C'était impressionnant comment le karma aimait jouer des tours à certains. À peine je me remettais d'une indigestion avec une pomme, que je m'étais décidée d'aller directement à Sakyuu afin d'y tenir quelques promesses... sauf qu'un coup du destin - encore fallait-il y croire - me poussa à y aller plus vite que prévu et en deux trois mouvements. De base, je voulais revoir le petit popotin de Shiro et discuter en long et en large avec lui sur certains sujets de bataille que nous avions en commun, mais aussi revoir mon jeune camarade Hisayo, et la petite marionnettiste Yuri. Les deux premiers m'avaient invité à passer les voir par courrier, pour la petite, je comptais lui faire la surprise. Bref. J'avais de quoi m'occuper pendant mon séjour.

Seulement voilà, une lettre alarmante de ma Belle flamme m'était parvenue par miracle durant mon voyage, c'était un carboniste qui me l'avait apporté après m'avoir reconnu lors de l'un de mes arrêts. Une chance ou une poisse ? Difficile à dire. Quoiqu'il en fût, si j'étais généralement plutôt heureuse de constater que Kamui m'avait pas rayé de ses souvenirs - fallait dire que c'était pas un type expansif et la dernière fois qu'il m'avait écrit, c'était au printemps dernier - ces mots, eux, me firent tiquer. Ça sentait l'affaire qui pue. Lui qui m'avait toujours semblé plutôt maître de lui, qui ne s'était jamais étalé  dans le sentimentalisme, le voir ainsi écrire ouvertement ses sentiments et l'envie de tout lâcher, me faisait comprendre la dangerosité de la situation qu'il me décrivait avec ces mots. " Je suis incapable de t'en écrire plus tellement ce qu'il se projette me parait immonde. " C'était ça qui me donnait le plus de frisson. Si ma première impression du Prédicateur ne respirait pas la joie, cela tentait à prouver que mon instinct n'était pas si mauvais.

Mais honnêtement ? Je tremblais plus aisément pour les innocents de Sakyuu. Ils avaient déjà connu l'horreur de la Nuit du Grand Feu. Est-ce que Yoichi projetait de jouer un second round ? S'il avait réussi à copiner avec des Torches humaines, et si elles étaient toutes comme celui que j'avais rencontré au Temple, les civils étaient dans la merde et les soldats ne savaient pas encore à quoi ils faisaient face.

" Fais chier... "

Il y avait pas à tortiller du cul de toute façon. Il me fallait y aller. Pour moi. Pour mes amis. Pour les innocents que j'avais promis de protéger par la force de ma lame. Pour des réponses. Il y avait encore beaucoup trop d'inconnus en ce qui concernait les torches et je savais que parmi elle, il devait y avoir Sojiro... enfin Styx, de son nouveau nom. Est-ce que je devrais l'affronter ? Devrais-je l'obliger à choisir ? Ou est-ce que ce qui me tiraillait le bide étaient le fait que JE devais choisir... Pourquoi avais-je comme l'impression que je serais forcément perdante de ce combat-là ?

Laissant mon amertume de côté, il ne m'était pas permis de laisser une seule minute filer. Si Kamui m'attendait - et j'osais espérer qu'il me fournirait plus d'infos - je devais aussi aider Shiro, Hisayo, Yuri et tous ceux qui les accompagneraient. Yoichi était un con, et il entrainait des innocents de tous côtés. Parmi les carbonistes, il y avait des gens sains également. Ils étaient juste paumés ou étaient des croyants qui suivaient naturellement le chef de culte comme dans n'importe quelle religion. Mais il mettait leur vie en danger. Il suffisait de pas grand-chose pour allumer l'étincelle de la guerre civile... mais cela ne donnerait lieu qu'à un massacre inutile. Et pour avoir vu un homme que j'aimais devenir une Torche, pour avoir vu une partie de leur puissance... c'était un mal que je ne souhaitais à personne.  Il y avait des blessures que tout le monde ne devrait porter.

Après des jours de route, j'étais enfin parvenue à gagner le village du désert, mais le bordel avait visiblement déjà commencé. À mon arrivée, il y avait déjà foule dehors et de nombreux badauds curieux ou inquiets qui observaient une étrange procession de Carbonistes. À leurs têtes ? Yoichi, bien évidemment, mais aussi une flopée de Torches humaines. De mon côté, je m'étais glissée parmi les civils, faisant profil bas tout en gardant mon œil bien ouvert, tandis que je ne pus me retenir de maugréer à voix basse.

