"Encore un genin ?"

Soupirant, je prenais le dossier que me tendais la secrétaire : C'était bien ma veine. Chuunin depuis quelques années, j'avais déja eu des soldats sous ma gouvernance... C'étaient des jeunes, encore un peu mal dégrossi, mais pas méchant pour un sou. Ils obéissaient, je les tenais en vie, et tout allait bien. Je n'étais pas un chef demandeur, il fallait seulement obéir aux ordres et être assez intelligent pour mener des initiatives, vu que je ne pouvais pas être derrière tout le monde. Le reste, on faisait avec : Des erreurs, cela arrivait, et tout était résolvable avec un peu d'attention. Pour autant, je me grattais la tête devant le nom disposé en grand et en gras sur le parchemin disposé devant moi.

Okiyama Mizuku.

Un seul type, pas une équipe de trois que je complétais pour la direction : Un seul homme, ou jeune garçon. C'était donc le deuxième soldat qu'on me refilait en peu de temps... Une escouade se composait, et cela ne me plaisait pas. Je n'avais pas encore ouvert le dossier et je ne le voulais guère. Les données papiers laissaient un goût étrange quand on ne connaissait pas la personne, même de vue. Attrapant donc le fin parchemin, je sortais de la pièce pour mieux réfléchir sans le regard scrutateur de la fonctionnaire.
La dame était désagréable, et ce, depuis mes premières années de genin... Avec un peu de frustration, je me souvenais de cette mission où je devais accueillir un visiteur et elle ne m'avait donné que le strict minimum pour que je passe pour un idiot. Depuis, je serrais les dents quand je devais la rencontrer et à chaque fois je sentais une pointe de haine venir dans ses phrases, notamment sur la nécessité de se dépêcher alors que je n'étais pas un lambin. Je faisais mes enquêtes le plus efficacement possible et je rentrais toujours dans les temps pour les chasses à l'homme... Loin d'être un soldat exemplaire, je n'étais pas le dernier des ratés mais dans nos rencontres, j'en avais l'impression.
Soupirant, dans le couloir du bâtiment administratif de Seizan no Sato, je réfléchissais à comment faire... Le plus logique, et facile, serait de le rencontrer le plus vite possible, et c'est ceci que je choisis, passant par un oiseau-ninja pour passer un message. Un ordre de rencontre, au terrain d'entraînement, champ vaste qui permettait de le tester si besoin. Filant vers la volière adéquate, je laissais l'information partir et ma journée avec... Le dossier dans la main, sans l'ouvrir, j'allais vers la maison que je partageais avec ma mère pour me préparer, et prendre un café...

Le lendemain.

L'hiver avait laissé place au printemps, comme si tout était calculé... Un rythme bien huilé qui rendait les journées plus chaude, plus ensoleillée et surtout plus verte, rose, rouge... Un amalgame de couleur passionnant qui rendait la petite route jusqu'au point de rendez-vous amusant, à observer ainsi les nouveautés dans le décor. La montagne était haute, mais d'ici, je pouvais déjà voir toutes les traces de la nature réveillée sur les flancs et dans la vallée au pied du village.
Assis contre un arbre, j'attendais qu'arrive le précieux larron et, à son arrivée, je pris un bref instant pour l'analyser dans ses traits.

- Je vois. Environ mon âge, le soldat avait quand même l'air solide et fiable. Je ne devais peut-être pas m'arrêter sur les apparences, ne connaissant guère son histoire. "Peut-être que c'est moi qui suis jeune, aussi ?" Bonjour, je suis Fumiri Kunao. Sans tendre la main, je décrivais un peu plus l'homme.

Cheveux longs, efféminé, la silhouette clairement trop faiblarde pour tenir une arme de corps-à-corps, un arc sortait de son dos et il avait l'air précis et efficace... Un archer, l'administration du village avait le bon goût de me refiler un gardien pour mon dos. "Ils trouvent que j'ai pris trop de blessures ?" Grognant, je laissais passer l'idée.

Qu'importe, au final.

Je levais le bras pour montrer le dossier du genin, disposant ainsi à sa vue le nom écrit en gros pour qu'il comprenne bien en quoi cela consistait.

- Je n'ai pas encore ouvert ceci, et je ne le veux pas. Dis-moi ce que j'ai à savoir, c'est ce que je conserverai dans mon esprit au cas où. Baissant le bras, j'analysais sa réaction. Bien que la hiérarchie militaire était stricte et que j'étais son supérieur, je ne voulais pas agir comme un capichef misérable : j'avais autre chose à faire. Ainsi, il était un camarade de seizan plus que mon élève, ou mon soldat, et j'étais plus un cadre juridique qu'un vrai chef. La confiance devait régner. En retour, je ferais de même, il n'y a pas de raison que tu sois le seul à te mettre à nu. Croisant les bras, j'attendais patiemment son discours.

Aux aurores d'un jour printanier, dans une demeure d'apparence charmante bien qu'un peu désuète, une petite famille, toute à l'image du soleil naissant, s'éveillait lentement. Le calme de la maison aurait pu pour un non avertie paraitre étrange,  tant tous semblaient le respecter.  Les seules ondes osant profaner la quiétude du moment furent le bruit aigu de quelques couverts et les hululements plaintifs d'animaux faussement affamés.

Un bol de thé encore fumant devant lui et une assiette richement garnie de galettes de riz couverte de miel d'érable, Mizuku contemplait d'un œil encore engourdi les contours de ses montages natales. Semblant le contourner sans même le voir Maki vint s'installer près de lui piochant sans vergogne dans la pitance de son puiné. Ainsi les secondes passèrent, puis les minutes. L'assiette se vida tout comme les tasses sans qu'aucun mot ne fut échangé. Lassement, l'ainée se releva et agrippa dans son mouvement une boite hermétiquement fermée. Elle s'en allait sans un regard en arrière quand soudain celle-ci se figea et après avoir marqué une seconde de torpeur s'enquit d'un ton emprunt tout à trac d'inquiétude et d'empressement.

-Ce n'est pas aujourd'hui que tu dois rencontrer ton nouveau supérieur ?

Cachant bon an mal an sa surprise et son sursaut, Mizuku lui décrocha un regard plein de confiance.

-Le rendez-vous n'est que bien plus tard dans la matinée.

L'avait-il oublié ? Peut-être. En tout cas, il ne mentait pas sur l'heure convenue pour la rencontre, encore bien lointaine à en juger les quelques éclats faiblards du soleil qui peinaient encore à pénétrer la demeure. Ce jour serait à n'en pas douter un moment charnier de la vie du jeune soldat. Il était étonnant d'observer comme les évènements pouvaient parfois arriver sans crier gare et pourtant revêtir l'apparence d'instant cruciaux. Mizuku avait depuis son enfance était formaté à l'apprentissage des arts guerriers. Une voie toute tracée dans laquelle il se complaisait sans mal. Pourtant, à l'heure du dénouement et au moment où, pour des raisons qui lui demeuraient secrètes, le village avait enfin décidé de lui assigner un "chef", celui-ci se trouvait en proie au doute.

Secouant la tête à la négative et ne semblant nullement complice de son jeu de dupe, Maki lâcha quelques mots tout en retournant à ses tâches.

-La première impression et souvent la plus importante. Tâche d'arriver à l'heure.

Suivant sa sœur du regard, Mizuku ne jugea pas nécessaire d'ajouter quoi que ce soit. Autant par soucis de retrouver son précieux silence matinal, que par simple acceptation de cet état de fait. Maki avait bien entendu raison et il ne comptait nullement se défiler devant ses obligations. Soupirant pour lui même et écartant ses couverts, le soldat quitta le calme de sa demeure pour la fraicheur ensoleillée de ses montagnes.

