Il n'y avait pas plus pénible voile à porter que celui du deuil d'une personne chèrement aimée, et Yuriko n'en connaissait que trop l'amertume. Cela faisait maintenant deux années que son fiancé n'était plus de ce monde et pourtant, elle n'arrivait nullement à renoncer, que cela fut son attachement ou ses sentiments. Murée depuis dans le silence pour ne plus avoir à répondre de rien, il n'en était pourtant pas moins rare de percevoir la silhouette sculpturale de la prêtresse venir, dans de nonchalant va-et-viens, au coeur des allées des tombes du cimetière de Toge.

Que venait-elle y faire ? Rendre hommage, pleurer parfois, en foulant une stèle stérile car Kaïto ne reposait pas à en ces lieux, bien qu'il fut un de ses soldats. Sa famille était de Teïto et il était apparu naturel que ces cendres reposèrent là-bas, dans le domaine familial. Ainsi, son père pouvait continuer à parler à son fils parti trop tôt. Mais qu'en était-il de Yuriko ? N'ayant jamais eu l'occasion de l'épouser, elle ne possédait aucun droit véritable, bien qu'elle avait encore toute l'affection du clan Igarashi ou plutôt, de la famille proche de son aimé disparu. Mais alors, que signifiait cette pierre tombale sur laquelle elle venait ? Ce n'était qu'un symbole. Un rappel. Celui du soldat tombé pour le village qu'il défendait. Une pierre taillée pour un honneur posthume en sa mémoire.

Bien qu'il n'y avait rien de lui en cet endroit, cela permettait à la jeune femme d'avoir un point de recueillement, car l'exercice de ses fonctions et de la vie qu'elle menait à Toge, ne lui permettait pas de se rendre à la capitale aussi souvent qu'elle le voudrait. De plus, elle ne pouvait éternellement imposer son chagrin à Sadao, le père de Kaïto qui déplorait que celle qui aurait pu être sa fille par alliance ne puisse tourner cette page de sa vie. Mais c'était impossible, ou tout du moins sa colère ne lui permettait pas de percevoir un avenir autre que de trouver celui qui avait assassiné son âme sœur. Alors en attendant, elle continuait à participer à ce simulacre de funéraille.

Régulièrement, elle venait apporter un bouquet de fleurs et changer celles qui avaient inévitablement fini par faner. Ainsi, la prêtresse portait dans ses bras un panache de clématites aux différentes nuances de bleues. Elle avait toujours aimé cette couleur et Kaïto prétendait aimer celui de ses yeux. Il ne s'agissait que d'un symbole de plus, une manière de montrer qu'elle était toujours un peu avec lui, qu'elle avait laissé une partie d'elle-même partir avec lui.

Mais alors qu'elle déambulait pour retrouver le lieu de la sépulture fictive de son amant, elle trouva sur son chemin quelqu'un dont elle ne connaissait pas le visage. Toutefois, ce dernier se tenait prostré devant une tombe, à genoux, respectueux, mais dont les traits trahissaient qu'il paraissait un peu perdu. Sans vouloir lui faire le moindre affront, ni même l'interrompre dans cet instant solennel, elle ne put retenir un simple geste. Délicatement, elle retira une fleur de clématite de son bouquet et déposa humblement cette dernière sur la tombe qui inspirait toute la tristesse du monde à l'inconnu.

" ...  "

Yuriko resta silencieuse, suivant toujours le dictat de ses vœux. Elle lui offrit une légère révérence avant de continuer son chemin pour s'en aller elle-même sur la stèle qui l'intéressait, pour changer l'eau des fleurs, et y déposer les nouvelles.

Après avoir laissé une offrande à la tombe inconnue, Yuriko s'était naturellement portée en direction de la stèle où prônait le nom de Igarashi Kaïto. Ses pas légers la portèrent sans mal, presque fantomatique, dans cette cour pavée du regret des vivants, mais elle savait parfaitement où elle allait. Une fois prostrée devant la pierre tombale, elle ferma les yeux quelques secondes comme en signe de repentance avant de s'agenouiller. Elle posa d'abords son bouquet de fleurs fraîches sur ses genoux, retira les fanés de leur vase avant d'y intégrer les nouvelles. Ce fut avec une grande délicatesse qu'elle finit par arranger les clématites, cérémonieusement, de manière à harmoniser le tout et qu'aucune fleur n'eut à trop s'abîmer.

Ce fut à cet instant qu'elle perçut une ombre qui s'avançait, attirant alors son attention. Lentement, la prêtresse leva les yeux pour percevoir la silhouette du jeune garçon qui semblait pleurer… Son père ? Silencieuse, la jeune femme secoua lentement la tête de façon négative.

