Il y avait des boulots qui n'attendaient pas, surtout lorsque l'on avait du retard à cause d'une mission de dernière minute. C'était pas comme si je savais pas que ça pouvait arriver, hein, mais bon... Peut-être que j'avais les yeux plus gros que le ventre. Seulement, je n'avais qu'une parole et si je donnais un délai, je devais assurer derrière. Alors autant dire que dès que je fus libérée de mes premières obligations, je m'étais chargée des autres au prix d'un travail de dératé. Epuisée par mes tâches, je rentrais enfin chez moi pour souffler un peu. Exceptionnellement, j'avais demandé à ma camarade Saki de veiller sur le petit gars. Mon père était parti du côté de Tetsu pour récupérer de la matière première, donc j'avais fait les choses un peu dans l'urgence. J'avais du bol qu'elle eut été libre. Je voulais éviter à Yahaba de trainer trop longtemps dans les souterrains, de respirer les fumées et toutes les cochonneries volatiles qui plombaient l'air. Et puis, j'étais à peu près certaine qu'il se serait emmerdé.

" Oy ! Je suis rentrée ! J'espère que vous avez pas eu de problème. "

Parce que ça me ferait mal et que j'avais carrément pas envie de les régler maintenant.

" Le boulot ? La routine. Juste un peu gonflant parce que j'ai pas pu prendre de pause. Je sens plus mes bras. "

L'endurance, ça se payait. Mais rapidement, je posais mon œil sur Yabaha qui me sauta littéralement dessus, non sans faillir me faire tomber. Je ne retins pas un ouf de surprise.

" Tu devrais pas me sauter dessus comme ça, le bandit. Je dois sentir le fennec.  J'espère que t'as fait tourner en bourrique Saki ! "
" J'ai fait tous mes devoirs, j'ai lu et j'ai été sage, n'est-ce pas Saki-chan? "

Mon fils se tourna vers elle en papillonnant de ses yeux bleus. Le démon ! Il était comme un chaton qui essayait d'attirer la sympathie en montrant sa plus belle bouille... Putain de gosse. Mais comme j'étais pas née de la dernière plus, je me tournais vite vers mon amie pour connaître la vérité.

" Mouais... en tout cas, dit merci. T'étais pas obligée de nous faire le repas, tu sais. Mais je vais pas te mentir, ça m'arrange ! Haha ! "
" Et en plus, ça sent bon. "

Je fis un signe de main au môme pour qu'il alla s'installer, moi j'en profitais pour déposer mes affaires dans un coin du salon. Pas envie de ranger immédiatement. Soupirant, les yeux sans doute un peu cernés, je repartis en cuisine pour retrouver tout ce petit monde. C'était rare qu'on fut si nombreux ici.

" J'espère que tu t'es pas trop emmerdée. Je te revaudrai ça, de toute façon. Si t'as besoin d'un service que je suis capable de mener... "

Foi de Kaname.... ou presque.

Tandis que je regardais Yahaba avec mon œil empli de suspicion, il me renvoyait l'un de ses petits sourires de démon, le genre qui m'emmerdait parce que je n'arrivais pas à lui en vouloir véritablement. Cependant, hors de question de faiblir face à ses yeux papillonnants, je comptais sur Saki pour être honnête.

" Oh ça... je sais qu'il sait y faire. "
" Je suis toujours très calme ! "
" Si tu le dis.. "

Bien vite, il prit sa moue boudeuse, mais il ne la tiendrait pas longtemps. En attendant, ni lui ni moi ne se firent prier pour prendre place à la table. C'était rare qu'on se fit servir et qu'on eut rien à préparer soi-même. Un jour de roi, en quelque sorte. Je remerciais ma camarade d'un geste de la tête alors que je laissais échapper un soupir de soulagement une fois que je fus assise.

Saki nous servit un à un, et alors que je regardais sa grosse louche remplir nos assiettes, elle m'intrigua en quémandant plus vite que je ne l'aurais cru le fameux service que je lui avais promis en échange de son temps. Naturellement, je finis par sourciller quand elle me sortit une bille de sa poche.

" C'est à maman, ça ! Elle me l'a donné. "

Yahaba la reconnut immédiatement et j'avouais en acquiesçant qu'en effet, j'avais fini par la lui donner. Alors que je prenais une cuillère du ragoût d'un côté, je me saisis de la bille de mon autre main pour l'observer. Il me semblait que cela faisait une éternité que j'avais pas vu ce truc.

" Ce machin ? Bonne question. "

Gardant l'objet en main, je finis par hausser les épaules.

" Mon père m'a dit que c'était dans mes affaires quand j'étais un nourrisson. Je sais pas si je t'avais déjà dit que j'avais été adoptée ? "

En parler ne m'avait jamais posé de problème.

" De ce que m'a raconté mon vieux, on m'a trouvé sur une route perdue de Nessa no kuni. Y aurait eu un convoi qui se serait fait attaquer et on m'a trouvé dans le tas. Visiblement, j'étais la seule en vie. Un type m'a recuilli et m'a refourgué à la première famille en manque d'enfant. Il parait que je tenais cette bille dans ma main. Je suis plutôt étonnée de savoir que je me suis pas étouffée avec... "

C'était connu que les marmots foutaient n'importe quoi dans leur bouche, non ?