Prenant de la hauteur, celui-ci crapahuta le long du chemin sinueux menant au sommet d'une aiguille rocheuse se trouvant encore dans le territoire familial. Grimpant toujours plus haut, il escalada le puissant érable qui trônait comme le seul roi de son morceau de rocher. Reposant son dos contre le tronc, les fesses dépassants de chaque côtés de la branche et les jambes dangereusement suspendues dans le vide, Mizuku tira de sa veste un petit morceau de bois sculpté dans lequel il se mit à souffler. La mélopée s'étira quelques longues minutes quand à bout de souffle le jeune homme abaissa son instrument pour adresser sa requête silencieuse à sa déesse. Se redressant sur ses deux pieds, jouant l'équilibriste au sommet de son arbre, le jeune homme observa une seconde minute de recueillement devant une inscription gravée à même l'écorce de l'Ancêtre. Puis, se jetant dans le vide, il rejoint la route principal et s'enquit de rejoindre le lieu de rendez-vous.

Mizuku était encore loin d'être en retard et pourtant, assis contre un arbre et le fixant avec insistance du regard, il cru reconnaître ce qui devait être son futur supérieur. L'archer n'eut cependant guère le temps de le détailler, puisque soucieux de prendre les devants, son "maitre" commençait les présentations. Inclinant légèrement la tête et faisant appel à toute la politesse qui lui avait été enseigné, l'hibou en fit de même.

-Bonjour, je suis Okiyama Mizuku.

Relevant la tête, le jeune homme haussa un sourcil en découvrant plus directement son interlocuteur.  L'homme s'avérait être tout juste plus petit que lui et arborait en réalité un visage encore en parti enfantin. Peut-être n'avait-il que tout juste quelques années de plus ? Plus trapue que ne l'était Mizuku, il semblait tailler pour le corps à corps et un rapide coup d'œil vers sa ceinture, où reposait un fourreau, suffit à l'en assurer. L'archer voulu continuer son inspection discrète, mais il fut pris de court par l'apparition d'un dossier tendu vers lui, sur lequel demeurait son nom et prénom inscrit en caractère bien trop gros à son goût. Une curiosité avide l'étreignit dès lors. Que pouvait bien comporter le dossier ? Que pensait les institutions du jeune archer ? De nouveau coupé court dans ses réflexions, le garçon du ramener sa focale jusqu'à son interlocuteur.

Ainsi donc son nouveau "maître" expliquait ne pas vouloir ouvrir le dossier mais souhaitait en revanche entendre de vive voix toutes informations d'importances. Quelle drôle d'idée se disait alors l'hibou. Pourquoi diable refuser une mine d'information comme pouvait l'être un dossier ? Était-ce un moyen pour lui de se la jouer "cool" et "nouvelle génération" ? Peut-être que ses cheveux blanc était le résultat d'une décoloration, comme symbole de son opposition aux règles ancestrales ?

Ravalant finalement son envie de remettre en question le pauvre bonhomme, il s'exécuta en détail, ne voulant pas par son mutisme entraîner une mauvaise analyse future d'une situation. En tant que chef, le dénommé Kunao aurait sans doute à cœur de connaître parfaitement les membres de son escouade.

-Eh bien...Je dois avouer être un peu pris de court. Alors, j'ai 19 ans. Je suis un génin et je privilégie l'attaque à distance. Outre mon arc, je dispose également d'une flûte et d'un hibou que je peux invoquer. Mon affinité est le doton, mais je ne suis pas encore très expert dans le maniement de celui-ci. Je peux faire un bon éclaireur, c'est un peu la spécialité de ma maison.

Prenant le temps de décrocher un regard incertain vers Kunao, doublé d'une sourire emprunt d'une certaine gène, il conclut.

-Une présentation comme celle-ci vous convient ?

"Hmmm ?"

Réfléchissant un instant, l'archer se présenta avec toutes les formes, un peu pataudes, du type pris à froid... Il était trop tôt pour lui ? "Aussi pour moi."
Ainsi, je découvrais son âge : Exactement le même que le mien, cette foutue secrétaire m'avait refilé un soldat qui était peut-être même mon ainé... Comme l'autre, mais en moins vieux. J'étais décidément la risée de cette administration qui me mettait dans des situations rocambolesques. "Pourquoi je n'ai plus des genins de treize ans ?" Aussi, à part ses talents d'archer, je découvrais des capacités musicales et un compagnon animal... Un Hibou, qu'il pouvait invoquer. Ainsi, effectivement, il pouvait être un bon éclaireur, surtout son volatile. Je mis de côté son incapacité pour le ninjutsu, ce n'était pas moi qui allais râler pour ceci...

- D'accord, je vois donc pourquoi on t'a confié à moi... Ce n'est pas sous ma direction que tu vas apprendre à mieux tirer, ou à développer ton ninjutsu, mais sans doute que je peux t'apporter d'autres options et surtout un bilan tactique. Attrapant la garde de mon fourreau à ma ceinture, je décrochais la cordelette qui la retenait pour tendre ainsi le contenant vers mon élève du jour. Je suis un épéiste, plus exactement, je suis l'un des épéistes des monts de fer. Tu sais ce que cela veut dire ? Un court instant, j'attendais sa réponse, avant d'enchérir. Ma spécialité est donc le kenjutsu, toutes mes capacités physiques sont orientées vers cela : Vitesse de déplacement, vitesse de réaction, esquive, même mon endurance vise à mieux tenir mon arme, plus longtemps, et ne pas lâcher même si je me prends un sale coup... Remettant l'arme à ma ceinture, dans une fin de spectacle théâtrale, je clôturais. Donc, en mission, il y a déja un schéma qui se dessine et j'espère que tu le vois aussi : Moi devant, toi derrière moi pour protéger mon dos et couvrir mes flancs, ou me prévenir en cas de piège. La vue derrière la tête, je ne peux pas la travailler... Tout ça pour dire que je te confierai ma vie, que tu en sois bien conscient, en échange je mettrai toutes mes forces et mes capacités dans l'optique de venir t'appuyer si nos ennemis décident d'aller frapper l'archer plutôt que l'épéiste. Ricanant, je dissipai aussitôt tout le sérieux de la scène. Après, pour aller sauver des chats dans les arbres, on ne risque pas grand-chose...

En tout cas, j'espérais.

Observant la réaction du Hibou, dans son rire ou son sérieux, je m'appuyais contre l'arbre : Qu'est-ce que je pouvais amener d'autres, à part un discours comme celui-ci ? Histoire de le rassurer et qu'il sache qu'il n'était pas avec un guignol, je l'informais de la chose suivante.

- J'ai déja eu des équipes de genin : Je suis chuunin depuis mes quinze ans, ils sont tous devenus de grands soldats... La plupart chuunin, d'autres ont juste pris leur envol. En tant que soldat, tu peux tout à fait travailler sans la direction d'un chef d'équipe, tu seras juste plus limité. Même en tant qu'officier, je devais passer par Ganryu pour des trucs plus... Ambitieux. On sera peut-être amené à travailler avec un juunin, si les événements le permettent... Il fallait prévenir le "petit" pour qu'il ne soit pas surpris de la chose. Dis-moi, quel est ton histoire ? Je suis devenu soldat par la force des choses, un genre d'héritage à suivre, mais toi, pourquoi portes-tu ce bandeau ?

Pas la peine de lui sortir le couplet du père mort et de l'ambition de le rattraper, de lui faire honneur : Ce que je voulais, c'était mieux connaitre son objectif et sa vision du service militaire. Il avait l'air solide et fiable, mais il pouvait être un opportuniste... Ou bien une vraie raison le poussait à se frotter aux monstres qui peuplaient les routes.

