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Et elle n’en peut plus. Elle va briser si elle se laisse seule avec ses souvenirs.
Elle avait demandé à Ao de venir avec elle. Bien sûr, elle n’avait pas informé Ao de ce qu’elle allait faire, mais à voir l’absence d’émotion dans son regard, à voir le chemin qu’elle prenait, il était assez facile de deviner qu’elle se rendait chez le dernier membre de l’équipe Kitsune. La seule qui ne savait pas encore pour Rei.
La jonin qui habituellement est décidée, inarrêtable se voit pourtant s’immobiliser un peu trop longtemps de la porte de Yui. Son regard la fixe, la défie, alors qu’elle ne bouge pas d’un centimètre. Elle fixe la porte devant elle, visiblement hésitante, malgré la présence d’Ao. Une bonne inspiration et elle toque. Immobile, elle attend de voir Yui avant de se permettre de respirer, de penser. Aussitôt que la porte s’ouvre, Chinone prend la parole, d’un ton mélancolique. Inhabituellement mélancolique.
Aucune salutation. Oiseaux de malheur, porteurs de mauvaise nouvelle. Le regard de la femme se pose sur son élève alors qu’elle serre la mâchoire. Elle attendra d’être entrée, à l’abris des regards indiscrets, pour donner la nouvelle. Pas question de faire ça là et maintenant.
Elle tend la main vers la genin, doucement, beaucoup plus qu’elle ne le ferait habituellement. Précautions et attentions qui ne n’accentuent que davantage la lourdeur de l’air, l’horreur de la nouvelle à venir.
La nuit n’a pas été belle, pas facile non plus. J’ai encore le visage rougi et cerné par la nouvelle; la nuit a été passée à contempler le petit, à accepter tantôt lentement, tantôt avec violence, son départ. Les dames de ma maison ont fait leur possible pour nous épauler, mais…
La solitude était parmi tous la plus bienvenue… si ce n’est de Tae, ma propre mère, qui a insisté – poliment malgré tout – à rencontrer Rei. Il lui fallait voir de ses propres yeux l’enfant qui nous avait accompagné. Elle est un peu comme moi, à vrai dire. À sa façon, elle venait offrir ses respects et s’enquérir de notre état. En vraie bonne mère, il lui a été difficile d’accepter de nous donner de l’espace, voulant à tout prix nous supporter. À ma grande surprise, à épauler Chinone, voulant absolument qu’elle sache que quoiqu’il advienne, Tae serait là pour l’aider. L’ironie, c’est que celle qui n’est pas née dans la famille est celle pour qui la famille compte vraiment. Elle parlait quand même à Chinone…
L’effort était apprécié, mais malheureusement… C’est Chinone. Tae a rapidement compris que ses efforts ne sont pas vains, mais ne peuvent aboutir; mon amie était bien trop prise pour ça.
Tout n’est pas allé comme prévu, et je doute fortement que les choses arrêtent de s’empirer. J’ai vu comment nos deux recrues se comportaient ensemble, comment elle et Rei arrivaient à s’entendre et pouvaient s’apprécier. On toque à la porte, et tous les mots que j’avais à l’esprit viennent à disparaître.
Quand ma camarade répond, Chinone lui demande d’amblée s’il est possible d’entrer. J’ose à peine la regarder un instant, sachant pertinemment que son enthousiasme et sa gaieté ne danseraient pas longtemps sur ses traits.
Au mieux, je la salue mollement d’un faible hochement de tête. Le silence, lui, ne me quitte pas. «…» Ça me crève le coeur qu’on ait à lui annoncer ça, j’aimerais sincèrement ne pas être là. Être présent me fait déjà souffrir, mais je ne veux pas non plus laisser Chinone affronter cela toute seule.
J’ai des équipières à supporter; le deuil n’est jamais facile, et je ne veux pas rendre ces évènements plus douloureux ou problématiques qu’il ne le sont déjà. Pourtant, tout est encore si frais… C’est si récent.
Oiseaux de Malheur
Yui, la douce et enthousiaste Yui, était dans son habituelle humeur. Heureuse, fantasque, la tête emplie d'une multitude de questions et d'envie. Depuis qu'elle était à Jujou, sa vie avait pris un tournant si différent de ce qui aurait pu l'attendre si elle avait continué à vivre à Toge. La noble demoiselle semblait avoir repris sa vie en main, gagnant en indépendance chaque jour et une plus grande confiance en elle. Elle se sentait utile, d'autant plus qu'à présent, elle pouvait prétendre avoir des connaissances médicales poussées, dire haut et fort qu'elle était devenue une femme médecin. Soigner, aider, guérir. Ces nouvelles attributions étaient un bonheur sans nom. Mieux encore, elle jouissait à présent de posséder de sincères compagnons, des aînés à admirer, et même un homme à aimer. Tout paraissait lui sourire enfin...
