Je pouvais pas dire que je fis un retour en fanfare. D'abord, j'étais passé chez mon vieux qui gardait Yahaba. Et si j'eus droit aux éternelles remarques de mon père, le petit, au moins, se jeta sur moi pour me prendre dans ces petits bras de sauterelle. Avec le temps, j'avais appris à apprécier ces moments gênants, même si ça le restait toujours. Je me contentais de lui ébouriffer la tête, lui me souriait. Ça nous suffisait. Il me pardonnait bien volontiers, d'autant que je lui avais ramené un petit cadeau. C'était dans ces instants que je me rendais compte que je m'étais drôlement attachée à lui. Je l'avais complètement adopté comme s'il eut été mon véritable fils, et sans prétention, je le supposais heureux - ou tout du moins, il ne se plaignait jamais. Le problème était toujours de mon côté de toute façon. Ma putain de culpabilité. Bref.

Le temps de prévenir que j'étais de retour, j'enchainais, malheureusement pour ma gueule, que j'allais devoir vraisemblablement repartir parce qu'on m'avait refourgué une mission à laquelle je m'attendais pas. Les deux me tirèrent une tronche ! Je vous racontais pas. On était du genre joyeux dans la famille, mais je promis d'essayer de boucler ça vite.

Peu après, je repartis pour rentrer tout simplement chez moi. Je savais que mon fils y était passé parce qu'il avait laissé trainer des croquis sur la table. Peut-être que lui aussi fuyait la mauvaise humeur de son grand-père. Je trouvais ça marrant. Autant qu'il se planqua ici plutôt qu'ailleurs. Quant à moi, je déposais toutes mes affaires et totalement claqués, je m'assis quelques minutes sur le canapé. Il me fallait réfléchir. Encore. Depuis l'histoire du temple, je faisais que ça. Je me tâtais aussi à envoyer une lettre à Kamui, manière d'avoir des nouvelles pour savoir s'il s'en sortait et surtout, si ce fou de Yoichi était revenu, jusqu'à ce que je me dise que ma priorité était de m'occuper de ma tronche, et surtout, me laver.

Alors que je levais pour me diriger vers ma salle de bain, qu'elle ne fut pas ma surprise d'y voir un énorme bordel sans nom.

" Yahaba... "

Il y avait des fringues sales partout, des serviettes par terre et j'avais carrément pas envie de m'en occuper. Je truciderai le gosse quand j'en aurai le temps. Blasée, je finis par me décider pour une option plus détente, ce qui m'amenait aux bains publics. Si cette alternative était généralement pour les touristes, ça dépannait toujours et ça n'en était pas moins agréable. Par contre, l'emmerde, c'était savoir sur qui on allait tomber et c'était un véritable jeu de roulette.

Je trainais donc ma carcasse jusqu'à l'établissement des eaux bouillantes, saluant avec une absence de sourire la gérante qui devait en avoir vu d'autres. D'ailleurs, quand elle vit ma tête, elle ne put s'empêcher de grimacer, comme si elle avait compris que j'avais rudement besoin d'être là. Quelques secondes plus tard, le temps de payer le forfait et de me changer dans les vestiaires, j'apparus au sein des sources déjà animées : une grande serviette sur le corps, mes cheveux détachés, mon bandeau absent. Un total relâchement jusqu'à ce que mon œil se posa sur une silhouette que je reconnus facilement.

" Et bah dit donc mon grand, je pensais pas de trouver là. Finalement, on aura peut-être pas besoin de boire un coup. "

Malgré les nuages de vapeur, il était assez difficile d'ignorer un gabarit comme celui de Ryuji. Honnêtement, je m'attendais pas à ce que le togejin fréquenta ce genre de lieu. Comme quoi...  M'approchant au bord de l'eau, je retirais ma serviette sans pudeur - parce que j'en avais rien à foutre - et m'immergea assez vite.

" Haaaaaaaaaaaaaaaaaaaa bordel que ça fait du bien. "

Je m'approchais de mon camarade, tout en lui laissant tout de même une distance pour être tranquille. Je m'accoudais tranquillement, profitant de la chaleur apaisante de la source, renversant ma tête en arrière. Je me permis de lui parler sans toutefois le regarder.

" À propos, j'ai bien reçu l'ordre de mission. "

Ouais, parce que j'avais quand même relevé le courrier avant de rentrer. J'avais jeté un œil rapide sur le document.

" Va falloir qu'on se rende à Kaigara. Une histoire de problème avec des plongeuses, je crois. J'espère que t'as pas le mal de mer. "

C'était pas mon cas, mais j'étais pas non plus une grande nageuse. C'était juste suffisant pour pas me noyer et ça, c'était déjà pas mal.

Cela faisait une éternité que j'avais pas mis les pieds dans un bain public, j'avais presque oublié que c'était agréable. Bon, il était clair que j'aurais préféré barboter tranquille toute seule, mais fallait savoir partager comme on disait. Mon avantage était que j'étais pas une femme bien pudique, j'avais honte de rien ou tout du moins, pas de ma silhouette. Brûlures, cicatrices, jolies paires de fesses... Je cachais rien parce que je m'en foutais et n'en donnais pas la moindre importance, chose qui n'était pas le cas de toutes les femmes. Je comprenais, mais dans mon cas, ça serait tellement ridicule et hypocrite... c'est pas comme si j'avais pas déjà vu le loup, et j'étais difficilement impressionnable. Donc, pas la peine d'en faire des caisses en jouant les prudes.

D'ailleurs, rapidement, je préférais me concentrer sur ce qui pouvait me réunir avec ce togejin, et je me contentais de lui évoquer l'objet de notre future collaboration.  Visiblement, il ne m'apparut pas inquiet, ce qui était plutôt une bonne chose en fait.

