S'il y avait bien des endroits où l'on ne penserait pas me trouver, c'était bien dans un temple en train de prier. Je n'avais rien d'un ascète, je n'étais pas d'une grande piété non plus. J'étais même le genre de femme à ne pas hésiter à remettre les choses en cause. Mais que voulez-vous ? Il paraissait qu'une foi qui ne doutait jamais était une mauvaise foi. Mais est-ce que même là, je pouvais prétendre être une grande croyante ? Je pensais pas. Pourtant, je me tenais bien là.

Les mains en prière, les yeux clos, me tenant impérieusement debout devant ce qui ressemblait à une représentation de Kagutsuchi, le dieu du feu. Le sanctuaire qui lui était dédié ne payait pas de mine, même s'il fallait avouer qu'il y avait de plus en plus de monde depuis quelques années. Il y régnait une grande chaleur, faute d'avoir des flambeaux de tous côtés. Ou peut-être parce que j'étais trop habillée ? Allez savoir. Il faisait de toute façon pas aussi chaud que dans les forges de Seizan, preuve en était, j'avais même pas pris la peine d'attacher mes cheveux. Par contre, je m'étais pas défaite de mes habitudes.

La norme voudrait que je me mis à genoux, comme n'importe quel prêcheur. Sauf que j'étais pas moine, j'étais une samuraÏ. Je ne me mettais pas à genoux. Jamais. Pas moi. Si cela devait arriver, c'était que j'avais merdé en combat, que j'avais pris un mauvais coup. Mon orgueil était beaucoup trop grand de toute manière, du moins, pour ces choses-là. Mon petit paradoxe à moi. Je pouvais encaisser toutes les insultes, les crachats, les regards méprisants. Je les prendrais dans la poire sans broncher et sans haine. Mais ça ne me ferait pas ployer. Ce n'était définitivement pas le genre de la maison, même pour le dieu que j'admirais.

C'était là toute la beauté de mes contradictions. Une femme aussi fière que moi reconnaissait la force des flammes au travers de Kagutsuchi. Parfois je me surprenais à me demander si j'y croyais vraiment, si ce n'étais pas juste mon éducation. Mon père m'avait après tout bourré le crâne avec ma chance, celle de pouvoir manipuler le feu. Une fille de forgeronne qui avait ce don-là, c'était quelque chose, c'était un message, c'était un don. Par contre, je ne pouvais nier que le feu me fascinait, bien avant même de découvrir mes capacités. Il y avait quelque chose d'étonnamment hypnotisant et de beau à voir les flammes danser, et terriblement triste de voir s'éteindre. Le feu était d'un symbolisme dans lequel je me retrouvais bien volontiers. C'était à la fois la naissance de quelque chose et une fin annoncée. Ma passion des lames était née dans l'hypnotique feu des fourneaux de Seizan et mon dégoût dans le visage déformé d'une torche humaine. Un paradoxe.

C'était hérétique de ma part de penser ainsi, raison pour laquelle je le gueulerais certainement pas au sein de ce sanctuaire qui vénérait les types rongés par l'immolacre comme des messagers divins. C'était de la connerie. J'en étais convaincue. Cependant, cela n'avait en rien entaché ma foi pour Kagutsuchi. Les Hommes étaient cons. C'était tout. Par contre, je ne niais pas qu'il y avait quelque chose de louche derrière les torches humaines, ce qui me fascinaient encore plus. C'était une des raisons principales de ma présence dans ce sanctuaire. Ces êtres particuliers et toutes les interrogations que cela faisait naître en moi. Et ouais... parfois cela bouillonnait de questions sous ce crâne.

Toujours plantée là, je finis néanmoins par ouvrir un œil au bout d'une dizaine de minutes. Je relâchais mes mains, tout en laissant échapper un soupir. Pas besoin de mot pour dialoguer avec le divin. C'était le concept, non ? Lentement, je sortis de ma poche une courte lame que je déposais sur l'autel, une petite dague que j'avais forgée. Mon offrande. C'était pas grand-chose, mais c'était du fait main. Les prêtres en feraient ce qu'il voudrait - parce que j'étais à peu près certains que ces crétins en soutane se gardaient pour eux la moitié des choses qui était déposé ici. Moi, j'étais en accord avec Kagutsuchi et ma conscience, alors il pouvait advenir ce que bon leur semblerait.

