Les souvenirs remontaient, comme la vase au fond de la marre, remuée par un perturbateur. Chaque pas t’entraînait un peu plus dans la profondeur de ces bois qui avaient bercé toute ton enfance. L’odeur de la sève, la brise fraiche, presque glaciale, le crissement des branches sous tes pieds. Tout ça agissait sur toi comme une madeleine de Proust à la saveur douce-amère. La pulpe de tes doigts effleura la surface rugueuse d’un tronc, laissant les rainures de celui-ci s’imprimer sur ta paume, avant de disparaître la seconde d’après. Tu le revoyais encore courir entre les branches, t’encourageant à garder le rythme, te conseillant sur ta manière de procéder et de percevoir ton environnement. Son rire léger, alors qu’il arrivait à te surprendre avec de nouveaux exercices, repoussant tes limites. Et bon sang, que tu adorais ça ! Apprendre à la dure, quand il avait la possibilité de te consacrer un peu de temps malgré son emploi du temps chargé. Un petit sourire étira tes lèvres, alors que tu ralentissais, un instant, levant le regard en direction de ce grand ciel bleu qui invitait à la détente.

Un instant durant lequel tu profitas de tout ce qui s’offrait à tes sens. La douce caresse des rayons solaires sur tes joues. Le parfum des arbres et de la terre. Le chant des quelques oiseaux de retour après l’hiver. La sensation rêche de l’écorce. Un soupire, léger, satisfait, alors que tes muscles se détendaient au fil des secondes, comme étreint par la beauté de cette nature sauvage si familière.

Cette nature qui accueillait à nouveau la rencontre entre deux chevelures de neige. Deux soldats de Seizan, passés de simples connaissances à partenaire. Kunao Fumiri représentait un défi pour toi, en termes d’adversaire, mais également de partenaires. Tu devais en savoir plus sur lui. Sa manière de réfléchir, de réagir aux menaces, ses techniques et sa manière de les utiliser. Le connaître pour être capable de travailler avec lui. Quoi de mieux que de se taper dessus pour ça ? Du moins, c’était ce qu’avait proposé ton nouveau coéquipier, le plus simplement du monde. Une proposition que tu avais acceptée sans mal en découvrant l’invitation dans ta boite aux lettres, emballée à l’idée de confronter celui dont la progression avait été plus qu’exponentielle.

Reprenant ta marche, paisible, suivant les indications maladroitement inscrites sur un morceau de parchemin, tu t’approchais un peu plus chaque seconde du point de rendez-vous choisi par le jeune homme. Une clairière qui te rappela celle où tu l’avais affronté pour la première fois. Ce combat qui s’était conclue par un match nul, il y a déjà plusieurs mois. Aujourd’hui, tout serait différent. La dynamique avait changé. Vos capacités affutées. Vos techniques travaillées.

Et dans ton champs de vision, il apparaît. Penché au-dessus de l’eau, absorbé dans ses pensées, contemplant sans un mot, il t’attend. Et à cette vision, tu t’inquiètes. Tu repenses à ses interrogations. À ses inquiétudes qui l’avaient poussé à te parler alors qu’il venait d’arrêter ton propre cousin. Évènement marquant qui avait fortement influencé vos manières de penser. De percevoir l’armée. Et la notion de liberté.

Son nez se redressa, quittant le cours d’eau pour se poser sur toi. Dans ses yeux, de l’amusement. De l’impatience. Celle qui caractérise les amoureux du combat. Ce petit éclat de malice qui habitait tout autant ton regard, alors que tu continuais d’approcher, le pas calme, maîtrisé.

« Ce n’est pas pour me vanter, mais je commence à connaître les montagnes comme ma poche, alors te trouver, c’était du gâteau ~ »

Sortant la petite invitation déposée à la va-vite dans ta boite aux lettres, tu ajoutas, comme un reproche fraternel envers ton ami.

« J’espère que tu n’écris pas tes rapports avec si peu de soin ! J’ai cru que j’allais m’arracher les yeux pour certains mots ~ »

Une simple petite pique. C’était devenu récurant entre vous. C’était un jeu amusant. Peut-être que ça venait du fait que vous étiez les deux plus jeunes de l’escouade ? Ou bien peut-être qu’avoir misé vos vies face à d’étranges énigmes avait forcé votre confiance l’un à l’autre à se renforcer ? Cela t’avait permis de comprendre encore un peu mieux le jeune garçon, son caractère, ses inquiétudes, et surtout, son image de lui-même. Et il fallait être franc : Elle était à chier. Mais ce n’était pas le genre de truc que tu pouvais changer en un jour, et tu le savais.

