M’étant rendu très tôt au centre administratif du grand arbre, je patiente dans le hall d’entrée, un papier défait à la main. "Formation d’équipe – jumelage avec Chinone Ueda, gradé –".

L’information cruciale me manquait; j’ai maudit au moins huit fois le petit impertinent qui est venu porter cette missive chez moi et qui avait le culot de penser qu’une telle marque d’incompétence n’était "pas grave".

Pas grave?

Bien sûr que non; ce n’est pas lui qui se fait jumeler. Ce n’est pas lui qui doit jongler avec la possibilité d’avoir soit une petite pousse à faire grandir, un égal ou un nouveau dirigeant d’équipe. Bien entendu, lui il peut continuer de traîner de la patte sans aucune honte.

Non seulement ça, mais j’ai eu à faire appel à mon clone coiffeur-maquilleur ce matin, parce que ce papier est arrivé juste à temps pour que je sois en retard si je ne me démenais pas. D’habitude, les cheveux et la poudre sont la partie agréable et tranquille du processus; c’est le kimono qui est un calvaire.

Ce petit insignifiant. «...»

Ce qu’il m’a fallu faire pour être des plus présentable aujourd’hui n’est pas entièrement légal, j’en suis certain. Pourtant, je ne regrette pas, en voyant arriver la dame de sang. Plus petite que moi, elle inspire la dignité et malgré un air présomptueux – je suis pareil, je ne la juge pas – Chinone me semble de bon goût.

Son apparence est aussi soignée que la mienne; ça veut dire beaucoup de choses. C’est une ninja du même style que moi, je le vois tout de suite. En inclinant la tête vers la femme qui m’approche, je me permets quelques mots : «Chinone, n’est-ce pas? Je suis Ao Yamanaka. Ravi de faire équipe avec toi.» En me redressant, je range mon papier. «Pardonne mon incertitude et mon tutoiement, celui qui m’a remis la missive concernant notre jumelage l’a abîmée…»

Ce sale petit incompétent.

Qu’à cela ne tienne.

Discerner le vrai du maquillé est un art fin, et je suis un maître en la matière. Mon travail se passe toujours entre les deux oreilles, et je vis mon travail. Ce que j’ai sous les yeux est un travail de maître, mais il reste à savoir si tout ceci n’est qu’un voile, ou si on l’a réellement faite ainsi.

Je comprends bien que je ne l’impressionne pas, qu’elle n’a pas plus qu’il faut l’envie d’être ici, et je suis assez perspicace pour comprendre pourquoi c’est avec moi qu’on a choisi de la caser. 

J’accepte beaucoup de choses, je ne suis pas un élément difficile.

«Juste assez pour le noter, pas vrai?» Ce genre de personne ne mâche en général pas ses mots, et je lui réponds ainsi pour vérifier de quel tournant elle est. Si elle est approchable, elle confirmera sûrement. Si la froideur de la nuit l’habite, elle me dira que c’est ce qu’elle vient de dire, ou un truc dans le genre. 

Qu’importe, en réalité. 

Je hoche la tête et pose mes yeux dans les siens. «Mon arme… permets-moi.» 

Fermant les yeux un instant, je prends une légère inspiration en liant mes mains avec agilité. Quand je les ouvre de nouveau, que je regarde la femme devant moi, je sens mon esprit plonger en plein dans le sien.

Un esprit froid, mais facile à pénétrer; elle ne doit pas avoir l’habitude des tours comme le mien. On verra bien. Mes lèvres ne bougent pas, mes mains se délient. Je plonge complètement et sans aucune privation; ma voix résonne au fond de son esprit.  «Mon arme, c’est Ça.» Un talent que je développe et continue de perfectionner encore aujourd’hui. «Mes capacités ne sont pas physiques. Je suis type sensoriel, un illusionniste, fait pour l’observation et la collecte d’informations.»