Sur ces pensées, je me décidais à prendre l'air et marchait tranquillement en direction de l'extérieur du sanctuaire. Là, je décidais de poser mes fesses dans un coin du bâtiment, près des escaliers. On était en fin d'après-midi et dans mon grand sens du romantisme, j'aurais aimé voir le soleil se coucher tranquillement. Là, je me pris une cigarette, préalablement roulée avant d'être entrée dans le temple. D'un simple geste de la main, je me servis de mon katon pour l'allumer, prendre une bonne bouffée et ironiquement avoir l'impression de respirer à nouveau.


En voilà un de souvenirs bien amers...

Je me rappelais pas quand j'avais commencé à fumer, ni pourquoi d'ailleurs. Je savais que cela faisait une éternité maintenant, mais j'étais incapable de me rappeler l'origine de cette mauvaise habitude. Je n'avais jamais été une femme spécialement stressée, ni même qui avait besoin de se détendre plus que de mesure. Peut-être avais-je vu quelqu'un qui avait ce vice et cela m'avait donné envie ? Allez savoir. Mais par contre, on hésitait pas à me faire des remontrances à ce sujet, principalement mon père, mais aussi Sojiro. Si on omettait les conditions dans lesquelles nous nous étions connus et le passif que l'on avait cumulé assez rapidement, le médecin qui était en lui ne pouvait s'empêcher de s'offusquer de me voir m'empoisonner de cette façon. Généralement, je l'envoyais chier. Je le faisais encore une fois alors qu'il était plus vraiment là. Un pied de nez qui ne faisait rire que moi.

Mais ce petit moment reposant fut brisé par la présence d'un jeune garçon qui s'invita dans cet aparté que je m'accordais. Un drôle de garçon qui me sembla bien jeune pour avoir une tignasse blanche. Curieuse, je ne pus m'empêcher de sourciller légèrement parce que j'étais intriguée, tout en soupirant sur le côté la fumée grisonnante de mon tabac.


Le ton de ma voix débordait autant d'enthousiasme que mon regard blasé. Il fallait dire que je connaissais déjà l'épreuve des questions de jeune gamin qui n'en finissaient pas. Yahaba, c'était une bonne école pour ça. J'avais beau ne pas répondre, filer dans une autre pièce,  le mioche me suivait quand même et continuait inlassablement à parler, parler, parler... pour m'avoir à l'usure. Maintenant, je me contentais de répondre pour avoir la paix plus vite.


Je ne voyais pas l'intérêt de lui donner le reste de mon matricule. Je supposais que ça se voyait que j'étais pas de la région et que le port de mon katana pouvait peut-être trahir ma fonction, même si parfois, cela ne voulait rien dire. Il y avait tellement d'abrutis qui aimaient en porter pour uniquement parader que désormais, c'était presque devenu un accessoire de mode. Affligeant.

Par contre, ce qui me surprit le plus, c'était ce qui amenait le gamin vers moi, au point que je ne pus retenir un petit gloussement. Il m'avait pris... pour une prêtresse ? L'idée me faisait doucement rigoler. Je suis sûre que la toge me rendrait sexy.


Je n'étais certainement pas une experte, mais j'avais des bases et assez de pitié pour répondre à un enfant. Bon après, j'avais aussi du temps à tuer, on allait pas se mentir. Mais en tout cas, je me mis à tapoter les marches pour l'inviter à s'assoir à côté de moi.


Ça serait ma bonne action de l'année.

Je ne retins pas un petit sourire en coin quand le jeune Akari prit la peine de s'excuser. Même s'il m'avait réellement prise pour une moniale - puisque visiblement il y avait eu confusion - ça n'aurait pas été dramatique. Juste très drôle à raconter. J'avais tellement pas la dégaine de l'emploi et encore moins l'esprit chaste qui allait avec.