"J'espère qu'il ne rêve pas d'aventure, j'ai déja ramené Mitte de sa désertion..."

Pas un deuxième.

Les présentations s'enchainaient et après la laïus de l'archer, s'était désormais au sabreur de s'activer à la tâche. Ainsi donc celui-ci se décrivit comme tel, un sabreur. En montrant pour preuve le fourreau de son arme que l'hibou avait d'ores et déjà aperçu. Une autre remarque retint l'attention de ce dernier. "Apporter de nouvelles options d'un point de vu tactique". Comme quoi, si l'archer arrivait à passer outre l'aspect extérieur de son nouveau supérieur, pouvait-il y trouver un raisonnement cohérent. Mizuku était taillé pour le combat à distance et le pistage. Tout son attirail était dévolu à cette simple cause. Seul, sa marge de manœuvre demeurait strictement cantonné à l'observation lointaine. Usant de ses arcanes meurtrier à la seule condition d'être repéré et vulnérable. Mais avec l'ajout d'un sabreur à l'escouade, la donne devenait bien différente.

Dès lors des opérations plus complexes et plus proactives, telle la traque où l'infiltration, devenaient possibles. Avec le support de quelques bras armés supplémentaire ils pourraient tout aussi bien servir d'escouade de front pour enfoncer des lignes ennemies. Un sabreur seul pouvait déjà faire, s'il était suffisamment talentueux, des dégâts colossaux. Mais si celui-ci pouvait compter sur une arrière garde compétente couvrant ses arrières, alors il pouvait devenir une véritable épine dans le pied de n'importe quel adversaire.

Mizuku devait bien reconnaitre que l'idée était intéressante. Les instances avaient décidément plus d'un tour dans leur sac. Alliant deux forces contraires, ils espéraient mettre sur pied une puissance inébranlable. Un sourire naquit lentement sur le visage de l'Hibou, alors que captivé par sa propre réflexion il fut pris de court par l'annonce de son interlocuteur.

Kunao n'était pas qu'un sabreur, il était l'un des meilleurs. Qu'attendre de moins venant d'une région si riche en épéiste de talent ? Cependant une légère pression vint s'ajouter aux épaules de l'archer alors qu'une dure réalité l'étreignait. L'heure du duo inébranlable était encore bien lointaine. Kunao avait peut-être l'étoffe d'un héro, mais lui avait encore bien des choses à apprendre. Opinant du chef pour prouver sa bonne compréhension, Mizuku écouta la suite sans piper mot.

Prouvant ses facultés de meneur, le jeune loup énuméra la stratégie que l'archer avait mentalement esquissé plus tôt. Avec en supplément, une petite dose de pression supplémentaire. Fini le temps de l'académie et des missions sans risque. Tôt ou tard lui et son nouveau supérieur serait confronté à la mort et ce serait en puisant dans les ressources de chacun qu'ils parviendraient ou non à s'en tirer indemne. La mine résolu et le regard sombre, Mizuku acquiesçait de plus belle. Il serait prêt à donner sa vie pour défendre celle de son camarade. Du moins l'espérait-il intimement. Puisant sa force dans ses profonds appuie, l'Hibou allait pour préciser sa détermination, mais fut pris de court par le ricanement de son interlocuteur.

Levant un sourcil perplexe, Mizuku laissa à son tour filtrer un léger soufflement de nez au trait d'esprit. Peut-être avait-il finalement vu trop loin ? Le temps n'était peut-être pas encore venu de relever de mortels défis. Profitant néanmoins d'une légère accalmie dans le discours de son partenaire il prit rapidement la parole.

-Que ce soit pour récupérer un chat au sommet d'un arbre ou traquer les yokai de la pire espèce, je mettrais mon arc et toutes mes compétences  à votre service.

Plantant son regard aussi profondément qu'il le put dans le regard de son homologue, Mizuku espérait parvenir à se faire pleinement comprendre. Il ne fallait pas voir dans cette tirade un simple assemblage de mots sans sens véritable. Toute sa vie il avait été orchestrée pour le mener à cet instant. Malgré toutes les réserves qu'il pourrait observer en son for intérieur, qui était-il pour remettre en cause la voie tracer avec soin et minutie par sa glorieuse déesse ? Après quelques longues secondes d'un regard emprunt de vérité, il détourna les yeux pour détailler les feuilles rougeâtre jonchant encore le sol. Le printemps était encore neuf et l'hiver avait fait son office.

D'une oreille plus distraite, Mizuku écouta donc la suite de l'interminable monologue. Kunao jugeait bon de préciser que celui-ci était chunin depuis ses 15 ans. Un âge pour le moins précoce, bien que d'autres avant lui purent réaliser cet exploit. De son côté, l'Hibou aurait pu faire pale figure, n'étant toujours qu'un génin à l'âge canonique de 19 ans. Pourtant, cela ne semblait pas le gêner outre mesure. Semblant ignorer la première partie, l'archer se focalisa plus pleinement sur la seconde et sur la réponse à apporter face à une question des plus complexes. "Pourquoi ?" Voilà bien une question qu'il devait se poser tous les jours, sans trouver une once de réponse convenable. Pourtant, il était bien nécessaire de donner le change. Prenant une seconde de réflexion, il finit par prendre la parole tout en laissant échapper un léger rire.

-J'imagine que je devrais vous présenter une réponse polie et bien sous tout rapport. Du genre "C'est ma vocation" ou "C'est mon rêve depuis toujours". Mais ça serait vous prendre pour bien plus idiot que vous ne semblez l'être. L'une des réponses les plus proches de la vérité que je peux trouver pour vous ce serait "parce que".

Laissant planer un l'instant cette réponse bien vague, Mizuku finit par reprendre tout en laissant son regard s'aventurer vers les sommets.

-Aussi loin que je me souvienne j'ai toujours été destiné à cela et par chance, je suis pas trop mauvais la dedans. Pour tout dire, je n'ai jamais vraiment pousser l'idée de faire quoi que ce soit d'autre. Ma famille m'a apporté de précieuses connaissances. Dans le pistage, l'archerie et même l'élevage de volatile. J'ai fait ses choses miennes et maintenant j'essaie d'y ajouter ma propre patte.


D'un geste, l'Hibou fit émerger son bâton sculpté qui lui servait si souvent d'instrument et l'agita au regard de son interlocuteur.

-Certains appellent ça le destin. Moi, j'aime à penser que c'est le résultat de mes choix, lorsque dans sa bienveillance Omoikane  décide d'éclairer ma voie. Tous les jours nous sommes confronter à une multitudes de chemins pouvant nous mener en tous lieux de ce monde. C'est nous qui bâtissons notre vie en nous insinuant entre ces différentes portes. Alors du mieux que je le peux, j'essai toujours de suivre le chemin qui me permettra de vivre vieux et d'aider les autres. C'est aussi simple que ça.

Bien conscient que sa philosophie dépasse de loin la réflexion habituelle des jeunes de son âge, Mizuku observe après son laïus une minute de silence gêné, avec dans le regard qu'il partage avec son nouveau supérieur, une once de méfiance.  

Le visage indifférent, j'écoutais le garçon parler : Il était de mon âge, mais quelque chose nous séparait plus que les galons... L'expérience. S'il avait la bonne volonté du soldat jeune et glorieux, il en avait aussi la naïveté et devant sa réponse, je ne pus que hocher la tête, comprenant un peu mieux à quoi je me frottais dans cette affaire.