D'ailleurs, la douce Hasegawa s'était mise en cuisine quelques minutes plus tôt, s'entraînant comme promis pour confectionner quelques douceurs avec l'intention principale de les faire goûter à Rei. Depuis leurs rencontres, c'était devenu un peu leur moment de complicité. Elle voulait le gâter et trouver avec lui quel était son dessert préféré. Ce jour-là, c'étaient des petits moelleux au chocolat. Elle en avait même fait un peu plus pour en offrir à Chinone et Ao. Cela lui semblait bien normal de faire plaisir à ses coéquipiers, désir né de sa naïveté de resserrer les liens pendant un instant savoureux et gourmand. Mais voilà, le garçon était parti en mission avec leur admirable chef et elle savait qu'il ne tarderait pas à rentrer. Alors, elle attendait.
Toutefois, elle ne resta pas sans rien faire. Si elle s'octroya quelques heures pour étudier toujours un peu plus, elle avait aussi passé un peu de temps à écrire. Une lettre destinée à Kunao où elle donnait quelques nouvelles banales, mais où elle décrivait qu'elle avait assez hâte de le revoir. Elle finissait tout juste de cacheter son courrier quand on vint toquer à sa porte.
" HA !! Cela doit être Rei-san !! "
Il n'y avait pas grand monde qui venait la voir à part le jeune garçon, et comme ils avaient un rendez-vous pâtissier, qui cela aurait-il pu être ? Ce fut donc le sourire aux lèvres que Yui s'élança vers son entrée, ouvrant en grand la porte sans une once d'hésitation.
" Tu es enf... Chinone-sama ? Ao-san ? "
La jeune femme s'était interrompue dans son élan, surprise de voir ses aînés ensemble sur le seuil de sa porte. Si dans un premier temps, elle leur adressa de grands yeux étonnés, elle le fut bien plus devant leur mine déconfite. Aucun des deux ne semblait avoir dormi convenablement, leurs traits étaient creusés et fatigués comme si la nuit avait été aussi dure que courte.
Ne sachant pas à quoi s'attendre et l'esprit bien loin d'imaginer les funestes nouvelles, Yui laissa entrer ses compagnons à la demande de Chinone, sans se faire prier. D'un mouvement de main élégant, elle les invita tous deux dans son salon. Prête à leur offrir quelques choses à boire ou à manger, elle hésita toutefois. Au lieu de cela, c'était une tout autre question qui lui brûla les lèvres.
" Chinone-sama ? Ao-san ? Que me vaut l'honneur de votre visite ? Vous n'avez pas l'air bien. Puis-je faire quelque chose pour vous ? "
Se tenant debout, les mains croisées sans ses jupes, son visage brillait toujours par son innocence apparente, mais ses yeux observaient ses deux camarades avec inquiétude.
Faniahh/Lala/Cyalana
Elle n’ajoute cependant rien. Elle attend que Yui la fasse entrer, qu’elle entâme elle-même la discussion qui viendra bientôt rendre cette situation invivable pour quelqu’un d’autre. Pour quelqu’un qui ne la laisse pas indifférente. Aujourd’hui, elle vient révéler à sa dernière pupille une réalité des plus horrible. Quelque chose qu’elle-même souhaiterait pouvoir effacer.
Une pause. Un silence. Un silence lourd, chargé. Elle étouffe. Et pourtant elle ne bouge pas. Son visage se gèle dans une expression vide. Elle ne veut pas revivre l’instant, celui qu’elle a dû revivre alors qu’elle éclatait en morceaux devant Ao. Celui qui a éteint l’humanité qu’elle avait enfin regagné.
Un soupir et elle reprend.
Une autre pause. Mais la situation déjà assez sérieuse, c’est presque évident la conclusion à ses mots. Pourtant.
Sa voix résonne une fois de plus, encore plus froide. Plus détachée. Une façon bien maladroite de garder ses émotions de ressurgir.
J’ai essayé, crois-moi. Les mots meurent dans sa gorge. Elle s’étouffe presque avec tellement ils lui font mal, tellement ils demandent à sortir, mais elle garde son air froid, impassible. Un faux semblant, faisant croire qu’elle n’avait aucune douleur face à cette vie arrachée, même si c’est en réalité, tout le contraire. Elle ne peut plus dormir, si ce n’est lorsque son corps n’en peut plus.
Chaque fois qu’elle ferme les yeux, elle le revoit, le sabre de Kurai planté dans son élève. Elle entend les derniers mots de Rei. Une torture qu’elle s’efforce d’éviter.
Alors, une fois ses mots délivrés, elle se retourne, fait dos à Yui. Elle ne veut pas le voir. Elle ne peut pas le voir.
