Je n'étais pas du genre à me mettre spécialement en colère, pas du genre à faire des esclandres. Je râlais, je bougonnais, mais je m'excitais rarement contre ceux qui me gonflaient. J'étais plutôt du genre à agir comme un animal à sang froid. Le feu qui était en moi, je le conservais pour d'autres activités, la bataille pure et dure, et... d'autres trucs pas nommables. Mais là, un abruti avait réussi à me faire bouillir.

La raison ? Elle ne me concernait pas directement, il s'agissait de Yahaba, mon fils adoptif, bien que j'avais toujours autant de mal à le nommer ainsi. "Fils". Je ne m'étais jamais sentie mère, mais peut-être que pour la première fois, je me voyais animer par la rage d'une lionne parce que ce petit con était sous ma protection et il n'était pas question que l'on toucha à un seul de ses cheveux. Pourtant, un trou du cul avait osé lever la main sur lui, un abruti qui venait de se condamner. Qu'importait les raisons, je savais qu'elle était forcément ridicule. Quand un type se prétendait adulte, on foutait pas un pain dans la gueule d'un gamin de dix ans. Alors vous vous doutez bien, quand le marmot s'était pointé à la maison avec un œil au beurre noir, j'avais vu rouge. Il ne me fallut que deux secondes pour l'obliger à me donner la description du bonhomme, et deux secondes de plus pour partir en chasse à Seizan.

Heureusement pour moi, j'eus pas la nécessité de faire tout le tour du village pour trouver le futur cadavre - c'était pas littéral, si cela peut rassurer, mais la volonté y était - et on pouvait dire qu'il avait une sacrée tête de con.

Je me mis à cracher par terre de dégoût rien qu'à l'idée de ce qu'il suggérait puis je posais sur lui le plus mauvais œil que j'étais capable de donner.

Le type s'approcha de moi en souhaitant se donner un genre. Il avait pas encore compris sur qui il était véritablement tombé. Il ne m'impressionnait pas et pour preuve en était, c'était que je pris le temps de m'allumer une cigarette pour me "calmer".

Ce crétin se mit à rire.

Ce fut à ce moment-là que je relevais la tête en affichant un sourire un peu plus franc. Ce bouffon venait de m'offrir l'occasion parfaite et le droit de répliquer. Légitime défense. C'était l'heure du bottage de cul.


Ce qu'il se passa ensuite ? Comme je lui avais promis. Il s'en était pris une sévère dans les valseuses et il avait été à deux doigts de finir chauve. Ses cheveux grésillaient et il se tenait sévèrement l'entrejambe en hurlant. On aurait pu croire qu'on s'en serait arrêter là, sauf que cet enfoiré avait trouvé de l'énergie pour tenter de fuir. Bien évidemment, je l'avais suivi en l'insultant de tous les noms d'oiseaux qui me venaient jusqu'à l'entrée du village. Mais pour moi, c'était la fin de la course, pour lui, il réfléchirait à deux fois avant de revenir. Je supposais que c'était pas trop l'intention de cet abruti de partir de Seizan, excepté que dans la panique, il avait préféré se casser plutôt que je trouvasse son adresse. Peut-être était-il moins con qu'il en avait l'air.

Des mots aussi sévères que froids, avant de me rendre compte que j'avais un public involontaire. Le garde et des types de Toge d'après le bandeau. Deux étaient entiers, un autre avait une sale gueule.

Mon attention se tourna vers le garde, comme si j'attendais qu'il m'expliqua ce qu'il se passait. Je devais être tombée pile au moment des présentations.

Un regard vers le garde, un haussement d'épaule de sa part. Cela me suffit à comprendre qu'il n'avait pas encore tous les détails pour faire accepter les étrangers dans le village.  Du coup, mon œil se tourna vers le grand blondinet aux yeux rubis, et je ne fis aucune manière, le scrutant de haut en bas, avant de m'arrêter à porter de son regard.

Ce fut à cet instant que je remarquais son bandeau blanc et son insigne. Un jonin de Toge. S'il était à la tête de ce petit groupe mal en point, il avait sans doute supposé que Seizan était une étape plus sage que de rentrer directement dans sa maison bourgeoise. En attendant, il finit par se présenter. Un Doji. Ce nom m'était familier, le même qu'un type que je connaissais. Peut-être était-ce une coïncidence, allez savoir. Je lui accordais un petit mouvement de tête en guise de salut, avant de prendre le temps de répondre à mon tour.