Et pas que. En attendant, ce gamin me semblait bien poli, au même titre que je trouvais ça presque bizarre qu'il n'eut pas de nom de famille. Juste Akari ? Ça sonnait comme un gosse abandonné.  D'ailleurs, même pour un marmot, il avait un drôle de regard, le genre qui montrait qu'il avait dû vivre pas mal d'emmerde ou qu'il avait peut-être trop vu pour un âge si jeune. Même si je ne le montrais pas, généralement ça me faisait assez pitié. Pas dans le sens négatif du terme, plus dans l'idée que j'étais navrée pour lui. Il y avait des saloperies qu'on devrait pas vivre, surtout quand on était jeune. Cependant, le monde était ainsi fait et plutôt dégueulasse sur certains aspects. Heureusement qu'il y avait toujours des choses qui rattrapaient le reste.


Parfois les religieux pouvaient se montrer très cons et après ça se plaindrait que ça manquait de fidèle. On avait beau dire, tous ne se valait pas, notamment dans la "vertu".  Soupirant un peu, je pris une grande inspiration de ma cigarette, puis soufflant un nuage de fumée dans la direction opposée du petit, pour que ça ne vint pas lui chatouiller le nez. Mon œil parme en direction du ciel, je réfléchissais comment expliquer les choses.


Je soupirais une nouvelle fois, reprenant ma clope dans les mains pour poser mes mots.


Je tournais mon regard dans sa direction.


Mon attention se reporta à nouveau vers le ciel.


C'était pas mon cas. Je savais que les torches humaines n'étaient pas des démons, mais je ne savais pas ce qu'ils étaient exactement non plus. C'était pour cette raison que ma croyance avait fait un bond. J'étais pas simplement une fille de flammes, j'avais assisté à la transformation d'un homme en torche. J'avais vu, mais je n'y avais pas distingué une bénédiction et je voulais comprendre. Pourquoi. Comment. Quel était le message. Mais j'étais certaine d'une chose, c'était qu'il y avait des humains derrières le feu et qu'ils ne méritaient pas d'être traité comme des monstres.

Parfois, je me demandais à quoi certains les prêtres. Ils avaient un petit moineau perdu comme Akari, et il y en avait pas un qui avait été foutu de lui répondre ? C'était vraiment plus ce que c'était. À croire que les types s'étaient totalement embourgeoisés. Mais je me demandais si mes réponses valaient mieux, parce qu'à la tête de l'adolescent, j'avais pas l'impression d'avoir réussi à le contenter. Portant mon regard vers lui, il paraissait avoir en réalité plus d'intérêt pour le Jashinisme que le Dieu du Feu. Je me rendais compte que peut-être il n'avait pas osé le demander directement parce que c'était à la limite du proscrit.


Étonnamment sincère de ma part. J'avais beau dire que les gosses ça m'irritait, je supposais que j'étais pas insensible à l'emmerdement de certains. D'ailleurs, Yahaba l'avait compris. Ce gosse était intelligent comme son oncle. Pourtant, je voyais qu'il évitait d'en abuser. Pas tout le temps. Ça restait un gamin capricieux.


Je tournais mon attention vers Akari, tentant de sourire un peu pour me montrer un peu plus agréable qu'à l'accoutumé.


Tandis que je m'apprêtais à questionner le jeune Akari, un putain de moine vint nous interrompre pour nous chasser comme si on était des pigeons sur les marches du temple. Autant vous dire que j'eus pour lui mon regard le plus mauvais, alors que le gamin se montra bien plus mature que je n'aurais pu l'être dans cette situation. D'ailleurs, je ne manquais pas à lui faire un doigt honneur tout en crachant ma fumée dans sa direction. Comme si on dérangeait vraiment...

Au lieu de ça, le petit bonhomme proposa qu'on allât autre part pour continuer à discuter et l'idée d'un restaurant me semblait pas mauvaise.


