser. Heureusement que mon vieux ne m'avait jamais fait ce coup-là. Je lui aurais volé dans les plumes.

En attendant, j'eus droit sur le chemin à un petit cours théologique sur les lois divines qui concernaient Inari et ses serviteurs. Elle leur offrait le saké, mais ils n'avaient pas droit d'en abuser. Voilà qui était ballot. Heureusement pour moi, il spécifia que j'étais pas concernée par la chose. Le contraire aurait été un peu difficile, on allait pas se mentir. J'avais toujours eu une bonne levée de coude et il m'était difficile de la stopper si l'ambiance était bonne. Bon, j'y mettais rarement de la volonté. J'avais juste le sens de la fête, non ?

" Voilà une chose qui ne me fera pas regretter d'avoir accepté ton offre. Si tu peux pas boire, je boirai pour nous deux sans problème. "

Pourquoi gâcher si la boisson était bonne ? Sans être une buveuse compulsive ni bien régulière, j'admettais volontiers que si je m'y mettais, je pouvais faire pâlir n'importe quel vieux poivrot et le faire douter sur ses propres capacités. Par contre, je ne finissais jamais très fraîche à la fin de ce genre de soirée. Mais là, fallait voir le bon côté. Comme j'allais picoler dans un temple, je pouvais demander l'absolution dans la foulée.

" Ha. Bah merde. J'avais pas capté le sens de ta blague. Faut dire que les moines vont rarement sur ce terrain-là. On peut dire en effet que tu me surprends Shingen. Maintenant, à moi de savoir si c'est en bien ou pas. La soirée le dira. "

Subtil le coup du médecin. Pour une fois où c'était moi qui étais trop premier degré. Il marquait un point le renard et finalement, il se révélait peut-être plus intéressant qu'au début. D'ailleurs, visiblement, je ne manquais pas de le faire marrer. Si en plus il me complimenta pour la seconde fois sur ma soi-disant beauté, il m'expliqua brièvement que son charabia était aussi une prévention pour les flippés de la région. Ça se défendait.

" Je vois que t'as pas eu affaire à des marrants. T'as pas de risque avec moi. Tes yeux me posent aucun problème. C'est pas tellement ce que je regarde chez un homme, ou pas en premier. "

Je ne pus m'empêcher d'avoir un petit sourire en coin. Bien entendu, je m'étendis pas dans les détails de ma petite provocation. C'était pas drôle si on devait tout déballer. Et puis, c'était pas vraiment un mensonge non plus. C'était le sourire que je matais en premier lieu. Vous avez cru quoi les pervers ? Tssss...

Avec tout ça, on finit par arriver au petit sanctuaire d'Inari, mais le grand dadet s'arrêta sur les marches pour me regarder droit dans l'œil et afficher un drôle de petit sourire, le genre dont on ne savait pas si ç'annonçait quelque chose de bon ou de mauvais.

" Whoo. Là au moins on peut dire que c'est clair. T'es vraiment un prêtre ?  "

Je finissais ma cigarette alors qu'il m'invita à entrer. Au moment où je lui passais devant, je ne pus m'empêcher de sourire à nouveau, penchant légèrement ma tête vers lui pour murmurer mes intentions.

" Maintenant que les choses sont bien définies, je compte bien goûter à tous les plats et je te montrerais comme j'honore le dieu du feu. "

Sans plus attendre, je me dirigeais vers le fond du temple d'où je crus sentir l'odeur de bouffe. Il me sembla y distinguer aussi un peu de lumière. La seule chose que je pouvais dire en traversant, c'était que les moines, ça s'emmerdait pas.

"J'ignore si ça te rassure venant de moi, mais croit moi Honoka tu es loin d'avoir l'air d'être désespérée."

C'est vrai, bien que borgne, Honoka est une véritable beauté aux courbes plaisantes a l'oeil et au verbe assez acérer pour faire rire. Que des qualités physiques et mentales qui lui permettraient de charmer n'importe quel homme prêtre ou non. Après on ne peut pas dire que la situation prêtait a rire elle même, il est vrai qu'elle avait raison pour le coup. Heureusement que c'était la personne la moins crédible du monde pour dire ces mots la.

S'il n'était pas sûr de son rapport a la boisson, la voila qu'elle confirmait ce qu'il pensait. En même temps, Shingen avait entendu dire que les montagnards de Seizan étaient des gens qui avaient une descente d'alcool incroyable, surtout comparé aux gens du désert. Si en plus la femme aux cheveux blancs était plutôt douée pour une Seizanjiin, est ce que la réserve accumulée par son prédécesseur suffirait? Quoique... pour descendre une dizaine de bouteilles a deux... Surtout s'il restait sobre c'était impossible.

"Il y a une rumeur comme quoi vous avez une sacrée descente a Seizan. Donc tu boiras une part d'homme de Sakyuu ou une part d'homme de Seizan?"

Etait-il vraiment si surprenant que ça qu'il ait un peu d'humour ou... qu'il soit capable de faire une blague scabreuse lui aussi? Devant son regard, il ne peut s'empêcher de rire doucement pour toute réponse. Le sujet viens sur quelque chose de plus sombre, les peur irraisonnées des gens... S'il n'y avait pas toute cette paranoïa vis a vis des yokais... Bon on va pas mentir, les gens de Sakyuu avec la nuit du grand feu avait leur raisons.

"Chacun a ses raisons après tout... Mais cette couleur fait pas très naturelle. Puis en vrai si tu regardes pas les yeux tu regardes quoi? Parce que la plupart des hommes qui disent regarder le sourire mentent... Ils regardent tes seins ou tes fesses."

Et lui, il avait regardé sa silhouette, puis sa poitrine, puis ses yeux. Rien d'inhabituel chez un homme comme lui on peut dire. Il avait fini par l'amener et lui apporter la réponse qu'elle désirait tant entendre... C'était amusant de la voir se décomposer de surprise et même de remettre en cause son statut de prêtre. Bien qu'elle soit maligne, elle n'avait pas les mêmes codes que Shingen, leurs manières étant très éloignées, assez pour que le renard brise le mur et soit d'un direct désarmant et il ne va pas mentir... cela l'amuse beaucoup, beaucoup trop.