" ...  "

Si elle conservait son vœu de silence, elle avait appris depuis quelques subterfuges pour s'adresser à autrui. Ce fut à cet instant qu'elle exécuta quelques signes avec ses doigts, mais alors qu'il s'apprêtait à partir de peur de déranger, Yuriko projeta sa voix dans l'esprit de Kanon (Genjutsu - C2 Intrusion).

" Je ne connaissais, hélas, pas votre père. "

La prêtresse laissa le jeune homme se faire à l'idée de l'entendre, avant de tourner son attention sur la tombe de Kaïto.

" L'homme que je pleure encore aujourd'hui était mon fiancé. Disparu beaucoup trop tôt, comme tant d'autres. "

Prenant le bouquet de fleurs fânées, Yuriko se releva doucement, avant de se tourner vers le genin qu'elle ne connaissait pas encore.

" Veuillez excuser l'intrusion de ma voix dans votre esprit. Je suis une prêtresse qui a fait vœux de silence, et je n'ai nul autre moyen pour vous répondre. Sachez seulement que vous ne m'avez en rien importuné. Il m'est rassurant de voir qu'il y a encore quelques âmes, bien vivantes, qui accordent un peu de temps à nos chers disparus. "

Les yeux de la chunin se tournèrent alors vers le reste du cimetière. Beaucoup de pierres tombales étaient malheureusement négligées, certaines n'étaient même pas du tout défraîchies et des herbes folles empiétaient sauvagement sur les stèles. On pourrait aisément croire qu'il ne s'agissait là que de personnes qui n'avaient plus de famille, mais en réalité, il existait un grand nombre de personnes qui ne portaient plus leur regard sur ce qu'ils avaient perdus.

Le moment où Yuriko se devait de s'adresser à quelqu'un pouvait se révéler particulièrement délicat quand elle ne pouvait fournir d'explication. Ce jour-là, elle n'avait pas emmené l'ardoise qu'elle utilisait pour écrire ou tout autre support écrit. Elle s'était simplement résolue à projeter le son de sa voix calme dans l'esprit du jeune inconnu. Par chance, il ne s'en était pas offusqué, mais elle aurait aisément pu comprendre s'il en avait été autrement. Pour cela, elle le gratifia d'une légère révérence pour exprimer sa déférence.

" Je vous remercie pour votre sollicitude. Généralement, je ne procède pas ainsi, je suis tout à fait consciente que cela est déplacé. Je demande généralement le consentement de la personne avant l'utilisation de cette capacité. "

Il lui semblait préférable de tout de même justifier son comportement, bien au-delà de son choix étonnant au mutisme. D'ailleurs, cela ne manqua pas d'attirer la curiosité du togejin. Cependant, elle ne connaissait pas cet homme, et sans vouloir se montrer familière, elle préféra ne pas s'étendre sur le sujet, car la question lui fut déjà posée mille fois et les réactions étaient toujours les mêmes.

" Il serait bien trop long et difficile d'en expliquer toutes les raisons., mais ce vœu est personnel, bien qu'il n'en soit pas immuable. "

Viendrait le jour où elle ôterait ce sceau invisible pour de bon, mais elle n'en ressentait pas encore le besoin de le faire. Elle s'accommodait donc de ses petites astuces shinobis pour palier son manque de communication. Ce fut alors que les questions continuèrent et cette fois, elles étaient destinées au défunt. Les yeux de Yuriko se détournèrent bien vite de Kanon pour se river sur le nom gravé dans la pierre. Il disait que son père avait été tué en mission, tout comme lui. Mais contrairement à lui, la Sugimoto n'avait pas à se sentir coupable de ne pas avoir été là.

" Votre douleur doit être immense. L'unique conseil que je pourrais me permettre de vous donner est de ne pas vous laisser dévorer par votre culpabilité. Le seul coupable demeure et demeurera celui qui a ôté la vie à votre père. Pas vous. "

Cette phrase ne pouvait ne faire qu'échos à son ressenti.

" Mon fiancé a été assassiné lors d'une mission également, ainsi que tous les membres de l'équipe qui l'accompagnaient. Nous n'avons jamais retrouvé les coupables. "

Cachées par le bouquet de fleurs fanées, les mains de Yuriko se serrèrent, tout comme sa mâchoire lorsqu'elle évoqua ce vide de tout indice. Deux ans que cette affaire avait été classée sans suite, sans notification de nom. Rien. Tandis qu'elle s'apprêtait à se plonger à nouveau dans sa profonde mélancolie, les paroles de Kato interrompirent son flux de pensée. Elle releva la tête, observant le cimetière.

