Drapé d’une soie noire aux appliqués dorés, j’arrive avec une avance raisonnable; tous mes rendez-vous sont importants, et j’essaie de ne pas arriver à l’heure puisque d’une certaine façon, ce serait être en retard.

Le chemin étant presque terminé, je finis pas remarquer mon amie… Que je ne reconnais seulement qu’à moitié. J’ignorais que sa peau était ainsi décorée, et sa tenue lui allait comme un gant. M’approchant en la saluant, je lance tout haut que «tu ne m’avais pas dit ça, tiens! Tu es drôlement bien tatouée!»

Attendant donc les autres, je continue de discuter avec elle, complimentant sa tenue d’une manière peut-être un peu vantarde : «Je vois que tu n’as pas su résister longtemps après ton premier achat. C’est un très bel habit, et il fait beaucoup plus décontracté que la pièce de l’autre jour. J’aime beaucoup.»

Mes réactions quant à l’arrivée des deux autres équipiers était mixte. De l’un, j’ai finalement rencontré ce fameux "Et…", même si je ne savais pas trop me présenter à lui suivant le peu d’informations que j’avais sur Kyoshiro. Je lui tendis amicalement la main – avec une certaine incertitude, attendant de voir quel forme de salutation il adopterait –, lui disant que je suis «enchanté de faire ta connaissance! »

Puis, il y avait Maho. Ça ne me disait rien, et le rose sur mes joues n’était que hasard. Ma voix à mi-chemin entre la nervosité et la surprise, je lui dis sans trop savoir où me mettre que «ça, c’est une surprise…» Malgré cela, je trouve le moyen de lui tendre légèrement les bras pour lui proposer une accolade. «Je suis content de te voir, j’espère que tu vas bien!»

J’essaie de faire passer le morceau le plus subtilement possible, de commencer une conversation différente à l’intérieur; ça va être compliqué à expliquer, je le sens déjà.

***

«C’est un bien bel endroit! D’où connais-tu ce monsieur?» L’endroit semblait fort plaisant, le menu était assez commun mais se montrait prometteur. Assis sur le banc double avec le moine – je doutais fort que ça allait se passer ainsi, et le peu de doutes que j’avais s’étaient envolés sitôt que nos chemins se sont recroisés – je détaille le menu du doigt. «Vous auriez quelque chose à me proposer? Un plat avec une viande de la montagne, ou une spécialité de la région?»

Je demande à tous, curieux d’en savoir un peu plus sur leurs goûts. Une façon comme une autre de faire la conversation.

Tenue de Maho:

La main calleuse serre la mienne avec vigueur; autant surpris que satisfait, j’hoche la tête distraitement, le sourire aux lèvres, sans penser qu’une telle politesse lui ait été visible. Alors que le dernier arrive, je prends un moment pour baigner dans cette scène emplie de camaraderie. Quelque chose de différent, une familiarité qui m’est tristement inconnue.

Mon accolade refusée, je comprends alors que les évènements récents sont pour l’instant à garder en silence. Il semblait blagueur, sans doute parce que je ne savais pas où me mettre et comment naviguer cette retrouvaille surprise.

Alors que notre groupe s’installe, Hotaru m’explique sommairement, peut-être avec un peu de nervosité, que l’homme est un bon ami à elle et sa famille depuis un long moment. Une fois assis, une main passe dans mon dos jusqu’à mon épaule. Un parfum que je reconnais bien se glisse entre les odeurs de la nourriture. Il fait partie de mon propre régiment quand je suis de congé à la Cîme.

Le courant est plutôt bien passé, effectivement; je ne saurais mieux dire.

Une fois que Maho m’ait sauvé de devoir m’expliquer et – très sûrement – de m’embarrasser, la remarque de Kyoshiro fait remonter un rire jusque dans mon nez. Mon visage plie, ma bouche se couvre mes yeux souriants cherchent ceux d’Hotaru alors que mes sourcils redescendent aussi vite qu’ils se sont levés.