Comme si j'allais laisser un enfant me payer la bouffe. Je fis un petit signe de tête à Akari pour qu'il me suivit et l'emmena dans un petit boui-boui que je connaissais où on servait principalement des ramens. ça ne payait pas de mine, mais chaque fois que je venais au temple, je finissais toujours par manger dans cet endroit. C'était ma petite routine de touriste. L'établissement était banal, une devanture sans prétention, un peu de sable sur le pas de porte rameuté par le vent, mais il y avait une bonne odeur qui s'en dégageait.


Faisant un petit signe pour rentrer, je levais les panneaux de tissus pour laisser Akari passer en premier.

Je ne pus retenir un nouveau sourire alors que le jeune Akari me rembarra littéralement. Le petit bonhomme semblait avoir son petit caractère et sa fierté au point de ne pas accepter se voir offrir un repas par une inconnue. Honorable. Un peu bête de mon point de vue de femme fauchée - on me verrais jamais vraiment refuser un repas gratuit, à moins que ce fut vraiment le roi des connards qui me l'offrit.  


Mais alors que je lui concédais de pas me montrer généreuse, voilà qu'il fit une contreproposition que je trouvais bien plus amusante - d'autant que je pouvais me voir finalement offrir la bouffe et ça... ça fit briller une étincelle dans mon regard. Le jeu. En soi, j'avais pas de problème avec ça, mais les petits défis, ça me démangeait toujours de les relever.


Je m'attendais pas à une proposition aussi amusante, même si je me demandais si c'était pas une façon de m'extirper des informations. C'était pas comme s'il y avait quoique ce soit à apprendre de moi, l'avantage d'être personne au sein de l'armée de Seizan, ni ailleurs. L'insignifiance avait parfois du bon.

Quoiqu'il en fut, une fois arrivée au petit restaurant, on posa nos petits postérieurs fatigués dans un coin de l'établissement, à l'abri des oreilles indiscrètes tout en aillant une vue d'ensemble sur la salle. Le temps de quitter quelques-unes de mes affaires, que je fis un signe pour qu'un serveur vint prendre notre commande.


Je fis simple, comme à chaque fois : un ramen avec du bœuf et une petite bouteille de saké chaud. Je laissais le petit choisir ce qu'il lui faisait envie alors que mon œil parme commençait à l'observer. Fallait bien commencer le jeu, non ?


Il me semblait jeune pour traîner tout seul, mais en réalité, c'était tristement assez commun que des adolescents se retrouvèrent livrés à eux-mêmes. Le monde était assez barbare et la plupart des gens ne regardaient que leur nombril. Moi, y comprit.

Le petit restaurant ne payait pas de mine, mais il était tout à fait convenable, assez en tout cas pour rendre le jeune Akari hésitant sur le menu. Il ne manqua pas de me faire sourire lorsque son indécision le poussa à prendre exactement la même chose que moi. Je connaissais un gamin qui faisait justement la même chose. Par contre, il finissait toujours par le regretter parce que j'aimais les choses un peu forte ou amère. Je comprenais pas les gosses qui voulaient à tout prix copier les adultes... surtout les pires.

Dans sa précipitation, il avait peut-être pas entendu que j'avais pris également une bouteille. Dans la pire des éventualités, je me ferais un plaisir de la finir pour lui de toute façon. Et puis, il me fut pris d'un doute. Le serveur avait souri, sûrement avait-il compris que ce n'était que pour le plat ? Dommage pour moi.

Laissant de côté nos commandes qui arriveraient en tant et en heure, on se lança bien vite dans notre petit jeu de questions-réponses. Manque de bol pour moi, j'avais raté mon coup. Le prix de mon arrogance. Ça m'apprendrait à juger trop vite.


Dans cette éventualité, je risquais de m'attirer des emmerdes. Du coup, je croisais les doigts intérieurement pour que le gamin ne se soit pas foutu dans une sale affaire et ne m'y avait pas mis dedans non plus.


J'eus un petit sourire avant de faire la moue pour réfléchir à une façon de lui répondre.


