- Un ours ? La bouche un peu ouverte, je fus littéralement surpris par la nouvelle.

On m'envoyait chasser du Yokai dans un village, à Tetsu, et puis maintenant, je revenais aux fondamentaux avec une histoire de bête sauvage à chasser comme si on était des paysans ? "Je sais bien qu'on peut pas tous les jours avoir une mission intéressante, mais quand même !" J'avais l'impression d'être mis au placard, entre la pêche aux infos et la traque aux ursidés... C'était le calme plat, l'ennui presque. Les bras croisés, j'attendais devant la secrétaire qui me regardait avec un air goguenard, comme si je méritais ce qui m'arrivait. Mon rapport était si désastreux ? Ou bien mon camarade m'avait niqué dans mon dos avec sa propre déclaration ?
Patientant en repassant le fil de la mission dans la mine macabre, je frissonnais encore devant les souvenirs sardoniques de mon père qui apparaissait devant mes yeux : C'était dingue, triste et presque miraculeux que j'ai pu sortir sans blessure de cette entrevue avec le diable. C'était pourtant une question de temps avant que j'aille récurer le fond des entrailles de cette saloperie d'oiseau qui m'avait pris pour un enfant... Je m'étais placé, dès mon retour, sur n'importe quelle mission qui regroupé des morts mystérieuses, des mines et surtout du poison détecté. Un combo presque infaillible qui allait me ramener devant l'homme-piaf de malheur et ses cadavres putréfiés.

Pour l'instant, je me retrouvais avec maman ours.

Le sang un peu échaudé par la nouvelle, je fus étonné de voir débarquer mon ancienne tutrice, Hotaru, dans le hall du bâtiment principal... Je devais attendre un coéquipier, mais je ne savais pas que c'était une coéquipière ! Venant vers moi, un bref salut de la main comme symbole de la réception, elle fut également informée trop tard qu'on allait faire équipe. Un nouveau briefing pour la belle et on pouvait partir pour faire déguerpir l'animal sauvage.

- Normalement, c'est à Kuma No Kuni qu'on trouve ces machins, mais il s'est installé si près du village... L'instinct sauvage faisait parfois mal les choses. Bon, et bien en marche ! On va se chercher un nouveau tapis de sol. J'étais visiblement de mauvais poil, et elle aussi... La fatigue ? Ses yeux criaient la colère d'avoir été réveillé alors que depuis mon retour de mission à Tetsu, je sentais que j'avais trop dormi.

La pesanteur était dure à tenir.

Sur le chemin, je me mis comme mission de savoir un peu mieux ce qui donnait cet air si colérique à ma compagne du jour :

- Hmm... Vous allez bien ? je vous ai quitté il y a quelques jours avec la promesse de travailler ensemble, et maintenant, on se revoit ! Et pourtant vous semblez bien... Affligée. Je ne savais pas trop quoi mettre comme terme à la fin de ma phrase. Enfin, fatiguée quoi, peut-être que c'est juste le matin. Mettant mes mains derrière ma nuque, j'essayais d'avoir l'air le plus évasif possible pour ne pas la gêner... Des problèmes de filles ?

Pour un garçon de dix-neuf, je n'étais pas vraiment au courant de ce qui se passait dans l'organisme des demoiselles tous les mois, ni les conséquences certaines... Je savais juste que ma mère était un peu tendue à certaines périodes, sans vraiment savoir pourquoi. Je mettais ça sur le compte de la fatigue, ou bien de la perte, lointaine certes, de son mari... Ainsi, je ne disais pas grand-chose. Courbant le dos comme un bon fils.
Attaquer de but en blanc le sujet n'avait pas été ma meilleure idée : Parler n'était pas mon fort, en tout cas pas avec une coéquipière... Si j'arrivais à gagner de la nuance avec des suspects ou des ennemis, mes amis avaient le mérite d'avoir ma sincérité, pour le meilleur comme pour le pire. Soupirant, je me permis de plutôt amorcer doucement avec mon ressenti :

- Récemment, j'ai dû faire face à un gros Yokai qui a bien blessé mon camarade, du coup je me sens un peu lésé quand on m'envoie taper de l'ours. Encore une bourde ? Je ne dis pas que c'est un travail indigne hein, ni que je ne suis pas content de travailler avec vous !

Pauvre moi qui ne savais pas parler... Et surtout pas à un ainé.