« Tu ne t’es pas beaucoup étalé dans ta note, tu veux un entraînement pour améliorer un aspect de tes techniques en particulier ? Ou bien tu veux juste mesurer nos progrès respectifs depuis la dernière fois ? »

Ricanant, tu arrêtas ta marche à quelques mètres de la seconde tête blanche, un léger sourire aux lèvres, une main sur la hanche, et le sang commençant à s’échauffer dans les veines.

Étais-tu maudite ? Non, bien sûr que non. Juste extrêmement maladroite. Mettre les pieds dans le plat était devenue une de tes spécialités et, même si avec les années, tu avais réussi à réduire le nombre d’incident de manière drastique, le naturel finissait toujours par revenir au galop. Et souvent quand Kunao était dans le coin. Il finirait par penser que tu le fais si à chaque fois, tu n’écrasais par la paume de ta paume contre ton pauvre mot en marmonnant, comme tu le faisais à l’instant. Le pire, c’est qu’il s’excusait, mal à l’aise, alors que tu étais celle qui n’était juste pas faite pour tenter de faire des blagues tout simplement.

« Non, c’est moi. Faut vraiment que j’arrête d’essayer les taquineries, je suis pas douée pour ça. »

Poussant un long et mettant nerveusement le bazar d’une dans les mèches sauvages qui s’échappaient de ta tresse, retombant sur ton doux visage, tu ajoutas.

« C’était lisible, la preuve, je suis là, non ? »

Se concentrer sur ce que tu savais faire était la meilleure solution pour essayer d’enterrer la gêne qui avait teinté de rose tes joues : le boulot. Se battre, la paperasse, ça, tu savais faire. Et tant mieux, car le jeune garçon était là pour une de ces options : la baston. Rien de mieux pour se rafraîchir les idées, ou même juste passer le temps. Fallait-il une raison derrière cette envie de battre ? Tu avais envie de dire oui, mais après tout, chacun vivait cela à sa manière, non ?

« Pas de soucis avec l’envie de se faire taper dessus, chacun son truc, pas vrai ? Je serais hypocrite de te dire le contraire, je ne le dis pas vraiment mais ... J’aime bien le combat. Plus que je ne le devrais sans doute ! »

Un petit rire t’échappant, plus léger, détournant l’attention du maladroit incident qui s’était déroulé qu’il y a une ou deux minutes à peine, tu ajoutas, comme pour approuver l’explication fournie par le jeune homme.

« C’est bien ce que je pensais, et ça tombe bien, je voulais me faire une meilleure idée de ton style. »

Tu savais Kunao être rapide. Trop pour que tu puisses rivaliser sur ce terrain. Mais comme il l’avait si bien dit : tu avais l’effet de surprise de ton côté. Le fuin ne semblait pas être un style de technique qu’il connaissait, et ainsi, les possibilités que cet art t’offrait devaient lui être inconnues. Assez pour te permettre de réduire l’écart entre vos capacités physiques.

« J’avoue que tu es aussi le seul avec qui je n’ai jamais vraiment combattu côtes à côtes. Je suppose qu’on a tout les deux de quoi prendre l’autre de court ... J’espère que tu es prêt pour ça ! »

Est-ce que tu comptais y aller molo ? Non. Tu avais un minimum de fierté de guerrière, et il était hors de question de voir le jeune homme te mettre K.O aisément. Dans cette équipe, on pouvait dire que par ta différence, tu jouais un rôle un peu particulier. Tu devais savoir user de tes forces et trouver des solutions là où la puissance monstrueuses des sabres de tes camarades ne pourraient pas tout arrêter. Et pour ça, tu devais étendre ton éventail de capacités. Être prête à réagir de manière adaptée à chaque situation. Il te restait encore beaucoup de chemin à faire malheureusement.

Mais des excuses ne ramènent pas les morts. Tu ne voulais pas avoir à prononcer ces mots devant une pierre tombale. Jamais plus. Un espoir sans doute candide.

Prenant un peu en distance avec ton camarade, le visage éclairé par le calme qui t’habitait, tu hochas la tête pour affirmer que l’explication te convenait parfaitement.