" Bonne nouvelle dans ce cas. J'ai pas spécialement le pied marin et je sais juste assez nager pour pas me noyer personnellement. "

Je passais ma vie dans des souterrains ou bien à cavaler les plaines sèches ou désertiques. J'avais pas vraiment l'occasion d'aller tremper mes doigts de pieds sur les plages de nos côtes. J'allais visiblement rattraper ça. Est-ce que ça me remplissait de joie ? Bof.

Par contre, je fus surprise de noter que Ryujin balaya la conversation pour se concentrer sur... nous ? Il voulait visiblement que l'on apprit à se connaître. Ça me faisait bizarre. C'était bien le genre de truc que je me foutais généralement, mais puisqu'il fallait apprendre à se sociabiliser...

" Ah non, t'as bien compris. À l'origine, c'était ce que j'avais prévu, mais une tornade est passée chez moi et a foutu le bordel. J'avais pas envie de faire le grand ménage donc... j'ai choisi cette option des bains publics. "

Je tournais ma tête vers le grand dadet.

" Et toi du coup ? Comment ça se fait que t'as décidé d'atterrir ici ? C'est plutôt comique qu'on y soit en même temps. On pourra pas dire qu'on se cache des choses. Ha! "

À ce moment-là, mon regard descendit avec un petit sourire malicieux. Je jugeais. Je jugeais à fond. Fallait bien qu'on se marra un peu.

" Sinon...  je vais pas te mentir, je suis pas de nature curieuse et branchée grande causette. Si tu veux savoir quelque chose, pose-moi carrément la question sans tourner autour du pot.  "

On allait pas faire de manière entre gens à poil, non ?

En matière de réponse claire et limpide, on pouvait pas faire mieux. C'était un maniaque de l'hygiène qui ressentait le besoin de se laver tous les jours. Je supposais que c'était plutôt le signe d'un type qui prenait soin de lui. Personnellement, je n'étais pas une cradingue, mais j'aimais pas gaspiller de l'eau pour rien. Si tous les deux jours suffisaient, alors c'était tous les deux jours. Bon, on allait pas se mentir, entre mes entrainements et mes journées à la forge, entre la transpiration et la suie, c'était finalement quotidien. Tout ça pour dire que je me rendais pas malade si par manque de chance, j'avais pas accès à de quoi sentir le savon.

" Ha ça... si on avait des missions qui nous permettaient de rester dans une auberge, ça se saurait. "

Le grand luxe. Je supposais que c'était surtout bon pour les missions d'infiltrations, pour ceux qui savaient jouer les fouines et se faire embaucher pour espionner, ce genre de truc. J'étais pas assez "délicate" pour ça et à vrai dire, ça me convenait. Je pèterais sans doute un câble si on m'obligeait à faire semblant tellement c'était pas le genre de la maison.

D'ailleurs, en parlant de franchise et d'amusement, je me privais pas de reluquer mon camarade, qui, sûrement à la vue de l'affront audacieux, me fit presque la même chose... bien qu'il se montra plus élégant que ça. On se marrait comme on pouvait, hein ? Au moins, cela me permettait de commencer à deviner les contours de son caractère et je pouvais noter qu'il se choquait pas pour si peu. C'était un bon point. Il rajouta même quelques secondes plus tard que ce n'était pas un grand bavard. Deuxième bon point... bien que le revers de la médaille devrait de me sentir obligée de lui tirer les vers du nez quand ça serait nécessaire et ça, ça pouvait me gonfler.

Ce fut alors que je m'enfonçais un peu dans l'eau, jusqu'au cou exactement, alors que je réfléchissais à la question qu'il venait de me poser. Je ne pus m'empêcher de plier les jambes afin d'éviter de glisser sur les pierres du bassin sur lesquelles nous étions assis, laissant apparaître les genoux pâles à la surface. C'était un peu comme si j'étais dans mon propre bain, j'oubliais carrément qu'on était dans un lieu public.

" Je connais la région de Kuma no kuni, mais pas tellement le village de Kaigara. J'ai jamais eu trop l'occasion de me balader du côté de la côte, bien que c'est plutôt connu pour ça. Généralement, je me contente de traverser et espérer ne pas croiser un ours. "

La région portait plutôt bien son nom et les ursidés pouvaient faire flipper n'importe quel voyageur imprudent. Mais je savais que sa réputation était plutôt d'ordre maritime, sauf que moi et l'océan... la rencontre s'était jamais faite. Et puis, j'étais une femme du feu alors la flotte... Bref. Ryujin finit par me demander si j'avais une idée sur ce qui se passait là-bas, et quand je tournais ma tête vers lui, je me contentais de hausser les épaules en guise de "aucune idée". Par contre, je ne pus m'empêcher d'avoir un petit sourire au sujet de sa seconde interrogation. Là, je sortis mes mains de l'eau et me mit à agiter mes doigts.

" Mon domaine ? Je suis douée de mes mains. Ha ! "

Je laissais échapper un ricanement avant de me redresser finalement.

" Je suis une samuraï et une forgeronne. Je manie aussi bien l'épée que le maillet. Et toi, mon grand ? Avec ta grande taille, je suppose que c'est pas la discrétion, non ? "

Bien que l'on ne pouvait pas se fier aux apparences.

Tandis que je venais de me redresser dans le grand bain, mon visage prit une expression aussi intéressée que celle de mon camarade lorsqu'il évoqua que mon métier titillait son intérêt. Même ici, dans ce lieu improbable, il y avait toujours moyen de faire quelques affaires. Qui l'aurait cru ? Mais à la vue de sa demande, cela risquait de me demander un sacré boulot. Une armure pour un type géant... j'allais encore pas voir la lumière pendant plusieurs jours.