Finalement, je me reprends et arrête la démonstration.  «C’est bien peu de choses, j’en conviens, mais j’ai préféré me spécialiser au lieu de m’éparpiller. Si tu fais quelque chose, fais-le bien.» 

Approchable, si on travaille bien. Voilà ma première impression.

C’est quelqu’un avec qui je peux travailler, sans problème. Ça, il y en a plein; je ne fais d’ordinaire pas partie d’équipes fixes, je suis un élément assez souple pour coopérer même avec les plus difficiles. J’en déduis par ses réponses et sa façon de s’exprimer qu’il est aussi peu commun pour elle de se retrouver groupée.

Ses réponses sont neutres; généralement, un ton frigide révèle un sang plutôt chaud – on essaie de faire paraître, dans ce cas –. Je ne vois que peu de réactivité émotionnelle chez elle, signe de son sang froid et d’un comportement souvent plus mécanique.

Chinone est mécanique, ses interractions me semblent stériles – je vois en elle un grand pragmatisme. Je lui souris et hoche la tête; pour elle, une bonne réponse n’est pas une réponse, mais une preuve. Un esprit violent, avec des crocs, voilà ce que je vois.

Je semble plaire, au vu de son partage d’opinion; je hoche la tête en souriant, on partage le même avis sur ce qui fait un bon shinobi. Du même coup, elle m’offre une idée de quel genre de travail elle sait effectuer; les implications sont nombreuses, plusieurs sont indécentes, mais je comprends. «Donc, en général, tu travailles seule?» C’est ce que je suppose.

Si je dévie un peu du sujet, mais le but de notre rencontre ici n’est pas pour le travail; on ne sera sûrement pas envoyés en mission immédiatement. C’est une question de découverte, de s’apprivoiser et de s’ajuster.  «Si c’est le cas, ton grade doit être assez important. Je suis Chuunin, j’ai encore beaucoup de choses à apprendre.»

Puis, je lui propose, en enlignant mon corps vers la sortie : «Si tu n’es pas occupée, je propose d’aller trouver un endroit pour discuter, apprendre à mieux se connaître. Je me dis que rester plantés ici est impertinent, qu’il vaut mieux aller ailleurs. Puis je te l’avoue; d’habitude, je comble des équipes temporaires, c’est la première fois que je suis jumelé sans mention de temps.»

J’étais surpris. Sur le cul, même.

Non, pas par le grade ou l’affiliation, mais par la vitesse à laquelle Chinone se décida. Si je comprends ce qu’elle insinue, nous entrons en service dès ce soir. Autant dire les choses comme elles le sont; ma nouvelle camarade est une série de tests.

À l’entendre dire que ceux passés avant moi étaient trop mous, un sourire en coin est passé subrepticement sur mes lèvres. Si la mollesse n’est pas faiblesse pour tous, pour elle c’est une faille impardonnable. Je comprends mieux son statut et ses mérites.

Mais la surprise n’eut autre choix que de me sauter à la gorge; prête à partir, à m’emmener sur le terrain, je me suis pris à penser qu’elle comptait me combattre. En pensant plus loin, elle cherche seulement à me tester; elle va m’emmener d’amblée sur une mission pour prouver ma valeur, pour voir de quoi je suis capable.

Il ne serait que mollesse de refuser maintenant cette épreuve.

Je vais le relever, ton défi.

Si trop de mots ne valent rien, je ferai simple. Inclinant la tête en signe de respect, je souffle que c’est «Entendu. Je serai aux portes du village dans moins d’une heure. Je serai prêt à partir.»

J’aurais bien voulu commenter sur cet élan d’impulsivité, sur cette soudaine mise en action, mais je m’abstiens. Quand je disais que rester planté ici était impertinent, je parlais seulement de l’endroit…

***

Quittant le grand arbre, je file à mon domaine récupérer mon équipement et préparer une seconde tenue, histoire d’être prêt si on part plus d’une journée. Je change aussi ma tenue actuelle pour être plus adapté; je reste élégant mais au moins je peux porter ma côte de mailles sans me sentir étouffé.