En dépit des actes qui l'avaient façonnés, l'existence de Masahiro s'était révélée on ne peut plus tranquille depuis qu'il avait rangé sa vie sous la coupe de Togegakure no Sato. Une vie faite de choses simples, attelée au devoir, qui ne lui laissait que bien peu de marge de manoeuvre en dehors de ses passes d'armes militaires — un fait probablement voulu par plus haut, qui ne souhaitait certainement pas voir le Togejin allouer de son temps libre à la fouine d'un passé peu reluisant. Loin de s'y opposer cependant, car s'ennuyant facilement loin de ses prérogatives, il s'était accommodé de cette vie de ninja qu'il ne trouvait guère incongruente pour qui ne vivait plus que par le sang et l'acier.

Pourtant, et pour la première fois depuis bien longtemps — si longtemps que sa mémoire lui faisait défaut, à vrai dire, un grain de sable était venu s'enrailler dans les rouages de son quotidien bien huilé. Si Masahiro était un solitaire occupant une bien trop grande demeure pour un homme de sa trempe, il s'évertuait de garder toutefois un contact épistolaire avec quelques unes des rares connaissances qu'il s'était faites ça et là au cours de ses pérégrinations. S'attendant à recevoir la réponse d'une vieille connaissance, c'est une missive anonymement signée qui était venu se perdre jusque sous le pas de sa porte, en lieu et place du modeste perchoir à hirondelles jouxtant sa demeure improvisé en boîte aux lettres de fortune dans laquelle il recevait plus habituellement ses correspondances. Simple erreur ou fruit du hasard ? Le cachet n'étant pas signé, Masahiro ne s'était guère embarrassé d'ouvrir le message pour en découvrir le contenu — bien que ses supérieurs n'aient jusqu'alors jamais usé de cet artifice pour le mettre dans la confidence, la possibilité non-nulle que cette missive recèle d'informations confidentielles relatant d'une probable prochaine mission avait suffisamment piqué sa curiosité pour le pousser à franchir le pas.

Mais dans la missive, il n'était à sa grande surprise nullement fait mention d'une quête ou d'un acte de mission. A la place de la charade officielle à laquelle il s'était attendu, plusieurs jeux de pistes et énigmes allaient occuper ses soirées qu'elles avaient réussies à rendre passablement haletante — et les pièces du puzzle, recoupées après plusieurs soirs de réflexions, l'amenèrent enfin à la lumière d'une réponse.

Ou plus particulièrement, d'une autre piste.

Il n'était guère commun pour Masahiro de demander du repos à ses supérieurs, et bien que sa requête fût reçue comme inhabituelle, personne ne s'opposa à ce qu'il prenne quelques jours loin de l'embargo quotidien de son devoir. Il prétexta devoir rendre visite à une connaissance tombée malade depuis peu à qui voulait l'entendre, afin que son absence passe pour relativement inaperçue et ordinaire au sein des casernes de l'épine ; mais une fois seul, le Chuunin de Togegakure se préparait pour un voyage d'un peu plus longue haleine. Tout semblait indiquer dans le message codé que le fruit de sa quête personnelle se trouvait non-loin d'un campement délaissé de Neppu no Kuni, une contrée se trouvant à plusieurs jours de marche du village caché. Deux semaines d'absence lui suffiraient à boucler le voyage, pensa-t-il, s'étant même accommodé d'une marge pour se laver de tout soupçons au cas où des imprévus s'inviteraient à ce rendez-vous auréolé d'un certain mystère.

Mais le shinobi n'était pas dupe, surtout lorsqu'une note anonyme lui faisait part de monts et merveille sans que rien ne soit stipulé en échange. Après avoir mené son enquête près des grandes portes du village à l'amont de son départ, il en déduisit bien rapidement qu'il était le seul Togejin à qui cette missive soit parvenue — ou, à défaut, le seul Togejin qui avait été à même d'en déceler le message caché entre ses lignes. Aucunes allées ou venues inhabituelles ni aucune autre mise à pied signifierait à n'en point douter qu'il serait le seul représentant de son village pour ce voyage, en dépit du fait que la missive mentionnait la présence d'autres personnes. La question n'eût pas besoin de mûrir bien longtemps dans son esprit qu'une réponse lui vint déjà, toute trouvée ; il arpenterait les terres de l'Onogoro aussi anonymement que le commanditaire de la missive s'était adressé à lui, et cacherait toute trace relative de son appartenance à Toge, au moins dans un premier temps, pour ne pas avoir à impliquer directement son village dans ces évènements encore nimbés de brume. Ses préparatifs en amont ayant déjà couvert les raisons véritables de son voyage, il n'aurait certainement pas à s'embarrasser d'être pisté ou soupçonné de quoi que ce soit. Il ne s'attendait bien sûr pas à devenir tout à coup un fantôme sans passé foulant les terres, mais avait semé suffisamment de fausses pistes pour que ces jours à venir lui soient d'une tranquilité certaine. Un pari osé, certes, mais l'estimait-il nécessaire pour le bien de tout un chacun — et surtout, pour avoir à assumer seul les conséquences d'une erreur s'il s'avérait qu'il se jetait droit dans la gueule du loup.