" Oh ? Une armure ? Tu vas me donner du boulot, vu ton gabarit, mais c'est largement faisable. Il me faudra juste tes mesures et selon mes créneaux, me faudra sans doute trois ou quatre jours à cause de la taille des pièces. "

Ce fut alors que mon nouvel ami géant mentionna qu'il n'était discret qu'au cœur de discussion. Traduction : c'était pas un bavard. J'allais pas tellement me plaindre, les gens qui causaient trop, ça pouvait devenir vite chiant. M'enfin, les gens trop silencieux aussi en un sens.

Dans la foulée de sa réponse, il évoqua également le fait qu'il était un combattant de corps à corps du type à donner des coups de tatane dans la tronche. Bizarrement, j'étais moyennement étonnée. Les mecs foutus comme lui avaient tout de la brute, même si ça faisait un peu cliché de penser ainsi. Cependant, c'était aussi un fait que de mettre à profit ce que la nature avait donné à ces grands gaillards, non ?

" Mmmm... je note. C'est vrai que dans les arts martiaux, les armes de poings sont assez limitées en genre. Mais bon, de bons gants renforcés, ça mange pas de pain. Note que ça aussi je peux t'en fabriquer au besoin. "

Autant le mentionner, bien que je doutais qu'il eut recours. Quand il sortit ses mains de l'eau, elles me laissèrent songeuses. Ses paluches étaient énormes, j'osais pas imaginer la force de la baffe qu'il pouvait donner. Rien que d'y penser, j'eus un léger frisson désagréable. J'étais pas fan des grandes déculottées. Le masochiste, trop peu pour moi.

Au fil de la conversation, Ryujin m'indiqua qu'il avait toujours le désir de boire un verre avant que l'on finisse aussi fripés qu'un fruit trop mûr.... puis me proposer une "danse". Naturellement, je levais un sourcil un peu intrigué par cette proposition.

" Une danse ? Hoho... Je suis du genre généreuse, mais je peux pas te concéder le verre ET la "danse" dans la même journée. Si je commence le premier, je suis plus bonne à rien après... enfin plus optimale en combat en tout cas. "

Un petit sourire en coin, je me redressais à mon tour, sans trop me soucier du fait que... bah j'étais toujours à poil, hein ! Et si un homme pouvait se permettre de se montrer torse nu, une femme... bah nous dirons qu'il y avait des choses difficiles à cacher. Mais comme je l'avais déjà souligné, j'étais pas pudique donc ce n'était qu'un détail que je ne remarquais même pas. Tant pis pour mon voisin ou tant mieux pour lui. Question de point de vue.

" Bref, tout ça pour te dire qu'il te faudra choisir, mais est-ce que ça vaut le coup qu'on s'épuise avant une mission en se mettant sur la tronche, même au cours d'un entraînement ? À voir. "

Est-ce que j'avais la flemme ? Totalement.

Alors honnêtement, bien qu'on était dans des bains mixtes et qu'on pouvait s'attendre à un tas de situation, là, je l'avais pas vu venir aussi directement. À peine eus-je validé un début de transaction avec le togejin, que monsieur se redressa de toute sa taille sous mes yeux. Et comment vous dire...

"  Ah ouais... comme ça... directe. "

Mes yeux purent très difficilement passer à côté de tout ce qu'il m'agitait sous le regard et la seule constatation que je pouvais faire, était que grand par la taille... bah grand par la taille. L'œil grandement ouvert, je finis toutefois par ne pas trop m'attarder devant la chose, déjà parce que j'étais pas là pour ça, et parce qu'il m'avait demandé de prendre les mesures. J'avais presque envie de dire que c'était chose faite... mais pas pour ce que l'on imaginait.

" Alors mon grand, c'est pas que je veux pas te mesurer, mais nous dirons que le milieu s'y prête pas et j'ai pas de quoi noter tes mensurations impressionnantes. "

Je ne pus m'empêcher d'avoir un petit sourire en coin. Si tous les mecs de son gabarit étaient foutus comme ça... c'était chaud. Mais restons professionnelle, j'étais pas là pour m'acoquiner avec qui que ce soit. En attendant, sous l'impulsion de Ryujin, je me redressais à mon tour après avoir saisi sa main tendue, preuve que nous allions quitter les lieux. D'un geste, je pris la serviette que j'avais laissée sur le rebord, mais je ne m'en couvris pas dans l'immédiat.

" Et bien allons-y. Allons boire ce verre et je te laisserais tranquille pour aller t'épuiser. "

J'aurais bien rajouté qu'il aurait pu gaspiller son énergie avec une serveuse de taverne, mais quelque chose me disait que ce n'était pas le genre de bonhomme à se montrer volage. De toute façon, il avait parlé d'entrainement. Encore un qui avait un balai dans le cul à être trop sérieux.

Je sortis alors de l'eau et finit par enfin enrouler ma serviette autour de la taille. C'était à ce moment-là que je me retournais vers lui.

" On s'attend à la sortie. Je connais une taverne sympa. L'ambiance y est plutôt festive et on y boit que de la qualité. Par contre, si tu es branché lieu intimiste, on a pas trop ça à Seizan. J'espère que ça te conviendra. "

J'étais moins fanatique des bars de Toge. Je trouvais qu'il y avait une atmosphère trop précieuse et à la limite de l'ennuyeux. Même leur chant ressemblait à des trucs mystiques, pas à des trucs de piliers de comptoir. C'était un genre. Pas tellement le mien. Ça foutait le cafard.