" Je ne saurais véritablement vous répondre, mais je sais que certains individus n'aiment pas être confrontés à la mort. D'autres sont dans le déni, et d'autres encore mènent une existence centrée sur eux-mêmes. Il y a, sans nul doute aussi, certaines personnes qui n'ont plus de famille. Nombreux sont les soldats qui n'en ont pas. "

Les plus lucides d'entre eux n'avaient peut-être pas le désir de posséder la moindre attache pour ne rien avoir à perdre.

Chaque individu avait sa manière pour gérer son chagrin et faire face au deuil. Cela pouvait être aussi multiple que les émotions humaines. Il était possible d'être dans la retenue, dans l'indifférence, dans l'exhibition la plus totale... Yuriko se souvenait parfaitement du vide qui l'avait envahi quand le corps de Kaïto avait été apporté. Elle se souvenait de la douleur qui avait enserré sa poitrine, un étau véritable, jusqu'à ce qu'elle perdit pied. Sa peine s'était muée dans un cri si déchirant qu'elle n'avait pu être que prise en pitié par les membres du clan Igarashi, alors qu'eux-mêmes partageaient ses larmes. Une tragédie pour tous ceux qui l'avaient connus.

" J'espère pouvoir un jour trouver la vérité. En attendant, je ne peux que continuer à entretenir son souvenir. "

Elle jeta un dernier regard sur la stèle, avant de totalement se tourner vers Kanon, tenant son bouquet de fleurs séchés dans les mains. Leur discussion prit soudainement un revers presque plus philosophique et sociétal. Toutefois, en tant que prêtresse, Yuriko avait appris à répondre à ce genre d'interrogation, ou tout du moins, elle y avait été amenée à plusieurs reprises.

" La mort effraie. Certains préfèrent détourner son regard plutôt que l'affronter, même lorsqu'elle est inéluctable. D'autres ont la naïveté de croire que l'on peut traiter son chagrin comme si ce n'était qu'un passage à éviter. "

Ne pas honorer ses morts était une façon de ne pas y faire face, tout comme la peine que l'on se refusait à affronter. Un déni de soi, un déni de l'autre. Cependant, Yuriko ne se permettrait de juger ce choix, chacun était responsable et devrait en porter les conséquences. Est-ce que cela était du goût de son jeune camarade ? Difficile à dire, mais il affichait une volonté de dire ce qu'il pensait sans aucune barrière. Il en était de même sur le choix de vie de certains shinobis.

" Cela vous étonne ? Pourtant, cela est plutôt anodin. Il y a en réalité une volonté plus louable que les apparences, bien que cela ne soit pas applicable pour tous. Beaucoup ne veulent pas laisser femme et enfant dans le désarroi. Ainsi, ils préfèrent renoncer à fonder une famille plutôt que leur faire connaître le chagrin ou l'amertume de les perdre. "

Cela pouvait paraître raisonnable dans une vie où le danger était partout, là où la Mort était une compagne de chaque instant. Il y avait tout de même un certain désenchantement dans ce choix.

" Quant à des raisons de combattre ou de revenir, beaucoup ne sont que pur égocentrisme : la richesse, la gloire, la reconnaissance. "

Cela était presque un lieu commun en réalité. Elle s'étonna donc de l'innocence qu'elle décela dans la réponse du jeune homme. D'ailleurs, ce dernier préférait se désoler de la situation du cimetière, tout en reconnaissant qu'il ne devrait pas empiéter sur le choix des familles... si famille il y avait.

" Je reconnais qu'il est bien malheureux de voir certains endroits abandonnés. Peut-être pourrions-nous poser quelques questions au gardien des lieux, et savoir quelles tombes ne sont jamais visitées, s'il y a une raison. "

Selon la réponse, peut-être pourraient-ils faire une bonne action en nettoyant quelques endroits, ou au moins ceux que personnes ne venaient visiter.

Yuriko ne s'était pas attendue à une affirmation aussi catégorique de la part du jeune homme. Ainsi, il déplorait que toute âme ne pouvant faire face à la mort avec courage, était idiote. Cela était une position plutôt radicale qui à ses yeux, par définition, manquait de nuance. Cependant, elle ne se serait permis de contredire son opinion, n'ayant la prétention de pouvoir affirmer le contraire.