"Je suis bien prêtre depuis peu... Mais je suis assez unique en mon genre."

Oui, les prêtres qui ont un intermédiaire avec leur dieu qui leur donne des passe droits... Sans doute ne recroisera t-elle jamais de prêtre comme lui. Si elle décidait de partir, il ne l'en empêchera pas mais a la surprise du maître des renards elle décide de plonger et honnêtement, dans le contexte très précis elle semblait même agréer a l'entièreté de sa proposition, laissant présager une nuit ou ils n'allaient pas dormir très longtemps. Chuchotant a son tour:

"Bon appétit Honoka"

Fermant la porte du sanctuaire, il se permet de laisser ses yeux jaunes se balader sur les hanches d'Honoka illuminées par un dernier rayon de lune alors que la femme s'était approchée de la zone de vie. Un léger sourire se dessine a nouveau alors qu'il ferme la porte en mettant en place une pièce de bois pour bloquer l'accès au sanctuaire pour la nuit, comme il est d'usage dans un si petit sanctuaire:

"La porte a gauche pour la zone de vie Honoka. Tu entres dans le salon tu peux t'installer et te servir pendant que je vais te chercher quelque chose. Fais comme chez toi."

Lorsqu'Honoka arrivera, elle pourra voir sans soucis les ramens et quelques bols sur une table alors que Shingen allait a droite, descendant dans la cave ou était stockée un peu de nourriture, remontant avec deux bouteilles de saké le temps qu'elle s'installe:

"Je ne t'ai pas trop fait apprendre?"

Light my fire

Je ne pus retenir un bref petit rire à la remarque du jeune moine. J'avais pas la gueule d'une désespérée ? Le contraire m'aurait fait mal. Cependant, est-ce que je devais me sentir soulager de l'entendre de la bouche d'un religieux ? Pas certaine non plus. Bon, je ne nierais pas que j'avais pas une vie sociale trépidante, mais ça me convenait, c'était un choix. Déjà d'une part parce que la vie des autres, je m'en foutais et cela réduisait naturellement mon spectre de gens amicaux. D'autre part, j'aimais ma solitude imposée parce qu'elle me permettrait de rester concentré sur l'essentiel, de mon travail ou de mes objectifs personnels. - pour ce qu'ils valaient. Et puis, pour d'autres raisons qui ne regardaient que moi et ma conscience. Tout ça pour dire que je n'étais animée d'aucune désespérance particulière, et ce, à aucun des niveaux de ma petite vie de samuraï.

" Hoho ! Je vois qu'on a une belle réputation. Si je veux y être à la hauteur, je prendrais les deux parts, mon capitaine. "

Personnellement, j'aurais eu plutôt tendance à dire que nous autres Seizanjin étions des bons vivants, des gens simples même. On se prenait pas la tête. On aimait bien manger, bien boire et bien s'amuser. Pour la plupart d'entre nous, bien entendu. Autant faire perdurer le mythe. Par contre, moi, j'avais jamais entendu parler de moine qui se la jouait si libertin, ça me les ferait presque remonter dans mon estime. Enfin un type un peu plus détendu du bulbe.

Il réussit même à me faire sourire une seconde fois avec sa franchise. Il me décontenançait celui-là. Les autres prêtres m'avaient donc si mal habitués ? Un sourire en coin, je ne fis preuve d'aucune manière, comme à mon habitude, et je me mis à le dévisager de haut en bas.

" Mmmm, disons que pour nous les femmes, c'est un peu plus compliqué de mater la marchandise. Je dirais que je regarde ce qui mérite d'être regardé. Un sourire ou un petit cul, de toute façon, ça n'en dit pas long sur l'individu.  "

Je me mis à hausser les épaules sur cette constatation un brin fataliste, et puis de toute façon, qu'importait ce qu'on regardait, on avait des yeux, c'était bien pour voir, non ? M'enfin dans mon cas, il ne m'en restait plus qu'un. La blague. En attendant, Shingen restait quelqu'un de plutôt curieux, par ses manières et son verbe, plus que son délire sur son regard bizarre.

"Unique, je veux bien le croire. Les moines que j'ai pu croiser dans ma vie sont plutôt austères et particulièrement ennuyeux. On verra mon verdict en fin de soirée. "

Sur ces mots, je pénétrais dans le petit temple qui ne payait clairement pas de mine. Je m'y étais jamais arrêté, pas dans celui-là en tout cas. Il fallait dire que je n'avais aucune raison de rendre hommage à Inari, déjà que j'avais du mal à foutre les pieds dans celui de Seizan. Kagutsuchi était le seul dieu qui faisait exception à mes habitudes. On avait des affaires lui et moi après tout, je pouvais bien lui accorder un peu de mon temps.

Tandis que je traçais ma route, j'entendis le prêtre refermer derrière moi, signe que personne ne viendrait lui rendre visite à moins de toquer à la porte. Je supposais - à raison ou non - que personne d'autres ne se trouvait en ces lieux, et que c'était là, possiblement, la raison de son évidente décontraction. S'il n'y avait pas d'autres moines, pas vu, pas pris comme on disait. Si j'étais paranoïaque par contre, ça pouvait aussi signifier que ça pouvait se retourner contre moi, et là, l'affaire ne sentirait pas bon. Heureusement pour moi que je savais me défendre, bien que cela restait problématique quand on ne connaissait pas le potentiel de son adversaire.