Non pas un illuminé, religieux à souhait, mais bien un jeune homme qui n'avait jamais réfléchi à autre chose : Il aurait pu devenir ce qu'il voulait, comme marchand, marin ou vendeur de maté, mais il avait choisi de devenir soldat, car c'était la seule chose pour lui... Il ne se sentait dans rien d'autres que le service à la personne, que dans la guerre contre les forces de l'obscur. Je voyais même dans son discours une pointe de mission divine, comme si la déité de la stratégie avait agi en conséquence pour faire de lui une espèce de paladin de son enseignement, contre les yokai et autres suppôts du démon. "C'est peut-être lui que Ganryu aurait dû recruter dans sa lutte contre les jashinistes ?"
Sa famille avait joué ? Vu la liste de compétence qu'il avait acquis grâce à eux, cela pouvait être le cas. Ma mère ne m'avait jamais poussé, j'étais devenu ce que j'étais par mes choix, sans doute un peu comme lui, mais pas un jour ne passait sans qu'une petite pensée ne vienne titiller mon esprit :

"Et si... ?"

Non pas que je regrettais, mais la vie avait plusieurs voies et j'avais foncé dans celle-ci... Mon père m'avait mis une épée dans la main et jamais plus je n'avais lâché celle-ci. Il était mort et je m'étais fait un devoir de rester debout pour montrer que je pouvais, moi, être vivant. Me tenir où il était, comme un reliquat de sa gloire, sa puissance et sa discipline. J'étais un épéiste du plus grand groupe d'artiste martial de l'Onogoro, chose que n'avait jamais atteint Fumiri Hachi et je pensais encore à lui, malgré tout. "Comment reculer, maintenant ?"
Avec l'arme démoniaque dont j'étais devenu le propriétaire, le pacte avec la guerre et le devoir était signé avec mon sang et ma sueur. Pouvais-je le prévenir ? En avais-je au moins le droit ? Comme un fumeur qui dit de ne jamais toucher à cette merde, en s'en allumant une, j'étais foutu, à dix-neuf ans... J'avais posé une question et j'avais eu la réponse, est-ce que cela m'allait ? "Oh non". Seulement, je comprenais un peu mieux quoi faire avec lui, et surtout comment cela retentissait comme une cloche de temple dans mon propre vécu. J'avais voulu devenir le meilleur et je touchais du doigt ce but immense, en hésitant toutefois à tenir la coupe, réellement. "Et après ?"

Ainsi, lorgnant sur le visage qui me rendait ce regard, un peu interrogateur et méfiant, je ne pus que marmonner :

- J'espère que l'aventure te plaira quand même. Il avait signé, lui aussi, il était un soldat. Qu'importe ses raisons, malgré tout, il était dans le grand bateau... J'osais espérer que j'allais pouvoir lui faire passer une bonne première partie de voyage. D'une voix plus forte, je continuais Aider les autres, tu le feras, bien plus que n'importe qui dans une vie... Vivre vieux, garde les yeux ouvert et reste concentré, et ça devrait bien se passer. Me décollant de l'arbre, je pointais de l'index l'arc enlacé au corps du genin. Je vais te demander de me montrer un peu tes compétences en tir, rien de vraiment scolaire, juste une démonstration... Tournant la tête, je cherchais une cible...

Bien que plutôt fait pour les duels d'entraînements, ou juste l'exercice, une partie de la zone comportait des cibles visant à l'exercice du lancer de kunai ou shuriken et donc bien évidemment de l'archerie. Je ne connaissais que peu d'archer dans le village, mais leur effectif réduit ne changeait pas leur grande utilité sur le terrain : On prenait moins de risque contre un Oni ou une autre saloperie quand on pouvait le toucher de loin. En fait, c'était plutôt moi qui avais mal choisi mon arme. "Comme toujours." Saisissant du regard un rectangle délimité dans la poussière, je présentais la chose du menton.

- On va aller là-bas et tu choisiras la distance qui t'arrange pour tes tirs, ne te met pas la pression. J'ai essayé un peu de tirer durant mes classes, j'étais très mauvais. Je le regardais pourtant, un peu goguenard. Vu qu'on va travailler ensemble et que je vais au contact, il faudra que ton efficacité soit de cent pour cent : je n'aimerais pas me recevoir une flèche entre les omoplates en pleine attaque. Souriant, moqueur, je répétais tout de même. Pas de pression, hein. Faisant un pas vers notre destination, je changeais un peu de sujet : Tu me parleras un peu des capacités de ton oiseau, je connais un ou deux invocateurs et leurs partenaires ont toujours des compétences intéressantes pour le combat, ou autres... Un tigre qu'on peut chevaucher et qui peut lancer des techniques de ninjutsu, ce genre de choses.

Selon ce que faisait son hibou, nos missions pouvaient sonner comme très intéressantes ! Quelques pas, dont la réponse du genin firent plus léger, et le rectangle bien délimité, arriva devant nos orteils enveloppés. Tendant le bras, je présentais l'épreuve basique  :

- Voilà, que  Omoikane guide tes flèches...

Mizuku se trouvait profondément partagé quant à l'interprétation des traits de son interlocuteur. Celui-ci avait, tout au long du discours, conservé une apparence impavide. Se contentant tout juste d'hocher la tête pour confirmer qu'il suivait bel et bien la poursuite du raisonnement. Peut-être s'en moquait il éperdument, ou bien au contraire, celui-ci y trouvait il matière à réfléchir. Nulle réponse claire n'apparaitrait pour lors aux yeux du hibou, qui dut donc se contenter d'une relance timide de son interlocuteur.

Il espérait que l'aventure lui plairait. Mizuku hésita à l'interrompre pour préciser un peu plus sa pensée, mais voyant son supérieur qui relançait aussitôt, il fini par laisser mourir sa réflexion. Qu'importait d'étaler dès maintenant la profondeur de ses pensées. Si la destinée des deux hommes venaient, comme il le pensait intimement, à se lier l'une à l'autre, il aurait tout le temps d'y revenir en des temps plus propice.

Aussi bondit-il avec plaisir dans la perche tendu par le jeune loup. Une mise en situation devant permettre au bretteur de se faire une idée plus précise des compétences de son nouveau soldat. Conscient de l'importance cruciale que pouvait revêtir pour un meneur la récolte de ses informations précieuses, Mizuku avait à cœur de montrer toute l'étendue de ses facultés.

Aussi Kunao repéra t-il au loin quelques cibles le plus régulièrement délaissées par les combattants de Seizan. Qu'attendre de plus dans un village où dignité et maitrise de l'épée sonnaient souvent de pair ? De son propre aveu, le bretteur n'avait pas dût passer plus de quelques heures à viser les quelques cercle de paille aux couleurs criardes. Mizuku lui, connaissait le pas de tir pour ainsi dire par cœur. Bien qu'il privilégiait d'ordinaire les terrains d'entrainements adossés à la demeure familiale.

Joueur, le loup s'amusa donc à tancer l'Hibou tout en avançant vers les cibles. Un sourire au lèvre et le calme au ventre, ce dernier le suivit sans crainte. Il aurait été bien incapable de mener un combat au corps à corps, mais le tir, c'était son dada.

-Je devrais réussir à ne pas vous embrocher... Enfin, sauf si vous vous lancez devant mon tir ou que vous vous élanciez dans des mouvements improbables...

Marquant un léger temps d'arrêt, Mizuku fut saisit d'une réelle crainte cette fois-ci. Un bretteur devait, pour déjouer les bottes adverses, entretenir la surprise en jouant de l'imprévu. Cela voulait-il dire que Mizuku devait prévoir l'imprévu en temps réel ? Le tout en situation de combat ? Une légère appréhension nappa son regard, bien qu'il se engaillardi bien vite en entendant Kunao le questionner sur son oiseau.

