Soupirant amèrement, je posais mes fesses sur le cuir épais du chariot. Les missions s'enchainaient, mais j'avais l'impression désagréable d'être constamment enchainé à plus faible que moi : Protéger, protéger et encore protéger. Si la dernière fois, j'avais eu le plaisir de rencontrer Kyoshiro, cette fois, j'étais le seul Seizanjin du coin... Une mission de moindre importance donc ? Pas vraiment.

Si Seizan était connu pour sa production d'arme et autres bijoux de l'orfèvrerie et de la forge, il fallait s'avouer vaincu face à une réalité simple : Le fer et tous les métaux de la création, cela ne poussait pas dans les arbres ! Ainsi, à l'image de la mine d'or au Nord-Ouest de l'Onogoro, les montagnes bleues se fournissaient chez leur voisin de Tetsu pour tout cela. Bien sûr, les villages producteurs de la région de Tsume no Kuni utilisaient déjà les filons présents, mais un peu d'argent et un contrat légal faisaient pas mal de chose ! Ainsi, on avait notre part dans cette affaire, ce qui arrangeait un peu tout le monde. Sauf moi, qui aujourd'hui devait surveiller l'extraction et le transport de ces jolis sacs bien lourd.

C'était la routine !

Mais en fait, pas vraiment : Aujourd'hui, c'était un gros voyage. Nos amis mineurs avaient trouvé un nouveau tunnel fertile en ressources et l'exploitation avait explosé d'un coup, vu tout ce qu'il y avait ! Ainsi, la part revenant au village était plus grande que d'habitude, comme la rumeur de toute cette histoire ! Si la région était fournie en Yokai, c'étaient les bandits qu'on allait avoir le plus de chances de voir ! Si j'avais déjà mis en déroute le réseau de contrebandier qui sévissait, d'autres les remplaçaient. Plus petits, certes, mais toujours aussi embêtant pour les civils.
Bref, Seizan avait envoyé un chuunin sur le coup, mais j'avais constaté avec un peu de dégout la présence d'autres gens en arme dans le convoi de retour... Apparemment, les civils n'avaient pas confiance dans la protection d'un seul soldat, ils avaient ainsi fait appel à des mercenaires. "Bien plus faible, évidemment." Non pas que la force soit vraiment un problème, les voyous de grands chemins n'étaient, après tout, que des pécheurs, des paysans ou des mineurs qui cherchaient des bénéfices autre part que dans les travaux légaux, mais les mercenaires restaient une frange de la population qui faisait de l'ombre à l'armée impériale, tout en étant moins fidèle ou obéissante... Qui sait ce qu'un homme habitué à être payé pouvait faire devant une contre-offre, ou devant un danger trop grand pour lui.

"Si on se retrouve face à un Yokai, je me battrai, et eux ?" Ma mission était tout risque, même les Oni ou d'autres saloperies qui rodaient... Ce n'était peut-être pas le même contrat pour eux. Ainsi, je mettais en doute plutôt leur fiabilité.

Les quelques chevaux qui faisaient avancer l'assemblée n'étaient pas vraiment de première fraicheur, ainsi dans la fin de l'hiver, on se trainait pas mal. Grognant dans ma barbe absente, je sautais du siège pour me dégourdir les pattes, sûr et certain que je n'allais pas me faire distancer par les pauvres canassons qui devaient tirer bien trop pour leurs épaules. Les mains dans les poches, j'observais les congères se dissiper devant la chaleur qui revenait. Bien que notre région soit montagneuse, les pieds des grands mastodontes minéraux étaient tout aussi propices à l'évaporation. Ainsi, si l'on voulait encore avoir du blanc dans l'horizon, il fallait lever la tête : Dans les cimes, les flans étaient encore bien poudrés et un coup de vent pouvait apporter avec lui quelques flocons, ou un gros amas de neige... Ce n'était plus la saison des avalanches, pour notre plus grand bonheur.