Un léger silence naquit entre nous : Si j'avais cherché à créer une discussion et à motiver un peu les troupes, composés de nous deux, la réponse de la dame m'avait soufflé net. Sans le signe d'une quelconque colère, ou vexation, je continuais à marcher en regardant mes chaussures se profilaient au-dessus de la dynamique des cailloux et de la terre.

Il valait mieux la laisser seule.

Nos pas nous conduisirent ainsi jusqu'aux plaines sous le village : Du vert, du vert et encore du vert qui avait profité des neiges hivernales, maintenant dissipées quelque peu, pour avoir de l'eau et une protection contre le froid glaciale. Si la vue était plus agréable que les longues pistes grises de la montagne, le terrain était quelque peu boueux : L'humidité ambiante faisait son travail. Au-dessus de nous, le manteau blanc subsistait sur les pentes, mais le bas des vallées n'avaient pas cette chance. Il y avait encore quelque temps avant la fin de la saison, le printemps serait une respiration pour les habitants des sommets qui grelottaient dans leurs chaumières. Scrutant le terrain, je cherchais des traces : Des pattes, de lourdes pattes qui pouvaient pousser et tirer la carcasse pleine de poil d'un ours. Si devant moi s'étirait la preuve d'une présence de loups, d'élan et de quelques rongeurs très léger, rien n'indiquait l'ursidé tant recherché... Peut-être plus loin.
Ramenant mon sac un peu mieux sur mon dos, je continuais à marcher : Si l'odeur était une information que je ne pouvais pister, les bruits restaient une valeur sûre. Un ours, cela faisait un sacré tapage quand ça se déplaçait entre les arbres. Il fallait avouer que j'étais plus à l'aise pour ce genre de situation que pour discuter, et sans doute que ça se sentait. Soupirant, malgré tout, de mon incapacité, je continuais ma route en cherchant à être le plus utile possible à mon ainé, aussi chuunin, qui devait faire sa part dans l'entreprise de son côté.

- Je trouve rien. Une constatation qui ne m'empêchait pas de continuer à fixer mes orteils pour trouver une piste alors que nos pas s'enfonçaient autant dans les chemins de forêt que dans la boue.

Si le végétal était vivant, et bruyant, rien n'indiquait clairement la présence d'un ursidé dans les parages : Il devait être dans sa caverne, bien au chaud. La vraie question était alors : Qu'est-ce qu'il mangeait ? Il avait fait un garde-manger comme les écureuils ? J'admettais bien vite que c'était secondaire, ma mission était de buter l'ours... Ou bien de le chasser ? Le pauvre n'avait rien demandé, il voulait juste survivre dans un endroit qui lui apportait de la sécurité, et maintenant on allait le tirer de là ? L'idée pouvait alors s'apparenter aussi au Yokai dans la mine, mais lui était un démon et il avait assassiné bien des civils. "C'est différent, complétement." Rejetant l'idée d'un parallèle de la nature, je me concentrais plutôt sur l'ours.

S'il fallait l'abattre, alors tant pis.

C'est avec cette révélation que je pus observer, comme un présage, la première trace d'une patte plus grosse que le reste : cinq orteils dans une base assez courte, plate, et surtout encadré de trois autres empreintes. Un quadrupède, lourd.

- On est sur la voie. Des paroles courtes, informatives, efficaces. Histoire d'être plus professionnel que précédemment. Il n'y avait qu'à suivre cette piste pour déboucher sur l'animal...

Il y avait des Yokai qui ressemblaient à des ours ?

- Merde...

Dans la neige fraiche, la vie se déroulait comme prévu : Les animaux se reproduisaient et les petits étaient vulnérables, dépendant de leur mère... Notre mission pouvait se compliquer, si la morale entrait en jeu. Soupirant, je m'accroupissais pour vérifier la chose : Oui, c'était petit. Plus petit que ce que je savais des ours... Alors, il y avait des oursons et je devais faire un choix, comme Hotaru à mes côtés, sur la marche à suivre. Tuer, chasser, ou génocider toute cette petite famille.

- On pourrait juste... Le bastonner, histoire qu'il ne vienne plus dans les parages. Tuer la génitrice des petits, c'était les condamner à la mort. Ils ne savaient peut-être pas chasser, ou bien ils étaient encore trop jeunes pour être assez lourd et fort pour se défendre contre des prédateurs.