Sur ces réponses, je me raclais la gorge avant de plonger mon œil améthyste dans les yeux clairs du jeune Akari. Un petit air de malice se dessina sur mon visage alors que je réfléchissais à mon quota de questions.


Sur la dernière question, je me mouillais pas beaucoup, mais elle avait au moins l'office de mieux faire passer les deux premières. Bien que si on suivait ses règles, il pouvait les éviter en posant son joker. Si tel était le cas, c'était aussi une façon indirecte de me donner une réponse.

Mon tête-à-tête avec le gamin était étonnamment plus amusant que ce que j'aurais cru, mais surtout plus étonnant. Si Akari ne me l'avait pas signalé, jamais je n'aurais cru que ce petit bout d'homme était un jeune shinobi. C'était marrant, quand bien même ses explications n'étaient beaucoup moins.


Un constat. Une sacrée famille dysfonctionnelle. Je supposais qu'il m'aurait été facile d'avoir pitié, mais c'était pas le seul garnement dans ce type de situation. Je parlais de la situation bordélique, pas forcément du frangin qui se plaisait à scarifier toutes les membres de sa famille.


Je ne ferais pas semblant de compatir pour la simple raison que je n'avais jamais été à sa place. Peut-être que j'aurais pu, mais avec les si, on pouvait refaire le monde. C'était inutile d'insister. En attendant, je n'attendis pas pour poser mes propres questions et le serveur arriva pile à ce moment. Il nous apporta les verres ainsi que nos bols de ramen. Je remerciais le type d'un mouvement de tête, tendis que je humais l'odeur de mon plat. Ça sentait bon, promesse d'un repas qui serait fortement apprécié. Quant à mon verre, il y avait pas à en douter.

Et je ne fus visiblement pas la seule. Lorsque je vis Akari boire un coup, je m'attendais à le voir grimacer. Le saké était après tout assez amer, et les jeunes n'aimaient pas trop ça. Pourtant, il eut plutôt l'air d'en apprécier la saveur, ce qui me fit présager qu'il filerait du mauvais coton en grandissant. Cependant, de tout cela, ce fut sa réaction à mes questions qui me fit le plus sourire, tandis qu'il rougissait comme une tomate.


Bien sûr que j'étais taquine, sinon on se marrerait pas. Et puis, il suffisait de voir sa tête.


Pas tous mémorables cependant. Je me souvenais même pas de la moitié, preuve que ce n'était pas très important. Mais de tout ceci, cela me permit de découvrir que mon petit Akari était du genre mauvais perdant. À la vue des questions qu'il me balança, il se mouillait pas beaucoup.


Il me fallait la jouer fine maintenant, et je profitais du repas pour penser à quoi poser comme question. Un coup de baguette dans mes ramens, une lichette de saké, et j'eus quelques illuminations.


Bon. J'avouais que je me mouillais pas beaucoup non plus, mais c'était lui qui avait commencé.

Cela devait faire une éternité que je n'avais pas jouée aux jeux des questions-réponses. Dans mes souvenirs les plus anciens, c'était toujours autour de jeu de boissons. Bien évidemment, c'était hors de question avec un marmot de quatorze ans. J'avais tout de même quelques principes. Mais ce qui était particulièrement marrant avec les êtres innocents, c'était de les placer dans des situations gênantes. Est-ce que j'étais un peu garce ? Ouais, mais c'était drôle. Alors, imaginez bien que j'en profitais pour enfoncer le pauvre petit Akari dans son malaise.


Je n'étais pas en train de dire que tous les adolescents prépubères étaient des petits pervers... mais pas loin. Où bien ce n'était que les mioches de Seizan ? Pas certaines que ça soit bien pour notre réputation. En tout cas, sa tronche était aussi rouge qu'une pivoine, on allait finir par croire qu'il avait choppé un coup de soleil. En pleine nuit, ça serait ballot.

Le temps de poser mes questions, que je profitais du temps qu'il prit pour manger tranquillement. Je soufflais un peu sur mes nouilles pour refroidir le bouillon, tandis que je me résolus à manger mes petites tranchettes de bœufs. Je n'étais pas une cuisinière, mais je savais quand même reconnaître un plat bien fait ou de qualité. Pour un tel boui-boui, on était pas mal.