" À gauche, tu dis ? Ok.  "

Suivant ses instructions, je m'enfonçais dans la petite pièce désignée pour y découvrir un salon plutôt cosy. Les moines, ça s'emmerdait pas. Il y avait l'odeur des plats tout juste réchauffé qui embaumait la pièce, des bols entassés qui entendaient d'être rempli. Naturellement, et avant même que Shingen n'eut à me le spécifier, je me mis à mon aise en retirant veste et chaussure. De la même manière, je défis mon katana qui prônait à ma ceinture, bien que je le laissais en vue. Je ne répondis pas au moine quand il disparut chercher je ne savais quoi et me saisit de deux bols que je remplis. Dressant de façon très succincte la table, je disposais les deux récipients à côté de l'un et de l'autre. J'avais aucune idée de l'endroit où s'installerait le moine. Moi, par contre, je posais rapidement mon petit postérieur sur un coussin, observant la fumée de mon ramen bouillant s'évaporer. Ce fut à ce moment-là que le gredin arriva avec deux bouteilles.

" Haa! Voilà qui fait plaisir. Tu sais recevoir Shingen. Sers-nous un verre... enfin, sers-moi un verre si toi tu bois pas. Je t'ai déjà fait ton bol.  "

Je désignais d'un mouvement du menton ce que j'avais rempli. On allait enfin pouvoir se sustenter.

Light my fire

J'étais vraiment tombée sur un drôle de bonhomme. Un moine qui faisait dans ce genre de provocation était littéralement une rareté. Je dirais même que je n'avais pas souvenir d'en avoir rencontré - cela viendrait sans doute plus tard. Mais il était clair qu'en la matière, j'étais la dernière personne qu'il fallait titiller de cette façon. J'étais parfois un peu trop joueuse.

" Me mettre au défi ? Essaie toujours. Je te mettrai au tapis. "

La suite de la conversation, quant à elle, me fit étonnamment rire. C'était plutôt rare de ma part d'ailleurs de m'entendre m'esclaffer, à moins d'avoir déjà beaucoup trop bu. Je pouvais rire jaune et très vaguement, mais pas au point de me montrer si clairement amusée de la situation.

" Par tous les kamis, pincez-moi, je rêve  ! Un moine qui a un parler aussi cru ! Hahahaha! Oh toi, je t'aime bien Shingen. T'es un marrant. "

Et c'était vrai. Ce type-là commençait à me plaire dans le sens où j'appréciais les gens qui n'en faisaient pas des caisses, qui disaient les choses comme elles étaient sans en déformer le fond pour la bienséance. Et il fallait dire que finalement, venant d'un moine, cela rendait les propos encore plus drôles tant je trouvais ça ironique. Il appuya même ses propos avec une vérité si simple que je ne pus que conserver mon sourire. Mais le gredin ne s'arrêta même pas là, voilà qu'il voulait titiller ma curiosité. Un renard ce moine !

" Oh ? M'en dire plus ? Sur le fait que tu es pas sage ou bien sur ton point de vue concernant tes camarades coincés ? "

L'esquisse qui se profila sur mon visage devint presque carnassière, mais qu'importait le sous-entendu, l'un comme l'autre pouvait se révéler intéressant. C'était un peu mon petit défi à moi. Chacun le sien. Mais en attendant les futures hostilités, nous nous étions temporairement séparés, me laissant le temps de me défaire de mes affaires et remplir nos bols de ramens réchauffés. De son côté, le moine renard servit les verres. Enfin surtout le mien à la vue de la quantité, ce qui était très loin d'être un problème pour moi. Au contraire. Je n'avais juste qu'à espérer qu'il soit de bon goût.

" Trop ? Mais il y en a jamais trop quand c'est bon, gueule d'ange. "

 Et c'était bien vrai. La vie était assez merdique pour se priver de ses bienfaits ou de se limiter. Dans l'Onogoro, les lendemains étaient si incertains qu'il fallait, à mon humble avis, être un peu trop con ou trop optimise pour imaginer que le jour d'après serait forcément un autre bon jour. Je préférais ne pas prendre les paris. Si c'était le cas, tant mieux, le cas échéant, j'aurais bien fait d'en m'éclater avant.

Prenant le verre alors rempli à raz-bord, ne tenant pas compte du fait que je renversais un peu de saké sur mes doigts dans mon geste, je le levais néanmoins pour trinquer avec mon nouveau camarade, le sourire au coin des lèvres.

" A ta santé Shingen ! Et à ta générosité que je salue aujourd'hui ! À charge pour moi de te la rendre un jour. "

Nos verres s'entrechoquaient dans un tintement clair et je bus directement ma coupelle, d'une seule traite, comme une vraie seizanjin. Je sentis ainsi le feu de l'alcool couler le long de ma gorge avec un délice appréciable. Cela pouvait paraître sado-masochiste pour beaucoup, mais pour une manipulatrice de katon comme je l'étais, la chaleur, qu'importe d'où elle provenait, était un bienêtre évident.  Kagutsuchi avait peut-être pas inventé le saké, mais on pouvait l'honorer à travers lui.

Plutôt satisfaite du goût de cette bouteille, je saluais le moine une nouvelle fois sur le sujet, précisent que l'alcool de riz était délicieux, sans nul doute même meilleur que le dernier que j'eus l'occasion de goûter. Mais sans tarder, je commençais à me tourner vers mon bol de ramen afin d'éponger un peu tout ça, bien qu'il ne me fallut guère de temps pour me remplir mon verre dans le but d'assurer ma prochaine lampée. Tandis que je commençais à manger, je tournais mon œil vers le moine qui semblait sourire constamment.

" Pas mauvais tes ramens. T'es donc pas seulement moine, mais cuisinier aussi ? J'ai pas souvenir qu'on m'eut raconté que la bouffe des moines pouvait être aussi goûtue. "

Le renard paraissait en cacher sous la manche.