La route était peu diversifiée : Des arbres, des gravillons, quelques rochers qui sonnaient les virages. Chacun de ces obstacles pouvaient sonner une attaque, je l'avais appris à mes dépens dans la précédente mission de baby-sitting. Si j'avais eu quelques soucis avec les gardes de la capitale, je ne savais pas où me placer par rapport aux nouveaux camarades que j'avais sous la main. Le regard concentré devant moi, je cherchais la moindre silhouette menaçante.

Au cas où.

L'effectif était moins impressionnant, pour sûr, et la défense serait beaucoup moins aisée... Mais qu'importe, il fallait faire avec. Me retournant, je lorgnais sur les hommes qui se tenaient derrière moi, aussi méfiant en eux que confiant en moi, je leur jetai un regard mauvais avant enfin d'adopter une démarche plus constructive :

- Faites gaffe, les abords de Tsume No Kuni sont connus pour les griffes qui entaillent les rochers, mais aussi pour les bandits qui trainent dans le coin... Des véritables coupes gorges, si vous voulez mon avis. Restez calme et protégez la cargaison et les mineurs, je me charge du reste. Le vrai Kunao aurait plus délégué, mais j'essayais de prendre sur moi pour gagner en charisme et en courage. Enfin... J'en avais, hein, mais face à un Kyoshiro, je manquais d'envergure.

Une question d'âge ? Peut-être. En tout cas, je voyais toutes les missions maintenant comme une chance de me montrer plus adulte, plus fort, plus... "moi", en tout cas une version améliorée.

"Hmm ?"

Devant mon petit discours, un type se détacha de la masse d'hommes en arme. Bien que quelconque, sur le papier, son visage démontrait déjà quelques combats à son actif : Une belle cicatrice lui barrait la joue et je pouvais constater sur des mains fortes les mêmes signes de la pratique et de la confrontation. Bien que statique, il démontrait un calme et une aura de force que je n'avais pas repéré précédemment : Il savait se faire discret, mais maintenant que je l'avais face à moi, je ne pouvais pas esquiver ce qui frappait aux yeux.  L'air poli, il s'interrogea sur ma présence aussi solitaire alors que la livraison d'arme concernée quand même mon village ! Pour un voyage si important, il fallait sans doute plus de mondes... Devant l'âge plus élevé de mon interlocuteur, mon premier réflexe fut de calmer un peu mes ardeurs. Je parlais à un ainé tout de même ! Seulement, je devais m'inspirer de Kyoshiro et devenir une meilleure version de moi-même, quitte peut-être à prendre de mauvaises habitudes...

- Belle analyse, c'est le fait que je sois le seul à arborer le symbole de Seizan qui te fait dire ça ? L'air moqueur, je regardais derrière moi les autres mercenaires sourire ou bien se tendre devant la petite boutade.

Bien que ce corps professionnel était divisé dans tout l'Onogoro, il y avait un vrai esprit collectif face à la concurrence des villages... On était une grande armée et certains se vouaient à demeurer solidaire avec les autres portes-katana, pour ne pas se laisser mépriser.

- Pour répondre à ta question, je n'en sais rien. Sans doute que je suffis, mais la vraie raison serait de ne pas attirer l'attention... Il y a toujours un soldat qui se déplace pour ces livraisons, cela ne doit pas changer. En fait, le seul facteur qui a changé, c'est le nombre de mercenaires... Vous êtes un panneau lumineux qui dit "Venez, c'est important." Soupirant, je me retournais. Au moins, on aura de quoi se défendre contre les bandits.

J'évitais avec soin de faire mention des Yokai. Eux, ils voyaient la masse comme un garde-manger servit sous leur nez... L'idée me faisait un peu trembler, même si j'essayais de garder l'esprit clair. Le silence revint, un instant, avant que je ne décide enfin à lancer un autre sujet : Je ne savais rien de lui et il fallait un peu passer le temps.

- Au fait, comment tu t'appelles ? Je me rendais compte à cet instant que je tutoyais depuis le départ cet homme qui me dépassait en âge, cela ne m'était guère habituel. Comment tu t'es retrouvé à faire mercenaire au lieu de soldat dans l'armée ? On aurait des places pour les types comme toi, si tu sais maitriser un minimum le chakra.