« Même un simple besoin de te défouler aurait justifié à merveilles cet entraînement ! Mais je ne peux qu’applaudir tant d’implication »

Le terrain était choisi pour te mettre en position avantageuse. Une preuve de plus que le blandinet ne voulait pas faire mumuse. Il voulait se mettre au défi face au type d’adversaire qu’il ne connaissait pas. Être surpris, mis en mauvaise posture, voilà ce qu’il recherchait à travers cet affrontement. Une envie de se surpasser que tu comprenais. C’est pour ça que toi aussi, tu t’entraînais comme une bête. Accordés sur l’idée de commencer, sans plus de cérémonie, vos silhouettes s’alignèrent, et le voilà qui t’invite à te lancer la première.

Le combat était lancé.

Une grande inspiration soulève ta cage thoracique. Le flot de tes pensées s’apaise, comme à chaque fois. Un calme plat, avant la tempête. Les mains derrière le dos, s’afférant discrètement à former les premiers mudra. Un sourire, léger, presque imperceptible et puis d’un coup, une impulsion, vive, te projetant dans sa direction alors que tes mains repassent vers l’avant, te faisant gagner de précieuses microsecondes contre la flèche qu’était le jeune garçon.

Fourberie et surprise serait les maîtres mots de ta stratégie.

Un dernier mudra, exécuté à une vitesse surprenante, boucle la boucle et un saut, changeant soudainement l’angle de ton offensive.




Les mains placées devant la bouche, tu projetas un puissant jet d’eau qui s’écrasa violement au sol, juste aux pieds du samourai, créant alors, pour quelques secondes, un écran d’eau troublant le champs de vision de ton adversaire, te permettant te réaliser une seconde suite de signes, rapidement.




Les index pointés dans la direction du jeune homme, le regard perçant, presque froid, le sang bouillonnant, tu projetas deux projectiles aqueux à la pression suffisante pour transpercer un rocher. Deux projectiles qui foncèrent vers lui de manière linéaire, au niveau de ses jambes, la plus grande menace à tes yeux.

Kunao avait un très bon instinct. Cette capacité à ressentir le danger et à laisser son corps agir était un véritable avantage au combat et, alliée à sa vitesse, représentait un véritable danger pour ses adversaire. Là où beaucoup se serait fait avoir, le jeune garçon parvint à réagir de manière à esquiver ta seconde offensive et finalement, tu n’en étais pas surprise. Tu t’y attendais, et s’il s’était ainsi fait avoir, sans doute aurais-tu été un peu déçue. Mais non, il collait parfaitement à tes attentes, et sans surprise, il esquiva les deux projectiles Suiton en prenant néanmoins le risque de traverser le mur d’eau et de tomber dans un nouveau piège. Heureusement pour lui, rien de tout cela ne l’attendait, et ce fut alors à son tour d’attaquer.

Son arme de bois se plaça sur sa droite, prête à s’abattre sur toi au moment même où la gravité te ramènerait irrémédiablement dans son champs d’action. Un destin inévitable, qui laisserait sur ta peau une trace bleutée que tu préférais éviter.

Une inspiration soulevant ta cage thoracique, les jambes repliées dans ta direction pour te faire plus petite, à nouveau, tes mains se lancèrent dans cette danse invocatrice de mystères, à un rythme surprenant. Si Kunao était une véritable flèche, ta cadence de mudra avait de quoi rivaliser avec celle-ci.


Apparaissant sous tes pieds, à la toute juste limite de la zone où le sabre aurait pu t’atteindre, une étrange passerelle, comme faite de verre. C’était là ton occasion de prendre de court celui qui s’était préparé à te frapper. Tes pieds rencontrèrent la plateforme, tes mollets se contractèrent, soudainement, pour te projeter sur la droite du sabreur, et à peine avais-tu touché le sol que tu te sortis d’une rune posée au niveau de ta hanche droite une sphère, à l’étrange mèche qui crépita, avant d’être lancée en direction du jeune garçon.



Boum.