" Tout le monde n'est malheureusement pas capable d'affronter l'inéluctable ou tout du moins, n'en possède pas le courage. "

Les braves le pouvaient. Les couards s'accrochaient à leur vie avant toute autre chose. Certains prétendraient que le brave mourrait bêtement s'il affrontait inutilement plus puissant que lui, et que le couard, lui, s'il ne tirait aucune gloire ou fierté, aurait l'intelligence de rester en vie, et qui savait, peut-être, revenir plus fort demain. Qui pouvait dire avoir tort ou raison ? Tout était une question de point de vue. L'honneur prévalait pour certain, et pour d'autres, chercher la rédemption était un mal plus enviable qu'une fin prématurée. Si Yuriko devait se positionner, elle se situerait sans nul doute entre deux eaux, car tout dépendrait des objectifs qu'elle se serait définie.

" Bien que je ne peux parler en leur nom, j'imagine que pour certains, l'appât du gain ou de la reconnaissance seule est un élément suffisant pour s'accrocher à leur vie. De plus, j'ai bien peur que ceux qui possèdent une famille à protéger sont ceux qui sont les plus à même de prendre des risques pour faire le maximum. Ils sont généralement ceux qui se sacrifient. "

Le regard de la jeune femme balaya alors le cimetière, bien que son attention se porta un peu plus longtemps sur la tombe de son fiancé.

" En regardant la mort dans les yeux, on peut aussi être le plus proche de sa lame. Ainsi, les idiots comme vous les appelez, qui détournent le regard, survivent en prenant leurs jambes à leur cou. "

Cela était peut-être la seule qualité de la couardise, cette capacité à vouloir survivre en se moquant du déshonneur, survivre qu'importait la façon. Il y avait là quelque chose qui pouvait être aussi beau que pathétique et qui renvoyait à la terrible nature de l'humanité.

" Néanmoins, je vous rejoins sur l'idée qu'il est idiot de ne pas vouloir fonder une famille par la seule peur du chagrin. "

Le prétexte était fallacieux, une excuse et probablement une simple traduction de la peur de l'engagement.

En revenant sur un sujet plus pragmatique, Yuriko se sentit piéger par sa propre question. Elle savait qu'il y avait un gardien, mais où le trouver... et bien, cela était une autre paire de manches.

" J'ai bien peur de ne pas savoir où le trouver si ce dernier n'est pas dans ces locaux. Peut-être pourrions-nous y découvrir un indice ou un nom vers qui nous tourner si nous y regardions de plus près ? "

Une suggestion comme une autre, mais sûrement que le jeune Kanon préférait rester auprès de son père.

Yuriko tenait toujours en ses mains le bouquet de fleurs séchées, mais bien que les bras pourvus, elle avait tout de même proposé au jeune homme attristé de trouver celui qui avait pour devoir de garder le cimetière. Il décida de se montrer assez aventureux pour se tenter à percer le mystère de ce fonctionnaire absent. Quand le genin répondit qu'ils pouvaient y aller, la Sugimoto se contenta d'un hochement de tête lent et élégant, se contentant de le suivre comme une ombre.

Ce fut ainsi que les deux togejins commencèrent leur étrange procession, se glissant à pas de velours et respect entre les pierres tombales pour regagner la case du gardien. Seulement, une fois arrivée sur place, il n'y avait personne comme il était attendu. Mais la jeune femme fut surprise quand elle se rendit compte qu'elle avait manqué à ses manières et elle ne s'était pas présentée.

" Je me nomme Yuriko Sugimoto. Je suis enchantée, Kanon-san. "

Sur ces mots projetés dans l'esprit du jeune homme, elle le salua suivant ses habitudes nobles, avant de tourner son attention vers l'antre du gardien. Kanon fut le premier à relever que le propriétaire des lieux avait déserté en laissant un message, ou plutôt, un panneau pour signaler son absence. La prêtresse eut un petit sourire en coin quand elle entendit son camarade se montrer cynique vis-à-vis de la situation.

" Je suppose que nous n'avons nul autre choix. Si vous me permettez... "

À cet instant, la jeune femme confia son bouquet à Kanon, avant de se tourner vers la porte. Bien évidemment, cette dernière était fermée à clef, il faudrait forcer l'entrée. Ce fut alors que Yuriko se décida à employer la force. Littéralement. Elle concentra alors son chakra dans sa main et une fois qu'elle fut satisfaite, elle frappa la poignée pour la faire sauter d'un coup sec.

" Cette porte manque aussi d'entretien, vous ne trouvez pas, Kanon-san ?  "

Quand elle se tourna vers lui, elle récupéra son bouquet et lui adressa un clin d'œil complice avant de pénétrer dans la loge poussiéreuse. Quelle ne fut pas sa surprise de constater... que l'on devina qu'il n'y avait pas eu d'activité en cet endroit depuis longtemps. En effet, ce qui servait de bureau était couvert d'une large couche de saleté, les fenêtres apparaissaient plus sales encore une fois à l'intérieur et les araignées avaient allègrement élu domicile.