Un choix cornélien qui me laissait silencieux après ma phrase, comme en pleine réflexion sur la marche à suivre... À mes côtés, Hotaru avait équipé son arme et transformé déjà son outil démoniaque selon ses vœux. Elle était prête au combat, mais jusqu'à quel point ? Une grande respiration, et je calmais ce cœur trop gentil pour la tâche qui m'était confié.
Rapidement, la cible fut en vue : Nulle trace de sa portée, mais la grande stature de l'ursidé laissait déjà dubitatif. Elle avait passé l'hiver à hiberner ? Vraiment ? Grande, forte, le tas de viande sonnait comme un gros morceau à affronter... La nature, loin des yokai, était quand même dangereuse et il ne fallait pas l'oublier au contact des engeances démoniaques qui peuplaient l'Onogoro. Un murmure, derrière moi, mon ancienne mentor qui me demandait si j'étais prêt et...

- Depuis toujours. C'était en réfléchissant trop qu'on subissait des échecs et des blessures.

Un premier pas dans la neige dure, compacte, suivit d'un autre et je fonçai sur le poil ténébreux. Rapide, je cherchais à clore le duel vite, en visant la nuque, mais l'animal se retourna vivement au bruit de mes chaussures dans l'élément neigeux et riposta d'un coup d'épaule dans mon torse, alors que ma lame était levée pour frapper... Coupé dans ma dynamique, je me retrouvais le cul trempé et le bras encore levé, comme surpris de la démarche.

"Merde."

Se jetant sur moi, l'ursidé chercha à mordre la viande que je représentais avec sa grosse gueule, mais je roulais sur le côté gauche pour compléter ma panoplie de bonhomme de neige, mais également pour me replacer...

- Hotaru, à toi. Si je pouvais me placer efficacement, faisant un bien bel appât, la dame n'aurait qu'à frapper dans le dos de l'ours pour le tuer, ou bien l'assommer.

"Mais comment porter autant de poids ?"

C e n'était pas la question et je jetai vivement cette interrogation pour me concentrer sur la prochaine attaque de l'ursidé. Intelligente, la mère me regarda un instant pour jauger ma dangerosité... Elle, elle devait réfléchir au sort de ses garçons, si les animaux avaient conscience de toutes les facettes du danger. Sans doute pas, car elle se jeta sur moi pour essayer un coup de patte qui, s'il m'avait touché, aurait pu me couper en deux. "Pas mal."

Heureusement qu'on était deux face à cette montagne de muscle.

"Aoutch."

Le combat continuait et la neige au sol se muait en un vrai chaos : Les flocons vibraient dans l'air alors que l'ours reculait devant l'attaque de Hotaru. Une frappe efficace qui m'avait donné un peu d'air. Elle se plaça entre moi et l'adversaire animal, sans profiter des failles possibles, mais je ne me formalisais pas : Ce n'était pas fini et il y aurait d'autres moments pour être décisif.
Revenant sur mes pattes, je répondais à la question de la dame... Elle m'avait demandé si j'allais bien, comme si un gros nounours allait me donner du fil à retordre. "Dans les faits, c'est le cas... Quel looser." Serrant les dents, pour autant, je gardais mon légère colère pour moi :

- Oui, ça va. J'ai trébuché. En position, je me préparais comme la chuunin qui m'accompagnait au prochain assaut de l'animal. Celui-ci arriva bien vite et Hotaru bloqua le tout avec son bâton...

Moi, derrière, j'assistais à ça en observant pour prendre la bonne décision : Un nouveau coup et l'ours recula, sans doute pour revenir tout de suite. Les coups de l'arme de ma camarade étaient percutants, mais les dégâts n'étaient pas forcément au rendez-vous. Courant latéralement, je suivais la direction prise par la belle : Elle distrayait la maman alors que j'essayais de me positionner derrière elle.
L'étau, un coup vieux comme le monde, mais qui avait eu raison de bien des adversaires : On ne pouvait pas se défendre sur deux directions, surtout quand on était un quadrupède. Usant de ma vitesse, je ne laissais derrière moi qu'une trainée de neige et ce voile flou qui me suivait quand je donnais un peu du moins. Le "crouch crouch" sous mes semelles pouvaient alerter n'importe qui, mais si la conscience de la bête était tournée vers ma coéquipière, alors tout allait bien se passer.

Le dos de maman ours en visue, je me préparais à l'assaut : Une fois l'ursidé aux prises avec la belle, j'allais pourfendre le tout... Malheureusement. "Désolé pour tes petits..." Comment expliquer à un animal qu'il était sur le mauvais territoire ? Une histoire de survie qui s'opposait à la pleine propriété et la sécurité d'un village proche. Une vraie tannée qui nous amenait à exécuter une pauvre bête, mais c'était le prix de l'hiver pour tous...