Une petite bombe que tu venais de lancer au niveau de ses pieds et qui, si elle faisait mouche, ne produirait pas de grands dégâts, mais aurait l’avantage de troubler les sens du guerrier des montagnes, t’offrant alors une nouvelle occasion d’attaquer. Tu le savais, avec Kunao, c’était la seule manière pour toi de pouvoir l’atteindre : le troubler. Te jouer de ses sens. Le pousser à tomber dans des pièges tendus ici et là. Cet entraînement, tu le voyais comme une partie de Shogi où tu devais neutraliser le fou à l’aide d’une pièce aux déplacements limités comme un lancier ou bien un simple pion. La confrontation brutale, pure et dure ne t’apporterais rien.

Tu devais mettre toutes les chances de ton côté.

Profitant de l’écran de fumée créer par ton léger explosif, tu effectuas un bond en arrière afin de de rapprocher le plus possible du ruisseau, élément encore inutilisé dans ta stratégie. Pourquoi ? Parce que tu voulais aussi présenter à ton partenaire l’étendue de ces techniques que tu avais tant travaillé.

Tu l’entendais fulminer. Chacune de tes actions faisait monter en lui une certaine frustration. Il pourrait tout miser sur sa vitesse. Il le sait. Mais il est conscient que ça ne fait pas tout. Que le jour où il tombera sur un adversaire pouvant rivaliser sur son principal atout, il aura besoin de plus. Il se limite pour affuter ses autres talents. Travailler son imagination. Ses réactions. Et surtout, apprendre à se méfier de tout. Avec toi, il le fallait bien. Peut-être aurait-il vu venir cette explosion venir, s’il connaissait des compétences et ton inventaire. Mais ça aussi, c’était une chose qu’on ne connaissait pas sur le champs de bataille. C’était la vie. Il fallait en être conscient pour survivre. Et Kunao commençait alors réellement à comprendre que tu allais jouer à cent pourcents le jeu du monde aujourd’hui. Après tout, il était là pour ça.

Petit sourire aux lèvres, profitant de la nouvelle distance tracée entre toi et ton camarade par ton dernier saut, tu laissas résonner ta voix, le vent portant tes paroles jusqu’à ses oreilles encore sonnées par l’explosion.

« J’ai fait exprès de simplement la lancer à tes pieds Kunao, arrête d’en faire des caisses ! »

Un rire, taquin, alors qu’une de tes mains se glisse discrètement dans ton dos, seule.

« Même si tu l’avais pris de plein fouet, tu n’aurais pas eu grand-chose. C’est plus impressionnant qu’autre chose, promis ~ »

Tu n'allais pas le blesser gravement. Ça ne t’apporterait rien. Au contraire, ça serait simplement contreproductif de mettre hors d’état celui qui, au combat, était ton allié. Cela reviendrait à te poignarder toi-même. Mais le sous-estimer et surtout, ne pas lui offrir une occasion de progresser était aussi digne d’un suicide. L’équilibre était difficile à trouver, mais pas impossible.

« Tu ne comptes pas attaquer Kunao ? Je ne compte pas bouger de là. »

Ta fausse confiance était du genre à piquer au vif tout ceux qui faisait l’erreur de te sous-estimer. Kunao ne tomberait pas si facilement dans le panneau. C’était une certitude. Mais ton petit manège suffirait peut-être pour le distraire, alors que ta main, à la vue de Kunao, commença à former des symboles, incomplets. Du moins, en apparence. La seconde, dissimulée, s’activait à son tour, et tu espérais alors que le blandinet soit convaincu que seules des mains jointes pouvaient représenter une menace.

« Tu sais, j’envie ta vitesse parfois. Je bosse encore dessus, mais c’est dur de former des signes aussi complexes avec fluidité et sans perdre de temps ... »

Le ton presque triste, tu lui révélais ce point faible en haussant légèrement les épaules, concluant le dernier mudra de ta main cachée.




À nouveau, ce sourire se dessina sur ton joli minois alors que derrière toi, la bête aqueuse se dresse. Saisissante et dangereuse apparition qui, sans perdre un instant, se lance à la rencontre du jeune garçon pour l’englober, bien décidé à le poursuivre sur ce terrain qu’il avait lui-même choisi.

Enfin, Kunao se décidait à attaquer de manière plus agressive et tu devais alors avouer être satisfaite de le forcer à révéler certaines cartes de son jeu. Ça voulait dire que tu avais, un minimum, à imposer ton rythme au sien, et ce malgré sa vitesse. Fuir n’était pas une solution qui fonctionnait à l’infini et la bête aqueuse ne l’aurait pas laissé faire si facilement. Sa décision, face à celle-ci, fut sans doute la meilleure. Dégainant la véritable arme qui l’accompagnait continuellement, il entama cet enchaînement, presque semblable à une danse tant il fut fluide. Mouvement maîtrisé, précis, puissant, qui retransforma la créature en simple flaque lorsque celle-ci rencontra la lame aiguisée du sabre.