L'oreille tendue malgré le fait que mon œil était concentrée sur mes baguettes, je m'amusais de noter à quel point le jeune Akari me répondait avec sérieux. Il prenait même le temps de me justifier ces réponses, chose que je ne réclamais même pas. Mais en même temps, quand bien même elle pouvait paraître un peu bête, ça me permettait de savoir si j'avais pu le croiser ou pas, le fameux frangin. Les bonnes gueules, généralement je m'en rappelais. Si c'était en plus un fanatique... Le sujet n'était cependant pas hyper clair. Jashiniste ? Carboniste ? Il devait d'être d'un camp ou de l'autre à la vue des questions du petit.


J'eus un petit sourire en coin alors que je pris ma coupelle au moment de mes paroles. Je la soulevais comme pour lui souhaiter la bonne santé, et en but une bonne rasade. C'était une fois de plus à moi de répondre maintenant. Si je conservais mon sourire pour le bandeau, j'éclatais de rire sur la seconde question.  Je tournais la tête pour pas lui cracher dessus, à deux doigts de m'étouffer avec mon dernier morceau de viande.


Je l'aimais bien ce mini shinobi, et j'espérais réellement pour lui qu'il ne se ferait faucher qu'une fois vieux et rabougri. Mais en attendant, le jeu était le jeu. Je me devais de répondre.


Je devais réellement avoir une sale gueule de femme avinée. Faudrait peut-être que je remédie à cela, genre au retour, faire un tour dans les onsens du coin, me requinquer quoi !Et sûrement moins forcer sur la bouteille, je ne le niais pas.


Ha ça ! S'il était pas tombée sur une personne du genre à se vexer d'un rien, la table aurait pu voler.

Le repas avec le gamin se passait plutôt bien jusque-là, bonne ambiance avec notre petit jeu de question-réponse, même si je devais avouer, outre la gratuité du repas, on ne savait pas trop vers quoi on allait. Mais c'était plutôt marrant, surtout lorsqu'il prenait des têtes rouge pivoine. Profitant de son temps de réponse, je bus le reste du fond de mon verre avant de m'en servir un autre, opinant de la tête en fonction de ses propos.


Quand bien même j'étais principalement une samuraï et que l'on savait tous que ma caste ne portait pas forcément les forces de l'ombre dans leur cœur - ce qui n'était pas vraiment mon cas, je m'en foutais comme beaucoup de chose - il fallait reconnaître que le délire du chakra et de la manipulation de cette force, c'était pas à la portée de tous. Est-ce que c'était une question de talent ? Ça, j'en savais rien. Inné ? Peut-être fallait-il des prédispositions ou bien la bénédiction des dieux ! Qu'est-ce que j'en savais. Moi-même j'avais appris comme je pouvais. Pas à la régulière, mais je m'en étais pas trop mal sortie. Bon, j'avais quand même étudié les bases avec des connaisseurs, pour le reste...


Voilà quelque chose qui était beaucoup moins garanti. Néanmoins, si la motivation et l'envie étaient là, je pouvais faire quelques efforts... mais je ferais pas de miracle. Et puis, à l'image des arts ninjas, on n'apprenait pas à manier une lame en claquant des doigts. Fallait un minimum de volonté, quand bien même on jugeait notre savoir d'épéiste un peu archaïque. On aimait bien nous dire que ça ne faisait pas grand-chose sur des yokaï.... comme si c'étaient les seuls adversaires contre lesquels on devait faire face dans l'Onogoro.  Les pires démons restaient des hommes.

Après un nouveau verre et quelques nouilles, c'était à mon tour de répondre à la nouvelle rafale de question. Je ne pus m'empêcher de sourire face à ces étranges déductions.


Je secouais la tête négativement, un petit sourire en coin.