- Quand faut y aller...

"Et moi qui voulais jouer l'appât."

Voilà que je me faisais houspiller, car je laissais de la latitude pour ses affaires, en position, je vis ainsi la bête se mettre sur ses pattes arrière comme pour écraser Hotaru de toute sa hauteur et son poids. "En voilà une faille." Au cri roque de la belle Oomori, j'avais foncé, délivrant toute ma vitesse, pour surgir à quelques centimètres des pattes de l'ursidé et bondir. Si couper les tendons étaient une bonne affaire, ce n'était que perdre du temps pour la vraie cible de ma dynamique : La tête.
Profitant de l'énergie cinétique vers l'avant, je vins m'écraser au sol pour transphaser cette vitesse vers le haut, comme une aide à l'impulsion qui m'amena plus haut que la distance habituelle de mes extensions. Une bonne chose, vue la taille considérable de la maman ours. "tant pis pour les oursons..." Sans solution sous la main, et avec la menace des griffes et des crocs qui pouvaient nous déchirer à chaque instant, il fallait arriver à la finalité suivante : Exécuter sommairement l'animal. Non pas que je pensais que c'était un véritable danger, Hotaru ou moi n'étions pas vraiment inquiété, outre mesure, par elle. Ma coéquipière avait été blessée en cherchant à me protéger, mais sans cela, elle aurait été pimpante.

C'était ma façon à moi de ne pas me sentir coupable.

Ainsi, dans les airs, j'avais armé mon katana pour atteindre la base du coup de l'ursidé : c'était épais, musculeux, mais l'intention n'était pas vraiment de trancher dans le vif, mais bien de pénétrer la chair pour laisser la gravité faire le reste. Le fil de la lame vers le sol, j'agrippai la garde de mon arme pour planter le tout dans la nuque de la maman ours... Un gémissement, de surprise et de douleur, avant que le temps ne passe, et que je descende rapidement. Forçant mon poids sur le katana, en plaçant mes bras tendu sur l'appui que formait l'arme, je vis ainsi le tout céder avec force sang... Mon poids n'était pas important, mais la matière qui servait de résistance à ma chute n'était pas connue pour son importante solidité, surtout quand ce qui descendait était une lame tournée dans le sens de la chute...

Peau, veine, chair, muscle... Tout y passé et je sentais, dans la cavalcade d'une bonne seconde, que la lame ripait sur les os pour changer de trajectoire, quelques degrés à droite, sans s'arrêter. Atterrissant presque doucement, je clôturais mon incartade dans le corps de la maman en déchirant l'arrière d'une cuisse... Du sang couvrait la neige et un hurlement extrêmement douloureux à mes oreilles apparut dans la forêt.

- De quoi attirer un Yokai... Soupirant, je reculais, car la bête tomba honteuse sur le côté, déséquilibré maintenant que son dos et sa jambe droite était en lambeau. "Un peu ma faute..." Gémissant dans la flaque de pâte rougeâtre, la pauvre maman attendait piteusement que quelque chose se passe.

Sa patte encore saine cherchait un appui, mais le reste du corps ne suivait pas. Soupirant, j'avançais pour caresser de ma main libre le poil non souillé, sur le membre avant gauche de la dame ours. Si j'avais fait mon travail, j'éprouvais une certaine empathie pour cet animal qui ne défendait que son foyer...

- Désolé. Rengainant mon katana, je sortais mon tantô pour offrir une fin moins dure à l'animal. Un furtif coup dans la gorge, et c'était fini. Mission accomplie. Piteusement, je me relevais pour essuyer la lame courte dans la neige et ranger tout ça, un sale goût dans la bouche.

La nature faisait mauvais ménage avec l'homme... Soupirant de nouveau, je me retournais vers Hotaru pour capter sa réaction, mais je baissais vite la tête devant la pensée qui arrivait, bien malgré moi.

- Et les petits, on va en faire quoi ? Je ne savais pas si j'avais la force de tuer cette vie évanescente. Savoir tuer n'était pas la garantie d'aimer ça et si un homme, avec une conscience morale développée, ne me donnait que peu de scrupules, un animal qui répondait à des stimuli incrustés en lui depuis des siècles, comme hiverner, n'était pas responsable du territoire où il foutait les pieds. "Les enfants non plus."