J'abandonnais donc mon camarade pour m'en retourner aux vestiaires, là-bas, je m'y séchais et me rhabillais pour le retrouver, comme convenu, devant l'établissement. De défiant pas mes habitudes, je pris le temps de m'allumer une cigarette et dès que je l'aperçus, je lui fis signe de me suivre. Direction la taverne.

Pendant que je me changeais, juste avant de sortir de l'établissement thermal, je me repassais la réponse curieuse du togejin et me demandais s'il ne m'avait pas comprise de travers ou tout du moins, pris ce que j'avais dit comme une proposition involontaire de passer du temps avec ma gueule. Je savais pas pourquoi ça ne m'avait pas fait buguer sur le moment, sans doute que j'avais encore la tête trop plein de vapeur. Est-ce que c'était gênant ? Disons que pour la première fois où j'avais rien dit sans arrière-pensée, ça serait plutôt con, non ? Ou ironique.

En tout cas, je retrouvais le grand dadet dehors, moi la clope au bec, et lui fit un signe de tête pour se mettre en route. Afin qu'il soit pas totalement décontenancer, je préférais lui donner des détails supplémentaires sur les lieux, on savait jamais. À mes yeux, tous les togejins étaient des culs-serrés ou bien j'avais eu le chic pour croiser que des gens comme ça. M'enfin, ça faisait tout de même un gros pourcentage pour que ça ne soit pas une spécificité locale.

" On se rend au " Tanuki Glouton ", si tu es passé devant, c'est plutôt difficile à rater. Normalement vu l'heure, ça doit déjà pas mal brailler et chanter. Qu'importe si on parle de boulot, y a peu de chance pour qui que ce soit nous entende. "

D'ailleurs, lorsque nous arrivions devant la devanture dix minutes plus tard, l'ambiance me donnait raison. On entendait déjà pas mal de gens chanter et taper sur la table. Les éclats de rire un peu gras s'échappaient même jusqu'à l'extérieur.

" Ha! Je vois que ça bat déjà son plein. "

Je terminais ma cigarette et écrasai mon mégot avant de rentrer. À l'intérieur, c'était exactement comme on pouvait s'imaginer. Il y avait déjà de nombreux soldats et de civils en train de boire ensemble, on voyait les serveuses se dépêcher d'apporter les pintes au travers de la grande salle. Habituée des lieux, je fis un léger salut de la main au tavernier qui me le rendit du menton.

" Hono-chan ! ça faisait un moment qu'on ne t'avait pas vu ! "

" Ouais, je sais. J'étais pas dans la région. Le boulot, toussa toussa. "

" Heureux de te voir entière ! Installe-toi avec... ton... ami ? Je t'envois Mei prendre la commande. "

" Parfait ! "

Sans rien rajouter d'autres, je me faufilais entre les soiffards qui s'amusaient toujours, en saluant certains que je connaissais. Je cherchais de mon œil une table qui avait été débarrassée et par chance, j'en repérais une dans un coin. Puisque Ryujin voulait un peu de "calme", ça serait impeccable pour discuter de ce qui nous attendait. Je lui désignais alors l'endroit jusqu'à nous y installer confortablement. On avait l'avantage d'avoir une vue sur toute la salle.

" J'espère que ça te convient. "

Une fois les fesses posées, notre petite serveuse approcha. Mei travaillait ici déjà depuis un petit moment, une grande habituée dont le petit minois plaisait au plus grand monde. Elle était aussi aimable que jolie, par contre, elle n'avait pas inventé le fil à couper le beurre. Cela n'empêcha pas qu'elle était attachante comme nana. Je l'aimais bien. Et puis, son service était toujours aussi rapide qu'impeccable.

" Haaa  Hono-chan ! Je te sers la même chose que d'habitude ? Et pour ce vigoureux monsieur ? "

" Ouais. Ma bouteille de saké préféré. Et monsieur, je le laisse choisir. Ha! Et si tu pouvais aussi nous apporter de quoi grailler un peu, ça serait top. Tu me mets tout ça sur ma note. Je passerai payer mon ardoise à ma prochaine paie. "

Laissant le togejin prendre ce qu'il voulait, je m'étalais un peu sur mon siège avec nonchalance.

" Bien. Tu voulais qu'on parle de la mission ? Tu veux savoir quoi ? "

Je fouillais alors dans mes affaires et lui sortis le parchemin que j'avais récupéré dans ma boîte. Il pourrait au moins lire les principaux détails.

Je n'avais pas menti sur l'ambiance des lieux et visiblement, le grand dadet de togejin semblait tout à fait capable de s'adapter à l'environnement de mes camarades montagnards. Oh, il devait sans nul doute y avoir aussi quelques visiteurs de régions voisines, mais généralement, c'était pas ceux qui braillaient le plus, à moins de vouloir chercher des noises. Qu'importait de toute façon, le temps que Mei vint prendre notre commande que je relançais mon futur partenaire pour notre mission future.

" Oh ? Quelle âme généreuse. Si tu paies ta tournée, ça me va. Je viendrais pas m'en plaindre. "

Je cacherais pas que ça m'arrangeait un peu. Il n'y avait pas de petites économies et quelques parts, c'était lui qui avait insisté pour aller boire un coup donc... on dira que c'était juste le bon retour des choses. Mais voilà, si l'idée de pas sortir mes ryos m'enchantaient, sa suggestion pour que je pris la tête de notre duo me fit tiquer un peu. Je ne retins pas une petite grimace. Ça m'avait toujours emmerdé ce genre de chose. J'étais pas faite pour diriger et j'aimais pas ça. J'étais juste un chien de l'armée, des bras qui s'agitaient avec son katana. Point barre. Déjà que j'avais toujours du mal avec ma propre équipe de base, si en plus je devais me cogner le commandement des opérations avec des mecs des autres villages...