Mon attention se tourna une nouvelle fois vers l'extérieur du village comme pour m'assurer qu'il revenait pas. Secouant la tête de manière négative pour noter mon dépit, je me mis à fouiller dans mes poches pour me sortir une nouvelle cigarette. À peine finie, il m'en fallait déjà une autre.

Aussi simple que cela. Moi qui m'évertuais à le convaincre de jamais se lancer dans la bagarre, de le détourner des armes et autres arts martiaux, c'était pas pour qu'un con fini lui laissa imaginer que c'était un faible qui avait besoin de répliquer. À tous les coups, on allait encore avoir une discussion qui allait me gonfler où il allait me demander de devenir un samuraï. Sans déconner, il faisait tout pour que je ne tins pas la promesse que j'avais faite à son oncle. Il attirait autant les ennuis que ce dernier.

D'un petit signe du menton, je montrais son collègue fortement blessé, et je me tournais vers le garde.

 C'était surtout mon putain de devoir de chunin toute fraîche. Les boules. J'aimais pas jouer les guides touristiques.

La clope au bec, l'œil légèrement surpris par l'attitude du Togejin, je me contentais de le regarder lorsqu'il mentionna qu'il ne pouvait laisser l'affront fait à un enfant impuni. Voilà que j'étais tombée sur un bon samaritain ? D'un autre côté, je ne pouvais pas m'empêcher de me demander de quoi il se mêlait, mais bon. Je ne le retiendrai pas non plus. On parlait de Yahaba donc... Est-ce que j'aurais pu continuer à poursuivre le trou du cul en question ? Oui, sans doute. Mais j'avais pas envie de passer ma journée à courir après lui et je lui avais, me semblait-il, déjà donné l'envie de pas recommencer.

"  Mmm ? Faites-vous plaisir. "

À peine eus-je le temps de faire un petit mouvement de menton pour accompagner mes propos qu'il tourna les talons, clopinclopant. Je ne vis pas exactement les gestes qu'il effectua, je n'avais pour vision que son dos. Par contre, je l'entendis assez clairement gueuler que mon pote devait "s'écraser". Curieuse méthode de combat... mais qui marchait. Bien qu'on voyait à peine la silhouette de mon abruti de batteur d'enfant, on le fit littéralement s'effondrer sur le sol, comme si un poids lui était tombé dessus.

"  Pratique. "

Je savais pas quelle magie il avait utilisé, et pas certaines que cela me serait bien utile de le savoir sur le moment, mais j'étais plutôt impressionnée, et ne manqua pas de siffler pour le souligner. Si seulement en prononçant quelques mots on pouvait pousser un homme à s'arrêter de courir... Cela me ferait gagner du temps. La proie immobilisée, Seishiro partit la récupérer tant bien que mal et à me traîner jusqu'à ce le déposer à mes pieds. Là, mon œil s'abaissa sur cet enfoiré qui avait un regard terrifié. Qu'importait ce qu'avait fait le Togejin, à mes yeux, c'était mérité.

"  Bah alors mon con ? On fait moins le malin, hein ? Bouffon. "

À ces mots, je lui fichais un violent coup de pied dans la tronche, l'assommant à cette occasion sans que cela m'émut, ni même ne m'ébranla. La cigarette toujours serrée entre les lèvres, je portais à nouveau mon intention sur l'étranger.

"  Le cadeau est apprécié, mais fallait pas vous donner cette peine. Surtout dans votre état. "

Ouais. Rien de mieux pour se sentir coupable en laissant un grand blessé régler ses problèmes. Encore fallait-il que je me sentis réellement... coupable. J'avais rien demandé. J'étais pas du genre à récompenser l'excès de zèle. Je finis par m'approcher du garde pour avoir une courte conversation avec lui, lui quémandant de faire venir quelqu'un pour récupérer notre fuyard et qu'il faudrait l'interroger. S'il était capable de frapper gratuitement un enfant, il y avait de fortes probabilités qu'il eut commis d'autres forfaits. Bref. À mettre au gnouf.