Ainsi, il s'était affublé d'un masque dont il avait travesti l'origine Togejin avec des artifices de sa propre confection, qu'il ornementait de motifs représentant des magatamas en guise de trou pour les yeux, afin de dissimuler son visage ; son corps, lui, avait été couvert par un simple drapé noirâtre de modeste facture, reprisé au niveau de la nuque pour lui ajouter une extension servant de capuche qui couvrirait ses cheveux blonds en bataille — un ajout bien pratique si la pluie venait également à se mêler de son voyage au coeur des terres. Son Chokuto l'accompagnerait pendant la durée de son absence afin de pallier à toutes éventualités durant le trajet, rangé dans un fourreau de bois qu'il avait dissimulé sous ses tissus ; sa lance était restée quant à elle sur place afin de ne pas attirer l'attention. D'une part, sa taille certaine rendait son transport discret difficile, s'ajoutant au fait que son utilisation pourrait se révéler être un facteur déterminant sur la découverte de son identité. Ses préparatifs bouclés et quelques vivres empaquetées dans sa besace, le shinobi se mit enfin en route ; de nuit, par prudence, empruntant la porte de l'uns des axes tertiaires marchands du village le plus proche de sa demeure. Le garde de nuit en poste étant l'une de ses connaissances, il ne fût guère difficile d'acheter son silence contre une bourse de quelques ryos sous-pesée, ainsi qu'une ligne dans le registre des sorties du village faisant mention d'une toute autre heure dans l'après-midi. Il serait la seule personne mise dans la confidence.

Maintenant libre de vaquer jusqu'au lieu du rendez-vous, Masahiro pressa le pas dans la nuit noire, s'enfonçant dans les bois lugubres jouxtant les sorties de l'épine afin de rallier au plus vite l'endroit de toutes ses convoitises.



Sautant d'arbres en arbres pour rallier sa destination, Masahiro touchait désormais au but. Si le voyage s'était passé relativement sans encombres, sa rencontre avec quelques bêtes sauvages l'avaient ralenties sur ses espérances d'arrivées de quelques heures ; il avait cependant coupé au plus court, ne s'autorisant pour seule déviation qu'une courte visite sur l'ancien domaine familial dont il s'était permis de refleurir la sépulture. Le large drapé noir sous lequel il avait pris soin de dissimuler son armure de shinobi avait été déchiré par moults endroits ; des traces de crocs, griffures ou tout simplement le tracas des branchages insidieux de la grande forêt des pins de Toge avaient donnés à sa tunique de voyage l'apparence d'une faucheuse, parcourant les bois à la recherche de la victime de son prochain méfait. Une faucheuse, peut-être, mais une faucheuse armée d'un Chokuto qui, bien que dissimulé sous le carcan de tissus qu'il revêtait, ne laissait guère de doute sur sa fonction véritable.

Arrivé à l'orée de la clairière marquant l'étape finale de son voyage, Masahiro ralentis le pas brusquement ; s'il n'était pas un ninja sensoriel, sa fonction de Togejin l'avait toutefois habitué à la communion avec l'environnement forestier — pas suffisamment pour confondre des animaux sur leur propre territoire, mais au moins assez pour déceler la présence d'autres êtres humains. Ainsi, les traces fraîches laissées à même la boue ne furent pas bien difficile à décoder pour lui, qui en déduit qu'il n'était pas le premier arrivé sur les lieux. Peut-être même que ces autres personnes, elles aussi alertes, s'étaient préparées à son arrivée. Jugeant la discrétion totale comme malvenue, à plus forte raison inutile en présence d'autres personnes qu'il estimait certainement être de sa trempe, il se laissa tomber de la cîme de la plus haute branche sur laquelle il avait élu domicile le temps de sa courte réflexion. Plutôt que de s'évertuer à un plan d'action qui s'avèrerait probablement en décalage certain avec les intentions réelles du commanditaire de la lettre, il préféra se dévoiler au grand jour au reste des "élus" déjà sur place. Sans vraiment prendre la peine de les saluer au-delà du hochement de tête significatif et singulier, le Masahiro masqué se tint comme convenu sur les lieux du rendez-vous, prêt à improviser si la situation venait soudainement à l'exiger.