" Aïe aïe aïe... on a vraiment besoin d'un chef ? On est que deux, on devrait pas s'emmerder avec ce genre de détails. J'aime pas ces délires protocolaires et on est assez grand pour prendre nos responsabilités si l'un de nous merde. Si tu veux pour le côté administratif, mais en vrai… une fois sur le terrain, sans déconner... on verra pas la différence. "

On était pas une armée à nous deux et on était adulte. Enfin, sur le papier en tout cas. Bon après, je supposais qu'il y avait aussi nos grades qui auraient pu trancher la question, seulement voilà, on était jonin tous les deux.

" Tout ça pour dire qu'on fait comme tu veux, je m'en fous. "

Je n'avais jamais été intéressée par les jeux de pouvoirs et d'influence, ça flattait pas mon égo outre mesure que d'être gradée. Je ne voyais que le côté pratique ou chiant, selon les exigences du boulot. Diriger, c'était chiant. La paperasse, c'était chiant. Le gros salaire, ça c'était sympas.

Le temps de cette brève réflexion que notre serveuse attitrée apporta nos boissons, déposant ma bouteille devant moi, et les deux commandées à Ryujin, non sans qu'elle lui lança un regard appuyé. Visiblement, le ténébreux avait fait son petit effet.

" Ha! On dirait que tu plais à la petite. Mais je crois qu'elle a toujours eu un faible pour les types taillés comme des montagnes. "

Je ne pus m'empêcher de laisser échapper un petit ricanement alors que je me servis mon premier verre.

" Bon. Outre ces délires de qui gèrent quoi, je t'avoue que je vois pas trop de quoi on va pouvoir causer. Comme je te l'ai dit, je suis rarement allée près des côtes et je suis pas vraiment une sirène. Difficile pour nous de nous préparer tant que nous ne sommes pas sur place. "

On connait mal le terrain. On connaissait pas la cause du problème. On connaissait pas les victimes. Bref. On allait y aller à l'aveugle comme des vrais.

Je fus étonnée de voir que Ryujin, finalement, ne fis pas toute une formalité au fait de mon absence de désir de diriger notre duo. Fallait dire que j'en avais rien à cirer et que c'était une porte ouverte pour qu'il décida ce qui lui irait le mieux. Par contre, il était nettement plus tatillon sur les détails.

" Mmm... ouais, ouais. Je comprends l'idée. Mais tu penses honnêtement qu'en moins d'une journée, on se connaitrait assez pour parfaire notre duo ? J'y crois moyen, mais si ça peut te rassurer...  "

Il faudrait visiblement faire de notre mieux. Sur ces mots, je vidais mon verre et m'en remplis un autre. Puisque monsieur voulait qu'on étudia comment on allait pouvoir coopérer, il me relança sur ma méthode de combat et alors qu'il me parla encore du milieu marin, je ne pus m'empêcher d'afficher une petite moue tandis que je me grattais sous le menton.

" Honnêtement, je suis pas certaine que je possède quoique ce soit de fondamentalement efficace face à l'eau. Je suis une bretteuse, mais je maîtrise aussi le ninjustsu. Les flammes en premier lieu. T'imagine bien que ça ne sera pas très commode, hein ? "

Toutefois, petit détail qui n'était pas totalement anodin, l'eau n'affectait pas mes flammes comme de coutume. Je pouvais voir cela un peu comme une bénédiction de Kagutsuchi... mais ça ne changeait rien à notre problème.

" Je maîtrise aussi le doton, mais encore une fois, je vois pas trop en quoi cela me sera utile. J'aurais peut-être une illumination le moment venu en fonction du problème. Et je ne sais pas en quoi, toi qui tape du poing, ça pourrait te servir, mais si tu as des idées... "

Je haussais les épaules avant de finir mon nez dans mon verre de saké. Mais quand je levais les yeux et que je regardais Ryujin s'enfiler ses verres à grande vitesse, je fus un peu étonnée. Non pas par sa descente, mais plutôt par la tête plus détendue qu'il affichait. Jusque-là, il tirait un peu la tronche, mais là, il semblait plus prompt à sourire et ses joues se coloraient. Je ne pus retenir un petit sourire.

" Oh ? Je vois qu'à la capitale, on sait s'enfiler les pintes, hein ? Mais t'es pas obligé de boire tout d'une traite. On a toute la soirée, mon vieux. Et personnellement, je ne compte pas te porter jusqu'à ton auberge. J'aurais pas la force ! Ha !  "

Même s'il roulait sous la table, je le laisserais se démerder. Peut-être que Mei l'emmènerait chez elle… bien que s'il était du genre à ronfler après avoir trop picolé... Il risquait plutôt de passer la nuit sur sa chaise ou à même le sol.

" Enfin bref, dis-moi si tout ça, ça t'inspire.  Parce que moi, pas un iota. "

Je laissais échapper un soupir avant de reprendre une gorgée de mon verre. On verrait bien ce que nous réserverait le reste de la soirée.

Il y avait pas à dire que le togejin était un drôle de gugus qui se transformaient à vue d'œil à chaque verre qu'il s'enfilait. Même ce qui me racontait commençait à devenir n'importe quoi. Pourquoi il me parlait de bain de boue ? Je ne pus m'empêcher de le regarder avec un œil suspicieux.

" T'es vraiment un type bizarre... mais si ça t'emmerde de salir tes fringues, tu n'auras qu'à te battre à poil. "

Je blaguais évidemment. Il manquait plus que ça. Ce serait une terrible distraction pour tout le monde... quoique si ça pouvait décontenancer l'ennemi, ça pourrait être une stratégie comme une autre, hein ? Je notais l'idée dans un coin de ma tête. Allez savoir, peut-être qu'un jour où je serais désespérée, j'aurais recours à des techniques désespérées. Il fallait savoir user de toutes ces armes, non?