Le bruit de l’eau s’écrasant contre le sol se mêla à son murmure, plein de défi. Pas besoin d’entendre. Tu comprenais très bien, rien qu’à l’expression sur son visage, le contenu de ses paroles. Cette provocation qui, sur tes lèvres, dessina un sourire d’excitation et d’amusement, était des plus claire. Tu sentais cette sensation addictive se fracasser en toi comme un tsunami. T’emporter. Te faire vibrer, de l’intérieur. Dans tes yeux, cette flamme ardente, valsant, trahissait tout le plaisir que cet entraînement faisait fleurir en toi.


« Ramène toi »

Enfin, le jeune garçon allait user de sa vitesse. Celle qui faisait trembler et qui représentait la plus grande menace dans tout les scénarios que ton petit cerveau avait joué. Et dans chacun de ces scénarios, il était impossible de t’en sortir sans le moindre bobo. Tu allais devoir faire un gambit pour réussir à contre attaquer et pour ça, il fallait bien encaisser.

Et comme prévu, tout alla vite. Le sabre lancé en l’air attira en effet ton regard alors que tes mains s’empressaient, à nouveau, d’exécuter leur prière. Et puis, cette douleur franche qui te prends à l’estomac alors que contre ta chaire, le poing de Kunao s’écrase avec force. Ses phalanges, placées en avant, te coupèrent le souffle, forçant tes pauvres poumons à expulser l’air contenu dans ceux-ci. Ça faisait un mal de chien, car le jeune homme avait particulièrement bien visé. Tu avais la chance d’être assez en force et tes abdominaux, contractés, avaient absorbé une partie du choc. Assez pour que tu puises retenir ton dernier mudra, caché alors que tu portais tes mains pour faussement te tenir le ventre.

« Bien joué ... »

La voix étranglée, quelque peu exagérée, tu repris une grande inspiration qui gonfla ta poitrine avant de presque bondir sans prévenir sur le blandinet qui se tenait juste à côtés de toi, comme montée sur ressort, ta main se précipitant au niveau de son genou droit.


S’il était touché, alors, le combat changerait de dynamique. Sur sa chaire se dessinerait de sombres marques et sa jambe, soudainement, commencera à s’engourdir. À le lâcher, petit à petit, diminuant ses réflexes et donc, réduisant cette différence de vitesse entre vous. C’était malin. C’était risqué. C’était un superbe gambit. Si tu arrivais à mettre ton plan en action jusqu’au bout.

« Bien sûr qu'on continue ! »

Votre échange avait ce petit truc stimulant que tu avais toujours adoré. À chacun de tes actions, le blandinet réagissait avec une vitesse et une précision digne de plus grands. Il fallait que tu penses vite et bien pour réduire la distance entre vos niveaux. Que tu joues sur la surprise. Sur l’inconnu. Ton intelligence était ton arme principale dans ce combat mais ... Toute la matière grise du monde ne pouvait pas combler toutes les lacunes, et tu le savais. Que ferais-tu le jour où tu ne pourras pas profiter de cet effet de surprise ? Ou ton adversaire sera, lui aussi, apte aux ruses les plus fourbes et excentriques ? Ce jour-là, tu serais dans une merde sans fond, et pour l’instant, tu devais simplement te faire à cette réalité. Sans tes partenaires pour contrebalancer, tes capacités physiques représentaient un véritable frein sur le terrain. Cet entraînement en était la preuve. Ça ne signifiait pourtant pas que tu allais laisser tomber. Au contraire, c’était face à l’adversité que tu savais le plus resplendir. Le mort de tes parents, ton travail en tant que cheffe de clan, ta mission à Toge ... Tout ces évènements avaient été du genre à te réduire en miette, et à chaque fois, tu t’en étais relevée plus forte. Plus déterminée. Aujourd’hui ne faisait pas exception à cette règle.

Et ce sourire, sur tes lèvres, trahissaient toute ta détermination à ne pas terminer ce combat sur un abandon. Si tu devais te faire botter le cul, alors cela devait être dans les règles de l’art.