" Il est facile de penser que l'absence du gardien s'est prolongée depuis plus longtemps que ce qu'il n'aurait dû. Je suis étonnée que cela n'ait alerté personne. "

Le regard bleuté de la dame commença alors à se poser un peu partout, cherchant à trouver un possible document, mais à l'instant où elle souleva un cahier, elle se mit à éternuer.

" Veuillez m'excuser. Il y a vraiment beaucoup de poussière. Avez-vous trouvé quelque chose d'intéressant, Kanon-san ? "

L'enquête s'annonçait plus obscure que prévu.

Qui aurait pu imaginer que cette étrange rencontre aurait ainsi été parsemé de quelques pertes et fracas, sous le couvert d'une porte brisée. Mais Yuriko semblait pouvoir compter sur le jeune homme qui l'accompagnait et sa vivacité d'esprit pour devenir son complice d'infortune. Ainsi, il joua le jeu et paraissait rajouter une couche au défaut de mauvaise facture de cette entrée si peu solide. Si son esprit n'avait pas été trop embrumé par la peine qui l'avait guidé en ces lieux, Yuriko aurait pu offrir un sourire pour marquer son amusement.

Continuant ainsi leur enquête, les deux jeunes gens découvrirent un nid de poussière et de toile d'araignée, dans une loge visiblement peu prompt à y avoir vu la moindre activité depuis des semaines, voir des mois. Cela était assez difficile à dire au premier coup d'œil. Tenant dans l'une de ses mains son bouquet fané alors que de l'autre se tint devant son visage pour éviter tout éternuement, son regard ne vit rien qui aurait pu être intéressant. Kanon fut un peu plus chanceux en tomba sur un cahier de compte.

" Voilà qui pourrait nous éclairer un peu. "

Déposant finalement ses fleurs sur l'une des tables poussiéreuses, elle finit par se saisir délicatement du cahier que lui tendit son camarade. Là, son regard commença à balayer plusieurs pages avant de s'attarder sur les dernières qui portaient les dernières dépenses et entrées du maître des lieux. Fronçant les sourcils, elle revint un peu en arrière sur sa lecture.

" C'est étrange. Il y a trois semaines, des entrées d'argent ont été notés. Des fonds versés par les familles pour entretenir les tombes et des subventions du village pour assurer le reste. Cela est ainsi jusqu'à une semaine en arrière encore... sans aucune dépense. Il faut remonter à plus d'un mois pour cela. "

Yuriko ferma alors le livre des comptes avant de soupirer.

" Si nous nous en tenons à simplement ce cahier, cela pourrait laisser à penser que le gardien a détourné de l'argent, mais auquel cas, pourquoi prendrait-il la peine de notifier qu'il en a bien reçu ? "

La première idée qui vint à l'esprit de la chunin était que ce pauvre diable avait décidé d'employer ses fonds pour une raison qui lui était propre, mais potentiellement avec l'intention de le rendre ou de l'utiliser plus tard. Il aurait été idiot d'avoir une preuve de dépôt sans en noter l'utilisation. Il était aussi possible qu'il eut été volé ? Mais disparaître aussi longtemps ?

" Pourquoi aurait-il voulu soudainement détourner cet argent et disparaître de son lieu de travail ? "

Les raisons pouvaient être tellement multiples que cela revenait à chercher une aiguille dans une botte de foin : des dettes, des femmes, une mauvaise rencontre, des voleurs, ou tout simplement être un vaurien ? Yuriko se tourna vers Kanon, le regard étonnamment déterminé.

" Je pense que nous allons devoir nous rendre directement chez notre intriguant, déterminer s'il est toujours chez lui ou à défaut, trouver un proche pour nous renseigner. Nous pourrons par la même occasion régler cet étrange affaire de fonds disparus. "

Cette fois-ci, la douce Sugimoto se mit à chercher un peu plus profondément afin de possiblement trouver l'adresse du locataire des lieux, voir peut-être un nom.

Ce qui était une recherche au départ anodine semblait prendre le tournant d'une affaire plus sérieuse. Ce qui était le plus étonnant aux yeux de la togejin était que personne ne s'était alarmée jusque-là, à la fois de la disparition du gardien, que de la tristesse d'entretien du cimetière qui aurait dû mettre la puce à l'oreille de quelques âmes au moins. Cependant, tout n'était encore qu'un brouillard épais et supposition. Les deux jeunes gens ne pouvaient se permettre de se lancer dans une quête sans preuve, raison pour laquelle ils devaient encore chercher un peu.