Prenant tranquillement un autre verre, alors que je me moquais un peu de mon camarade, celui-ci justifiait son état et les verres qu'il enchainait par la taille de ses gobelets. Sans déconner, c'étaient pas des dés à coudre quand même ! Bon, si après il s'attendait à avoir des chopes proportionnées à sa taille, ça risquait d'être compliqué.

" A Teito ? Des fêtards ? Mouais... tu me dirais j'étais déjà allée à une fête à la capitale, on buvait pas trop mal...  Quant à Toge, je te dirais pas le contraire. "

Je ne pus retenir une grimace en pensant à ces coincés du cul. J'en connaissais pas un seul qui m'avait fait bonne impression. Sans déconner, tous des balais dans le postérieur et une putain de condescendance dans le regard qui me mettait les boules. Tandis que je maugréais dans ma propre barbe, je tiquais sur ses paroles.

" Attend, attend... t'as dit quoi ? Tu danses ? Genre, tu danses vraiment ? Tu fais tourner et tout là ? "

Notons que j'avais même pas relevé le fait qu'il soit un nobliau, parce qu'à vrai dire, je trouvais pas ça spécialement intéressant. Ça me gonflait surtout quand on s'affichait comme tel et qu'on en faisait des caisses à ce sujet. En attendant, ça me fit marrer. Pendant que je me moquais un peu, Mei était venue avec d'autres chopines. J'aurais pas cru que le grand dadet l'invita aussi vite, ce qui me fit encore plus rire.

" Oooh! Comme c'est gentil mon grand bâti ! Mais j'ai bien peur de ne pas pouvoir me défiler pour la soirée... il y a du monde et pas assez de bras...  "

Ce fut à cet instant qu'un groupe de soldats entrèrent dans la taverne, mais la demoiselle se retourna vers Ryujin, et lui fit un clin d'œil.

" Mais par contre, quand j'aurais fini mon service, je serais toute à toi ! Haha!  "

Tandis que je buvais un nouveau verre, je ne retins pas encore un esclaffement.

" Hahaha! Bordel ! Je te l'avais dit que tu rentrerais pas tout seul ! Hahaha! Sacrée Mei. Au moins, elle sait ce qu'elle veut la petite ! Hahaha! "

Au moins, cette soirée m'aurait donné raison. Plutôt que rester dans la franche rigolade, voilà qu'il revint sur l'objet de notre mission. Je fus vite dépitée.

" Meeeeeeeeeeeec... tu te prends encore la tête avec ça ? Sans déconner, décroche un peu. Parfois, faut pas réfléchir et agir à l'instinct ! Je suis certaine qu'on se démerdera très bien et on ira boire à nouveau après ! Comme tu le faisais à Teito ! Alors bois, et arrêter de nous emmerder avec la mission là. "

Sur ces mots, je levais mon verre et le vidais cul sec.

De toutes les conneries qu'il pouvait me raconter, je devais dire qu'apprendre que Ryujin était un maître de la danse mais qu'en plus, c'était ce qui aurait pu faire de plus un meilleur shinobi me laissa un peu sur le cul. Honnêtement, je ne voyais que le rapport que de très loin, genre l'agilité ou la souplesse, un truc dans le style. Seulement, le type de danse de salon que j'imaginais dans ma petite tête blonde, ça collait pas des masses à l'image du molosse qui se tenait devant moi. Autant vous dire que cela me décontenançait et ça se lisait sur ma tronche.

" Comment ça tu comprends pas ? Bah faire tourner ta partenaire de danse, quoi ! La faire valser, tout ça tout ça. "

Je mimais alors vaguement avec mes doigts comme un tourbillon. Une valse quoi.

" De la danse. Je vois pas comment je peux te faire un dessin. Je t'imagine tellement pas en fait. T'as pas la dégaine de l'emploi mais si tu le dis, je vais te croire. "

Mon imagination était en train d'aller un peu trop loin. J'imaginais Ryujin tout guinder dans une drôle de tenue, le cul serré avec une midinette dans les bras tout aussi coincée. C'était pas joli joli.

Laissant de côté cette pensée bizarre, je me contentais de mettre mon nez dans mon verre et de descendre une autre pinte, tout ça pour me rendre compte que l'alcool rendait mon compagnon de beuverie incroyablement long à la détente ou très premier degré. Peut-être les deux en même temps.

" Qu'est-ce que tu dis !! Je te parle de rentrer avec une dame ! Je te parle pas de ta capacité à te rouler jusqu'à ton auberge... sans déconner... Vous les mecs de Toge et sa zone, vous êtes sacrément lent à comprendre ce genre de chose. "

Prenant une expression un peu grincheuse, je ne pus m'empêcher de regarder Ryujin avec un air désabusé.

" La petite vient carrément te faire du rentre-dedans au cas où tu l'aurais pas remarqué...  Tssss... Désespérant... "

Je secouais la tête, avant de réfléchir à la demande de mon camarade… qui s'éclipsa pour aller pisser. La métaphore qui me sortit me fit rire, d'autant que je me demandais si tout était proportionnel chez les géants. Blague à part, cela me laissa au moins le temps de lui trouver de quoi s'amuser un peu. J'eus le temps de finir un autre verre et en entamer un autre, qu'un petit sourire malicieux se dessina sur ma tronche.