Ton sceau, sur la jambe du jeune homme, s’était activé avec succès. Au moment même où l’étrange motif charbonneux s’était étendu sur le membre visé, tu avais su que Kunao allait chercher à être plus agressif, pour compenser son esquive limitée. Gardant son calme, ou du moins, en apparence, il se recula en trainant sa guibole avec lui, te laissant l’occasion de te redresser et ce, malgré la douleur encore bien présente de son coup au creux de ton ventre.

Son indifférence fut trahie par la manière dont, avec attention, il tenta d’estimer les capacités de sa jambe engourdie. Un instant de répit qui fut assez pour reprendre ton souffle, et, après avoir solidifié tes appuis, t’empresser de former de nouveaux signes qui n’apporteraient rien de bon au sabreur. Et ça, il le savait bien. Ce ne fut pas une surprise de le voir réagir au quart de tour, bien déterminé à ne pas te laisser le temps d’aller au bout de ta démarche.

La jambe endormie te frappa de tout son poids, balancée dans ta direction d’un habile mouvement de hanche. Tu sentis le tibia rencontrer la limite entre ton os frontal et temporal, t’envoyant valser contre le sol, à nouveau. Tes dents grincèrent, et la force de l’impact te sonna. Pourtant, pas une seconde tes mains s’étaient séparées, retenant simplement le mudra pour le terminer dès que tu en aurais l’occasion.

Un sale bleu, tu en aurais surement. Et Kunao ne semblait pas vouloir te laisser en paix. Son premier coup asséné, il en envoya un second de sa lame de bois. Un coup vertical, rapide et efficace, qui et frôla de peu. D’un coup d’épaule, tu avais roulé sur la gauche à la manière d’un saucisson, formant le dernier signe de ton incantation.




Les mains jointes, claquées entre elles dans un bruit sourd provoquèrent soudainement une sorte d’explosion aqueuse en direction de ton camarade, le projetant en arrière, loin de toi, en se fracassant contre son torse qui t’étais offert. Tu crachas par la suite un petit molaire de sang sur le côté. Bon sang, le blandinet avait bien frappé et ta tête te faisait un mal de chien, au point où le fait de te redresser provoqua un violent vertige, fragilisant tes appuis et brouillant ta vue.

La fin de ce combat approchait.

« Tu ne rigoles pas quand tu tapes ... C’est bien. »

Le coup avait fait mouche. Assez pour projeter le jeune homme en arrière. Assez pour te laisser respirer, un peu. Tanguant malgré toi à cause du violent coup qui avait cogné ta boite crânienne, tu tentas de réaffirmer au possible ton équilibre. La douleur lancinante s’accompagne d’une perle écarlate qui roula le long de ton arcade sourcilière. Du bout des doigts, tu écrases le liquide contre ta peau. Une égratignure, rien de grave. Sans doute avais-tu, dans ta chute, rappé ton front contre une pierre. Mais ce n’était pas ta préoccupation sur le moment car au loin, Kunao adoptait une nouvelle stratégie. Ses mouvements limités, il ne perdit pas sa confiance habituelle. Au contraire, son sourire se fit confiant. Bien plus que ce qu’il t’avait montré jusqu’ici. Et tu sentais le piège.
Ça puait.

Par pur instinct, tes muscles se contractèrent alors que le jeune homme approchait, son sabre en main, bien décidée à t’affronter. Et s’il t’approchait comme ça, sans angoisse et ce, malgré sa jambe, c’était certainement pour deux raisons. La première était qu’il te savait encore affectée par son précédent coup. La seconde était qu’il avait sans doute une carte cachée. Un joker qu’il avait précieusement gardé dans sa manche pour le moment parfait.

« Il faudra que tu me montres ton véritable maniement de la lame à l’occasion. Même si j’ai déjà un bon aperçu aujourd’hui ... »

Une grande inspiration. L’air glacé des montagnes dans les poumons, tu n’avais pas le choix de jouer tes dernières cartes pour tenter de reprendre le dessus dans cet échange frontal, alors même que tes réserves chakratiques diminuaient de plus en plus. Un sourire, en réponse au sien. Le regard pétillant. Un murmure.