Si mon utilisation de l'énergie "magique" était au point mort, je sentais bien que mes capacités physiques ne venaient pas uniquement d'un entraînement rude : Le taijutsu demandait une utilisation et une gestion de cette ressource sans mudra, inutile et contre-production au corps-à-corps, ainsi je suspectais depuis très longtemps que mon chakra, je savais le mobiliser dans ces moments-là : Course, grande réaction au chaos ambiant, saut pour esquiver ou pour bondir vers une cible... Mes mudras, ainsi, c'étaient mes techniques de kenjutsu qui demandaient très clairement ces capacités pour s'extasier vers un niveau tout autre que celui des dojos. L'armée ne voulait que des utilisateurs de chakra, que celui ça par les arts ninjas ou celui, plus diffus, des samouraïs... Selon les leçons, le chakra, c'était l'énergie physique et mentale, nan ?

Les charriots avançaient lentement et moi, je taillais la bavette.

D'un regard attentif, j'écoutais la réponse de l'épéiste qui se muait petit récit : Une histoire compliquée, auquel il avait laissé pas mal de zone d'ombre... Une façon de garder son intimité ? ou bien, il y avait vraiment des choses à dissimuler dans sa vie ? En tout cas, il se montra plutôt sympathique en révélant son nom, quoi qu'il était surprenant de s'appeler "Zero". Un lever de sourcil accueillit donc la fin de sa phrase : La coexistence entre l'ombre et la lumière pouvait laisser penser qu'il mentait, ou bien qu'il cachait un lourd secret.

- J'imagine que tous les mercenaires ont une histoire compliquée, autant je travaille pour l'armée donc j'ai des avantages... Autant, votre corps de métier est un peu moins intéressant. Je dressais les épaules, en signe de petite incompréhension. Je parlais du positif d'être chuunin, mais il n'y avait aussi pas mal de négatif : Comme le fait de pouvoir être quotidiennement aux prises avec les Yokai si le village l'entendait de cette oreille... Être le premier rempart contre le mal, ce n'était pas facile tous les jours. Il y a une raison derrière ça, mais je ne vais pas courir après. Bien que j'avais une certaine curiosité, la vie des gens pouvait être un sujet sensible.

Peut-être en liaison avec mes pensées, il bifurqua sur un sujet moins intime : Le convoi et les dangers qui se dressaient devant lui. Bien que l'homme semblait fort, il paraissait surtout soucieux de se battre... une histoire d'arme qui languissait. Je restais stoïque devant l'affirmation, plus par totale méconnaissance de ce sentiment que vraiment critique.
Je devais m'entraîner fréquemment et le village garantissait une aire d'exercice qui me permettait de me mesurer à pas mal de compatriote. Ainsi, j'avais de quoi me "mettre sous la dent" quand je voulais me tester et les missions m'amenaient à faire saigner pas mal de choses pour le compte de l'Empereur.

Je n'étais jamais dans l'attente de la bagarre, mais quand les ennuis s'avançaient, j'étais toujours un peu brûlant. Je ne pouvais pas mentir sur ce fait.

- On verra ce que l'avenir nous réserve. Je cassais sans doute l'ambiance, mais pour la journée, je ne voulais pas trop m'embêter à bastonner des brigands, ou trancher des choses. Je prenais à cœur ce rôle de protecteur, mais si je pouvais l'être sans avoir à découper sur mon passage, ce n'était que mieux. "Enfin, jusqu'à ce que ça arrive."

Le pas lent, pour aller avec le roulis de la roue, je me laissais tirer par la conversation, répondant favorablement à sa question sur mon "histoire tragique" qui ne l'était guère vu ma vie de favorisé dans une institution puissante de l'Empire  :

- Formé à me battre et un peu à obéir, alors je fais ce que je sais faire. Ni plus, ni moins. Des fois, je protège des convois, ou des fonctionnaires qui souhaitent une protection... D'autres fois, je tue des bandits ou des petits yokai sans me faire démembrer en chemin. Laissant ma main courir sur mon front dont le bandeau couvrait ma cicatrice, je frottais comme pour me gratter sous le tissu. Des fois, il n'y a rien à dire. Je n'ai pas grand-chose à dissimuler ou à pleurer. C'était un peu faux, mon père pouvait rentrer dans la catégorie des violons grinçants, mais on ne racontait pas à un nouvel interlocuteur les grands drames de sa vie.

