La discussion que les deux hommes entretenaient avaient clairement pu indiquer à Kirei que son interlocuteur était effectivement d'ores-et-déjà acquis à la même cause, en ce qui concernait l'interprétation de la religion et l'intérêt de développer les connaissances humaines sur les Yôkais. Hélas, cela n'était pas toujours suffisant pour passer de la théorie à la pratique, a fortiori lorsque l'on évoluait dans un autre village que Toge. C'est pourquoi le Faucheur avait-il souhaité encourager le Sakyuujin à s'investir lui-même dans cette démarche, indépendamment de ce que pouvait en penser les autres. Les autorités elles-mêmes, avaient d'ailleurs tout à gagner dans cette opération. Visiblement, le disciple d'Inari avait pris les devants, exposant plus en détails ses projets liés à la construction du Sanctuaire d'Inari.



Le récit presque autobiographique de Shingen était particulièrement intéressant aux yeux de Kirei, qui ne s'ennuyait nullement en écoutant son parcours et les détails qu'il pouvait donner. Dans l'hypothèse où il était l'hôte d'un esprit méconnu, il était compréhensible que celui-ci cherche à dissimuler sa véritable identité, sans forcément nourrir des desseins malveillants. Après tout, si actuellement, Sakyuu semblait vouloir étouffer la situation particulière du Chuunin, la donne serait peut-être différente s'il était malgré lui un spécimen unique présentant un intérêt scientifique... Si Naoko souhaitait déjà le voir en cage, cette perspective pouvait devenir d'autant plus envisageable... Sans compter qu'en définitive, au vu de la susceptibilité et du danger des réactions de cette Voix, ce potentiel esprit Yôkai présentait un risque qui ne pouvait qu'accroître les chances d'une réaction plus vive des autorités. Un avenir funeste, et d'autant plus triste lorsque l'on prenait connaissance des aspirations du jeune homme, qui souhaitait simplement s'intégrer, rencontrer une épouse et fonder un foyer en vivant heureux.



Les développements du fidèle d'Inari concernant le Jashinisme, et la disparition de nombreuses sources le concernant, rejoignaient les soupçons du Faucheur quant aux réelles intentions de cette interdiction du Culte. Une opportunité de soulever une possible manigance politique, et plus généralement, les éléments très suspicieux qui entouraient la réaction des autorités à ces récentes affaires. Prenant acte du parallèle dressé entre Konomuhana et Izanami, le Sakyuujin ajoutait une autre comparaison de son cru, envisageant une analogie entre la déesse Edeniste et Yuki Onna. Une théorie intéressante, bien que le prêtre de Tsukuyomi manquait de connaissances suffisamment solides de cette religion alternative, afin de donner un avis éclairé.

Plus il écoutait le témoignage de son interlocuteur, plus le Faucheur établissait un parallèle avec les aspirations dont lui avait fait part Haruna. Tentée par l'Edenisme, elle souhaitait trouver un époux et fonder un foyer, évoquant même la bénédiction des Sakura selon laquelle elle était des plus fertiles, et prédestinée à avoir beaucoup d'enfants. Ressentait-elle la même chose que Shingen, lorsqu'elle voyait passer une familleuse heureuse ? Beaucoup de moines se trouvaient-ils dans leur cas ? Une question qui méritait d'être posée, même si dans tous les cas, il était certain que la plupart des prêtres avaient tous leurs propres regrets, compte-tenu des sacrifices exigés par leur fonction. Le Faucheur n'échappait guère à la règle, mais son cas était quelque peu différent, en ce que son allégeance était tournée vers le Seigneur et non le Kamisuuhai. S'il se permettait des entorses aux Préceptes, il ne se sentait pas spécialement lié à ces derniers, bien qu'il les respectait afin de maintenir les apparences, et comprenait l'esprit  qui les animait. En revanche, il critiquait volontiers leur rigidité.



Le prêtre de Tsukuyomi était curieux de connaître l'opinion de la Kitsune au regard de cette pratique. Si la plupart des invocateurs partageaient un lien étroit et profond avec leurs familiers, le Kuchiyose restait vu par certains comme une forme de militarisation des Yôkais. Lors de sa rencontre avec Honoka à Seizan, celle-ci lui avait d'ailleurs fait part de sa vision moins méliorative de cet art d'origine monastique, n'y voyant guère un partenariat mais une forme d'exploitation à des fins martiales.

A priori, Shingen partageait le raisonnement de l'apôtre de Jashin, et considérait que sur la base de ces critères, le Carbonisme aurait pu lui aussi se voir interdit. Un double-standard comme il le disait,  deux poids deux mesures. Voilà qui résumait fort bien la situation, et le disciple d'Inari énumérait à haute voix les mêmes hypothèses et les mêmes doutes que le Togejin, renfonçant la suspicion de ce dernier au regard de l'étrange attitude de l'Empire. Etant lui-même Jashiniste, il n'excluait pas qu'il pouvait manquer de recul sur la question. Mais sans même formuler l'une de ses conjectures, entendre le Souhei d'Inari émettre des réflexions identiques aux siennes, renforçait dans son esprit la possibilité que l'empereur ou les autorités cachaient quelque chose.

Confirmant les origines noble de sa famille, Shingen ne disposait lui-même pas de toutes les informations, et ne souhaitait non plus s'étendre outre-mesure sur ce qui pouvait potentiellement compromettre l'intimité de sa sœur. Une situation parfaitement compréhensible, et les précisions qu'il venait d'apporter en disaient déjà long sur le genre d'individu qu'était le patriarche Usui.



Quant aux recherches sur les Yôkais, le Sakyuujin redoutait particulièrement leur militarisation, se demandant même si la création du Bureau d'Etude de Toge et ses activités, n'étaient en réalité guère le prélude à une nouvelle Guerre des Ours. Une hypothèse qui faisait froid dans le dos, mais qu'on ne pouvait malheureusement balayer d'un simple revers de main.



Selon son interlocuteur, les Cinq Préceptes étaient beaucoup trop rigides, et la manière dont il en parlait laissait penser au Faucheur qu'il ne les trouvait ni légitimes, ni réellement utiles. Une position peu surprenante, s'il était habitué à faire quelques entorses à ces principes. Il soulevait malgré tout des points intéressants, et sa défiance rejoignait celle de Kirei, n'hésitant nullement à l'exprimer en allant plus loin.



Sortant de sa torpeur, qui ne devait pas être facilitée par sa digestion de toues les pâtisseries qu'elle avait ingurgitées, Kazetsune ne se sentait pour sa part nullement exploitée ou malmenée. Si Shingen avait été le seul invocateur qu'elle ait connu, elle précisait que le combat faisait de toute manière partie du monde des Kaminotsukais, avec ou sans les humains.



Déroulant le fil de sa pensée, le Souhei d'Inari parvenait logiquement aux mêmes conclusions que le prêtre de Tsukuyomi, eux qui partageaient jusqu'à présent des observations communes. Sans aucun doute, le culte Carboniste présentait lui aussi un danger, mais était étrangement toujours toléré. Quant aux Edenistes, ils n'avaient effectivement rien revendiqué, et leur implication au sein de ces mystérieuses affaires restait dans tous les cas des plus nébuleuses, si bien qu'aucune conjecture ne semblait réellement satisfaisante.