Le voyage vers Sakyuu serait long, long pour qui ne connaissait pas la route et qui serait mal accompagné. Généralement, je trouvais le moyen de squatter des caravanes de marchands, leur offrant ma protection des escrocs et autres bandits, en échange d'un cheval à emprunter ou tout simplement une petite place dans leur véhicule. C'était toujours plus rapide qu'à pied, même s'il m'était déjà arrivé de le faire. La preuve en était, c'était le cas en ce moment même. La seule chose qui changeait, s'était que j'étais accompagnée d'un sakyuujin. Pas n'importe lequel en plus. Un jeune prêtre un peu trop porté sur la chose, mais qui au moins le bénéfice d'être un gars bien. Pervers, mais un bon gars. Et croyez-le, cette configuration était plutôt rare.

Preuve que Shun était un mec sympas, il avait insisté pour prendre mes affaires. Ce grand masochiste aimait se faire du mal en portant du poids, comme si les pièces que je lui avais fabriquées ne suffisait pas, il voulait en rajouter une couche. Ça me dépassait clairement, mais j'allais pas rechigner sur le fait d'alléger ma corvée. Il avait insisté. Je n'avais pas pu résister à ses gros sourcils de chien battu. J'avais pas trop forcé non plus.

Seulement voilà, tandis que nous avions déjà tracé pas mal de kilomètres et qu'on se rapprochait du village de Tetsu, une vieille bique nous interpella en affichant toute la misère du monde sur son visage. Par tous les dieux, ça puait les embrouilles. Le coup de la mamie, je l'avais déjà vu. Les gens avaient honte de rien, mais bon, ne fallait-il pas laisser le bénéfice du doute ? En tout cas, je ne lui épargnais pas un regard froid.


Carrément. Ça me rappelait une histoire à la con que j'avais pu lire à Yahaba. Le mioche aimait les contes et autres conneries du genre. Au début, il chouinait quand je prenais pas le temps de le "border", soi-disant que son oncle le faisait tout le temps. J'étais pas Sojiro et ce genre de truc, ça m'emmerdait profondément. Pourtant, ce petit con avait fini par me soumettre jusqu'à ce qu'il maîtrisa convenablement la lecture. Maintenant qu'il avait quasiment dix ans, j'étais débarrassée du problème.

Cependant, si moi j'étais capable de passer outre les larmes de crocodiles de la vieille, pas certaine que ce fut le cas de Shun. Déjà, parce que c'était un moine. Les moines aimaient aider gratuitement. Pas moi. J'étais pas une bonne sœur. Et de deux, il m'avait suffi d'entrevoir son regard du coin de l'œil pour comprendre qu'il voulait faire quelque chose. Moi, toujours pas. Peut-être que la bique l'avait compris parce qu'elle ne put pas s'empêcher d'étaler à nouveau sa détresse.

La vieille renarde avait visiblement tout planifié, chose qui me disait qu'elle ne devait pas être à son premier coup. Elle piégea ce crétin de Shun en lui présentant une photo de la "disparue". Et bah voyons. Une blondinette qui avait une poitrine trop grande pour elle. Mes yeux roulèrent comme des billes. Comme si ce genre de gonzesse se baladait toute seule.


D'un geste passif-agressif, je pris la photo que lui avait donné l'étrange femme et lui agita sous le nez, sans accorder le moindre regard au moine.


Sur mes mots, j'utilisais subtilement mon ninjutsu pour enflammer la photographie. Shun était peut-être le pigeon parfait, mais moi, j'étais une sacrée enfoirée paranoïaque. Lâchant le morceau de papier qui brûlait encore, mon œil ne quitta pas d'une seule seconde la grand-mère.


Noter que dans mes propos, je ne lui avais pas une seule fois accordée du crédit. Trop bizarre de voir une vieille grimper jusqu'ici pour demander de l'aide. Il lui aurait suffi de trouver n'importe quel crétin libidineux dans son village. De toute façon, si je lui bottais pas le cul à elle, ce serait celui de Shun.