Contrairement à beaucoup, je n'avais aucune fascination particulière envers ces créatures et je comprenais même pas le délire. Je faisais ma vie. Elles faisaient la leur. Chacun de leurs côtés sans marcher sur nos platebandes respectives. Aussi simple que ça.


Remettant mon nez dans mon bol de ramen, j'essayais de vaguement me souvenir la tronche qu'avait cette chose. Avec un œil en moins, vous vous doutiez bien que je m'étais pas attardée sur les détails, hormis celle de ma survie et celle de Sojiro.


Mouais, j'étais la reine de la description, hein ? Qu'est-ce que vous vous attendiez de la part d'une borgne ?

Deux coups de fourchette, il ne m'en fallut pas plus pour essayer d'appâter le gamin pour venir à Seizan. Après tout, puisqu'il disait être un shinobi, il était un client potentiel - même si je me doutais que Sakyuu devait avoir ses propres forgerons. N'en demeurait pas moins que c'était chez nous que se trouvaient les meilleurs, hein ! Fallait bien être chauvin pour quelque chose.


L'avantage avec Yukio était qu'il était toujours au village, moi avec ma profession de samuraï, c'était un chouilla plus aléatoire. Du coup, je refilais assez régulièrement des clients à mon père, il s'en plaignait pas et comme c'était un type honnête, il me refilait toujours une commission quand je lui envoyais du monde. Bref. J'étais pas perdante.


Clairement pas. Ça me dépassait en fait, même si je pouvais comprendre qu'il y avait des avantages dans certains cas. L'exemple qu'il me donna en était un, même si je ne connaissais rien aux vers des sables. Utiliser ces créatures comme des bêtes de sommes, comme on pouvait se servir de chevaux ou de vaches. Cependant, c'était ni l'un ni l'autre. Bref, j'avais un avis plutôt mitigé.


Un petit conseil qui valait ce qu'il valait. Rien de bien nouveau néanmoins pour tous les cinglés qui pensaient qu'on pouvait les dompter comme des toutous. D'ailleurs, ça me rappelait une discussion que j'avais eu avec un autre jeunot de mon village qui m'avait raconté qu'un type s'amusait à vouloir greffer des bouts de Yokaï sur des gens. Je trouvais ça bizarre, mais fallait supposer qu'il devait y avoir des avantages pour se lancer là-dedans. Je trouvais ça un peu dégueu, mais bon. On devait se payer une sacrée tronche après, et pouvait-on être certain qu'on restait humain ? La grande question philosophique.

Sur cette pensée, je pris mon bol dans les mains pour en boire le bouillon, et c'était à ce moment-là qu'Akari me fit remarquer que je n'avais pas posé d'autres questions. Je pris deux secondes pour réfléchir.


Je posais mon plat et portais mon œil borgne sur le sakyujin. Je le fixais intensément comme si je cherchais à percer quelque chose en lui. En vérité, je n'avais strictement aucune foutue idée puisque j'avais l'impression d'avoir faire le grand tour. Après tout, j'avais appris que c'était un shinobi qui maniait le ninjutsu, qu'il avait une mère abusive et un frangin taré, qu'il cherchait à se renseigner sur la religion et leurs façons de faire. Ha oui. Que c'était un adolescent qui ne connaissait pas grand-chose de la vie. Je parlais pas du combat, mais du reste.


Moi j'allais traîner un peu encore à Sakyuu et puis rentrer à Seizan. Le mioche m'attendait.

Je ne pus m'empêcher de regarder le gamin avec une certaine perplexité. Préférer l'harmonie au chaos ? J'entendais bien, mais le rapport avec la volonté d'utiliser les Yokai pour ses besoins me semblaient assez éloigner de ce que l'on pourrait appeler "harmonie".


Ce n'était clairement pas mon problème si des gens voulaient se frotter à elles. Pour ma part, j'avais déjà donné un œil alors que je n'avais même pas la volonté de les emmerder. Vie de merde. Et puis, j'allais pas casser le rêve d'un gamin.