Dans cet esprit, Kanon continua à fouiller un peu plus le logis, notamment les tiroirs où de nombreux documents paraissaient traîner sans que cela trahit quoique ce fut. Ce cruel manque d'organisation était un désastre pour tout enquêteur, du plus sérieux ou celui qui débutait. Mais qu'importait.

" Voilà qui est désolant et qui ne nous fournit que bien peu d'informations...  "

Cependant, la persévérance des deux curieux finit par payer et ce fut le jeune genin qui trouva de quoi éclairer un peu plus l'affaire dans laquelle ils baignaient à présent. Il récupéra ainsi une boîte contenant de nombreux courriers qu'il commença alors à lire, chose que Yuriko fit juste à sa suite quand il eut fini celles qui passaient entre ses mains.

Après que leurs yeux eurent balayé plusieurs lettres, Kanon finit par tomber sur celle qui pouvait potentiellement éclairer leur histoire, et quand la chunin la lut à son tour, elle ne pouvait aller que dans le sens du jeune homme.

" Il semblerait que vous ayez raison. Ce malheureux semble être tombé dans un sordide engrenage.  Espérons qu'aucun malheur ne soit arrivé au gardien. "

Puisqu' une adresse était indiquée, Yuriko proposa dans la foulée qu'il se rendit ensemble en ces lieux, mais elle ne pouvait forcer Kanon. Ainsi, elle voulait s'assurer qu'il désirait toujours poursuivre leur "aventure".

" J'aspire à continuer nos recherches et me rendre chez cet homme. Toutefois, bien que cela ne soit pas dans nos prérogatives, je ne peux vous forcer à me suivre. Vous avez, peut-être, mieux à faire. Ainsi, je ne vous tiendrais pas rigueur si le devoir devait vous appeler ailleurs. Je peux aisément m'en charger. Mais dans l'éventualité où vous voulez poursuivre en ma compagnie, hâtons-nous de nous rendre à l'adresse indiquée sur ce courrier. "

Laissant ainsi le choix au togejin, elle attendit qu'il se décida avant d'emboiter le pas pour se rendre avec une certaine hâte là où l'on soupçonnait trouver le fameux gardien. Cela les conduisait directement dans le quartier résidentiel du village, mais dans une partie plutôt en désuétude. Les maisons n'étaient pas pauvres, mais on devinait la modestie des villageois qui vivaient là. Le sol était parsemé de pavés entre lesquels les herbes folles poussaient, offrant un aspect sauvage aux ruelles. Les murs des maisons étaient par endroit fissuré, bien qu'il n'eut rien d'inquiétant. Peu de fenêtre était égayés par des fleurs ou de rideaux que l'on pouvait deviner au travers des carreaux.

" L'endroit devait être beau autrefois... ce quartier semble être plutôt délaissé...  "

Cela revenait à assister à la mort lente de tout un quartier, chose que la noble jeune femme trouvait assurément un peu décourageant pour ceux qui devaient y rester pour vivre. Malgré cela, Yuriko finit par trouver la demeure correspondant à l'adresse, une petite maisonnée, accolée à ses voisines, mais dont les carreaux des fenêtres paraissaient aussi négligés que celle du logis du cimetière.

" Il semblerait que ce soit ici. "

Peut-être allaient-ils trouver de nouvelles réponses.

Bien que cela ne se lisait sur le visage de la taciturne chunin, elle fut néanmoins satisfaite de pouvoir compter sur la présence de ce camarade providentiel. Elle n'était en soi guère gênée à l'idée de devoir satisfaire sa curiosité seule, mais avec l'idée que le gardien du cimetière avait pu se retrouver malgré lui dans une affaire qui le dépassait pouvait signifier qu'il ne serait pas aisé à la jeune femme de mener tout ceci seule. La raison l'amenait à penser qu'aucune aide ne serait superflue.

Lorsque Katon lui confirma ainsi sa volonté de continuer, Yuriko opina de la tête et emboîta le pas pour directement se rendre à l'adresse indiquée dans les documents qu'ils avaient trouvés. Ils découvrirent ainsi un quartier qui devait être en son temps fort plaisant, mais qui, pour des raisons qu'ils ignoraient encore, paraissaient délaissés par ses habitants. Si cela touchait un peu la prêtresse, son homologue se montra plus cynique. Ne soulevait-il cependant pas un point intéressant ? Dans chacun des cas, la silencieuse Sugimoto n'eut rien à redire car elle était assez consciente de la part de vérité que dissimulaient les mots crus du jeune homme.