Le plus que j’ai pu dire à ma camarade, c’est que «ça ira pour moi» avant que Chinone ne lui réponde plus franchement. D’ordinaire, j’aurais pris un plus grand instant pour observer l’endroit, mais je n’ai aujourd’hui pas le coeur à ça.
Son nom finit par sortir; je laisse Chinone dire ce qu’elle a à dire. Les mots font tout aussi mal maintenant que l’autre jour, mais cette fois j’arrive à me tenir debout. Elle ne peut pas se tenir ainsi devant Yui et voir quelqu’un d’autre briser; c’est pour ça que je suis là. C’est déjà beaucoup qu’elle ait réussi à le dire sans éclater en morceaux. «…»
Je cherche ce que je pourrais ajouter qui ne soit pas malvenu, et à part m’excuser, je trouve bien peu de choses. «… Je suis désolé, Yui. Je sais que notre équipe n’est pas la plus ancienne, mais on voulait que tu l’apprennes de nous, et pas de n’importe où. On compte lui offrir de belles funérailles, inviter ses proches, mais on n’en connaît pas beaucoup… Tu es la bienvenue, et si tu connais d’autres personnes qui ont à venir, tu peux les inviter aussi.»
Poliment, j’incline la tête. «J’ai su que tu étais assez près de lui, c’est important pour nous que tu sois là, qu’il sache qu’il était aimé… Même s’il n’y a que nous trois de présent, je ne voulais pas qu’il soit laissé dans une scépulture commune. Qu’il soit laissé seul.» C’est souvent ce qu’il arrive à ceux n’ayant aucun proche, ceux qui sont oubliés. On les enterre par politesse, et ils disparaissent sans une trace, sans leur nom et sans appartenance.
Ça n’arrivera pas à Rei. J’ai offert ma maison à Chinone et lui pour qu’il ne parte pas dans la solitude. «Je voulais aussi te dire que tu comptes beaucoup pour nous et que si tu as besoin de support, nous sommes là.» Yui aussi est solitaire; elle vit seule, elle vient de loin. J’ai fait l’erreur de ne pas avoir été assez près de Rei, je ne l’ai pas été autant que je l’aurais voulu et ce même s’il comptait énormément pour moi.
Les promesses que je lui ai faites, je ne peux plus les tenir. Pour Yui, je serai là; je serai présent.
Oiseaux de Malheur
Il n'existait aucune bonne manière d'annoncer une mauvaise nouvelle. Quelque fut le ton, l'attitude, le regard... le fond du propos demeurait le même et tombait généralement comme une massue sur le cœur de ceux qui étaient touchés par le drame. Alors, lorsque Yui vit le visage sombre de ses deux camarades et leurs refus d'une aide quelconque, elle ne savait que dire de plus. Il lui fallait simplement attendre le couperet.
Pour la première fois, la douce Hasegawa se mura dans le silence pour laisser la parole à ses aînés, et ce fut la voix de Chinone, froide, incisive, qui sonna le tocsin. Rei. À la simple invocation de son nom, la jujoujin se mit à réfléchir à mille à l'heure en se disant que ce dernier avait été gravement blessé et que c'était la raison de tout ceci. Mais dès que l'ardente jonin précisa que c'était la mort qui avait fauché le jeune garçon, tout devint flou. Yui fit de grands yeux d'étonnements, véritablement surprise, et s'apprêtait même à ouvrir la bouche, cependant aucun son de s'en échappa.
Dire que la nouvelle était un choc serait un euphémisme. Rei était un garçon si jeune, si plein de vie. Il avait tant à apprendre et tant à faire. Yui l'avait immédiatement adopté dans son cercle proche, elle l'avait immédiatement aimé sa nature ingénue qui lui collait si bien. C'était peut-être pour cela qu'ils s'étaient si vite entendu, malgré la dangerosité de leur profession. Ils avaient su conserver une part de naïveté qui ressurgissait comme si de rien était lorsqu'ils étaient ensemble. Ils avaient noué des liens affectueux et Rei lui avait permis de savoir ce que l'on ressentait lorsque l'on était l'aînée de quelqu'un. Il lui avait donné le goût d'être une grande sœur et elle avait aimé ce rôle. Alors s'entendre dire qu'elle ne le serait plus était un véritable arrache-cœur.
Tandis que Chinone lui tourna le dos, Yui finit de son côté par simplement baisser la tête, laissant ses longs cheveux noirs lui barrer le visage en un long rideau obscur. Il était impossible de voir présentement son expression, mais son sentait une forme de nervosité la gagner. Ses mains semblaient devenir moites, elle triturait le tissu de sa jupe, mais demeurait là, droite et statique.