Light my fire

La personnalité de Shingen était bien curieuse, mesquine, pas forcément dans le mauvais sens d'ailleurs. On voyait que c'était un filou qui jouait avec les limites de ces dogmes ou plutôt qu'il en avait ses propres interprétations. S'il pouvait fanfaronner devant qui n'en avait rien à cirer, est-ce qu'il en faisait autant devant les grands pontes de son ordre ? Difficile à croire, sinon, le petit rigolo se tiendrait sans doute pas devant moi. Les vieux qui géraient les moines ne devaient pas être des marrants et tellement engoncés dans leur règlement qu'ils ne devaient pas s'emmerder avec les petits cons.

" Me parler des codes moraux ? Pitié, épargne-moi ça. Le repas avait si bien commencé... "

Je faisais preuve d'ironie bien entendu, mais le moine lui, se montrait plus audacieux. Tandis que je venais de boire une lampée de mon saké, voilà qu'il se plut à me faire glisser une mèche de cheveux derrière l'oreille. N'importe quelle jouvencelle aurait trouvé ça mignon, mais j'en étais pas une. Alors au moment où il retira sa main, la mienne qui ne tenait pas mon verre s'en empara, fermement. Un petit sourire se dessina à nouveau sur mon visage alors que j'en profitais pour boire à nouveau, tout en serrant la main du prêtre - noter que je ne forçais pas pour lui faire le moindre mal.

" Petit renard, tu ne devrais pas jouer à ça avec moi. Je suis pas une de tes fidèles qui rougissent au moindre contact. Ce genre de numéro, ça marche qu'avec les pucelles. "

Je lui rendis sa main, la laissant glisser entre mes doigts, alors que je revenais une fois de plus vers mon verre. Le moine me le remplit une nouvelle fois généreusement et on trinqua. Bien entendu, j'avais noté que le garnement buvait à peine, mais j'avais l'estomac solide. S'il espérait me faire tomber raide avec une bouteille, c'était sous-estimé les seizajins... ou moi. Même s'il fallait convenir que je devrais pas me vanter d'un truc pareil.

" Profiter de la soirée ? J'y compte bien, mais je suis une samuraï et si je me fous des codes moraux, j'en ai quelques-uns auxquels je tiens. Je te rendrais la pareille, mais par tous les dieux, certainement pas en cuisinant ! Ha !"

Je me mis à rire avec légèreté. Il savait pas à quoi il échappait. Le problème n'était pas que j'étais mauvaise cuisinière, c'était que je n'aimais pas ça donc je me cassais jamais les méninges. Mes tambouilles étaient assez basiques, tout juste pour survivre et pas trop dégueulasse pour pouvoir quand même se satisfaire un peu. Et puis, pourquoi je me casserais les noix si je parvenais à me faire inviter ? Je me régalais ainsi à coup de baguettes de mes nouilles nourrissantes et des quelques lamelles de bœufs qu'il avait généreusement placé dans son bouillon. Lorsque je levais mon nez, il se saisit de la bouteille et me remplir encore ma coupelle.

" Je ne comprendrais jamais les femmes qui passent leur vie derrière les fourneaux, mais je suppose que certaines y trouvent leur compte. Personnellement, je préfère occuper mes mains à d'autres activités que les foutre dans la farine. "

Prenant mon verre et en vidant la moitié, mon œil parme se tourna vers le prêtre, une esquisse mesquine au bord des lèvres.

" Je suppose que toi, tu dois pas passer tout ton temps devant l'autel à prier, non ? Faut bien rameuter les ouailles d'une façon ou d'une autre, hein ? "

S'il existait des religieux aussi coincés et raides que les cierges qu'ils brûlaient dans leur temple, d'autres se devaient d'avoir assez de gueule pour convaincre et escroquer les pauvres fous trop perdus et les convaincre de les rejoindre dans leur foi. Mon petit doigt me disait que Shingen était sans doute de cela.

Light my fire

Un petit sourire se pointa sur mon visage, notant que Shingen semblait vouloir jouer avec le feu. C'était un petit impertinent, c'était évident.

" De voir l'un des leurs cracher sur le comportement des autres ? J'avoue que j'en apprécie l'ironie. Mais il me semble qu'on convient tous les deux que parler de ces gens-là, c'est assez ennuyeux, non ? "

Pas peu dire. Quelle perte de temps. Il était plus marrant de le voir essayer de se brûler en me provoquant. Oh le gredin savait pas jusqu'où je pouvais aller, et personnellement, je n'étais pas certaine qu'il serait près à assumer toutes les conséquences de ses actes. Mais le voir boire cul-sec me fit rire. Il n'en avait clairement pas l'habitude ou pas avec cet alcool. S'il continuait comme ça, clair que c'était moi qui m'amuserait le plus.

" Une vétéran... on peut voir les choses comme ça.  Mais si t'espère vraiment passer mes défenses, il faut jouer la carte de la surprise, attaquer au moment où je ne m'y atteindrais pas forcément. Y a pas de vrai secret, t'as juste besoin d'audace.  Parfois ça paie, parfois non. "

Le prix du risque. Je ne savais pas jusqu'où un moine se permettrait d'aller, quelle serait sa limite. Par contre, celle de son verre, je pus parfaitement l'apercevoir. Je n'avais pas réellement de quoi me vanter, c'était pas la meilleure des qualités que d'avoir une bonne levée de coude. Mais bon, tousser pour une simple coupelle de saké... Au moins, il avait le mérite de vouloir essayer de donner le change et ça, je savais l'apprécier.

Laissant finalement un peu de côté toutes nos railleries, on en était venu presque à avoir une conversation normale. Comme quoi, on pouvait dériver sur tout et n'importe quoi lors d'un repas. Je lui avais clairement exprimé mon incompréhension de la vie des femmes d'aujourd'hui, de cette soumission acceptée, de cet abandon de soi pour les autres. C'était d'ailleurs sans doute cela qui m'échappait le plus. Moi, j'étais une égoïste. Je pensais à mes intérêts, mes besoins. Consacrer ma vie à une autre, comme des moines à leur dieu, ça me dépassait. Et pourtant, depuis que je m'étais retrouvée avec Yahaba dans les pattes, je commençais à entrevoir toute l'étendue de cette responsabilité... même si je la fuyais dès que je pouvais. On ne se refaisait pas.