" Du coup... si tu souhaites avec une réplique de cette bille, je serais incapable de te dire où elle a été fabriquée. Faut dire que j'ai pas cherché non plus. "

Mes origines ne m'avaient jamais vraiment intéressé. J'avais eu un père et une mère aimante. Ils m'avaient donné leur nom et m'avaient élevé. Je n'avais manqué de rien. Et courir après des fantômes ? C'était pas le genre de la maison.

Tandis que je répondais pensivement à la question de Saki, observant une nouvelle fois l'étrange bille que je possédais, je m'étonnais de son intérêt pour une si petite chose, qui, à mes yeux, paraissait aussi maigre que dérisoire. Oh, cela relevait presque de l'ordre du vestige et c'était sans nul doute la raison pour laquelle je l'avais toujours conservé. C'était ma mère, Tomoyo, qui me l'avait rendu. Dans mes souvenirs, elle m'était toujours apparue comme une femme douce et mélancolique, attachée à la symbolique des gestes et de certains cadeaux. Du coup, cette bille, elle avait toujours pensé que c'étaient mes parents biologiques qui me l'avaient offerte, sans que l'on puisse avoir la réelle certitude que c'était le cas. Tout ça pour dire qu'à ses yeux, c'était important que je la gardasse. J'avais fini par la mettre dans un tiroir, je l'avais presque oublié, jusqu'à ce que Yahaba arriva dans ma vie. Et en quelque sort, je lui avais cédé le flambeau à lui donnant.

D'ailleurs, je finis par la faire glisser sur la table pour l'envoyer en direction de mon gamin, qui, s'empressa à la saisir et la regarder encore et encore. On avait l'impression que c'était un trésor de dingue, et je ne retins pas le moins du monde le sourire que cela faisait naître sur ma tronche. Il en faisait toujours des caisses... même si je savais pourquoi. Je ne le lui avais pas donné à n'importe quelle occasion, et à l'image de ma mère, j'en avais fait un symbole pour lui. Un genre de truc précieux et unique, peut-être même le moment où j'avais enfin accepté d'être sa mère de substitution.

Finissant par tourner mon regard vers Saki, je haussais les épaules quand elle fit preuve de gratitude. Je devais avouer que je ne comprenais pas pourquoi, elle aussi, semblait en faire des caisses pour si peu.

" T'as pas besoin de me dire merci pour avoir répondu à une telle question. "

Je lui adressais un petit sourire, avant de continuer à déguster notre repas. Pour la suite, on avait simplement continuer à discuter de tout et de rien, jusqu'à ce que mon gosse piqua du nez. J'avais dû abandonner quelques instants ma camarade pour aller bordre Yahaba. Comme je ne le voyais pas aussi souvent qu'il le voudrait - ou que JE le voudrais, même si je ne me l'avouais pas - j'accordais un peu d'importance à ces petits moments. Je ne voulais pas qu'il s'inquiétât et je voulais qu'il continuât à me raconter ses journées, même les trucs les plus ridicules. On allait pas se mentir, il y avait beaucoup de chose pour lesquelles je faisais semblait de me passionner, mais quand je voyais la fierté dans ses yeux bleus, bah... bah voilà quoi.

Une fois que le petit bonhomme s'envola au pays de sommeil, je rejoignis mon amie dans le salon où elle faisait la vaisselle. Je lui aurais bien dit que c'était pas la peine, mais j'étais quasi certaine qu'elle n'en aurait fait qu'à sa tête. En attendant, je pris place dans mon canapé, allumant une cigarette alors que je m'affalais de fatigue, tout en ayant mon cendrier sur les genoux. La tête en arrière, ma journée me défilait dans la tête, mais je fus interrompue dans mes pensées par la question de Saki. Je ne bougeais pas d'un poil, mais je me contentais de lui répondre honnêtement.

" Mmmm... quand j'étais gamine, l'idée m'avait traversé l'esprit, mais après je m'étais dit, si mes parents étaient vivants ou de la famille directe, ils auraient essayé de me retrouver. Puisqu'ils ne l'ont pas fait, pourquoi je perdrais mon énergie à courir après des gens qui en avaient rien à cirer ? "

Toujours étalée, je continuais à étayer un peu mon propos.

" Si des gens étaient venus pour moi, je sais que mon vieux et ma mère m'auraient rendu, même si cela leur aurait fendu le cœur. Et puis, mon père s'était un peu renseigné quand il m'avait récupéré, il voulait pas que ma mère en souffrit. Mais ceux qui avaient trouvé la caravane et le type qui m'avait donné à eux n'avaient rien à dire. Pas de nom. Pas de date de naissance. Pas de papier. Visiblement, on savait même pas ce que la caravane foutait là.  "

En gros, personne n'avait le moindre indice et on supposait que parmi les cadavres, il y avait possiblement celui de mes vrais parents. Et s'ils n'étaient pas parmi eux, ça rendait les choses encore plus pathétiques, parce que ça signifiait que j'étais pas désirée, alors à quoi bon.

" ça t'intéresse tant que ça ?  "

Je finis enfin par redresser la tête pour poser mon œil sur ma camarade. Je commençais à me poser si toutes ces questions étaient vraiment du haut hasard. La bille et maintenant ça ?