"Ma vie ou la sienne ?"

- Pas trop déçu d'échapper aux dangers chez toi en courant vers le danger ici ? Cela pouvait paraitre un peu moqueur, mais le fait de quitter un foyer risqué pour travailler dans une voie qui se voulait plutôt guerrière et parfois malhonnête, cela me paraissait nébuleux. J'imagine qu'avec l'honneur et le devoir que tu avances, tu limites pas mal les contrats. Je me trompe ? Mon regard se porta sur les gueules de vainqueurs qui peuplaient la garnison du convoi : Ils pouvaient être également de sacré assassin, si l'argent était à la clé. Je ne connais pas bien, tout ça.

J'avais eu une bonne discussion avec le mercenaire, surtout que rien n'avait détruit l'ambiance presque conviviale du convoi : Pas d'attaque de bandits, pas de yokai sur le chemin... même pas d'animaux sauvages pour fureter en quête de nourriture. C'était donc un voyage tranquille, trop tranquille. Je n'avais rien vu et je m'ennuyais ferme au sein de cette brigade de gens d'arme qui avaient leurs armes dans leurs fourreaux... J'aurais pu leur proposer un petit combat d'entraînement, mais sans bokken, il y aurait eu du sang.
Le fameux Zero disparu comme il était arrivé après avoir pris son salaire du jour : Un vrai mercenaire taciturne, mas sans doute que c'était ce qu'il fallait dans son métier. La procession s'était arrêté devant les portes de Seizan, il était hors de question de laisser des hommes comme ça entrer dans la structure et je dus donc dire au revoir à ces camarades du jour sur le porche de mon village. Je n'avais que peu lié de liens avec eux, mais j'étais quand même un peu triste de la vie qu'ils passaient à aller de contrats en contrats.

Fumiri Chiharu, anciennement jeune femme de la famille Yama, était la fille d'un petit employé de magasin de chaussure. Pas du tout le genre à enfanter d'un soldat et pourtant sa fille avait pris rapidement les armes pour défendre son village. C'était durant son service qu'elle avait rencontré mon père et l'histoire avait fait que j'étais né de deux samouraïs : L'un issus d'une famille de forgeron et l'autre du secteur tertiaire de l'économie locale.
Je n'avais jamais pensé à ça, mais le fait que j'avais suivi les traces de ces deux individus qui avaient déraillé de la voie tracée par leurs parents était un joli pied de nez... Comme si leur destin et le mien se répondaient. Avait-elle voulu cette vie pour moi ? Ou bien m'avait-elle vue foncer dans une carrière militaire avec l'air déçue de la matrone qui connait déjà la vie qu'allait mener son fils ? "J'aurais pu devenir marchand ?" Je n'en savais rien, mais aucune vie ne m'avaient intéressé depuis mes cinq ans.

"Ou bien j'avais refusé de le voir ?"

Lascivement, je laissais cette idée de côté. J'étais chuunin, cette vie était intéressante autant que dangereuse, qu'est-ce que je pouvais demander de plus ? Je pourrais exister dans un monde de villages rivaux, où la guerre était aux portes constamment, mais la tranquillité de l'empire n'était que troublée par les Yokai qui pavaient les chemins autant que des pierres dans une rivière. De mon regard emporté dans mon esprit, je contemplais les rues qui grouillaient de monde alors que la pénombre l'emportait sur le crépuscule. Les couleurs du ciel se reportaient sur les vêtements flamboyants des festifs personnages qui cherchaient un peu de lumière dans les colorants textiles et les verres d'alcool, comme pour éclairer un peu leurs idées déjà embrumées. Malgré moi, je soupirais, comme si cette vision me fatiguait, mais au contraire... Bien au contraire... Je voyais ces gens qui avaient une place.

Comme les mercenaires alors ? Ils étaient sans doute plus en phase avec eux-mêmes que moi.