" Avec ces conneries, cet abruti va faire passer les Jashinistes pour des petits joueurs..."

Tandis que mon cynisme brillait au plus haut, je cherchais du regard des visages connus. Dans un premier temps, mon intention était de trouver Kamui pour comprendre ce qu'il se passait... avant que ma curiosité me poussa à voir si Styx était là mais...  Cela partait déjà en couille. Deux soldats s'étaient manifestés pour stopper la procession interdite, mais une torche humaine réagit au quart de tour avec ces flammes puissantes. Je me mordis la lèvre à cette vision... c'était...  Inéluctable.

" Bordel... "

Mais là, un autre soldat, plus gradé et plus tempéré, se manifesta pour essayer de calmer les choses. À sa suite, Hisayo, mon petit masqué, semblait vouloir appuyer ses propos en se tenant à ses côtés. Étrangement, j'étais en partie rassurée de le voir, mais je ne pouvais m'empêcher de penser qu'il se foutait en danger en position de front. Jusqu'à ce que... Naoko apparut.

" On est dans la merde. "

Je n'étais pas une intime de la jeune femme, mais nous avions un ami commun. Shiro m'avait déjà parlé d'elle, beaucoup même puisque je savais qu'il y tenait. C'était une Sabaku, une orpheline comme lui. Mais pour l'avoir brièvement aidé lors d'une de ses visites à Seizan, je savais qu'elle avait un sale caractère. Elle n'était pas fondamentalement mauvaise, mais elle était complètement bouffée par sa rage et ses opinions étaient... tranchées, comme ce qu'elle espérait pouvoir faire à tous ceux qui ne rentraient pas dans le moule de sa perception de la vertu. Et s'il y avait bien quelque chose qu'elle pouvait pas blairer, c'était les Jashinistes et les Carbonistes. Yoichi venait de lui offrir sur un plateau d'argent, l'occasion pour elle de se donner raison. Et la raison... j'espérais vraiment qu'elle en eut assez pour pas faire de connerie. Mais ça...

Elevé  dans l'amour et l'ouverture spirituelle, même s'il y'avait bien une chose que l’on savait chez les Kaguro, c’était qu’en nommant, définissant et améliorant même la réalité, l’on enlevait du caractère sacrée de chacun ; De chacune. Oui, des forces existaient, des énergies pouvaient se lier, sauf que leurs capacité à manier le chakra, et la façon de combattre avec, tout ça, toute cette violence réprimée puis implosant dans des guerres de religion, c’était ça le problème. Et tant qu’on ne traitera pas le mal à la racine, on n’avancera jamais … Ceux qui ont le luxe de se payer des opinions sans contradictions, sans jamais douter … Ceux là étaient pour la plupart entrain de se fourvoyer. Heureusement, certains savaient rester flexibles, souple sur les appuis, ne cédant de terrain à leur adversaire qu’au prix d’un contre arguments avec une force et un panache sans commune mesure ; Il analysait froidement la situation depuis un toit.  Les tensions entre certains ninjas, et la procession de torches humaine, semblaient de plus en plus électriques.

L'air se faisait encore plus lourd, plus pesant, qu'à l'accoutumée.  Il transpirait presque. Souplement, en position d'attente il se posait des questions.

Devait il intervenir ? Après tout il n’était qu’un simple Genin, et les gradés étaient là. Enfin, vu la colère qui en animait certains, il faudrait peut être qu’il s’en mêle. Peut être que son flegme et sa capacité à rester neutre pourraient aider ?

- Bon, vaille que vaille, hein … lâcha-t-il en  remontant son masque, et entreprenant la descente du toit par une gouttière.

La paix et l’harmonie, voilà ce qui pourrait enchanter le jeune homme, le séduire, l’époustoufler. Pour l’instant, il ne voyait que chaos et haine. Slalomant dans l’attroupement comme un navire le faisait sur des mers déchainées, il arriva bien vite dans les premiers rangs de la foule.

Pour l’instant il était juste sur ses gardes, prêt à tout.

Bien vite la foule se mit à devenir de plus en plus dense, et il fut pousser en avant, juste sous les projecteurs de la scène, comme un artiste montant sur scène sans le faire exprès. Il devait faire quoi ? Se présenter peut être. Il était si discret et ne parlait vraiment que si c’était absolument vitale.

Alors il se faisait vite oublier, ce qui était un de ses atouts après tout. Sa dextre pendait, tandis que sa senestre tenait le pommeau de sa dague.

Il était prêt.