" Bon. On a pas de dés ni de cartes, mais on a quelques jeux à la con. On a des trucs du style, vérité ou bois ton coup. Soit tu réponds à la question que te pose ton collègue et c'est lui qui vide son verre, soit tu réponds pas et c'est toi qui bois le double. "

Je levais mon verre à cet instant comme pour illustrer la chose.

" Ou sinon, t'as une version où on dit à voix haute un truc que l'on a jamais fait et on boit. Si l'autre l'a déjà fait, il s'abstient. C'est comme ça qu'on découvre bien souvent que celui qui nous fait face est un gredin. Haha! "

Un sourire un peu imbibé se profila sur mon visage.

" Je te laisse choisir ce qui t'amuserait le plus l'ami. "

On allait se marrer.

Alors que je regardais mon camarade avec un drôle d'air, je me rendis compte qu'on allait à la longue avoir un problème de communication. Ce que monsieur appelait de la danse, c'était tout simplement les arts martiaux. Ok. Les mecs de Teïto peuvent donc pas causer comme tout le monde ? Par tous les dieux, ça s'annonçait galère cette histoire.

" Ok. C'est ce que t'appelle de la danse, toi ? Le commun des mortels appelle ça le taijutsu. Va sincèrement falloir qu'on travaille notre manière de causer si on veut être efficace pendant notre mission. "

Si ça manière de dire à droite, ça signifiait la gauche... on allait en chier. Mais, il avait au moins un truc pour lui, il jouait pas les mijaurées et quand je lui parlais de rentrer avec une fille, l'idée ne paraissait pas lui déplaire. Au moins, il s'offusquait pas et ça, ça prouvait que ça pouvait pas être un mauvais bougre. Bien évidemment, c'était d'après mes critères.

" HA ! Monsieur serait presque difficile ! Évite de décevoir la gente féminine de Seizan, le danseur. "

Me mettant à rire, j'enchainais directement avec une nouvelle descente de pinte tandis que je lui énonçais plusieurs possibilités de jeux. Voilà que Ryujin voulait rajouter un peu de challenge en remplaçant les questions esquivées par une possibilité d'action au choix de l'autre.

" Mmmm... je vois, cela peut pimenter le jeu. Ça me pose pas de problème, je suis plutôt joueuse. Haha ! "

C'était pas peu dire, et même que cela avait tendance à me foutre dans la merde. Bon, il serait préférable que je ne déconnasse pas trop, surtout si nous devions partir en mission le lendemain, mais les mauvaises habitudes avaient la peau dure.

" Allez, fais-toi plaisir, l'ami ! Envoie-moi ta question. "

J'étais pas le genre de femme à cacher grand-chose, donc en vérité, je me sentais assez confiance pour répondre à tout et n'importe quoi. Le verre à la main, j'attendais simplement qu'il se décidât jusqu'à son interrogation qui me laissa littéralement dans le flou.

" C'est ça ta question ? Oy...  honnêtement, j'en sais rien. Je suppose que ça dépend de ta définition de l'étrangeté... voyons... "

Je me grattais alors la tête, réfléchissant sincèrement. J'étais pas du genre à faire beaucoup de rêve, je dormais toujours comme une tombe et quand le dieu du sommeil veillait sur moi, mes songes n'avaient en soi rien d'extraordinaire. De la forge, des épées, mon fils... et un certain nombre avec des beaux gosses dont la décence ne me permettait pas d'expliciter.

" Euhhh... j'en ai fait un, une fois, pas très joyeux, où je m'imaginais increvable, mais je voyais tous ceux que je connaissais vieillir ou mourir alors que moi je changeais pas. J'ai trouvé ça très bizarre. "

Sans doute un délire de mon subconscient et de mes sentiments de culpabilité.

" Dans un autre genre, j'ai rêvé que je me mariais... et quand on me connait, c'était encore plus louche. Je sais pas si ces réponses te satisfont, mais j'ai que ça en stock. "

Ça par contre, je n'avais certainement pas envie de savoir ce que ça signifiait et que l'on m'épargna ce genre de connerie !

" À mon tour, Ryujin. Combien de femmes tu as eu dans ta vie ? "

La question la plus basique et banale qu'on pouvait se poser. Fallait bien commencer par les bases. La gênance, ça serait pour plus tard.

J'aurais dû me douter que la question la plus conne pouvait très vite devenir la question la plus pénible. Je savais pas si c'était un truc de noble, de togejin ou de grand dadet, mais sans déconner, je pensais que les choses étaient évidentes, même dans ma simple formulation.

" En fait, je me demandais juste le nombre de gonzesses que tu t'étais tapé... mais bon, si tu veux m'énumérer toutes les femmes de ta vie, ça me va. "

Ma chance était que la liste était pas bien longue et qu'en réalité, elle m'en disait vraiment pas mal sur lui. Sa mère, sa frangine, la frangine d'un pote - ça puait le malaise ça - et une meuf de bords de mer. Mouais. Il était pas du genre à aller chercher la donzelle, mais à faire avec ce qu'il avait autour de lui. On ne pourrait pas lui en tenir rigueur après tout. On menait pas des vies de saltimbanques et on cavalait que pour bosser. Je savais pas si je devais pas être un peu déçue. D'un autre côté, il me dépeignait tellement une tronche de mec sérieux que le contraire aurait été plus étonnant.

" Je vois. Monsieur aime les rouquines. "

J'eus un petit sourire amusé alors que je mis mon nez dans ma chopine. Tout ce déballage méritait bien une gorgée de bière, après le saké, et puis, il me fallait au moins ça s'il s'attendait à ce que je causais. Lorsque cela fut à son tour, je fis un haussement d'épaules comme pour lui signaler qu'il pouvait lancer les hostilités.