« Je vois, tu ne veux pas me laisser le choix. »

Le laisser trop s’approcher voulait dire le laisser t’attaquer, mais te lancer la première, dans une confrontation frontale représentait également un risque. Un risque calculé, qu’il te fallait prendre. Puissant dans tes ressources, souriante, déterminée, tes mains dansèrent, formant les symboles redoutés avant de se joindre à tes lèvres dans une colonne qui projeta alors une vague d’eau, prête à emporter le jeune garçon sur son passage.



C’était le moment de voir ce qu’il avait dans le ventre.

Gagner, tu t’en fichais. Mais tu voulais voir. Voir les capacités du blandinet. Le forcer à sortir cette carte qui lui donnait tant de confiante en ce moment bien précis de votre confrontation.

Tu voulais, encore un peu, sentir ton sang bouillir dans tes veines.

Tu avais vu juste. Là où beaucoup d’autre aurait chercher à esquiver l’énorme et sauvage vague se précipitant sur eux, Kunao n’en fit rien. Il avait bien un plan. À la manière d’une prière silencieuse, tu le vis prendre position. Encrant ses pieds dans la terre, ouvrant son torse au ciel pour placer son arme, il dégagea une forme de prestance. Celle qui marquait les esprits. Celle qui trahissait une confiance en ses capacités et, paradoxalement, l’envie de les pousser à leur maximum. De tester les limites. De s’améliorer, encore et encore.

Tu ne pouvais que respecter ça.

La lame de bois dansa dans l’air, en de gracieuses courbes, prête à affronter sa terrible et affamée adversaire. Un instant de silence avant le fracas. Le râle rauque du blandinet, traversant l’eau. Le craquement de la terre. Sa voix qui s’élève face à l’effort. Et puis, ton attaque qui en partie, se sépare sous tes yeux. Qui diminue en puissance et qui finit par laisser entrevoir la silhouette trempée jusqu’au os du garçon au sabre.

Un instant de calme de plusieurs secondes. Vos souffles, irréguliers, brisant le silence qui s’était installé entre vous. Lui la jambe endormie, toi, le front ensanglanté. Un instant où vous vous dévisagiez après vous être défoulés l’un sur l’autre. Épuisés, vous l’étiez. Mais vous étiez tout les deux aussi un peu têtus. Du regard, tu tentais de jauger Kunao et son état physique, mais aussi mental. Se sentait-il acculé ? Visiblement, tout ne s’était pas passé comme prévu, à la manière dont son visage s’était déformé dans une petite grimace. Sa voix, enfin, résonna et t’arracha un rire, alors que tu te redressais totalement, ayant retrouvé une vue et un équilibre stable.

« Tu avais l’air si confiant, je me suis dit que te prendre à la légère serait une insulte. Au pire, tu peux voir ça comme une douche gratuite. »

Il allait devoir rentrer vite s’il ne voulait pas sentir le chien mouillé. Mais avant ça, il fallait savoir si vous alliez plus loin. Encore confiant de pouvoir continuer votre petit jeu, le blandinet avança d’un pas. Et bien que tu le tenais en haute estime pour ses talents de sabreur, la comédie n’était pas son fort. De loin, tu voyais ses muscles trahir de par leur crispation le début de fatigue qui commençait à s’y installer. Et tu étais dans le même cas. C’était le moment de stopper les dégâts. Faisant signe d’une main à ton coéquipier d’arrêter son approche, tu déclaras d’un ton calme et ferme la fin du jeu.

« J'abandonne ! Désolée mais je pense qu’on devrait s’en arrêter là. On ne fera que se blesser si on s’emballe trop. Et ce n’est pas ce qu’on veut, pas vrai ? »

Vous aviez des responsabilités. Vous blesser comme ça, sans réelles justifications, c’était comme se mettre des bâtons dans les roues pour une mission prochaine. C’était risquer sa vie et celles de ses coéquipiers. Et malgré le bouillonnement qui avait remué tes tripes pendant ce duel, tu n’étais pas capable d’être aussi insouciante. Égoïste.

Lourdement, tu te laissas enfin retomber au sol, ton postérieur rencontrant la pierre, et laissant échapper un grand soupire de soulagement tout en relevant le nez vers le grand ciel bleu qui avait été le seul témoin de cet échange.

« Bon sang, j’aimerais pas être ton adversaire sur le champs de bataille ! »

Relevant les mèches de tes cheveux pour dévoiler le bleu qui s’était déjà formé sur ton crâne, tu échappas un petit rire.