Si Ao prit la parole à son tour, ce dernier se tenta à se montrer plus chaleureux et plus prévenant. Il ne voulait pas que la sombre nouvelle lui vint de parfaits inconnus et embraya bien vite sur un sujet plus pragmatique comme les préparations des funérailles. Mais tout cela parut aller beaucoup trop vite pour Yui. Beaucoup beaucoup trop vite pour que son esprit se montra pragmatique.
Sous son épaisse chevelure, le regard de la jeune femme était toujours aussi hagard, mais il n'était plus marqué par la surprise. C'était l'angoisse qui l'étreignait. Elle commença alors à balbutier des mots incompréhensibles, des mots qui l'enfermaient un peu avec ces démons, ceux qu'elle cachait profondément en elle.
" Ce n'est pas possible… ce n'est pas possible... c'est incompréhensible, ça recommence..."
La mort était à nouveau à côté d'elle.
" Maudite... maudite... maudite... je suis donc bien maudite... "
La jeune femme ne put s'empêcher de penser à l'étrange jour où Rei était venu chez elle, un jour parfaitement heureux, mais où un étrange sentiment l'avait gagné. Et si c'était sa malédiction qui avait frappé son jeune ami ? Et si c'était parce qu'elle l'aimait bien ? Et si tous ceux qui devenaient un peu trop proches étaient frappés par le malheur ? Cela était invraisemblable, et pourtant, dans le déni, il était toujours plus simple de trouver des excuses un peu folles pour combler la peine.
La douce Hasegawa finit lever la tête, les yeux toujours pris par l'effroi que son propre malheur aurait pu jouer un rôle dans le raccourcissement de la vie de Rei. Ces mains prirent ses propres joues, les larmes commençaient à couler à grands flots, sous l'emprise d'une détresse véritable.
" Rei... mon pauvre petit Rei... pourquoi lui... Il n'avait rien fait... il était gentil, lui... Oh non..."
Ce fut à cet instant que la jeune femme s'effondra sur le sol, tombant à genoux comme si elle se sentait fautive.
Faniahh/Lala/Cyalana
Des mots qui la frappent avec violence.
Elle se croit maudite ? l’ironie. Si Yui était maudite, Chinone était l’incarnation de la malédiction.
Rictus. Pause. Un rire. Singulier. Tranchant. Sans amusement quel qu’il soit.
Maudits. Maudits ensemble à attendre de se déchirer les uns les autres, à attendre de savoir lequel d’entre eux sera le plus maudit, celui laisser derrière, celui qui a été abandonné par la mort, qui les aura tous survécu.
Elle voulait en dire plus, révéler les détails saugrenus de sa mort, mais en était incapable. Alors elle évitait le sujet. Elle ne parla pas du tueur, du sabre ou des paroles du garçon. Non.
Et son nom lui brûlait la bouche. Elle parmi eux tous méritait le moins de dire son nom. Pourquoi le faisait-elle alors ? Parce qu’il lui manquait. Savoir qu’elle ne le pronocerait plus, qu’elle n’avait plus de raison de le prononcer créait un absence, un besoin de le dire et de le répéter. MAis chaque fois il lui brûlait la bouche. Elle l’avait laissé mourir. C’était sacrilège de prononcer son nom, c’était un droit qu’elle avait abandonné en laissant son apprenti mourir. En ne pouvant rien faire pour lui, en l’ayant choisi pour qu’il l’accompagne, en l’ayant mené à sa perte.
Tu n’es pas seule, jamais tu le seras. Des mots qu’elle ne dit pas mais souhaite qu’ils soient entendus. Des mots qu’elle n’a pas dits à Rei. Des mots qu’elle voudrait lui avoir dit. Et elle est toujours dos à eux, cherchant à cacher la vague qui la submerge, cherchant à l’étouffer. Des mots qu’elle voudrait ravaler, n’avoir jamais dits. Une allégeance inconsciente qu’elle ne sait comment défaire et ô combien elle voudrait qu’elle n’existe pas.
L’équilibre perdu, difficile à récupérer. Des sillons chauds sur ses joues, la vision floue, l’envie de fuir. Elle ne peut être vide ici. Elle a besoin d’être vide, pour ne pas se fracasser.
Je serai présent. C’est une promesse, et je la tiendrai. Les mots de Yui, son visage qui éclate en morceaux au ralenti… ça fait mal. Je la vois tomber, à peine, je me suis lancé pour l’attraper. C’était trop, et bien trop rapidement. À l’instant, c’est à moi de m’assurer que personne d’autre ne se brise, même si je sens les fissures danser sur mon propre coeur.
Nous souffrons tous les trois de cette nouvelle, chacun à notre façon. Je ne connais pas l’histoire de Yui, pratiquement rien n’a été révélé à son sujet… mais ça effraie. C’est au moment de prendre la jeune femme dans mes bras, de la tenir contre moi et de lui répéter doucement que «je comprends ta peine, Yui… je suis avec toi…» que quelque chose me fait signe.