Il est amusant, ton amant.

Autrement, je ne suis au final pas des plus avancé. Incertain de ce que je peux bien prendre, je me fie à elle et choisis de tenter ma chance avec le Kaisendon; beaucoup de morceaux variés, donc plus de chances d’apprécier la nourriture de la région. Les grillades auraient été un choix plus sûr, mais je suis d’humeur aventureuse. «Moi aussi, tiens!»

Une fois les commandes prises, la question tombe;

«J’ai vu beaucoup de choses ces derniers jours, je dois repartir bientôt pour aller vers Toge. Je peux rester trois, quatre jours encore!» La proposition par contre, elle, trouve une réponse des plus incertaines.

Je vois déjà un problème à cette idée; tant la pratique me ferait du bien, tant mes compétences martiales me feraient faux bond. «Je… je ne peux pas te garantir le résultat, mais je veux bien essayer. Sinon, si la pratique vous dit, j’ai quelques moyens de rendre vos entrainements plus vivants.» L’effort physique n’est clairement pas mon fort, mais je peux bien faire de la montagne un marécage, peut-être un désert ou une plage? De quoi agrémenter un peu l’expérience.

Tenue de Maho:

La Froideur Écarlate n’est pas quelqu’un avec qui on peut se permettre de fainéanter. Je suis venu visiter les montagnes, certes, mais je n’ai pas le choix de reprendre la route bientôt. Une concession que mon équipière a choisie de faire pour s’accorder elle-même du temps à Toge.

Je m’explique : «J’en ai profité pour passer quelques jours ici parce que je passais, mais ma collègue de travail se rend à Toge; je dois la rejoindre là-bas, et elle n’est pas du genre qui attend. Par contre j’aurai à coup sûr la chance de revenir, et je repasserai vous voir; j’ai passé du bon temps, même si le moment était un peu court...» La conversation continue; l’un se fait insinuateur, les autres se montrent curieux.

Mes secrets sont avouables, ceux du moine ne le sont pas. Maho s’amuse pourtant à jouer avec le feu, comme s’il était prêt à se retrouver brûlé. Il se risque sans doute car il a eu la chance de vivre cette expérience rare, faisant qu’il sait que les brûlures et les marques que je cause ne restent pas. Mais gardons tout cela caché.

Une main s’est posée sur la mienne pour la forcer à redescendre sur la table, apportant avec elle un petit avertissement. «Mes… méthodes… sont un peu spéciales, c’est vrai. Sans vouloir être offensant, je ne sais pas imaginer comment elles fonctionnerait sur quelqu’un qui ne peut pas les voir...» Je laisse au danseur le soin de naviguer la question d’Hotaru; c’est lui qui a voulu tenter sa curiosité.

Une part majeure des illusions consiste en l’application d’images; comment ça se passe pour quelqu’un qui ne les détecte pas? Est-ce que les autres sensations sont similaires?

Aucune idée. «Je n’ai pas le calibre d’un bretteur, encore moins les dispositions pour l’être; par contre, je suis bien versé dans l’illusionnisme. À Jujou, j’aide souvent à l’entraînement des plus jeunes; on apprend à lutter contre les éléments, les changements climatiques soudains… ça sert. Le hic, comme je disais, c’est que je ne sais pas à quel point ce genre de chose peut t’affecter, et dans quelle mesure.»

Tenue de Maho:

«Oui c’est ça on s’est entraînés ensemble!»

Clairement, c’était loin d’être ça, mais on m’a offert une porte de sortie et je compte bien la prendre. Puis, ce que Maho a subit pourrait très bien compter comme un entraînement en bonne et due forme. On m’encourage à faire une petite démonstration, mais j’avoue que je ne sais pas si c’est l’endroit pour ça.

Autant je suis curieux, autant quelque chose me dit qu’il vaudrait mieux ne pas faire trop de vagues et éviter les risques. Si Kyoshiro réagit mal, je m’en voudrais de lui causer du tort ou de lui faire causer des ravages par accident.