« Au moins, j’ai une excuse pour aller me faire soigner auprès d’une jolie infirmière ~ »



Le sens des priorités, comme toujours ... Mais même les plus braves et solitaires avaient le droit d'être chouchoutés ! Alors pourquoi pas toi, hein ? Tu méritais bien un petit de repos après t'être ainsi fait maltraité par l'adolescent.

« Ramène ta jambe, je vais t'enlever ce sceau. C'est moins couteaux en énergie de le défaire au contact. »

Aujourd'hui, tu en avais appris un peu plus sur Kunao. Une journée que tu n'allais pas oublier de si tôt, à n'en pas douter.

On aurait pu vous prendre pour des fous. Une seconde, vous vous tapez dessus comme des bêtes et la seconde d’après, vous êtes en train de rire comme si tout était normal. Comme si vous n’étiez pas responsables des bleus et contusions de l’autre. De la douleur dans vos muscles. D’adversaires, vous êtes passés à camarade, d’une seconde à l’autre. Les provocations ont laissé place aux blagues enfantines, plus en harmonie avec vos véritables âges. C’est dur de ne pas oublier. Vous êtes encore jeunes. Des enfants qui ont grandi bien trop vite dans un monde où les menaces sont partout. Peut-être que c’est pour ça que vous arrivez à vous entendre et ce, malgré ta tendance à mettre les pieds dans le plats. Parce que vous compreniez tout les deux le poids des attentes sur vos épaules encore frêles. Tous attendaient beaucoup de chose de vous, et parfois ... C’était étouffant. Vous étiez des soldats, mais vous étiez plus que ça et parfois, certains avaient tendance à l’oublier. Vous y compris.

Laissant le jeune garçon boitillant s’approcher de toi, à la recherche d’une libération pour sa pauvre jambe, tu tapotas le sol à tes côtés pour indiquer à celui-ci où poser son postérieur, le temps que tu t’occupes de lui ? Il se disait bien moins dangereux sur le champs de bataille que d’autres et dans en sens, tu comprenais ce qu’il voulait dire. Comme à quoi fois ... La force pure n’était pas l’unique facteur.

« On a tous des facteurs plus ou moins avantageux selon nos styles. Je peux me défendre en solitaire mais je ne suis jamais autant efficace qu’avec un bon partenaire. T’es plus que dangereux dans un face à face, crois-moi. »

Sans doute aurait-il plus de problèmes face à des groupes d’adversaires en supériorité numérique. Mais c’est pour ça que votre brigade été née. Pour faire face à ce genre de combats. Et plus le temps passe, plus tu es convaincue que votre dynamique fonctionnera. L’instinct. Encore. Toujours. Quelques sautillements de plus, et le jeune homme arriva à ta hauteur, te tendant son muscle endoloris, toujours souriant, soulignant l’importance que tu conserves l’efficacité de ton petit cerveau.

« Ne t’inquiètes pas, j’ai reçu pire comme coup ! Mes neurones sont solides ~ »

S’ils le pouvaient, sans doute seraient-ils entrain de contracter leurs biceps pour confirmer tes dires. Mais Kunao allait devoir te croire sur parole sur ce cas. La confiance se construisait, petit à petit, au fil des vos échanges. Enfin, tu exécutas quelques mudras, plus lentement qu’auparavant, te préparant à retirer la marque sombre de sa cuisse. Une pratique qui avait piqué sa curiosité.

« C’est du fuinjutsu. Ce genre de sceau vient perturber le flux naturel de chakra dans ton muscle, mais également les informations nerveuses. Ça diminue ton contrôle sur le membre touché, mais crois-moi, ce n’est pas le sceau le plus dangereux que tu peux rencontrer. »

Tu travaillais encore dessus, mais tu avais vu l’évocation d’une technique bien plus terrible en conséquence sur ses victimes. Un sceau qui, comme une maladie, venait gangrener l’adversaire, en prendre le contrôle, le paralyser ...

« Pour ce genre de techniques, méfie toi des contacts physiques. C’est là que tu te feras avoir. Tout les utilisateurs de ninjutsu ont une carte dans leur manche pour ce genre de situation. »

Un dernier signe et enfin, la sensation de sa jambe fut de retour, lui rendant sa liberté. Un petit sourire échangé entre vos deux petites têtes surplombées de neige, un rire, et enfin, un repos bien mérité.