Il était plutôt difficile de me surprendre, du moins en mal en tout cas. J'étais beaucoup trop cynique et ma vision de l'humanité était pas tellement brillante. C'était les gens bien qui m'étonnaient le plus, mais ils étaient trop rares. Par contre, voir que le jeune Akari faisait preuve de bon sens, ça, ça me changeait.


Je montrais mon cache-œil, ironisant sur ma situation involontaire. Autant en rire plutôt que d'en pleurer. D'ailleurs, je n'avais jamais eu d'amertume à ce sujet. Frustrant ? Oui. Parce que cela m'avait obligé à prendre de nouvelles habitudes, surtout pour combattre. Lorsque l'on avait son champ de vision qui changeait, tout le reste aussi. Je vous dis pas la galère au début.

Enfin bref. Changeant la conversation pour mettre fin à nos multiples interrogations - parce que je n'avais plus rien à demander - je sombrais dans les banalités comme celle de "l'après". Je ne pouvais pas m'attendre à une réponse aussi simple que celle que me donna le jeune shinobi. Je ne pus m'empêcher de sourire alors que je finissais mes ramens.



Sur ces mots, je fis un signe au serveur.



Mon attention se porta sur Akari.


En vérité ? J'en avais aucune idée, mais je me voyais mal laisser un adolescent de quatorze ans me payer ma picole et ma bouffe. Et puis, après tout, si on avait vraiment fait les comptes, c'était peut-être vrai aussi.

Je ne pouvais m'empêcher de penser que le jeune Akari était un drôle de gamin. Je ne savais pas si cela tenait de ses manières ou de son parler, mais on pouvait pas dire qu'il était juste ordinaire. Est-ce que c'était propre aux sakyuujins ? Il ne me semblait pas. Pour preuve, quand j'avais connu Sojiro, il n'était pas du tout dans ce délire. C'était juste un type trop vertueux.


Comment résumer simplement tout le speech qu'il venait de me faire. Je ne retins pas un certain ricanement, un brin moqueur, ça, je le cachais pas.


Moi, ça ne serait clairement pas le cas. Je préfèrais largement que les embrouilles soient pour d'autres que ma pomme. Est-ce que cela me posait un problème d'ordre moral ? Pas le moins du monde. Il le faudrait sans doute, mais mon empathie avait des limites et je n'étais pas sadomasochiste.

Toutefois, à la fin de ce repas, Akari me surprit pas une remarque à laquelle je m'attendais clairement pas. Sa candeur était mignonne. Pas tous les jours que je pourrais entendre un truc aussi sympa.


Je me mis à sourire. Il avait une bonne tête et je ne me mouillais pas beaucoup dans mes propos. Pas besoin d'être devin en réalité, surtout qu'il avait pas l'air de noter les sous-entendus. Y avait un paquet de filles qui seraient dégoûtées ! Marrant rien que d'y penser.

Par contre, s'il était un jeune bonhomme tout mignon, il avait quand même son petit caractère. Alors que je précisais que j'allais payer en considérant que j'avais perdu au jeu, le petit roublard vola la note de la main de la serveuse pour tout payer, non sans que cela lui fit du mal aux portes-monnaies.


Quelle tête d'enclume. Il deviendrait mignon, mais visiblement trop fier aussi. M'enfin, j'allais pas me plaindre de la gratuité de mon repas, même si niveau de l'honneur, c'était moyen. Ça tombait bien, j'estimais qu'il ne m'en restait pas beaucoup.

Le laissant faire, haussant les épaules, je lui adressais tout de même un sourire presque compatissant. Puisqu'il voulait claquer tous ces ryos et que j'avais proposé que cela ne fut pas le cas, je n'avais plus de reproche à me faire.


Nonchalamment, je me levais de ma chaise et récupérai toutes mes affaires. Moi aussi, j'avais des choses à faire et je pouvais pas retenir le gamin plus longtemps.


Il y avait des choses pour lesquelles ça ne valait pas la peine, notamment s'il courrait après un trou du cul. Me dirigeant vers la sortie, je lui adressais un simple geste de la main. Un simple au revoir. Fallait être optimiste de temps en temps, non ?