"  Bon. Je crois que vous en avez assez fait. Le repos du guerrier vous attend. Suivez-moi. "

Un petit signe de tête, et je les poussais à me suivre, tout en les guidant vers l'hôpital du village. Il faudrait qu'ils tiennent encore un peu jusqu'à ce que la délivrance se dressa devant eux sous la forme d'un grand bâtiment de pierre. Il nous avait fallu une dizaine de minutes pour arriver.

"  Vous allez pouvoir être pris en charge ici. Je vais vous faire enregistrer, pendant que les infirmières s'occuperont de vous. "

J'écrasais mon mégot de cigarette sur le sol, avant de le récupérer pour pas souiller la voie publique, et avec ma nonchalance habituelle, je me dirigeais directement vers l'accueil pour expliquer la situation. Je venais de faire ma BA de l'année.

J'étais tombée sur un drôle de bonhomme. Je parlais du togejin. Il était salement amoché, mais continuait à arborer un grand sourire en jouant de ses charmes pour faire bonne impression. Il était mal tombé. L'excès de zéle n'était pas une qualité que je saluais et j'étais pas le genre de femme à se faire entuber par un joli minois. Un beau sourire était pas le genre de truc qui me séduisait à tous les coups, encore un truc qui devait principalement marcher sur les gonzesses de son village. À Seizan, on préférait les gens directs.

"  Vous inquiétez pas pour lui. Il serait sacrément con de recommencer. "

Du coup... il serait capable de le faire. Laissant la suite de cette affaire à d'autres, je me contentais de jouer les escortes pour nos camarades étrangers. Et le long de la route, Seishiro ne put s'empêcher de faire preuve une énième fois de sa gratitude face à notre geste. Sans me retourner, je me contentais de lui dire la vérité comme elle était.

"  J'apprécie votre gratitude, mais elle est inutile. Je fais que mon boulot. Et étant donné votre grade, je pouvais pas vous laisser devant la porte. "

D'un geste de la main, je désignais l'endroit où il portait son bandeau blanc.

"  Quant vous conduire à l'hôpital, si Seizan veut conserver une bonne entente avec Toge, c'est la moindre des choses que de venir en aide à ses hommes. "

Je ne faisais qu'énoncer les évidences sur un ton monocorde et lassé. C'était aussi ma façon de dire à ce camarade de l'ouest que je ne faisais pas tellement ça par bonté d'âme, et qu'il ne fallait pas qu'il s'y trompât. Je faisais juste mon devoir... et ce n'était même pas prévu. Du coup, je préférais être franche et ne voulait pas d'une gratitude que je ne méritais pas.

Sur cet échange, on finit par atteindre le grand hôpital, mais voilà que le togejin désirait déjà se débarrasser de moi en sortant un grand discours. Je ne pus m'empêcher de sourire. Ils étaient vraiment tous les mêmes dans ce village.

"  Dame Honoka ? Pitié, joli cœur. Je n'ai rien d'une dame et vous le savez très bien. Gardez vos belles phrases pour celles et ceux qui le méritent. "

Je ne pus m'empêcher de secouer la tête, toujours amusée.

"  Mais je suis ravie quand même, surtout après le bottage de cul en règle que vous avez donné à l'autre abruti. Soignez-vous bien, et profitez du séjour chez nous. "

Mais au moment où j'allais m'en aller, je me permis néanmoins de préciser.

"  Tant que j'y pense. Si vous ne pouvez pas passer la nuit ici, sachez qu'il y a une auberge au centre du village du nom " le komainu rieur ", c'est assez chicos pour les gars dans votre genre. Et si dans la bagarre vous avez abîmé vos armes, sachez que j'ai une forge dans les souterrains. Demandez-moi, et je verrai ce que je peux réparer. "

J'adressais un petit salut de la main à Seishiro avant de tourner les talons pour rentrer chez moi. Je devais discuter avec Yahaba pour mettre au clair certaines choses - et le rassurer sur le fait que le con qui l'avait frappé ne reviendrait pas. Une fois que la leçon serait donnée, il me faudrait retourner bosser... quelle vie.