" On dit qu'il y a que les cons qui ne changent pas d'avis, mais si ces femmes y trouvent leur compte... Mais si tu veux mon opinion, ce n'est pas de l'amour que de s'enchainer chez soi. C'est de la facilité ou de la sécurité tout au plus. "

Dissimuler ses actes sous une couche épaisse de sentiments, ça aussi c'était facile, voir lâche même. Et là par contre, j'étais pas en position d'ouvrir ma gueule... mais ça m'empêchait pas de boire et de manger. Chose que j'enchainais aussitôt que Shingen prit le temps de me donner une réponse à ma question.

" Qui aurait cru qu'une vie de moine était aussi chargée. Mais ça manque d'amusement tout ça, au moins, notre rencontre te changera un peu les habitudes. "

Par mimétisme, je levais mon verre à mon tour, puis je vidais l'autre moitié que je n'avais pas bu. Souriante de satisfaction, je me permis de me servir à nouveau et remplis même celui du moine avant même qu'il refusa quoique se soit. Je le forçais pas à boire d'une traite, mais il avait dit qu'il m'accompagnait et donc son verre ne pouvait rester vide indéfiniment.

" Alors, dis-moi, quel genre de conseil, tu distribues à tes pauvres brebis égarées ? Vends-moi un peu de rêve, que je rigole. "

Il fallait dire que je m'attendais à peu près à tout, soit des textes qu'il avait dû apprendre par cœur, ou bien une tentative d'apporter de vraies paroles à ces gens, mais s'ils donnaient sa version et vision du monde, ça devait donner.

Light my fire

Entre deux gorgées de ma coupelle, je ne pus retenir un petit sourire, encore. C'était à se demander si finalement l'alcool ne me faisait pas enfin effet. S'il était assez convenu que j'étais une femme au visage fermé, je savais le dérider de temps à autre. L'alcool y aidant beaucoup, à moins que l'on réussisse sincèrement à me faire marrer. Là, je dirais qu'il y avait comme un mélange des deux. Le moine semblait véritablement surpris que je mentionnasse qu'il était nécessaire de faire preuve d'audace, chose à laquelle, à mes yeux, me semblait être assez naturel.

" T'es vraiment si surpris que ça ?  "

Mon œil se tourna vers lui, alors que ma bonne humeur était toujours visible. Il avait plutôt intérêt à imbriquer cette image de moi, parce qu'il était peu probable qu'il ne la revit très souvent.

"  Ha! Si t'es au max, prêtre, je te dirais que tu es aussi audacieux qu'un chaton. Mais si c'était une qualité de moine, tu n'en serais sans doute pas un.  "

Mon sourire s'élargit alors qu'il évoqua l'idée de me sauter dessus. Voilà quelque chose qui serait assez comique.

"  Sauter sur une samuraï pour lui voler un baiser ? C'est plus de l'audace mon coquin, c'est de la folie... mais je t'avouerais que je demande à voir. Ha ! "

Notons que j'étais semi-sérieuse. C'était surtout le défi que je trouvais amusant et l'improbabilité de la chose. Peut-être aussi que l'ivresse parlait pour moi, mais en soi, je n'avais pas spécialement envie de déborder au point que l'on se roula par terre. Je n'oubliais pas que c'était un moine et je n'étais pas aussi désespérée. Sûrement aussi que j'en aurais un peu honte. C'était un putain de religieux quoi ! La seule chose à noter était que cela pouvait potentiellement flatter mon égo d'être capable de détourner un soi-disant saint. Mais est-ce que j'en serais véritablement fière ? Pas certaine.

Tandis que nous continuions notre repas, je remarquais clairement que mon compagnon commençait à avoir un coup dans le nez. Ses joues rouges, ses yeux brillaient anormalement et sans compter le sourire qui commençait à rester collé sur sa gueule faussement angélique, trahissaient son niveau d'état d'ébriété alors que dans mon cas, je demeurais encore à peu prêt maîtresse de moi-même. Pour combien de temps ? Je supposais que ce n'était qu'à une bouteille près, mais le ramen que je m'empressais de finir me permettait de mieux gérer mon endurance dans le domaine.

" Précieuses ? Oh toi, tu n'as pas connu assez de femmes. Si tu crois vraiment que la gent féminine est précieuse... bon après si tu ne rencontres que des gonzesses qui viennent se plaindre dans ton temple forcément... "

Alors que je buvais mon bouillon pour finir mon bol, je secouais la tête négativement comme pour assurer ma réponse. Personnellement, je ne m'offusquais pas de tel propos. Les gens pouvaient bien penser ce qu'il voulait, à charge à nous de prouver qu'on était mieux que des clichés. Bon après, potentiellement, on n'allait pas se mentir en faisant comme si cela n'existait pas, des femmes "précieuses", il y en avait. Est-ce que n'en était une ? Clairement pas, raison pour laquelle je remplis à nouveau mon verre et celui de mon camarade de beuverie.

Quand il me donna des exemples de sujets de demandes de ses ouailles, je ne pus m'empêcher de rire. Il fallait dire qu'il y avait vraiment de tout et du n'importe quoi. C'était même plus des conseils que ces gens voulaient, mais littéralement que l'on prit des décisions à leurs places.

" HA ! Je confirme, c'est pas excitant du tout. Nom d'un kami ! Les gens osent même plus faire les choses par eux-mêmes, ni se poser les bonnes questions. Madame devrait plutôt se demander si c'est vraiment le boulot qui fatigue monsieur. "

Laissant en suspens cette réflexion, voilà que Shingen se montra subitement tactile. Surprise par sa main qui me tapota mon épaule, je ne pus m'empêcher de le regarder avec un sourcil levé. Oh lui, il était à point.