-À vrai dire c'est l'une des principales raison qui font de moi un génin de 19 ans. Pour parachever la formation familiale, chaque membre de la famille doit avoir conclut Le pacte. Ce n'est qu'une fois le précieux en poche que nous sommes envoyé à la caserne pour suivre une formation militaire plus générale.

Sans ajouter plus de cérémoniel et tout en continuant à marcher, Mizuku porta son pouce jusqu'à sa bouche pour l'entailler de ses dents. À chaque fois il ne manquait pas de se souvenir de la première fois qu'il avait eu à faire couler son propre sang et la difficulté qu'il y avait trouvé. Maintenant, les maintes et maintes invocations avaient fini par rendre la peau de son pouce moins épaisse et ses dents plus experte tranchait sans mal. Répendant une trainée de sang en un symbole simple d'une main et exécutant de l'autre un mudra simple de concentration, Mizuku laissa la "magie" opérée. Aussitôt un léger nuage de fumée vint cacher à la vue les arcanes en opération et posé au sol, les yeux plus rond que le soleil et la lune, un rapace au visage scrutateur dévisagea les deux opportuns.

Son plumage prenait l'apparence de l'écorce à l'exception de ses plumes ventrales qui elle viraient au crème. Deux cornes noir venaient enserrer un bec affuté et au centre, deux orbes parfaitement rondes aux reflets dorés. En bref, un hibou. Un hibou un peu plus gros que la moyenne. Mais globalement, un hibou.

-Voici Mara.

Laissant planer un instant de silence, Mizuku échangea avec la créature ce qui pourrait apparaitre comme une discussion muette, passant par le simple regard. Après moins d'une seconde, Mara pris un court envole avant de se reposer sur l'épaule de son partenaire humain.

-Bien qu'il en ait l'apparence, ne vous y trompez pas, Mara n'est pas un simple hibou. Vous aurez bien du mal à vous en servir comme monture, mais il a d'autres tours dans son sac. Notamment dans ses yeux.

Un peu par jeu, Mizuku ne précisa pas plus distinctement les aptitudes de l'animal. Si par mégarde Kunao venait à regarder directement dans l'iris de celui-ci, peut-être le volatile en aurait profité pour s'adonner à quelques genjutsu de son cru. Arrivant au niveau du pas de tir, Mizuku écourta la présentation de l'animal.

-C'est un compagnon fiable et son apparence anodine combinée à ses genjutsu sont des armes précieuses.

D'un mouvement de l'épaule, Mizuku fit s'envoler l'oiseau qui parti aussitôt en décrivant spirale et autres dessins dans le cieux bleu. La parenthèse animale maintenant refermée, il était temps pour l'archer de faire ses preuves. Levant un sourcil devant l'énonciation du nom de sa déesse, le jeune homme fini par afficher un sourire véritablement complice. Au moins devait-il reconnaitre que son interlocuteur connaissait ses classiques religieux.

Soulevant son arc et le prenant en main, le génin porta une première flèche qu'il décocha rapidement. Le marquage au sol devait avoir sans doute était pensé pour l'entraînement des néophytes et il n'aurait guère de peine à telle distance. Aussi, dans l'optique de rajouter un brin de difficulté, mais aussi d'assurer son supérieur de ses capacité, décida t-il , après avoir décoché une seconde flèche de reculer d'une bonne vingtaine de pas. Sur le chemin, l'archer en profita pour présenter la suite de ses capacités.

-Comme je l'ai dis tout à l'heure, je possède également une flûte dont je me sers depuis peu pour diffuser quelques genjutsu. Je suis encore débutant en la matière, mais le temps devrait me permettre de me perfectionner.

La nouvelle parenthèse fermée, il attendit les potentielles réactions de son supérieur tout en avalant les quelques pas restant. Arrivé à bonne distance, une lueur de malice dans le regard, il reprit.

-Vous permettez ?

Faisant quelques pas de côté, Mizuku fit en sorte que Kunao se retrouve parfaitement au centre de la ligne de tir.

-Vous vouliez savoir si j'étais capable de tirer sans vous embrocher, alors peut-être pourrions nous essayer en situation ? La cible est un ennemie, vous chargez et moi je m'occupe de l'handicaper de quelques flèches ?

Écoutant la réponse du Hibou à mes côtés, je le laissais cogiter sur la chose : Demander à son partenaire de faire attention aux flèches ou aux lignes de vue qui se situait dans son dos, c'était paradoxal... Mon affaire était d'abord de survivre contre les fils de pute qui voulaient ma peau, en face. Ce que je voulais donc, c'est voir toute sa maitrise de la chose. Peut-être aussi pour me rassurer un peu... J'avais un talent rare, je pouvais depuis cette mésaventure avec les contrebandiers, sentir quand un danger approchait, mais le plus souvent, c'était en face de moi que se trouvait la cause... Alors si je me mettais à me méfier de mes arrières.

Bref.

Excusant son grade si faible à un âge équivalent au mien par la demande express de sa famille d'avoir un pacte pour rentrer dans l'armée, il invoqua ainsi sa bête : Un bien bel hibou qui vint se poster sur l'épaule de son coéquipier. "Pas mal pour la discrétion, ce plumage." La polyvalence de Mizuku me plaisait de plus en plus, et cette paire d'yeux en plus pouvait lui permettre des tirs bien plus affutés. Lorgnant sur les plumes costales et ventrale, je tombais sur les yeux noir et sombre de la chose qui virèrent bien vite en une succession de spirale qui voulaient m'avaler de leur étreinte hypnotique. Le regard fixé sur le centre, je comprenais bien que quelque chose n'allait pas... "C'est pas sencé marcher comme ça un œil..." Haussant les sourcils, je décalais mon regard sur Mizuku qui m'expliquait un peu mieux la chose, non sans totalement ignorer la mention de la capacité que sa bête avait fait preuve...

"Coquin." Crachant vite le morceau sur le genjutsu, je ricanais sans rien dire alors que nous arrivions au pas de tir : Là, il se mit en position pour faire quelques démonstrations de ses talents. Son premier trait venait de suffisamment près pour que je n'admire pas un seul instant la chose, c'était la distance que je travaillais quand j'étais à la caserne pour mon éducation militaire : Bien que j'étais une quiche pour tirer, je savais que ce n'était pas son maximum... Pas s'il se voulait un vrai archer. Alors, il recula. Peut-être par jeu ? Peut-être par fierté personnelle de montrer jusqu'où il pouvait aller ?
Coupant court à mes pensées, il signala une nouvelle information : Il faisait du genjutsu, comme son hibou. C'était ce genre de capacité qui faisait défaut à Seizan, nous étions plutôt des combattants du réel... Mais c'était la polyvalence qui permettait d'affronter toutes les situations. "Dommage que je ne l'applique pas pour mes propres capacités." Hochant la tête pour montrer mon affirmation, je lui répondais :

- C'est une très bonne nouvelle, on aura besoin de ce type de chose contre nos ennemis... Le vrai défaut de ce mode de diffusion, je pensais, était seulement que je ne pouvais me boucher les oreilles. Je ne connaissais pas vraiment le genjutsu, probablement que l'auteur de la technique pouvait choisir ses victimes ?