A ma grande surprise, il me renvoya presque ma question, bien que visiblement à ses yeux, je devais mettre taper tout le village. Arquant un sourcil, je fis une petite moue avant de me retourner pour regarder qui avait dans la salle.

" Si par intime tu parles de coucher... voyons... "

Je plissais mon oeil pour essayer de reconnaître des têtes. Il fallait dire que les coups d'un soir, généralement, je les comptais pas, d'autant que la plupart du temps j'étais trop bourrée pour me souvenir de quoique ce soit. Le black-out complet. Ma chance était que s'était aussi pareil pour eux. Il pouvait aussi y avoir quelques quatre heures quand j'étais saine d'esprit, parce qu'on était pas des bêtes et je ne niais pas mes... besoins d'attention. J'étais humaine et perfectible après tout, et j'étais très loin d'avoir honte de ça.

" Alors, y a lui là-bas. A gauche. J'ai pas son nom, tu m'excuseras. On était torché tous les deux, mais on s'est bien marré. "

Je désignais un soldat aux cheveux en bataille, buvant tranquillement avec ses propres camarades. Il n'avait en soit rien de remarquable, juste beau gosse.

" Le petit blond dans le coin. Mais je crois qu'il a honte parce qu'il est devenu prêtre juste après. Enfin, d'après ce que je sais. Je supposais qu'il avait besoin de passer une nuit de folie avant de renoncer à tout. "

Bizarrement, cela me fit rire. J'espérais que je ne l'avais pas convaincu de devenir éclésiastique en une seule nuit.

" Et... ha oui. Takao. Le grand dadet que tu vois discuter au bar. Il était pas aussi musclé quand je l'ai connu.... enfin faut dire que l'on était ado. Maintenant, je crois qu'il est marié et il a un gosse. Il a plutôt bien réussi sa vie. Par contre, je crois que sa femme ne m'aime pas du tout. Hahaha! "

Une vieille histoire banale. Deux ados. De la curiosité et puis s'était tout. C'était pas comme si on désirait plus quand on avait seize ans.... Bordel. ça datait et ça rajeunissait pas. Ayant fait le tour de la salle, je me retournais vers Ryuijin une nouvelle fois.

" A mon tour, l'ami. Quel est le truc le plus dingue que t'es eu à faire en mission ? "

Si c'était possible de l'imaginer faire un truc du genre...

Je riais sans me cacher. L'idée que le gredin avait son type de femme me faisait sourire. Ne me demandez pas pourquoi, mais je l'imaginais tellement aussi austère que sa nation que je pensais qu'il prendrait n'importe quelle femme consentante ou bien choisi par on ne savait qui de sa famille. Un truc de noble quoi. Généralement, ça ne cherchait que des ventres. Pour le plaisir, ça allait toujours dans les bordels. Est-ce que j'avais une vision cliché de son univers ? Carrément, mais je savais que je n'étais pas si éloignée de la vérité non plus.

Jouant le jeu à fond, je répondis honnêtement à sa question, bien que sa remarque me fit à nouveau sourire.

" Je sais pas si on peut vraiment parler de chance. M'avoir dans son sillage, c'est pas un fait glorieux, surtout si la finalité est née uniquement de la suite d'un sacré nombre de verres. On dira simplement qu'on ne s'ennuie pas en ma compagnie et que je n'aime pas m'ennuyer non plus. "

Haussant les épaules, je me concentrais sur mon tour... sauf que j'avais merdé. Sans m'en rendre compte, je posais une question qui était en relation avec le boulot, et ça m'était carrément sortie de la tête.

" Euuuuuuh... bordel de merde. J'avais carrément oublié les règles. Fais chier, mais c'est le jeu. Donne-moi un gage mon vieux et évite d'aller m'envoyer faire un truc dégueulasse. J'ai une réputation à tenir. "

Un petit sourire amusé se profila sur ma tronche aux joues rosies. La chaleur de l'alcool que je n'arrêtais pas de m'envoyer depuis le début de soirée commençait à véritablement m'attaquer. Il fallait dire que chaque fois qu'on vidait nos verres, on se les remplissait aussitôt. Ryujin ne manqua pas d'ailleurs de commander une nouvelle tournée.

" Je ferais avec ce qu'on a sur la table, t'en fais pas. Et puis, il faudrait peut-être ralentir si on veut bosser demain ! Ha ! Enfin bref... fais-moi péter ton gage qu'on en finisse. "

Me servant une nouvelle chope avec l'intention que cela fut la dernière - et cela était en réalité peu probable - je vis mon camarade de Toge plutôt déconfit à l'idée de me trouver un truc à faire. Personnellement, j'aurais pu lui énumérer plein de bêtises à exécuter mais... je n'allais pas me mettre des bâtons dans les roues. En attendant, il me surprit.

" Hein ? Un... tu veux un massage ? Wooh. Je m'attendais pas à ça mais pourquoi pas. C'est toi qui prend des risques tu sais. "

Je me fis alors craquer les doigts et les poignets, avant de me lever de mon siège. J'allais pas attendre pour exécuter mon devoir de la soirée. Me glissant derrière lui, je finis par placer mes mains dans sa grande tignasse.

" Je t'accorde cinq minutes de bonheur avec mes petits doigts de fée. Tu vas vivre le meilleur massage crânier de ta vie ! Haha ! "

Et en vérité, c'était pas faux. S'il y avait bien une chose que je savais utiliser comme personne, c'était bien mes menottes. Taper,marteler, modeler, masser... Mes dix doigts m'offraient un paquet de posssibilité. Par contre, ayant perdu...

" Comme j'ai perdu, je suppose que t'as droit à me poser une nouvelle question mon vieux. "

Fallait que je retins pour la prochaine à pas merder une nouvelle fois.