" Finalement, hein ? Et dire que je croyais que je t'avais tapé dans l'œil depuis le début ! Hahaha! Rassure-toi Shingen, la réciproque est vraie. Je t'aime bien pour un moine. J'ai tendance à vous trouver chiant comme la pluie. Toi, t'es au moins marrant et tu sais recevoir. "

Sur ces mots, je levais ma coupelle pour la vider d'une traite, puis me vint une illumination.

" À propos, tu m'as offert le couvert, mais tu m'as dit aussi que je pouvais dormir ici, t'as un lit pour les invités ou je dors ici sur le sol ? "

Le temple était pas grand et je me doutais qu'il devait pas y avoir cinquante pièces. La rusticité de la vie des prêtres faisait en sorte qu'il n'y avait que peu de place pour les Hommes, mais par contre, niveau autel pour les dieux, ça ne déconnait pas. En soi, que cela fut dans la cuisine, un coin de chapelle ou dans un lieu privé, tant que j'avais un toit au-dessus de la tête, j'étais pas regardante.

Light my fire

Je ne pouvais pas m'empêcher de jubiler un peu, surtout lorsque je vis la tête de Shigen à l'idée que je le comparai à un chaton. Fallait dire qu'il avait un côté félin avec ses yeux chelous, même dans son attitude. Le côté vicelard des chats, quoi ! Le genre où quand on les sentait s'approcher de trop près, trop mielleux, c'était forcément pour vous réclamer quelque chose. Et si ça ne leur plaisait pas ? ça se détournait de vous avec mépris. Ce genre de type. MAIS, je dirais que j'avais assez de bol pour savoir m'en tirer avec ce genre de bête et m'en faire un peu apprécier. Peut-être parce que j'étais un peu sauvage ou bien un peu comme ça aussi.

" M'inquiéter ?  Je ne le suis pas. Même si tu tentais de te faire les griffes sur moi. ça serait plutôt à toi de te demander comment je te le rendrais et là, toi, tu aurais sûrement des raisons de t'inquiéter ! Ha ! "

Sur le moment, je ne m'étais absolument pas rendu compte que Shingen n'était littéralement pas tout seul dans sa tête et que sa dernière petite intervention ne m'était pas adressée. Cela ne m'avait pas empêché de rebondir de tout le plus naturellement du monde. Comme ça, aucun d'entre nous ne passait pour un con. Merci O Saké divin.

Quand il m'énonça le type de femmes qu'il était voué à croiser, on ne pouvait pas dire qu'il avait du choix. Trois archétypes et pas des moindres étant donné sa description. Bon, j'aurais pu faire la gueule étant donné qu'il me glissa dans l'une des catégories et bizarrement, je ne trouvais pas cela très flatteur, mais j'étais déjà plutôt éméchée pour m'en soucier. D'ailleurs, je repris un petit verre au passage.

" HA ! Le choix est limité, mais j'ai envie de te dire que c'est un peu ta faute. T'as choisi la toge, l'ami. Prêtre normal ou pas, on ne peut pas dire que c'est une invitation ! "

Je devais dire qu'en règle générale, ça me refroidissait vite de savoir qu'un type était moine. Ça ne m'amusait que lorsqu'ils étaient persuadées d'être des saints qui respectaient les préceptes. Mais là, c'était un peu particulier avec ce Renard. Je n'avais rien à faire qu'il outrepassait déjà le grand schéma classique des religieux. Il m'enlevait presque tout le plaisir.

Alors qu'on discutait des joies du mariage - tout à fait le genre de truc dont je pensais être largement épargné - je m'étirais un peu et me fis craquer la nuque qui souffrait de quelques raideurs. Ce fut au moment où je penchais la tête que je m'amusais de la réponse du moine.

" Hahahaha! Qu'est-ce que c'est que ce drôle de conseil ! De la lingerie ? Pas certaine que ça résolve le problème si monsieur va voir ailleurs. Quant à Seizan, je suppose que c'est partout la même chose, mais je dois dire que je ne me suis jamais intéressée à ce type de statistique. Les potins, ce n'est pas mon truc. "

Et c'était peu dire. Un tort peut-être, parce que cela permettait d'avoir des informations parfois utiles, mais on ne se refaisait pas. Je partais du principe que tant qu'on ne m'emmerdait pas, je n'emmerdais pas les autres non plus. Je m'étais dans le lot tout ce qui était attrait aux commérages.

Alors que je m'intéressais subitement au lieu où j'allais pioncer, Shingen se leva maladroitement pour débarrasser la table, puis se glissa dans mon dos. En temps normal, je l'aurais envoyé valser, mais c'était mon hôte. Ça ne se faisait pas. Mais quand je sentis ses mains se poser sur mes épaules et son souffle dans mon cou, là, je me disais que lui, il était plein comme une bombonne.

" Oh ? "

L'étrange honnêteté - ou filouterie selon - du moine me fit sourire, d'autant plus qu'il osa m'embrasser dans le cou, ce qu'il me fallait considérer comme des préliminaires audacieux. Il voulait donc jouer à ça ? Une esquisse machiavélique se devina sur le coin de mes lèvres alors que l'une de mes mains se saisit de celle qui était posée sur mon épaule. Là, je l'attrapais assez fermement et tira sur le bras du moine pour le faire basculer à la renverse. En quelques secondes, je me retrouvais sur l'animal en le regardant amusé.

" Alors comme ça je te suis agréable ? Et toi ? Est-ce que tu sais l'être, hein ?  "

Bon, il m'avait servi du saké et des ramens, alors la réponse était oui. Mais il n'y avait pas de mal à demander plus d'argument pour le prouver, non ?