Maho insiste et s’amuse en se payant ma tête; gêné, je regarde un instant ailleurs. «Oh, toi..!» je tonne, il se fait plaisir à me regarder patauger et essayer de ne pas trop en dire. «La prochaine fois, je ferai pire.»

Ça peut sembler méchant au premier abord, mais le message est clair; il y aura une prochaine fois, et ça ne sera pas dans un champ de mon esprit ou sous quelconque couvert. Si le plus intriguant lieu de Seizan est ma chambre à l’auberge, il n’est pas prêt de découvrir le donjon qui se cache quelque part dans la jungle de Jujou. Qu’il soit prêt.

Kyoshiro se porte volontaire. Je considère Hotaru un instant; sa vision des choses est très éclairée et elle semble aussi curieuse que les autres. Moi, par contre, je lui crie par les yeux que son amoureux est un tantinet masochiste. «Je ne sais pas si c’est la curiosité ou le courage qui parle, mais tu es franchement bon joueur. On dira que c’est un peu des deux!»

La nourriture finit par arriver; juste au cas où, je demande à Hotaru de garder avec elle le plat de Kyoshiro, au cas où il y aurait de mauvaises surprises. «Normalement, c’est sans risque, mais je préfère garder l’espace devant toi vide pour éviter les accidents.» Mon but n’est pas de faire mal, mais j’ai déjà vu des gens réagir avec plus de force et de colère que de raison.

J’observe l’homme devant moi, tentant de plonger mon regard dans celui que je devrais normalement trouver. Quelques mudras s’alignent, quelques mots suivent : «Magen : Tetsu no Kusari.», l’illusion des chaînes de fer.

S’il ne peut rien voir, il peut entendre les cliquements du métal, sentir le poids des menottes qui viennent coincer ses bras, tout autant que celui des chaines qui s’enroulent autour de son corps pour maintenir ses bras en place. Incapable de les bouger, même pas d’un pouce, il se retrouve promptement coincé. Plus il tentera d’éloigner ses bras de son corps, plus les chaines se feront serrées. C’est effrayant et oppressant, mais vu qu’il sait ce que je suis en train de faire, que c’est pour plaisanter, il n’a pas forcément de raison de paniquer et de se blesser.

Heureusement, Maho et Hotaru ne peuvent pas voir ce qu’il se passe. D’une certaine façon moi non plus, mais sachant que j’ai devant moi un homme ligoté et aux yeux bandés… Disons que c’est peu commun. Si elle veut se faire une idée de ce qui se passe, je pourrai lui faire la démonstration; «vu que tu n’es pas victime, tu ne peux pas vraiment voir. Si tu veux essayer, je peux te montrer aussi.»

Je tourne la tête et regarde Maho une nouvelle fois. D’un ton plus bas, un peu plus sérieux, j’ajoute que «toi, tu verras la prochaine fois.» Je souris, je ricane, mais il peut bien se douter que je ne plaisante pas. Hotaru pourra sans doute comprendre où je veux en venir si elle accepte de tester les chaînes de fer.

Tenue de Maho:

L’espace d’une seconde, j’ai eu le rose aux joues en voyant Maho piger éhontément dans mon assiette; c’est qu’il me défie, en plus!

Je l’aurais bien laissé faire, si ce n’était du fait que mon repas est rempli de viande, et que le moine s’est commandé quelque chose de végétarien. Peut-être que le temple lui interdit la viande… quoique je sais très bien que monsieur aime contourner les règles.

Et qu’il aime la viande.

Une main le retient doucement, juste un instant. «Tu manges de la viande, toi? Qu’est-ce que le temple dirait…»

Après ça, on ebserve tous Kyoshiro subir, l’espace d’un instant, le ligotage. J’ai bien vu un soupçon d’incertitude sur son visage, une part de doute, mais il se montre quand même assez motivé pour continuer. Je ne peux pas dire que ça soit une expérience unique ou agréable, mais l’amusement semble gagner le samourai; c’est en vivant quelque chose qu’on arrive à le comprendre.