Gardant mes réticences et mes questions pour plus tard, je le vis se décaler pour me mettre en ligne de mire : Par réflexe, je dégainais mon katana. J'avais déja eu à faire avec un archer ninja, contre les contrebandiers dans la province des hauteurs... Mon épaule conservait une marque indélébile de l'assaut de cet enculé. Quoi que voulait tenter le jeunot pour m'épater, cela n'allait pas passer par une transformation du chuunin en cible de tir... Sans doute en voyant ma réaction, il précisa son propos.
Je devais foncer vers la cible et lui, il essayait de tirer pour toucher celle-ci. Audacieux, clairement, et je m'approchais de lui, l'air patibulaire avec mon katana à la main, les yeux dans les siens comme dans une menace cachée. Arrivant à sa hauteur, je désamorçais la situation en souriant en coin :

- C'est entendu. Me retournant derechef, je fonçais avec toute ma vitesse disponible vers la cible, situé bien assez loin pour que le Hibou puisse faire un tir, ou deux, s'il était assez réactif !

Tour:

L'arc en main dont la pointe prête à être décochée s'orientait encore vers le sol, Mizuku attendait dans un mélange d'impatience et de crainte, la réaction de son interlocuteur et nouveau chef. Une petite voix intérieure lui murmurait que son attitude pouvait paraitre au mieux arrogante, sinon complètement indisciplinée. Pourtant, il aimait à penser que le jeune homme qui lui faisait face, dans son attitude désinvolte et sympathique, allait relever son morceau d'audace.

Il ne fut d'ailleurs pas déçu. Après avoir montré une certaine vigilance en dégainant à la vitesse de l'éclair sa lame avant de s'avancer d'un pas inquisiteur vers l'Hibou. Yeux dans les yeux dans une redite de duel digne d'une représentation théâtrale. La tension semblait alors grimper en flèche et une fois arrivé à seulement quelques pas l'un de l'autre, l'albinos, avec une vélocité étonnante, finit par relever le défi lancé.

Le temps d'un simple battement de cils, le sabreur avait d'ores et déjà couvert le quart de la distance. Le souffle coupé par ce soudain revirement de situation, l'archer n'eut guère le temps de réfléchir. Faisant place nette à toute idée parasite, il laissa ses muscles parler pour lui. Bandant son arc il n'accorda guère plus d'une seconde à l'ajustage de son tir, confiant en ses capacités de visée. Relâchant sa respiration jusqu'ici coupée, il en fit de même de sa corde. Le trait fusa rasant peut-être de prêt l'épéiste avant de se planter dans la cible. Non au centre parfait, mais désaxée de quelques centimètres sur la droite. Un tir qui en temps ordinaire, aurait paru bien médiocre à l'honorable archer mais qui pourtant ici lui arracha un léger soupir de soulagement.

Ce rendant néanmoins compte de la triste évidence, il ne fit pas mine de décocher un second trait. L'homme qui se ruait tel un fauve été bien trop rapide et il aurait été de mauvais ton que son second assaut atteignit la cible après coup. Mizuku assista donc impuissant aux derniers mètres avalés par son nouveau supérieur. Tentant en vain de déceler la position réelle de celui-ci. Voilà qui risquait de rendre sa tâche bien plus ardue. Trop rapide pour l'espace l'entourant, l'homme entrainait dans son sillage une trainée fantomatique pareille au flou que l'Hibou avait déjà pu observer dans le rasant d'un lac en pleine été. Un flou qui dans l'imaginaire collectif se voudrait particulièrement prompt aux mirages et illusions d'optique. Une information parcellaire que l'archer ne manqua néanmoins pas d'enregistrer.



Levant une main à demi triomphante et plantant, malgré la distance son regard dans celui de son interlocuteur, Mizuku eut une idée aussi bête qu'irrésistible. Il était là pour faire ses preuves après tout non ? Bandant son arc, et prenant le temps d'une respiration pour ajuster sa visée, l'archer décocha un nouveau projectile qui vint se planter avec force au centre de la cible. Il espérait ainsi montrer à son nouveau partenaire sa parfaite lecture des formes. Quand bien même le bretteur serait-il engagé au corps-à-corps, Mizuku serait toujours à même de l'appuyer par quelques flèches.

-Vous êtes sacrément rapide !

Une vérité livrée toute crue, lancée d'une voix suffisamment forte pour être entendu malgré la distance. Baissant son arc, l'Hibou s'élança d'un pas assuré , fier de sa prestation, en direction de Kunao.

Tour:

Une flèche.

Dans ma charge, il avait réussi à mettre un trait sur la cible... Timide, quoiqu'efficace vu la chose. Plantant mon pied droit dans le sol, je pris après la deuxième volée une extension pour sauter et abattre mon katana verticalement sur la cible. C'était le but de la chose et dans mon imaginaire, l'adversaire après pris un coup bien sentis, quoique hasardeux... Dans l'idée, je n'avais qu'achever cette saloperie de créature que j'avais visualisée. Ce Hapi de malheur, rencontré dans les mines de Tsume No Kuni et qui avait utilisé des illusions pour bloquer mon avancée... Une sacrée illusion, même, vu qu'il avait mobilisé le souvenir de mon père et mes petites névroses liés à cela. J'avais une dette de sang envers cette créature et j'avais développé mon esprit pour ne plus connaitre une telle déconfiture... Il restait la technique et le corps, pour être sûr de pouvoir fendre le démon et échapper à ses plumes perverses.

Un peu de paille au sol, j'agrippai férocement la garde de mon arme pour extirper la lame de la cible avant de me retourner. Dans le même coup, je sentis un déplacement d'air et une nouvelle flèche vint se planter dans le centre de l'ennemi factice... Il y avait beaucoup de talent dans cet archer que le village m'avait refilé... "On va pouvoir faire des choses bien." Je sifflais, pour nourrir son égo et le féliciter.
Analysant la réaction du genin, je le vis satisfait de sa prestation et admiratif de la mienne... ce n'était pas l'objectif, mais montrer mes capacités lui permettait sans doute de mieux connaitre sa disposition, ses possibilités et surtout ses besoins en termes de positionnement. La confiance, dans la même idée, ne pouvait que grandir avec ce type de combinaison savante. Rengainant mon arme, je l'entendais féliciter ma vitesse : Ne répondant rien, je le laissais s'avancer avant de donner mon ressenti sur la chose.

- Ta première flèche a subi toute ta surprise et l'inconnu de la situation : Ma vitesse, mon attaque soudaine, ... Ce n'est pas anormal donc ce manque de précision. Lorgnant sur la réaction du garçon, je voulais voir si une fierté mal placée venait vexer ou corrompre la chose... La deuxième était parfaite, je n'ai pas à avoir peur d'une flèche mal placée. Croisant les bras, je venais toutefois apporter un "mais". Je vais enfoncer une porte ouverte, mais en situation de combat le stress, la peur, les éléments extérieurs comme le bruit, les mouvements parasites des alliées et des ennemis jouent... énormément même. Levant la main, je tendais l'index vers le torse de mon compatriote. Je ne m'attends pas au même niveau de précision en combat réel, ne te met pas la pression. Je préfère une flèche bien placée, décisive même, plutôt que deux ou trois qui ne font que peu de différence... Levant les yeux, je regardais le vol du hibou dans le ciel, celui-ci pouvait durablement changer la donne au niveau des informations... De plus, des serres comme les siens pouvaient faire de sacrés dégâts. J'ai tout ce qu'il me faut pour jauger tes capacités... Je demanderai une mission bientôt pour voir la finalité, dans une situation réelle et pas sur un terrain d'entraînement. Une chasse au Yokai, quelque chose de dangereux qui sera pour autant ton travail maintenant et pour le reste de ta vie professionnelle... Plissant les yeux, je revenais sur le visage androgyne du jeune homme en face de moi.