Light my fire

Il y avait des choses qui finissaient par trouver leurs explications, notamment quand Shigen avoua qu'il ne s'était pas tellement prédestiné à la prêtrise mais qu'il le devait à son éducation... et un kitsune. Alors là, honnêtement, je ne savais pas trop quoi dire ou penser. Sur le coup, je l'imaginais trop beurrer et qu'il me racontait des salades. Bon après, le monde était particulièrement bizarre et pullulaient de yokais divers et variés. Je connaissais les grandes lignes des légendes autour des dieux renards, mais quel était le rapport entre l'animal et les prêtres ? La fameuse déesse Inari ? Il avait pris ses hallucinations aux pieds de la lettre ? De toute façon, fallait être chelou pour devenir moine et a minima avoir un grain. Le grain, c'était visiblement ce détail. Est-ce que j'en avais quelque chose à faire ? Pas vraiment. J'avais aussi un coup dans le nez, et pas assez de neurone à réquisitionner pour théoriser sur leurs existences ou non.

" Ouais bah, si t'es en communion avec ta déesse, demande-lui d'envoyer ces renards pour dire que les règles des prêtres, c'est de la merde.  Qu'elle décoince tous ces abrutis qui se croient plus malins parce qu'ils imaginent que leurs préceptes font d'eux des saints. "

En plus, c'était une femme, elle était forcément plus intelligente. Et renarde en plus... il lui manquait plus que le pouvoir du feu et j'aurais été capable de prier pour elle aussi. Et d'ailleurs en parlant de feu, celui du saké ne nous avait pas raté. Le gredin était totalement saoul, moi, j'étais pompette. Il n'en fallait pas plus pour que la moindre provocation me chauffa un peu trop. C'était pas comme si Shingen ne jouait pas, testant sans doute mes limites et peut-être les siennes aussi. La belle erreur que voilà. De toutes les canailles à ne pas titiller, j'en faisais partie.

" Ce que je voudrais moi ? Ha ! Si tu m'autorises à me servir, j'ai quelques idées pour rendre ça encore plus sympas. "

Alors que je sentais ses mains sur les hanches et une autre "chose" qui trahissait son contentement face à cette renversante situation, un petit sourire apparut sur mon visage alors que mes joues demeureraient rosies.

" Alors déjà mon chaton, on va commencer par rendre les choses plus agréables pour toi. "

Sur ces mots, je me redressais, légèrement titubante, mais j'attrapais Shnigen par le col pour le relever. Là, je l'attrapais par la manche de sa veste et me saisit d'une bouteille de saké sur la table pour quitter la cuisine.

" C'était où déjà  ? Ha oui. "

Sortant de la pièce, je cherchais celle où on pouvait techniquement pioncer, loin des odeurs de bouffes et de la chaleur des fourneaux. Bref, un endroit plus agréable et confortable pour se rendre au pays des rêves... mais...

" Bon, puisqu'il ne faut pas être timide mon mignon, on va commencer par toi. "

Un petit sourire amusé, je lui adressais un signe du menton alors que je le poussais au milieu de la chambre. C'était ma façon de lui indiquer qu'il était temps de se délester de quelques affaires alors que je me permis de boire une gorgée de saké directement au goulot.

" T'inquiète pas joli cœur, t'auras droit aussi à voir la marchandise. "

C'était donnant-donnant.

Light my fire

Dans la vie d'une samuraï - ou d'une forgeronne - les instants comiques ou complètement lunaires, il n'y en avait pas cent. Là, j'en vivais un. De tous les êtres bizarroïdes que j'avais pu croiser dans ma vie, j'avais touché le pompon avec ce moine hybride, à la fois par sa tronche et ses yeux de chats, mais aussi à la fois par son statut de moine et sa nature de vaurien. Parce que oui, clairement, il pouvait se la jouer mielleux dans ces paroles, il avait tout d'un sale gosse. Notons que c'était pas si déplaisant sur le moment, surtout quand on avait déjà un coup dans le nez...

Alors que je buvais goulument ma bouteille, un petit sourire en coin, j'observais le pauvre diable, le geste un peu malhabile en raison de l'ivresse, galérer à retirer son satané kimono. J'avais été à deux doigts de dégainer mon katana pour accélérer les choses. L'alcool me rendait moins patiente visiblement. Mais au bout d'une minute, il parvint tout de même à me montrer ce qu'il y avait à voir, et je ne pus m'empêcher de siffler.

" Et bah dis donc ! On dirait un nouveau-né ! Jamais vu un type avec une peau plus lisse qu'une pucelle. On peut dire que toi, t'as visiblement réussi à éviter les emmerdes jusque-là.   "

Sur ce plan, il avait eu visiblement plus de chance que bibi. Tandis que mon œil reluquait avec amusement la frêle stature de Shingen, ce dernier resta tout de même décent sans tout quitter. Je ne pus m'empêcher de rire.

" Ha! Ha! Ok mon vieux. C'est le jeu. Tiens-moi ça.  "

Je m'avançais vers lui et lui tendis la bouteille, alors que ça faire de manière, je commençais à quitter le plastron de mon armure. J'avais tellement l'habitude qu'en quelques mouvements, je m'allégeais de tout un poids, me laissant simplement une chemise sur le dos. Déboutant le tissu, je finis par le quitter sans pudeur, mais contrairement au moine, ma peau à moi n'était pas sans marque. D'ailleurs, au lieu de penser à me défaire de mon futal, je m'attardais sur les tristes défauts de cette partie de mon anatomie, sans même me soucier que j'étais la poitrine à l'air. Fallait dire que c'était pas grand-chose, suffisant d'aller dans les bains publics. Les pervers pouvaient s'en donner à cœur joie.

" ça, gueule d'ange, c'est la marque d'un katana qui m'est rentré dans le lard et qui par un miracle de dingue n'avait pas touché d'organes vitaux. On pourrait croire que le type était habile, mais c'était juste un gros naze. Heureusement pour moi d'ailleurs. "

Mon doigt montrait une plaie de la largeur de la lame susnommée, pas loin de mon nombril, puis je me baladais sur mon ventre pour monter sur les côtes opposées.

" Ce truc-là, c'est un putain de kunaï que j'ai évité de justesse, mais cette saloperie était couverte de je-sais-plus quel poison. J'en avais chié. "

Je continuais mon chemin et présentais ce qui devait être un petit point cicatrisé au niveau de l'épaule.