Elle laissa le genin prendre l'initiative d'annoncer leur présence, toquant à la porte sans que rien ni personne ne se manifesta.

" Plus nous avançons, plus cette histoire s'obscurcit. "

Yuriko afficha alors une petite moue emplit de réflexion, regardant la poignée de la porte d'entrée avec une forte envie... de rentrer de force. Toutefois, si dans la loge du cimetière cela lui avait été facile et de peu de conséquence, elle savait pertinemment que cela n'était en rien raisonnable ici.

" Je suppose qu'il serait plus sage pour nous d'essayer d'interroger le voisinage et les gens encore présents dans ce quartier. "

Le regard de la prêtresse se tourna vers le jeune homme et se résolut à ce qu'il se sépara également. Elle lui pointa alors une direction.

" Nous aurons plus vite fait en nous séparant. Vous n'avez qu'à vous occuper de ce côté du quartier. Je m'occuperais de l'autre. Retrouvons-nous simplement devant cette maison pour faire le point. "

Sur ces propos, la jeune femme laissa le genin partir de son côté tandis qu'elle commença directement du sien. Si personne ne lui ouvrit les deux premières portes auxquelles elle toqua, sa chance tourna à la troisième où une vieille femme au dos arrondi par l'âge daigna lui ouvrir. Patiente, Yuriko se décida à questionner la vieille dame en prenant son ardoise pour échanger, et non en s'introduisant dans son esprit pour ne pas l'effrayer. Ce ne fut que lorsqu'elle se présenta comme prêtresse que la vielle voisine se montra plus loquace. Elle indiqua alors qu'elle ne connaissait que peu son voisin disparu, mais qu'il se révélait être un bon gardien. Il n'avait jamais refusé d'aider la dame dans l'entretien de la tombe de son mari. Elle fut toutefois incapable de dire s'il eut été marié ou célibataire tant il ne parlait peu de lui.

Les prochaines portes qui acceptèrent de s'ouvrir devant la chunin lui tinrent des propos équivalents. Aucun d'entre eux ne semblait réellement connaître ce gardien, hormis son nom : Hoki Kento, la trentaine, mine patibulaire et souvent avec une barbe de trois jours. Il paraissait plus chaleureux que son affable apparence et ne refusait jamais quoique ce soit en ce qui concernait son travail officiel et paraissait même y tenir avec dévouement.

Constatant que tout le voisinage paraissait raccord sur le dénommé Kento, Yuriko s'en alla retrouver Kanon afin de voir si ce dernier avait obtenu des informations plus concluantes que les siennes.

Après la petite enquête de la prêtresse, et alors qu'elle s'en retournait auprès de son camarade, elle eut le plaisir de constater qu'il eut l'avantage d'avoir obtenu des informations étonnamment précises sur le gardien, bien que peu utile pour l'adulte qu'il était devenu.

" Je n'ai malheureusement obtenu que peu d'informations, si ce n'est sa description. Un homme d'une trentaine d'années, un aspect un peu négligé, une mine assez affable. Toutefois, ils se coordonnent tous à dire qu'il était un homme dévoué dans son travail. Et je dois dire, que c'est ce qui me trouble le plus. "

La jeune femme porta son regard céruléen vers le genin, tout en continuant à s'adresser à lui au travers de ses pensées.

" Je ne connais guère tous les aboutissants du métier de ce Kento, cependant, son excès de zèle, son envie de faire si bien... c'est... comme s'il cachait quelque chose au travers de son attitude. Je pense que nous allons devoir entrer chez lui de force, aucun habitant ne semble l'avoir aperçu récemment et peut-être trouverions-nous des indices supplémentaires.  Bien entendu, nous allons essayer... d'être discret. "

Un léger petit sourire malicieux se profila sur le visage de poupée de la prêtresse, avant qu'elle ne rajoutât qu'il devrait essayer de trouver une autre voie d'entrée que la grande porte. Il fallait dire que cette affaire n'avait rien d'officiel, et les deux togejins ne pensaient qu'à bien faire pour résoudre cette disparition. Il était encore bien trop tôt pour en avertir les autorités de façon officielle et les preuves leur manquaient.

Sur ces "mots" échangés, la Souhei entreprit d'essayer de faire le tour du pâté de maisons, vérifier l'arrière du bâtiment où vivait Kento. Si le voisinage n'avait été que d'un maigre secours, le lieu de vie, lui, pouvait potentiellement révéler un grand nombre d'indices. Ce fut ainsi qu'ils découvrirent qu'il y avait une petite cour à l'arrière, montrée par un mur à taille d'homme. Il était impossible de percevoir l'autre côté sans aide pour grimper... si vous n'étiez pas un shinobi ou bien sans posséder un physique athléthique. Il n'y avait rien dans la ruelle qui aurait pu permettre de servir de tremplin… ni d'ailleurs aucun regard qui devait se tourner vers les environs.