Il avait mon âge, mais je sentais toute la lourdeur de la vie sur mes épaules... Et pas sur les siennes. "Cela va venir ?" Pétillant toutefois en combat, je n'étais pas résigné. Sans doute que quelques années allaient changer la donne, mais j'avais vu pas mal de choses et de connards qui ne méritaient pas la vie. Un yokai faisait peur, même dans la légende noire qui entourait leur présence et leur méfait, mais rien n'égalait le souffle chaud dans notre nuque quand ils étaient proches, ni le frisson de la découverte d'une capacité auquel on n'avait pas pensé... Le genre de compétences ou de techniques qui se révélaient mortelles.

- Maintenant, je te propose de me dire ce que tu as en tête ou sur le cœur : Crainte, réticence, commentaire sur ce que tu veux... Je suis dirigiste pour te tester, mais nous sommes camarade maintenant. Tu es mon partenaire plus qu'un soldat sous mes ordres, j'espère que tu le comprends bien. Adoptant une posture plus détendue, je mis mes deux bras autour de ma nuque, comme un coussin de chair qui laissait reposer ma tête. Ce qui nous sépare, c'est l'expérience... Mais cela va bien vite s'équilibrer, on prend vite la mesure de la chose. Je t'apprendrai ce que je sais et on découvrira ensemble ce que j'ignore... Soupirant, je prenais bien conscience de l'océan d'ignorance qui s'étalait devant moi. Partant ?

Un petit sourire, la journée commençait bien et je sentais que ce duo allait bien marcher... S'il survivait toutefois.

Rejoignant son supérieur Mizuku fini par se planter devant lui, écoutant avec un intérêt non dissimulé les quelques retours. S’il n’était pas pleinement satisfait de sa prestation, il était néanmoins conscient de son incapacité actuelle à faire mieux. La surprise et son temps de réaction demeurait des impondérables avec lesquels il devait composer. Seul restait alors sa capacité à viser vite et juste et sur ce point justement, il avait quelque peu dévié son premier trait.

Une esquisse de sourire naquit alors naturellement sur le visage impassible de l’Hibou lorsque dans ses propres termes, Kunao décrivit le même impair. Ce n’était pas parfait, mais ce n’était pas ce qu’on pouvait attendre de lui. Une flèche bien placée en vaut trois lancées à la va-vite. Mizuku en était parfaitement conscient, mais se trouvait rasséréné de voir que le loup lui faisant face pensait de concert. Une nuance d’inquiétude se tapit néanmoins au fin fond de ses entrailles lorsqu’à l’image de son premier contact, le bretteur réitéra son caractère de jeuniste à la cool. Pas un supérieur et un subordonné, mais des camarades. L’idée avait de quoi être séduisante si elle était bien couronnée de vérité. Les mots ne demeuraient rien de plus, tant que les actes ne les appuyaient pas. Hochant machinalement la tête alors que Kunao terminait son laïus, l’Hibou prit une profonde inspiration avant de reprendre la parole.

-Ce sera un honneur d’apprendre à vos côtés. Et pour tout à l’heure… Il est clair que j’ai été déstabilisé pour ma première flèche, ce qui explique que le résultat n’ait pas été parfait. Pour autant, en combat réel, ce trait aurait… du moins je le pense… été précieux. Quand bien même aurait-il été raté, il aurait au moins servi à capter l’attention de la cible, ne serait-ce que quelques secondes. Vu votre vitesse, ces quelques secondes auraient pu lui coûter cher !

Point d’égo mal placé à déceler dans cette énumération logique de faits. Le simple commentaire d’un féru de stratégie, essayant d’appréhender plus pleinement ce qui allait devenir son quotidien. Conscient du caractère indocile que pouvait revêtir son intervention, il venait tout de même de prendre le contrepied de son supérieur, il ajouta avec un certain empressement.

-Mais une fois au corps à corps, un trait bien placé vous sera bien plus utile qu’une avalanche de projectiles inutile. L’adversaire quel qu’il soit sera forcément plus absorbé par la menace imminente de votre lame plutôt que d’un trait hypothétique.

Laissant fleurir un sourire gêné il justifia.

Désolé, vous avez bien plus d’expérience que moi en combat et peut-être que mon raisonnement ne répond qu’à des suppositions idiotes. Une sorte de mauvaise habitude que je pourrais sans doute justifier par ça.

Tirant sur son col, Mizuku en tira une petite statuette en bois qui pendait autour de son cou. La figurine, qui n’avait sans doute pas était pensée comme un collier, représentait un hibou reposant sur une branche. Si aucune inscription ne venait appuyer le propos, la référence à Omoikane en restait parfaitement évidente, du moins aux yeux du jeune adepte.

-En tout cas. Je pense qu’il va falloir que je reprenne sérieusement l’entraînement à l’archerie. Suivant les angles et les mouvements, je me trouverais dans l’incapacité de vous appuyer sauf peut-être si…

Laissant s’éteindre sa phrase en même temps que sa voix, le petit éclaireur venait d’entrevoir les bornes d’un monde nouveau. Peut-être pourrait-il essayer de perfectionner son art en faisant sienne une technique particulièrement ardue. Il avait déjà vu sa sœur user de pareil stratagème pour atteindre des cibles se trouvant sous le couvert d’un arbre. Utiliser un second trait pour modifier la trajectoire d’une première. S’il parvenait à faire sienne cette compétence, il serait alors capable d’atteindre son ennemie quand bien même le bretteur se trouvait au corps à corps… Mieux encore ! Il pourrait s’habituer à ce que les traits atterrissent dans le flanc ou le dos de la cible afin d’éviter le plus efficacement possible les tirs alliés.

Le regard profondément perdu dans les vagues d’un océan imaginaire et l’esprit tournoyant dans les airs au rythme du battement d’ailes de Mara. Mizuku demeurait statique le temps de son intense réflexion, en oubliant presque la présence de son  camarade.

Concentré, j'écoutais le genin disposer des suppositions et autres idées sur le cheminement et de sa flèche, et de notre combinaison.

Sur le papier, il avait raison... Sur une cible unique, mais la chose pouvait changer contre un essaim ou une meute. Le nombre d'ennemis pouvait parfois exceller le nombre de flèches disponible : Il fallait alors effectuer un exploit, faire qu'un trait fasse un mort pour égrainer le tout... Le reste n'était qu'un détail. Je lui faisais ainsi part de la chose :

- Oui, Mizuku, effectivement toute flèche peut se révéler utile, au moins pour attirer l'attention. Ce n'était donc pas un trait inutile que tu as raison et en combat réel, je serais bien content de voir ma cible se faire pointer ainsi. Gardant un petit silence, j'organisais plus efficacement le reste de ma phrase. Je vais surtout transposer ma vision du kenjutsu sur ta technique d'archerie, loin de moi l'envie de te dire quoi faire... Comme je l'ai déja dis, j'ai été très mauvais à l'académie sur cet art. C'est le bon geste, donc. Avec un katana, il faut éviter les gestes inutiles, parasite, en recherchant le coup parfait, ou en tout cas qui se rapproche le plus de la perfection. Une coupe droite, sinon la lame peut riper sur un os, ou un élément extérieur comme une corne ou autre chose. Regardant la réaction du garçon, je continuais. Donc ce que j'attends de toi, c'est le tir parfait, mais comme je t'ai déja dis : en combat réel, je n'attends pas le même niveau de précision... Suis-je un chef paradoxal ? Qui ne sait pas ce qu'il veut ? Peut-être un peu, mais ce n'est pas la question. Nan, ce qu'il faudrait que tu fasses en mission, c'est de toujours garder l'esprit vide et le corps léger pour tendre vers le coup parfait, la flèche qui compte et qui est décisive... Si contre plusieurs ennemis, tu arrives à donner à toutes tes flèches un caractère mortel, alors tu pourras te dire que tu nous as sauvés la mise...  Ton carquois à une limite, mais pas toi en tant qu'artiste martial. Le reste suivra, et j'en serais satisfait.