" Vu la forme, facile de deviner qu'ici, c'est une flèche qui m'avait touché. Elle ne m'a pas traversé et je peux te dire que cela a fait un mal de chien pour la retirer. "

Relevant la tête avec un petit sourire, presque fière de toutes mes blessures guerrières malgré l'imperfection que cela dessinait sur ma peau, je me permis de le provoquer un petit peu.

" Ce que tu vois là, moine, c'est un peu tout ce à quoi t'a renoncé en entrant dans les ordres. "

Puis lentement, je portais ma main sur mon cache-œil, celui-là même que je portais constamment. Même devant Yahaba, je ne le retirais pas. Seulement, là, je me décidais à retirer ce bandeau.

" Et là, c'est la plus vilaine des marques. Ce sont les griffes d'un Yokaï qui me l'a crevé. On peut pas dire que c'est très gracieux, mais je peux au moins me féliciter d'avoir sauvé la vie d'un homme bien. "

On voyait l'empreinte de trois griffes, et on devinait aisément que cela m'avait arraché un peu les chairs, tout en me privant de la vue. Etant donné que cela avait pissé le sang, il avait fallu arrêter ce petit problème avec les moyens du bord, et la cicatrice m'avait fermé l'œil à tout jamais. Il n'y avait pas de possibilité de greffe à moins de tout me refaire.

Au fur et à mesure de mes mots, je m'étais avancé vers Shingen, jusqu'à ne me retrouver qu'à quelques centimètres de lui.

" Peut-être que finalement, t'as bien fait de rester enfermé dans ton Temple mon mignon. "

Là, je repris la bouteille et bus une nouvelle gorgée. J'en avais des histoires à raconter, mais en y réfléchissant, c'était peut-être la dernière chose dont j'avais envie.

Light my fire

Enchainer les verres, j'avais beau savoir que cela ne me réussissait pas des masses, mais une fois prise dedans, je m'en sortais plus, surtout lorsque j'avais des idées à la con. Je ne savais jamais où cela pouvait m'amener et c'était bien le problème. Est-ce qu'il aurait été préférable que je m'effondrasse de sommeil ? Pas impossible. Cela aurait été bien plus raisonnable que venir troubler la vie tranquille d'un petit moine curieux. Mais que voulez-vous ? Je supposais que j'avais un goût prononcé pour l'effronterie.

" Je te confirme... généralement, on se fait chier dans un Temple. Mais bon, rien n'empêche de créer un peu d'ambiance. "

Mon sourire s'étira sur mes lèvres, mon coup dans le nez aidant sans doute beaucoup à me rendre plus avenante. Et peut-être la gorgée supplémentaire de saké que je me permis de boire avant de faire mon petit bilan de santé, complet, au moine d'Inari. Je ne cherchais pas à impressionner Shingen, je n'avais jamais cherché à impressionner qui que ce soit d'ailleurs, et sûrement que mon problème était là. Mon manque d'ambition manifeste, celui qui me poussait à vagabonder, à ne m'accrocher à rien si ce n'était de continuer à me décevoir moi-même depuis de nombreuses années. Mes mauvais choix, mon mauvais jugement, mon pain quotidien. Il fallait bien pimenter sa vie comme on pouvait, non ?

Alors, lorsque je m'étais approchée de ce vilain prêtre et que je notais la façon dont il me regardait, il était assez évident que j'allais me foutre dans les emmerdes. Consentis, certes, mais emmerdes tout de même si je concédais à y réfléchir. Notons que je parlais d'emmerdes morales, de celles qui allaient me juger le lendemain matin quand j'aurais une gueule de bois de tous les enfers. Fallait pas croire que je m'abandonnais aussi facilement, qu'importaient les mauvaises langues. Je supposais que j'étais juste comme tout le monde et que parfois, un peu de compagnie, ça faisait du bien. Ou pas. Je n'avais jamais eu du pif pour ça.

Shingen se permit alors à m'approcher à son tour, me saisir par une hanche avant de s'amuser à m'examiner de sa main libre. Sur le moment, j'eus un léger frisson. Cela faisait un moment que plus aucune main délicate ne m'avait touché, j'étais plutôt habituée aux coups.

"Une héroïne ? Oh non. Tu te trompes de femme si c'est ce que tu crois. Je ne suis pas de celle-là, et certaines pas non plus celles qui acceptent qu'on lui fit la leçon. Généralement, c'est moi qui en donne. "

Un mélange subtil de cynisme et d'ironie, et sans nul doute une forme de provocation d'une samuraï en état d'ébriété avancée. Alors autant vous dire que je ne luttasse pas des masses lorsque le jeune prêtre se permit clairement de se jeter à l'eau, bien bien loin de ses préceptes contre lesquels ils n'hésitaient pas à dire ses quatre vérités. Une façon de prouver l'hypocrisie de son ordre ? Possible. Je devenais indirectement une opportunité et une excuse bien faite pour se rebeller un peu... et possiblement se faire plaisir après tout. Et je ne saurais dire pourquoi - l'alcool en fait, c'était évident - je trouvais l'idée même de dépasser la limite presque excitante. Décidément, on se referait pas.

Usui Shingen a écrit:

Une nuit au temple
Avec
Kaname Honoka

La nuit avait été des plus agitée et le soleil était déjà assez haut dans le ciel. Jetant un coup d'oeil sur le côté, Shingen jette un coup d'oeil sur la silhouette nue endormi a ses côtés. Sa tête le faisait affreusement souffrir, c'était cela qu'on appelait la gueule de bois? Se levant après avoir recouvert sa dulcinée du jour d'une couverture légère, c'est d'un pas mal assuré par sa vue flouée par la douleur qu'il se rends dans la cuisine et met de l'eau a chauffer pour un thé.

Est ce que la jeune femme restera pour le petit déjeuner ou partira sans attendre?

CEYLAN