Rei était très gentil, très innocent. Sa vie n’a jamais été facile, et pourtant il faisait des efforts chaque jour pour apprendre un peu plus. C’est au moment où il prenait goût à la vie, qu’il découvrait le bonheur, qu’on le lui a enlevé. J’aurais voulu m’insurger, laisser ma colère parler contre le monde, mais…
Ceux qu’il a appris a aimer sont trop précieux. Je dois m’occuper d’eux, les consoler pour que dans la mort, il puisse partir sans peine.
Alors que je tiens Yui contre moi, laissant son front et ses yeux contre mon épaule, je relève le regard. C’est comme ça que je l’ai découvert. Que je l’ai senti. Dans sa maison, il y a quelque chose de polaire, quelque chose qui fait tout en son pouvoir pour ne pas craquer et me sauter à la gorge. Je ne peux le voir, mais c’est là. J’en suis certain.
Quelque chose ici n’est pas normal. C’est comme ce chakra que je ressentais la nuit, un peu partout dans les ruelles de Jujou. C’est similaire. «Tu n’es pas maudite, Yui. Il n’y a rien qui cloche avec toi.» Je lui dis ça, mais je ne peux pas l’affirmer réellement. Je ne peux pas non plus nous faire sortir d’ici.
Ça me fait peur, même si j’ai l’impression plutôt d’être observé que d’être menacé…
Chinone ne peut pas bouger. Impossible de forcer Yui à se lever non plus…
Ce choix me tourmente, mais je ne veux pas forcer Chinone à affronter ses démons, le mieux que je puisse faire est de réconforter Yui pour elle. «Ce que Chinone veut dire, c’est que tu n’es pas seule. C’est dur à porter, mais nous sommes là pour toi, et nous n’irons nulle part.»
Que mes mots soient entendus. Je n’irai nulle part.
Oiseaux de Malheur
Le monde s'était assombri d'un coup, non seulement par la faute du voile des larmes qui couvraient son visage, mais aussi par un chagrin si profond qu'elle n'était pas capable de le contenir. Elle n'eut même guère la force de réagir au cynisme de la grande Chinone, qui, dans son rôle, se devait indubitablement se montrer plus forte qu'elle. Yui n'était qu'une jeune genin en apprentissage, elle ne connaissait pas encore le mal de perdre un ami. Elle venait de l'apprendre de la manière la plus amère possible.
" Mon pauvre et gentil Rei... "
Ces pleurs se refusaient de s'arrêter, elle n'eut même la force d'acquiescer devant les propos de la soldate écarlate. Trop pur ? Était-ce donc cela qui l'avait amené à sa perte ? Comment pouvait-il avoir été coupable de son innocence ? C'était des choses que Yui ne comprenait pas. S'en prendre à des êtres tels que son jeune ami, lui qui se cherchait encore, lui qui avait tant à donner. C'était injuste, mais elle était bien trop peinée pour être en colère.
Ce fut Ao qui lui donna un peu de réconfort. Rapidement, son élégant camarade vint la prendre dans ses bras, lui autorisant l'affront de noyer son beau kimono sous ses larmes. Il cherchait à se montrer rassurant, Yui craqua naturellement en le serrant aussi contre elle, telle une enfant. Il lui fallut bien cinq bonnes minutes pour essayer, juste essayer de contenir ses sanglots.
Restant dans les bras de Ao, elle parvint miraculeusement à relever la tête, on y voyait toute la peine du monde et ses yeux bleus embués ne semblaient nullement désirés retenir les perles d'eau salée qui roulaient inlassablement sur ses joues.
" Mais... mais... les gens proches de moi... ils... ils finissent toujours par leur arriver quelque chose... je... j'ai peur d'avoir porté malheur... "
Et elle ne désirait pas que cela se reporta sur cette nouvelle famille qui était la sienne. Ni Ao, ni Chinone, ni Kunao bien évidemment. D'un revers de manche, la jeune femme essaya d'essuyer son visage, quand bien même, elle était incapable d'arrêter ses pleurs.
" Je... je suis une Kitsune... oui... Je... je dois me montrer forte aussi. "
La demoiselle luttait, encore et encore, jusqu'à ce qu'un frisson dans son dos la raidisse un peu. Étrangement, cette fois-ci, elle mit plus de force et d'énergie à essayer d'arrêter de pleurer. Elle se frotta les yeux plus frénétiquement et chercha même un mouchoir dans le revers de son kimono. Elle avait l'impression de ressentir à nouveau cette sensation. C'était exactement la même que lorsque Rei était venue dans sa maison... et cela fit naître une forme d'inquiétude chez elle. Elle se mit à légèrement trembler, faute au froid qui semblait curieusement s'imposer dans la pièce. Cependant, elle resta aux côtés de Ao.