" Je pense que nous pourrions passer par cette cour. Vous pensez pouvoir sauter par-dessus le mur ou auriez-vous besoin d'aide ? "

Malgré son apparence et sa tenue, Yuriko n'aurait que peu de difficulté pour passer outre cette barrière de pierre. Si Kanon ne le pouvait pas, elle pourrait toujours lui faire la courte échelle.

" Mmm... je ne sais pas ce qui serait le mieux. Devrions-nous y aller tous les deux ou préférez-vous la prudence et que l'un d'entre nous reste à l'extérieur ? "

Les deux jeunes gens seraient sans nul doute plus efficaces ensembles et leur tâche prendrait bien moins de temps. Toutefois, si pour une raison ou une autre, quelqu'un viendrait à percevoir de l'activité dans la maison, celui qui demeurerait au-dehors pourrait surveiller les lieux et gagner du temps pour son camarade.

Il était fort heureux de constater que les deux togejins semblaient être sur la même longueur d'ondes. Voir que l'idée espiègle d'entrer par effraction chez un civil du village n'effrayait pas le jeune Kanon, cela facilitait grandement leur collaboration. Oh, bien entendu, il y aurait peut-être beaucoup à dire sur le péché que cela représentait pour une prêtresse mais... son travail prévalait et il en allait possiblement de la sécurité du propriétaire des lieux... à moins qu'il ne fût lui-même responsable de quelques larcins.

" N'ayez aucune inquiétude sur ma capacité à passer ce mur. J'ai plus de ressource que ce que laisse paraître les apparences. "

Un petit sourire amusé se profila sur le visage, avant que le genin ne vint lui assurer qu'il pensait préférable d'y aller ensemble. À cela, Yuriko acquiesça noblement.

" Je suis d'accord. Mais montrons-nous tout de même prudent. "

La Sugimoto n'était pas une femme emplie de couardise, bien au contraire. On avait pu, autrefois, lui reprocher d'être un peu trop impulsive. Malgré la froideur de son visage, malgré ce masque de fausse insensibilité, l'ancienne shinobi brûlait de mille émotions.
Prenant alors l'initiative de passer le muret, Yuriko suivit de près son camarade, non sans sauter avec une étonnante légèreté, presque féline. Ses connaissances en taijutsu et en ninjutsu ne pouvaient pas lui être plus utiles qu'à cet instant. Dès qu'elle fut dans la cour, elle laissa Kanon ouvrit la porte, et les deux jeunes gens s'engouffrèrent dans les lieux avec une stupéfiante facilité.  Une fois à l'intérieur, l'enquête pouvait littéralement commencer...

" Cherchons tout ce qui pourrait nous sembler suspect ou hors de la norme d'une maison. Analysons tout. "

Se séparant pour fouiller chacune des pièces, Yuriko se rendit en premier lieu dans la cuisine. Tout paraissait en ordre, bien que fort poussiéreux. Il y avait des fruits pourris et de la nourriture à l'abandon, ce qui signifiait que le gardien n'était pas rentré chez lui depuis fort longtemps.

" La nourriture a été laissée telle qu'elle. Il n'avait visiblement pas prévu de partir.  "

Mais jusque-là, cela n'expliquait en rien sa disparition. Il était nécessaire de retrouver des documents, des lettres, des papiers... quelques choses de plus concrets. Se rendant alors dans le salon, la prêtresse observa silencieusement l'endroit. La poussière s'y était aussi accumulée depuis un certain moment, mais son regard fut attiré par un papier sur une table basse. Sa curiosité attisée, elle saisit le document afin de se permettre de le lire : un courrier de menace.

" Kanon-san... je pense avoir trouvé quelque chose. "

Sur ces mots, elle tendit le document à son partenaire.


Il y avait un étrange symbole au bas de la page, telle une signature, peut-être le logo d'un groupuscule ou une manière pour le lecteur d'identifier qui le menaçait. Cela ne laissait clairement rien présager de bon sur le sort qui avait réservé au malheureux. Mais est-ce que cela avait un lien avec le livre retrouvé au cimetière ? Y avait-il vraiment une extorsion de fonds ?

" Avez-vous trouvé quelque chose de votre côté ? Peut-être avez-vous déjà vu ce symbole ? J'ai bien peur que cela ne me dise rien. "

L'affaire s'obscurcissait..