Si cela comptait, toutefois, la satisfaction que le chef donnait à son condisciple.

S'excusant rapidement, le soldat justifia sa réaction par sa personnalité et son pendentif, symbole d'une divinité bien connue à Seizan : Il avait déja énoncé Omoikane, mais au vu de cet accessoire, je comprenais bien vite tout le sens qu'avait la religion dans sa vie. Un truc de famille, encore ? Comme le lien avec le hibou ? Je n'en savais rien, mais le choix de la flèche comme arme principale prenait plus de sens dans mon esprit.

- Tu fais bien de toujours réfléchir à mieux, avec l'expérience et la pratique, tu arriveras à tes propres résultats et idéaux sur le combat et le travail d'équipe : J'ai ton âge, je suis donc aussi paumé que toi, tout ce que je vois, je le vois par le prisme de mon vécu de sabreur et de ma perception de combattant... On pourrait se dire que Hachiman guide mon bras, mais si ta voie est celle de Omoikan, alors tu peux arriver à une autre finalité que moi. Avec ton arc, tu as un point de vue plus large, ça te servira. De toute façon, qui étais-je pour totalement diriger quelqu'un de A à Z ?

Le genin était assez intelligent pour trouver sa propre voie, je ne pouvais que le conseiller et lui indiquer ce que moi, je voulais pour notre combinaison, vu que j'étais en première ligne... Il me servait, comme je le servais.

La codépendance, en somme.

Très vite, il expliqua qu'il voulait plus s'entrainer et mieux pratiquer pour éviter tout tir ami... Il partit assez vite, les yeux dans le vague, dans une réflexion silencieuse et j'analysais un bref instant le tout sans le couper. Si Omoikane guidait son esprit, alors il pouvait aller bien loin dans les plans et les organisations. Le combat demandait de l'instinct, de la vitesse folle de réaction, comme si le bras parlait tout seul... Mais de sa position, il pouvait réfléchir et établir mieux les choses. Nous étions deux entités différentes, par nos prestations, mais je pouvais déceler déja une complémentarité utile : L'intelligence et l'instinct, tout en apportant des choses à l'autre. Si j'apprenais à mieux créer, à l'avance, cela ne pouvait être que mieux et s'il poussait son instinct vers d'autres horizons, il pouvait devenir plus rapide et assuré, affinant son jugement par un autre prisme que le simple esprit pratique.  Grognant pour le faire revenir, après quelques minutes, je lui indiquais de nouveau la cible :

- Nous pourrions nous entraîner, établir des plans de charge : "Si je zig zag, tu peux faire tel tir..." ; "Si je fonce tout droit, un autre..." ; "Si je saute, passer sous moi..." Que sais-je ? Juste passer d'une réaction à mes actions à un plan plus... précis.   La combinaison ne pouvait que s'affiner avec le temps passé à mieux connaitre le partenaire...

De plus, je gagnais en vitesse avec l'entrainement et le pauvre archer allait devoir redoubler d'efforts pour passer outre le flou cinétique qui était devenue une armée invisible. Ainsi, tirer entre plusieurs Kunao, dont seul un était vrai, cela pouvait déboussoler la plupart des combattants...

- Bref, on trouvera ! Rentre chez toi, mettre de l'ordre dans ta tête, tu as l'air déja en pleine réflexion... Je te ferai appeler dans les prochains jours pour commencer notre entraînement commun. Tapotant l'épaule du pauvre bougre, je tournais les talons en m'éclipsant, lui faisant toutefois un signe de main, sans même le regarder.

J'étais cool, ouais !

L’art de l’épée tout comme celui de l’archerie répondaient aux mêmes fins, mais avaient dans la perfection de leur mouvement, une tout autre approche. Dans les deux cas l’objectif revenait à donner la mort. Mais là ou le bretteur se devait de faire le vide en son esprit pour laisser parler l’expérience accumulée par ses muscles. L’archer devait quant à lui garder les idées claires. Certes, il pouvait se reposer sur ses acquis musculaires pour faire le gros du travail, mais tout aussi important demeuraient son analyse et la bonne lecture de la situation. Calculer la trajectoire, l’angle, la résistance du vent et la courbe nécessaire aux vues de la distance. C’était dans ce savant calcul que le tireur affirmait le plus pleinement son art. Tout le monde pouvait projeter un trait et toucher sa cible. Seuls les meilleurs étaient capables de le faire en ne prenant guère plus le temps que d’encocher une flèche pour accomplir l’ensemble des calculs. Bien que depuis longtemps entrainée à cette fin, Mizuku avait encore bien du chemin à accomplir avant de pouvoir se prévaloir d’une telle expertise. Un postulat que son nouveau supérieur semblait avoir parfaitement saisi. Coupé dans les méandres de ses pensées, l’Hibou reprenait place en ce monde et écouta sans perdre une miette les retours de son collègue.

-C’est sûr que ma position m’offre probablement une meilleure vision d’ensemble. Mais ça peut aussi s’avérer traitre. À distance, il est très difficile de ressentir l’intensité d’un combat.

La suite du discours de Kunao fut rassurante pour le jeune soldat en devenir. Il comprenait et même encourageait cette habitude bien propre aux Okiyama. Réfléchir pour améliorer. Ne jamais faire preuve de suffisance en imaginant posséder la meilleure des réponses. Toujours rester prêt à modifier ses perceptions pour s’ouvrir à un tout nouveau champ des possibles. À l’image d’un joueur élancé dans une partie de Shogi, le guerrier devait sans cesse retourner sa manière d’appréhender le plateau, s’il espérait pouvoir entrevoir le mouvement clef. Un sourire s’épanouit à nouveau sur le visage du jeune homme, alors que de son côté le loup s’en référait à Omoikane.

-Je crois que vous venez de résumer ce qui fait l’essence même des enseignements d’Omoikane. Nous ne nous connaissons que depuis quelques minutes, mais je peux déjà dire que je suis très heureux que nos routes se soient croisées. J’ai hâte de pouvoir me perfectionner à vos côtés.

Répondant à ses propos, Kunao proposa quelques exercices pratiques devant permettre d’huiler un peu plus cette toute nouvelle machine. Toujours le sourire aux lèvres, Mizuku accepta sans mal et après un bref aurevoir scellé d’un signe de tête il se retrouva seul au milieu du terrain. Regardant son nouveau compagnon s’éloigner, il porta par mécanisme la main à son pendentif.

-Quelle drôle de rencontre m’aviez-vous préparée…

Relâchant son étreinte l’archer tourna les talons, prêt à retrouver la douceur de son foyer. S’arrêtant après quelques pas, celui-ci se retourna pour décrocher un regard en direction de la cible qu’il avait attaqué plus tôt. Tirant une nouvelle flèche de son carquois, il banda son arc, relâchant presque aussitôt son trait. La trajectoire poursuivait une courbe simple qui aurait atterri bien au-delà des bornes du terrain. Avec toute la sagacité dont il était capable, l’Hibou s’empara d’une seconde flèche et banda au plus vite et au plus fort. Tirant la langue face à l’effort intellectuel, il ajusta au mieux sa visée avant de laisser filer son trait. Le second projectile, lancé bien plus fort, parvint sans mal à rattraper le premier et vint même le percuter. En revanche, ceci n’eut pour résultat que d’entrainer la chute en spirale du premier, tout en ne freinant que de peu le second.

Laissant échapper un soupire, Mizuku prenait pleinement conscience de la montagne qui se dressait face à lui.