" Merci Ao-san.... Merci Chinone-san... "
Elle se tourna légèrement vers sa chef, la mine totalement déconfite, comme si elle était un animal battu.
" Je me sens un peu égoïste à présent... vous... vous devez beaucoup souffrir aussi... Je... je veux aussi être là pour vous... je suis une Kitsune... nous sommes une équipe... une... famille..."
Toujours sous le coup de sa peine, Yui reniflait, mais ses larmes commençaient lentement à tarir. Le choc de l'information commençait à passer. Néanmoins, le plus dur restait à faire. Se remettre. Repartir.
" Est-ce que… est-ce que je peux faire quelque chose... "
Peut-être que cela pourrait au moins l'aider un peu, mais le dégluti qu'elle eut, un léger regard inquiet en arrière, il était aisé de deviner qu'elle essayait de faire mine qu'elle luttait avec courage... ou désirait-elle les protéger de quelque chose ?
Faniahh/Lala/Cyalana
Et Ao reste avec Yui, la tient contre lui alors que la jonin reste le dos tourné, cherchant le peu de contenance qui lui reste. Elle écoute Ao corriger ses paroles, expliquer ce qu'elle voulait dire, malgré son manque apparent de tact à ce moment-là, ce moment où le tact est probablement ce qui compte le plus.
Lorsqu'on se tait, elle n'ajoute rien. Elle écoute Yui qui prend la parole. Ses mots, sa détresse apparente … Si elle n'est pas étrangère au deuil ou même à délivrer cette mauvaise nouvelle aux proches, Chinone n'a jamais ressenti avec tant de force cette douleur qui n'était pas la sienne à ce moment-là. Ce n'est pas son deuil qu'elle ressent, mais celui de Yui. Trop vivement même. Jamais elle ne s'était vraiment montrée empathique, alors pourquoi aujourd'hui ?
Elle se retourne, son expression encore bien loin d'être sous contrôle, mais qui le remarquerai ? Après tout Ao aussi vit ce deuil, bien qu'advenant, il pourrait ne pas le remarquer. Les chances sont fines, mais elle restent possibles. Du moins, c'est la pensée qu'à la cheffe de Kitsune alors qu'elle se tourne.
Évidemment, elle se blâme elle-même. Après tout, ce sont ses décisions qui ont menée à la mort de son apprenti. Elle n'aurait simplement pas dû l'apporter sur cette mission. Son jugement l'a trompée.
Car jamais la Yui que Chinone avait après à connaître ne serait la cause de la mort de qui se soit à qui elle tient, du moins jamais volontairement. Et de s'en sentir coupable n'allait pas l'aider. Ni elle, ni Kitsune.
Et la genin fini par se calmer. Et Chinone expirer, comme si elle venait de réussir à désarmer un piège des plus mortel. Elle les remercie, se déclare égoïste dans sa réaction, mais l'aînée du trio se content que de secouer la tête. Mais un mot semble raisonner un peu plus dans son esprit vide de tout ce qui n'est pas Kitsune, ou Rei.
Famille. Une famille. Eux. Elle.
Le mot la tranche encore plus que la détresse de Yui un peu plus tôt. Les dernières paroles de Rei lui reviennent.
Une mère.
Elle en serait une bien mauvaise. Heureusement qu'elle ne l'était pas. Enfin … c'était ce qu'elle croyait. Avant Rei, avant maintenant. Les mots de Yui se marquent en elle, comme s'ils avaient été du fer brûlant. La marque est et restera indélébile dans son esprit.
Et elle étouffe encore plus. Il faut sortir. Maintenant.
Son instinct prenant le dessus, elle se retourne à nouveau, se retrouvant une fois de plus dos au duo et se précipite vers la sortie. Elle ne peut rester. C'est impossible, car si elle reste, ils la verront s'effondrer une fois de plus.
Et elle ne peut pas se le permettre, pas une autre fois.
Une scène absolument déchirante, et les mots qui fusent entre les deux jeunes femmes me sont dans l’ensemble flous. J’entends très bien, mais j’éprouve toute la misère du monde à rester concentré… Le mieux que je trouve à faire, c'est d'aider notre cadette à essuyer ses larmes en passant le coin d’une manche de mon habit sur l’une de ses joues.
Je n’ai pas besoin de voir Chinone pour l’entendre et ressentir pour elle toute cette empathie. J’entends mais je ne comprends pas tout, ça ne change pas le fait que son ton est différent. Il est chargé, émotif, encourageant. Dur à percevoir, mais j’ai appris à le reconnaître à force. «…»
Alors que Yui semble reprendre le contrôle, le froid semble s’effacer doucement. Si je refuse de croire qu’elle est maudite, je suis forcé de considérer ce que j’ai ressenti pour ce que c’est; rien d’anodin. Elle semblait chercher un mouchoir, c’est pour ça que j’ai essuyé pour elle sa joue. De même, elle tremblait, sans doute à cause du choc de la nouvelle…
Ce n’est que lorsque Chinone s’éloigne et sort que je reviens pleinement dans l’instant présent; les derniers évènements sont si pesants que je n’arrive pas à rester complètement là, et c’est dur à gérer. J’ai été capable de comprendre les derniers mots de Yui, cependant.
Ma mentor a besoin de se remettre de ses émotions, et elle ne sait pas encore bien les vivre. Ce que je veux éviter, et ce que je dois éviter, c’est que cela ne fasse encore plus mal à sa disciple – et mon équipière –. «… Ne t’en fais pas, Yui. Tu n’as rien dit de mal; Chinone est comme ça. Elle n’a pas l’habitude de ce genre d’émotion, en plus ce n’est pas évident pour elle… elle était là, tu comprends…?»
Je ne lui demanderais jamais de se forcer à affronter ses sentiments, surtout pas si tôt. À Yui, qui voulait montrer réciprocité, je ne trouve à dire que «tu es là, c’est déjà beaucoup. Donne-lui du temps, donne-m’en aussi, et surtout donne-t’en. C’est une épreuve rude, qu’on est sur le point de vivre. Tant qu’on arrive à se soutenir et accepter les réactions des autres dues à leur propre deuil, ça ira.»
Elle a pris une seconde un peu plus tôt pour jeter un coup d’oeil derrière elle, ce n’est pas passé inaperçu. Là, maintenant, je ne suis pas en état d’en parler, mais je fais part à Yui d’une impression. «Ne te blâme pas pour ce qui s’est passé; c’est en le faisant que tu te feras plus de mal. Je sais que ce n’est pas évident là, maintenant, mais fais tout en ton pouvoir pour garder la joie dans ton coeur. Tu possèdes une grande force et je suis persuadé que ton optimisme et ta candeur sont la clé pour endiguer cette malédiction qui te fait peur. Le mauvais attire le mauvais. Le bon attire le bon.»
Oiseaux de Malheur
Toujours auprès de son élégant camarade, Yui tentait toujours de lutter contre son chagrin. L'appui de Ao lui donnait un peu de force, car elle ne comprenait que trop bien que chacun d'entre eux étaient touchés par cette disparition. Chacun d'entre eux devrait trouver la force de faire son deuil et pourtant...
Quand les yeux bleus de la douce Hasegawa rencontrèrent ceux de l'imposante Chinone, ses mots eurent l'effet d'une claque, alors qu'elle avait toujours été assez lucide sur ce qu'elle énonçait alors. Peut-être n'était-ce pas ce qu'elle aurait aimé entendre, mais son aînée était avant tout une chef d'équipe et ils étaient tous ici, des shinobis. Rei ne serait pas le premier équipier qu'elle serait peut-être amenée à perdre. Elle le savait très bien. C'était probablement aussi la raison pour laquelle elle avait dirigé ces études dans les soins et la médecine. Elle voulait tout faire pour éviter ce genre de chose, protéger ce à quoi elle tenait.
Même si Chinone lui affirma qu'elle n'était coupable de rien, les croyances de Yui lui laissaient planer le doute. Toutefois, loin était sa volonté de contredire sa chef, et elle se contenta d'un maigre mouvement de tête pour signifier qu'elle comprenait. Ce fut à ce moment-là, silencieuse, presque en pénitence, que la grande dame au cheveu couleur de blé quitta les lieux. Elle était venue apporter son message, Yui l'avait parfaitement entendu.
Il ne resta plus que la genin et Ao, toujours-là, ensemble. Il se montra aussi chaleureux que possible, prévenant même tandis qu'il voulut s'assurer qu'elle ne se méprenait pas sur les intentions de Chinone.
" Oh... je comprends Ao-san... Cela... doit être encore plus difficile pour elle... Rei était... si gentil. "
La douce demoiselle se mit à renifler un peu, retenant un nouveau sanglot alors qu'elle se remettait à penser au jeune garçon. Les images de son visage candide et la chaleur qui émanait de lui quand on le prenait dans ses bras. Elle se souvenait de ses joues rosies et de son tendre sourire. Un guerrier avec l'âme d'un petit garçon. C'était ainsi qu'elle le voyait. C'était ainsi qu'elle le verrait toujours.
" Je... Je pense que je saurai faire cela. Je sais pertinemment... que le chagrin peut se vivre de différentes façons. J'essaierai... de me montrer forte. "
Et peut-être devrait-elle endurcir son âme ? Mais Yui avait toujours été un être d'une grande sensibilité, le regard ouvert et curieux sur le monde, empathique. Il était aisé d'imaginer qu'il y avait en cela un énorme défaut dans la voie qu'elle avait choisi et pourtant... il s'agissait là d'une fenêtre ouverte sur bien plus que de simple mièvrerie. Mais en attendant, elle devait aussi affronter d'autres fantômes, et elle put compter sur l'amabilité de son coéquipier.
" Vous... vous pensez vraiment, Ao-san ? "
Les mots de l'illusionniste donnaient un peu de baume au cœur de la genin.
" Le bon attire le bon... Oui... Je vais tâcher de rester sur cette voie. "
Mais quelque part, là, dans une zone de son esprit, Yui se demandait, puisque le mauvais attirait le mauvais, n'était-ce pas révélateur d'autre chose ? Les yeux encore rougis par ses larmes, la jeune femme trouva enfin la force de se relever, aidant Ao par la même occasion. Maintenant que leur équipe était endeuillée, elle trouvait trouver cette fameuse force pour pouvoir faire face.
" Je pense que vous devriez rester avec Chinone-sama, Ao-san... Je pense qu'elle a bien plus besoin de votre présence que moi. Je... Je ferai de mon mieux et je sais que je pourrai compter sur vous. Je... Je ne veux pas que vous vous inquiétez de trop. Je me montrerai... forte. "
La douce Hasegawa se voulait rassurante, bien qu'elle eut le cœur serré. Bien sûr qu'elle voulait continuer à pleurer toutes les larmes de son corps, et peut-être le ferait-elle lorsque Ao serait parti, mais elle ne voulait pas être un poids de plus de la peine qui les touchait.
Ce fut alors que naturellement, la jeune femme conduisit Ao jusqu'à la sortie, tentant de sourire un peu et lui accorda un regard un peu triste. Elle le salua d'un geste gracile, avant de fermer la porte. Là, elle posa son front contre le bois, et de nouvelles larmes ne tardèrent pas à rouler sur ses joues. Rei était mort, mais l'équipe de Kitsune se devrait de lui survivre.
Faniahh/Lala/Cyalana
C’était bien plus difficile pour Chinone qu’on ne pourrait l’imaginer. Elle a passé toute sa vie à réprimer ce genre de sentiments, à ne pas les comprendre et à vivre dans l’horreur. Jusqu’à ce qu’elle soit notre cheffe, elle a toujours vu les émotions comme du superflu et a toujours agi avec détachement.
Et c’est quand elle choisit de briser ses règles, de s’ouvrir qu’elle se fait poignarder le coeur. Cette image est répugnante, mais c’est comme si on apprenait à un enfant l’importance de brosser ses dents en arrachant sa première dent d’adulte. Irréparable, marquant, absolument horrible… et amenant au contraire. Chinone n’a pas encore la force d’accepter, il ne faut pas lui en vouloir.
«Rei était un brave petit. Je regrette de ne pas lui avoir dit assez souvent comment et à quel point je remarquais ses efforts.» Je l’ai fait, mais j’aurais pu faire bien plus. Tout ce que je peux faire, maintenant, est de ne pas faire la même erreur.
«Oui, je le crois. Et le bon a le pouvoir de dompter le mal. Ça peut arriver que tu te sentes petite, pas assez forte; on ne peut pas toujours être fort. Tant que tu te montres tel que tu es, forte ou non, on saura t’aider, t’encouraget et compter sur toi.» Ne change pas, Yui. Laisser la vie te changer, te rendre plus dure, c’est accepter de te perdre.
Finalement relevée, je fais la même chose en tenant la main de mon équipière, laissant mes lèvres bouger pour la remercier tout bas, presque silencieusement.
«Je vais aller m’occuper d’elle, oui. Tu peux toujours compter sur nous; au besoin, n’hésite pas à cogner à ma porte – n’hésite jamais. Je te fais confiance pour reconnaître ton état et tes limites et ne pas avoir peur de venir chercher de l’aide. Je ferai la même chose; nous serons forts ensemble.» Mes bras passent de chaque côté de ses épaules; un instant, je tiens Yui contre moi. Celui-là, c’est pour moi, c’est moi qui en avait besoin. «On se revoit bientôt, prends soin de toi et n’oublie pas; si ça ne va pas, arrête-toi un instant et prend une bonne respiration. Souviens-toi que tu n’es pas seule et que tu n’es pas obligée de tout affronter seule non plus.» C’est souvent après une bonne inspiration que les sentiments ressortent, que les vraies pleurs se libèrent. Celles qui aide à faire sortir le mauvais, qui aide à se sentir mieux.
Je finis par quitter, laissant à contre-coeur ma camarade seule avec ses pensées. J’espère seulement qu’à travers cette difficulté, elle garde en tête que nous sommes là, et que Rei aussi.
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