D’un côté, je suis rassuré qu’il ait découvert cela ici et maintenant, et pas quand sa vie serait en jeu. C’est la même chose pour moi; sans espérer avoir à maltraiter un non-voyant, je sais au moins que c’est possible d’employer mes techniques malgré tout. «Si tu ressens les chaînes, ça veut dire que ça fonctionne dans ce cas.» Ça fonctionne; je m’en souviendrai.

De son côté, Hotaru refuse, et ce même si elle est poussée quelque peu par son coéquipier. Je n’en prends pas offense, au contraire; «je comprends, c’est bien de connaître ses limites.» Je ne vais pas insister sur le sujet, par contre…

Parfois, on oublie certains détails.

«Ah! Oui, attends, je t’arrange ça!»

Kyoshiro se retrouve vite libéré après quelques mudras et un autre lancé de chakra; les illusionnistes ont leurs moyens pour faire cesser leurs techniques. S’il en était autrement, tout ne serait que chaos…

Je lui rends aussi son repas en le bougeant d’une main, passant pour aussi récupérer le mien avant qu’il ne soit complètement vide! «Ça a l’air très bon!»

Et ça l’est effectivement; je savoure un bon moment ma nourriture, laissant un peu de temps à la discussion de redescendre. Une question finit quand même par venir; «est-ce qu’il y a des étendues d’eau en montagne, ou la pêche se fait complètement en bas, au bord de mer?»

Je ne me suis jamais posé la question, je l’avoue, et je n’ai pas remarqué durant mon séjour en montagne quelconque étendue d’eau. Pourtant, on dit que la mer est dangereuse, et que même les rivages ne sont pas épargnés de ce mystérieux danger…

Tenue de Maho:

Tous commencent à manger, et la conversaton s’enligne bien. D’accord, ma question semblait quelque peu hors propos, mais j’étais trop curieux pour ne pas demander. L’état des mers me préoccupe peut-être un peu plus que de raison, mais mon voyage jusqu’ici me force à y penser.

Si je veux revoir ces gens, il doit y avoir un déplacement. Que ce soit eux qui viennent me rendre visite ou l’inverse, le trajet reste impossiblement long… D’ailleurs, le mien n’est pas encore terminé. «Non, pas du tout! Je suis simplement le seul à être venu ici, à Seizan. Mon escouade est en route pour Toge, mais je suis parti d’avance pour visiter la montagne un peu…» Je n’aurais pas honte de présenter mes nouveaux amis à Chinone, loin de là, mais je sais qu’elle est en ce moment occupée avec une mission et qu’elle m’autorise cet arrêt spécifiquement pour qu’elle puisse pénétrer le territoire de l’Épine sans attirer trop d’attention.

Autrement, les garçons choisissent surtout de parler pêche : «je l’avoue, la pêche n’est pas vraiment mon activité préférée. Je demandais surtout pour savoir comment Seizan s’alimente ainsi sans trop pouvoir approcher de la mer… J’avais comme projet de parler à ma Kage qu’un moyen de traverser la mer pour arriver plus vite jusqu’ici serait intéressant, mais… c’est dangereux. Et le voyage sur la terre ferme est vraiment très long.»

En délaissant un instant ce qu’il me reste de nourriture (la faute à qui?), j’explique que «Je cherche une alternative à ce long trajet, parce que pour l’instant il faut plus ou moins un mois pour faire l’allée et le retour, sans compter le temps qu’il nous faut pour faire ce qu’on a à faire. Moi, par exemple, je suis venu visiter, mais ceux qui doivent travailler, ou qui sont responsables d’un convoi, ou qui doivent amener quelque chose d’un village caché à un autre perdent un temps fou.»

Je ne pousse pas trop loin ma réflexion, ne voulant pas faire mon gros pessimiste. Puis, si ça me troue l’appétit, j’aurai à abandonner le reste de mon repas, et je l’apprécie trop pour partager le reste.

Tenue de Maho: