Perles de sueur coulant sur son visage, au travers de la terre glaireuse des galeries de Seizan, un moine jouait à l'âne. Brouahara de la charrette en bois qu'il tirait sans aucune aide, il ne semblait pourtant nullement fatigué. Marchant à son rythme, sifflotant un air de taverne, le Kaice semblait accoutumé à ce genre de tâche.
Après tout laisser son géniteur ce briser le dos pour ce genre de livraison ? Certes cela ne lui avait pas manqué de se rendre à la Forge Kaname, le vieux Yukio ayant un caractère plutôt exécrable. Toutefois il s'agissait d'un vieil ami de la famille.

Accélération soudaine imposée par un vile escalier, la course prit le pas sur la marche. Le boucan ne manqua pas d'alerter les différents artisans, ces derniers restant indécis entre le rire le désespoir. Ce n'était pas tous les jours qu'on voyait un ahuri dévaler les rues en cheval saoul.
Pourtant à l'approche de sa destination, l'abêti reprit un semblant de dignité. Modifiant sa prise, il se retrouva soudainement de face au chariot. Inspiration, pieds droit vers l'avant, le gauche s'enfonça puissamment dans le sol. Glissade absorbant la vélocité, musculature transférant l'énergie, il s'arrêta juste à temps. Regard fixé au sol, il replaça brièvement le bandeau tombé sur ses yeux, s'attendant bien entendu aux remontrances de celui qu'il considérait comme un oncle.



Surprise, alors qu'il portait enfin son regard sur l'interlocuteur, ce dernier s'avéra plus jeune, plus agréable à la vue, et surtout bien plus féminin que ce à quoi il s'attendait. Souffle coupé, il resta bien cinq secondes en silence, avant de reprendre ses esprits.
Se permettant de rire de sa propre erreur, il lâcha sa cargaison enfin stabilisée, avant de joindre le poing et la paume. Légère inclinaison, salut martial, en un instant, le neveu dépité laissa place à l'aisance du Moine.

Quand je cherchais mon vieux, il était jamais là. La bique s'était barrée on ne savait où au moment où j'avais besoin de lui. À croire qu'il le faisait exprès. Il devait sentir quand j'étais à deux doigts de l'enguirlander. Il faisait déjà le coup avec ma mère.  



Je savais que j'aurais pas dû lui prêter mon matériel. Ce sagouin était bordélique, aucun sens de l'organisation. J'étais même assez étonnée qu'il eut jamais perdu la boule en laissant tout n'importe comment. Moi, en tout cas, ça me mettait les glandes et pas qu'un peu. Du coup, je fouinais un peu partout comme une voleuse pressée.... mais qui était sur le point de se faire gauler.

J'entendis une voix dans mon dos, une voix que je ne reconnus pas. Je ne pus m'empêcher de sourciller, surtout quand je vis l'éphèbe qui se pointait à l'entrée de la forge de mon vieux. Depuis quand il connaissait ce genre de bonhomme ? Je ne pus m'empêcher de le dévisager de haut en bas alors qu'il se présentait.



Puisqu'il parlait de mon père avec familiarité, je ne pensais pas utile d'en faire des caisses.



Je lui fis un simple salut de la tête, les courbettes j'évitais au maximum. J'aimais pas le côté soumission, et encore moins devant quelqu'un que je connaissais ni d'Ève ni d'Adam.



Si mon père pensait que j'allais lui payer ses commandes, il se grattait. Par contre, j'avais pas souvenir que Yukio m'eut dit qu'il attendait quelque chose.



Je posais mon œil unique sur ce Maho avec un peu de suspicion, avant de lentement fouiller dans ma poche pour chercher une cigarette. D'un petit tour de passe-passe de ninjutsu katon, je l'allumais. C'était pas pour me la péter, mais m'entrainer dans ma maîtrise. Cela pouvait sembler con, mais je travaillais ma précision.

Réponse franche et directe, personne ne lui rendit son salut martial, mais le moine était loin d'être déçu. Au contraire, le destin lui jouait une agréable farce ! Depuis combien de temps connaissait il le vieil homme hein ? Quand il s'agissait de le réprimander parce qu'il avait négliger le trempage, y'avait du monde, par contre quand il fallait présenter sa propre progéniture, personne ?
Œil bandé, chevelure d'ivoire, la demoiselle se dévoila en diamant brute, et si son physique était mile fois plus agréable à regarder que celui de Yukio, sa franchise frôlant l'irrespect lui venait bien de son père.



Etonnement susurrer, il fut toutefois interrompu par Honoka qui ne passait pas par quatre chemins. Il était vrai que pour elle, il n'était qu'un livreur exotique. S'armant d'un sourire galant, l'éphèbe fit toutefois  un pas rapide, se plaçant entre elle et sa cargaison. Elle n'avait aucune raison de lui mentir, mais il n'avait aucune raison de la croire.



Ajoutant le geste aux mots, Maho se saisit de l'un des sacs. Il s'apprêta à le lancer vers son interlocutrice, mais une superbe démonstration de ninjutsu le cloua sur place.



Généreux en compliment, le moine s'était déjà fixé comme objectif d'arracher un sourire à son hôte. Ouvrant le sac en toile, il en sortit un casque enrobé de tissu. Une armure de samouraï, cela ne faisait aucun doute, mais alors qu'il tendit le couvre-chef vers la Kaname, celle-ci put observer l'intérieur. La signature de son père marquait encore le métal.



Laissant la dame s'emparer du colis, le moine se saisit alors des restes des sacs, les soulevant d'une main comme s'il ne pesait rien. Oui, malgré son visage d'ange, ses muscles de danseurs n'étaient pas purement esthétiques.
Quelques pas vers l'avant, se rapprochant suffisamment d'Honoka pour sentir le souffle de la cigarette, il gardait néanmoins un sourire plein d'innocence.

Méfiant le grand dadet. Voilà qui se plaçait entre moi et son charriot... mais je comprenais.  Je supposais que j'avais pas la tronche d'une femme honnête, surtout qu'il m'avait surpris en train de fouiller partout. Je ne pus m'empêcher néanmoins de le dévisager une fois de plus, de haut en bas. Plus intéressant de prêt que de loin.


En vrai, je savais pertinemment pourquoi il m'en avait pas parlé. Ouran était un ami à lui, et paradoxalement une sorte de rival. Sans doute que ça l'emmerder de voir la nouvelle génération copiner... à moins qu'il me cachait d'autres raisons ?


Je savais pas si cela allait changer grand-chose à nos vies, mais si un jour on avait un soucis, je savais plus ou moins qu'on pouvait compter sur cette vieille amitié. Il fallait juste espérer que je m'entendis bien avec... Maho ? Quelque chose me disait que ça serait toujours moins tendu que la relation entre nos deux pères. Intuitions féminines.

Pendant qu'il m'expliqua les raisons de sa venue, j'en profitais pour m'allumer une cigarette, même si ma tension était déjà redescendue d'un cran dans ma contrariété. Mon père avait du bol que l'éphèbe fut passé et peut-être encore plus quand il détourna ma frustration sur mes capacités à mettre le feu.



J'eus un léger petit sourire alors que je crachais ma fumée sur le côté. J'étais assez polie pour pas lui envoyer à la tronche. Invité oblige après tout. Portant rapidement mon attention sur le sac qu'il avait sorti, mon œil se perdit un peu sur les différentes pièces d'armure qu'il me présenta. Rapidement, je reconnus qu'il s'agissait du travail de mon vieux au moment où il me tendit le casque. Je me permis de l'examiner, par réflexe du métier.


Tandis que mon attention demeurait retenue par le vieux heaume, je ne me rendis pas compte immédiatement que mon beau gosse d'invité s'était avancé vers moi, attendant de savoir où décharger tout ce qu'il avait trimballé jusqu'ici. Relevant finalement la tête, la clope coincée entre mes lèvres, je désignais de mon index un coin de la forge.



Alors que je le laissais jouer des bras, je me contentais de reposer le casque près des sacs, puis de chercher un bout de papier sur lequel j'allais noter quelques mots doux pour mon vieux, dont une insulte incendiaire à son encontre concernant le vol de matériel.



Je me retournais vers lui, sourcillant légèrement alors que la fumée de ma clope valdinguait devant mon œil. Tout travail méritait salaire. J'avais tout de même un minimum de principe, même pour des livraisons.

Un gâchis, c'était un véritable gâchis. Tout ce temps passé aux côtés d'un vieillard aigri aurait été bien mieux investi auprès de la jeune femme. Sans doute son père avait-il pressenti ses penchants casanovesques, et ne souhaitait pas pimenter d'avantage les relations avec son vieil ami ?
M'enfin le destin avait toutefois décidé de corriger le tir, et la familiarité de mademoiselle donnait presque l'impression qu'ils s'étaient toujours connus.



Pour être honnête, l'exigence physique du milieu ne le rendait pas particulièrement attractif à la gente féminine. Certes, moults femmes faisaient jeu égal avec la force masculine, mais cela restait hélas une minorité.
Obéissant aux ordres, le petit cœur déchargea sa cargaison entre une caisse de ferrailles et un présentoir d'armes longues. Bien qu'il fut de son mieux pour le masquer, ce bordel le mettait visiblement mal à l'aise. Après tout il était habitué à la forge méticuleusement arrangée de Kyoshiro. Ici, il lui fallait redoubler d'attention pour ne rien faire tomber. Il ressorti donc sans se faire prier, juste à temps pour une remarque absolument magnifique.
Prit de court par cette rhétorique, il resta donc quelques secondes silencieux, ses yeux plongés dans ceux, dans celui de la borgne, avant de retrouver son sourire.



Et à peine eut-il déclamer ses mots qu'il se rendit compte de leur effet. La subtilité d'une vache de traie… Posant sa main sur son front, Maho se permit un rire navré. En même temps il y avait-il une meilleure façon de présenter les choses ? Elle semblait apprécier l'honnêteté non ?



Une erreur de prénom, une tentative d'adoucir les bords, au moins Maho venait de passer au tutoiement. Une chose pas forcément aisée quand l'on connaissait son amour du raffinement. Il restait cependant un artisan, l'élégance avait plusieurs visage, et malgré son parlé bourru, la Kaname, d'une certaine façon, ne manquait pas de classe.

Je ne pus retenir un petit sourire en coin quand le joli cœur glissa que j'étais une "jolie" forgeronne. Fallait dire que dans le métier, entre les moustachus, les gros lards et les géants, on avait pas spécialement de beaux gosses. Cela se comptait sur les doigts d'une main. Mais c'était pas avec du miel qu'on pouvait m'attendrir. Je prenais le compliment. Je crachais pas dessus... mais ça changeait pas grand-chose.  Je savais pas encore quel genre de loustic il était, quand bien même je connaissais son vieux.


Cruelle vérité. Mais lorsqu'il mentionna qu'on pouvait laisser nos pères respectifs gérer eux-mêmes leur boulot, je haussais les épaules en faisant une petite moue. Clair que c'était pas tellement nos oignons. Moi, techniquement, j'en avais rien à cirer, mais je connaissais assez Yukio pour qu'il trouva le moyen de râler si j'eus pas demandé au cas où. Au moins, c'était fait. Par contre, la seconde remarque, elle, elle me fit rire. Il avait pas froid aux yeux de Maho. Un direct, hein ?


Toujours la cigarette allumée, je pris une bonne bouffée avant de tranquillement la souffler sur le côté. Mais à peine eus-je le temps de faire cela que je sourcillais devant le fait qu'il eut pas retenu mon nom. Moins un point pour le beau gosse.


Sur ces mots, je finis par m'avancer pour passer à côté et continuer mon chemin, mais au niveau de la sortit de la forge, la clope coincée entre deux doigts, je pointais du doigt une direction.


Et heureusement, sinon on nous aurait trouvé mort tous les deux. Déjà que même voisin on trouvait le moyen de s'engueuler régulièrement, alors imaginer si on était dans une seule et unique même pièce pour le boulot. J'en eus un frisson.



Je lui fis un petit signe de tête et le guidait jusqu'à ma forge, qui, pour le coup, était largement plus nette.

Retour à l'envoyeur, son flirt maladroit lui fut renvoyé en pleine figure. La demoiselle en détresse n'avait jamais été un stéréotype prédominant à Seizan, mais même parmi les fortes têtes, la Kaname sortait du lot. Cigarette à la bouche, parfaitement à l'aise devant l'homme à moitié nu, elle était clairement prête à rentrer dans la danse. Fort bien, notre moine adorait valser.



Faire la conversation tout en marchant jusqu'à la forge, même s'il ne s'agissait pas que de passé le temps. Le courant passait plutôt bien, pourquoi ne pas apprendre à se connaître ? De son côté Maho avait prit l'habitude de porter le bandeau de Seizan un peu partout. Malgré la chaleur, ce dernier trônait actuellement sur son front.



Ils arrivèrent finalement en face de sa forge, et Maho ne put s'empêcher de faire un pas vers l'intérieur, quittant pour un instant son manteau de politesse. Une armure attendait quelques finitions, des armes de tout types trônaient sur le côté. Il était sincèrement impressionné. Si beaucoup d'artisans se spécialisaient s'étaient bien parce qu'il était diablement difficile d'être polyvalent.
Son regard fouinait un peu partout, véritable enfant dans un magasin de jouets. Il lui fallut quelques secondes, pour tout absorber, et aussi pour retrouver un tantinet de maturité. Il reposa ses yeux sur la demoiselle, une flamme d'admiration allumant désormais ses prunelles.



Sa main caressa une sorte de dague à la lame droite. Avec la permission de la créatrice il la saisit, la posant en équilibre sur sa main pour vérifier la balance. Aucun défaut à ce niveau, il la fit tournoyer un peu avant de la reposer exactement à sa place. Au moins avait-il appris cela de l'aveugle : Respecter l'organisation d'un Forgeron.

Toujours la cigarette coincée entre les lèvres, je ne pus retenir un petit sourire presque sournois se dessiner sur mon visage. J'avais fini par m'habituer qu'on me prit pour une shinobi à cause du fait que j'avais développé, de ma propre volonté, le ninjutsu du feu. Mais je n'avais jamais voulu suivre leur précepte. Je trouvais que les ninjas, ça faisait trop bon chic bon genre.


Sous-entendu : une samuraï. Autre sous-entendu : libre à votre imagination d'en disposer. Ma forge n'était pas si éloignée de celle de mon père, on arriva assez tôt chez "moi". Là, Maho put s'inviter et admirer que c'était pas le bordel comme chez Yukio. Mais il mettait le doigt sur un truc évident : j'avais pas de spécialité. Je forgeais tout ce qu'on me demandait.


Comme tout, la polyvalence avait ses qualités et ses défauts. Alors qu'il me demandait la permission, je haussais les épaules, signe qu'il pouvait regarder sans problème.


ça pouvait avoir la gueule d'une menace, mais cela n'en était pas une. Plutôt une simple constatation pour dire que notre famille se connaissait, qu'il y avait déjà une relation de confiance qui avait été bâti. Mon père ne serait jamais permis de donner des accès à un type pour qui il n'avait pas un minima d'estime... ou à peu près.

Puis, voilà que Maho me sortit un nom que je connaissais déjà. Je laissais échapper un petit ricanement.


Écrasant le mégot de ma cigarette dans un cendrier tout près de moi, je gardais un petit sourire en coin, tout en pointant mon œil parme sur la silhouette du moine.


Et pour quelle raison ? Là, je me le demandais.

Etonnante coïncidence en effet. Les dieux n'avaient surement rien à voir dans l'histoire, juste des parents trop protecteurs et un pote peu bavard. Quand à leur rencontre, Maho observait de nouveau la demoiselle. Vêtements légers, uniforme des forgerons, lèvres encore humides de cette cigarette fraîchement consommée.



Sourire de connivence, Maho se doutait bien que ses mots fleuris seraient insuffisants. Pour être honnête, il s'agissait autant de plaisanter que d'attirer son attention. Quittant la proximité du présentoir, il enjamba gracieusement un établi, y prenant place, à proximité de la maîtresse des lieux.



Il la fixait avec des lèvres ravies, une sincérité dans la voix malgré son apparence joueuse.



Changer de sujet, le Kaice s'était déjà relevé. Ses pas le rapprochèrent du brasier, son regard se posant dans les cendres avec la révérence d'un poète. Rapide tour de tête vers la forgeronne, se pourrait-il que …

Omoikane, hein ? Les moines et leurs rapports aux dieux. Tout un monde. M'enfin, je supposais que j'étais mal placée pour causer vue mon allégeance à Kagutsuchi. Cependant, j'en étais pas au point de penser que je pouvais l'offenser d'une quelconque façon parce que je regardais ailleurs.


Je ne pus m'empêcher de retenir un bref petit rire face à mes allusions. Bien évident, je jouais sur les mots, on pouvait les interpréter, soit menaçant, soit tendancieux. C'était pas drôle sinon et puis, Maho avait l'air d'avoir du second degré, autant voir jusqu'où je pouvais le titiller. De toute manière, tout le monde savait que les moines, c'était sage comme des images... ou à peu près.


Je brillais d'optimisme, mais ça m'empêcha pas d'afficher un petit sourire en coin en même temps que je fumais tranquillement. Il me plaisait ce Maho, c'était un drôle et j'aimais bien les gens drôles. Enfin, pas un mauvais bougre en tout cas et puisqu'il était ami avec l'aveugle, cela validait un peu mon ressenti. J'avais eu un bon feeling avec mon homologue miro, et je supputais qu'il ne s'entourait pas de n'importe qui.  


J'étais surtout maniaque et j'aimais retrouver les choses à leur place. Conséquence, j'aimais pas qu'on touchât à mes affaires. Aussi simple que ça.


Un fait. Sans doute parce que jusque-là, ça ne m'avait jamais intéressé et j'en voyais pas l'intérêt. Il n'y avait que le dieu du feu dont l'existence avec un sens qui me parlait. Je crachais pas sur les autres divinités, mais disons que j'avais pas envie de gaspiller mon énergie partout. Un seul, c'était largement suffisant. C'était comme avec les types : il était préférable d'éviter de les collectionner si on voulait pas d'embrouilles.


Prendre ses mains pour des masses et marteler le fer ? C'était un concept original. Un peu maso à mon goût, mais original. Je savais pas qui était le fou qui avait voulu jouer de cette excentricité, mais pas mon délire.


Quel sacrilège.

Recevoir des étincelles était aussi plaisant qu'en créer. Par delà son silence, le moine accueillit ces ouvertures avec sourire. Désormais bien plus proche d'elle, il n'avait guère d'autres choix que de la regarder dans les yeux. Heureusement, quelques mots vinrent rapidement le distraire. Le Temple du feu ? En voila une croyance originale…



Oui, malgré ses sourires charmeurs et ses phrases aguicheuses il restait un moine, des années d'études avaient ancré la cosmogonie du Kamisuuhai dans son crâne. Il passa toutefois sur l'opportunité d'un débat, même si son regard s'arrêta brièvement sur les braises. Le feu était un élément fascinant, père de tant de merveilles, il semblait pourtant incapable de briller par lui-même. C'était sans doute pour cela que le Sanctuaire du feu restait un Temple mineur, là où celui du Soleil rayonnait au travers du Nippon.
Attention retournée sur la demoiselle, le Kaice ne put s'empêcher de rire en réponse à sa remarque. Son doigt se posa sur sa bouche, une moue faussement réflexive, et le voila relancer dans leur rhétorique.



Comme pour prouver ses dire, Maho se rapprocha d'avantage. Glissant félinement le long de l'établi, il fut suffisamment proche pour toucher la demoiselle. Doucement il se saisit d'une main, la posant délicatement sur la sienne, tandis qu'il caressa la peau de l'artisane.



Sourire taquin, il arrête naturellement le contact, sauf si elle le retenait ? Il pouvait toujours rêver…



Sautant subitement de la table, il se retrouva en écolier en face de la belle. Mains rigidement tendues vers l'avant, un air faussement constipé sur le visage, il s'inclina avec la souplesse d'une marionnette rouillée.

Je me mis à hausser les épaules lorsqu'il me parla des enfants de Kagutsuchi. Je savais que notre temple les adulait, mais ils n'étaient pas le feu de leur "père". Un autre délire, bien que ça ne signifiait pas que je respectais pas les rejetons.


Un nouveau double sens. Il fallait que c'était tellement à ma portée. Entre les petits sourires du joli cœur et le fait que le katon soit mon élément primaire, j'avais quelque facilité à jouer avec les mots. Mais visiblement, j'étais pas la seule à m'amuser avec les "règles", bien que cela était un peu plus surprenant de la part d'un moine. Cela avait au moins le bénéfice de me faire sourire.


Mon esquisse s'étira un peu plus tandis que mon œil parme ne le quitta pas d'une semelle. C'était vraiment un drôle d'oiseau ce Maho et il était en train de me faire regretter de pas l'avoir connu plus tôt. J'allais avoir une sérieuse conversation avec mon vieux sur son silence à ce sujet.

En tout cas, j'eus droit à son grand numéro de charme. Autant vous dire que ça me faisait encore plus marrer. Un moine qui draguait ? Il n'y avait rien de pire et de drôle. Le seul truc, c'était qu'il savait pas avec qui il jouait et que j'étais du genre à pas hésiter à me cramer la main si cela en valait le coup. Le laissant jouer avec ces cartes, je conservais mon silence quelques instants. Le petit sourire, la petite caresse... Naaaah. C'était pour les gamins tout ça, trop timoré. Avec moi, on jouait uniquement dans la cour des grands.

Tandis qu'il continuait son petit spectacle en me réclamant comment m'appeler, il ne m'en fallut pas plus pour montrer qui était la patronne dans cette forge. Les petits plaisantins, j'étais du genre à les mater, alors sans faire de manière, je lui saisissais la main fermement et le tira vers moi. Cependant, comme si je lui imposais une danse, je me décalais et inversais les rôles. Il se retrouva contre la table, moi devant lui, l'œil amusé et le sourire aux lèvres.


Les lèvres s'étirèrent légèrement, amusées de la situation. J'étais pas une grande timide et quand on s'approchait un peu trop d'un foyer...


Conservant mon expression provocatrice, je me reculais néanmoins de l'éphèbe. Fallait pas lui donner trop d'émotion d'un coup.

Oui, une histoire d'interprétation, et peut-être aussi de coup de fouet à l'ombre du foyer. En attendant mademoiselle plus braise que métal échauffait savamment l'homme de foi. Prenait elle ce genre de libertés avec n'importe qui, où se sentait elle protéger par les fameux préceptes ? Se délester, cela faisait certes partis de leur doctrine, mais il ne s'agissait que de mots…
La suite par contre transcendait l'éloquence. Petit écolier trop sage, il ne se souvenait pas vraiment que quelqu'un trouva ses avances trop timorées. Pour être honnête, son public contenait d'avantage de jeune filles effarouchées, héritières désœuvrés ou marchandes en quête d'aventure, que d'artisane de haut calibre. Elle le prouva encore en inversant les rôles, lui le dos contre une table, et elle dans le rôle dominant.



Une réponse imagée pour soutenir l'allégorie, malgré son sourire, Maho ne pouvait masquer sa surprise. Oui, elle l'avait vaincu à son propre jeu, mais qui avait dit qu'il n'appréciait pas la défaite ? S'il empruntait à Casanova l'art de la séduction, il ne partageait pas l'esprit conquérant de Don Juan. Mains posées sur la table, il prit appui pour retrouver son équilibre. Elle s'était éloignée, dommage, mais peut-être mieux ainsi ? Si son but était de l'aviver, mission réussie.



Vitesse et explosivité du guerrier, il couvrit la distance en un instant, sa main droite attrapant celle de son vis-à-vis. Fermeté dans le geste, sans toutefois tomber dans la brutalité. Son regard de jais se plongea dans le saphir, une lueur égrillarde confirmant l'éros sous-jacent. Il était si proche de faillir, ça serait si facile. Se seraient ils trouvés dans une chambre close, à l'instar d'une forge ouverte, bien que, pour l'instant, vide de témoins indiscrets.



Ce n'était pas ce qu'il voulait dire. Non, il aurait aimé qu'elle s'enflamme ici et maintenant, mais pouvait il se le permettre ? Makoto, sincérité et vérité, une vertu du Bushido qui rendait difficile pour un Samuraï de garder le sceau du secret. Il pouvait expier ses pêchés en silence, mais était-il prêt à affronter le jugement de ses pairs ? Pas maintenant, pas tout de suite.
Il fit donc un pas en arrière, même si la chaleur nouvelle de son corps hurlait le contraire. Le peu qu'il savait de la Kaname l'avertissait qu'elle ne serait pas son garde fou, bien au contraire.



On pourrait répondre qu'il n'était pas exactement un "pauvre moine", mais il ne s'agissait que d'une technicalité. Moment de répit, il en profita pour essuyer du revers de main la sueur naissante au niveau de son front.
Oui, ils restaient dans une forge souterraine, et sincèrement si Maho devait résister à sa gourmandise, un changement d'air lui ferait le plus grand bien.

Voilà un moine qui avait le sens de la formule et de la rhétorique. Impossible pour moi de ne pas sourire face à sa formulation qui pouvait avoir plus d'un sens. Il me provoquait ? Sans doute. Quel gredin. Bien le fils de son père... mais je préférais nettement le fils. Il était plus marrant.


Je n'aimais pas tellement l'hypocrisie et je n'avais honte d'à peu près... pas grand-chose. Quand on avait déjà craché sur son honneur, on se contentait que du minimum en matière de dignité. J'étais déjà devenue un fruit pourri, donc un peu plus ou un peu moins... ça me perturbait pas. L'enfer m'attendait déjà. Du coup, puisque Maho semblait vouloir se brûler avec les flammes, c'était pas moi qui allait retenir sa main. Chacun était maître de sa bêtise et honnêtement, les préceptes des moines, ça me faisait une belle jambe.


Il y avait deux manières pour moi de partir en vrille, mais chacune de ses façons naissaient dans la provocation. Soit il fallait me mettre les nerfs, soit un peu trop me titiller. Et lorsque l'on apprenait à gérer le feu, pas certain que cela fut une bonne idée Quel que soit le chemin emprunté. Alors quand Maho se la jouait, s'approchant et reculant sans dépasser de trop la limite... fallait faire un choix.

Il était rapide ? Moi aussi. Il m'en fallut pas plus pour le coincer à nouveau près du comptoir, le laissant à peine essuyer son front. Sans aucune pudeur ni même sommation, je me retrouvais coller à lui alors que mon visage s'approchait dangereusement de son oreille.


Comme si cela ne suffisait pas, et quand bien même mes propos pouvaient sonner comme des menaces, je passais la langue sur sa joue, telle la prédatrice qui goûtait à sa proie qu'elle dévorerait au moindre mouvement de travers. Est-ce que j'étais dingo ? Dans mes grands moments. J'étais surtout mauvaise joueuse quand on me plantait en pleine partie, et ici, il était évidemment qu'il n'était pas possible de la commencer... ou bien de la finir. Et moi, j'étais pas le genre de femme qui voulait vivre de frustration, alors autant mettre un frein raisonnable.

Je finis par reculer lentement en affichant un air satisfait, je supposais que le message était clairement passé. Autant, je pouvais m'amuser de petites piques et bons mots, autant quand on passait la ligne, il fallait préparer les armes.


Je ne pus m'empêcher d'avoir un petit sourire mesquin. Fallait bien détendre l'atmosphère.

Il s'était toujours imaginé en tant que félin, dansant autour de ses proies, séduisant par sa grâce, mais toujours prêt à sortir les griffes. Pourtant alors qu'il valsait avec la forgeronne, Maho dut réévaluer ses références. Sans peine elle égala sa vitesse, lui interdisant l'échappatoire, son corps désormais posé contre le sien. Qui l'eut crût que la température pouvait encore augmenter ?
En tout cas le moine se retrouva immobile, s'il était toujours un félin, il faisait désormais office de chat entre les griffes d'une panthère. Une panthère au regard azur.

Il ne pouvait absolument rien faire, rien dire, s'efforçant de maintenir se status quo. Le corps complètement immobile, ou au moins la majorité, certaine partie jouissant hélas d'autonomie, le Kaice se délectait de cette soudaine domination. Au non, ce n'était pas la peur qui le paralysait, loin de là. Profitant du souffle contre sa joue, ses mots résonnèrent en lui. Pourquoi devait il se retenir ? Lorsque la langue toucha sa peau, il dut fermer les yeux, les chaînes de la religion se transformant soudainement en ficelles. Il aurait été si facile de céder, si facile, si plaisant.
Intervention divine, la prédatrice fit un pas en arrière, car il ne se faisait aucune illusion, elle détenait en ce moment les clefs du futur. Parvenant tout juste à réguler sa respiration, l'ephèbe n'eut d'autre choix que… Rire ? Oui, un rire sincère accompagné d'un visage plongeant dans sa main. Il aimait jouer, mais il n'avait pas forcément besoin de gagner.



Joignant ses mains, le moine entreprit de s'étirer, ses bras soudainement en l'air révélant le superbe de sa musculature. Une énième provocation, même s'il savait désormais que ses piques d'enfants ne fonctionnaient guère ici. Au moins retrouva t'il un sourire plus chaste, il était grand temps d'abandonner les sous-entendus non ?



Autant être clair également à ce niveau. De toute façon si elle le souhaitait, elle pouvait d'hors et déjà salir son nom. Quittant le support de la table, Maho s'extirpa de la forge. Il scruta de nouveaux les alentours, assurément ce n'était pas la dernière fois qu'il viendrait.



Il ignorait tout de son emploi du temps. Si lui n'aurait aucun scrupule à fermer une forge pour se divertir, tout le monde ne partageait pas, hélas, son laisser-aller. Alors qu'il réajustait ses vêtements il repéra une petite ouverture dans le couloir rocailleux. Bien entendu les grottes souterraines regorgeaient de fenêtres, naturelles ou non. Il fallait bien un échappatoire à l'air infernal des forges.



Car oui, si le moine aimait séduire, l'Aveugle brillait dans ce domaine. Assurément il n'avait pas pu résister à l'attrait de la flamme. Lui cependant n'avait pas à se soucier de se brûler les ailes.

Un petit rire. Je ne pus le contenir quand Maho me donna un grand nom pompeux. " Demoiselle grande forgeronne des arcanes enflammées ". Il avait pas trouvé plus long ? En tout cas, on pourrait pas dire que les moines n'aimaient pas les grandes formules.


Ce qui était bien loin d'être mon cas. Mais je l'aimais bien ce Maho, pour le peu que j'avais découvert. Si nos deux pères s'entendaient bien, il n'y avait rien qui nous empêcherait que cela fut aussi notre cas. Et puis, nous étions apparemment deux provocateurs. Si c'était pas un signe du destin, hein ?

Une fois remis de nos émotions - la blague - il me fallut une nouvelle cigarette. Le temps que je l'allumasse, j'écoutais la répondre du moine face à ma proposition d'aller boire un verre, l'occasion de rattraper le temps perdu. Encore une fois, je ne retins pas un court gloussement devant le culot de Kaice. Là, j'y voyais un peu le côté de son vieux.


Même si sur le principe, on me dirait "qui étais-je pour juger de ce qui était grave ou non aux regards des dieux ? ".  Sans déconner, quand on avait un dieu capable de démembrer un nouveau-né, fallait être un peu soupe au lait  pour en vouloir aux pécores de picoler un peu.

Prenant une bonne bouffée de ma clope, je me mis soudainement à agiter négativement la tête en réponse à leur remarque de Maho.


Dans les souterrains, c'était toujours la galère de savoir exactement l'heure qu'il l'était. On était plutôt coupé du monde, et je vous mentirais pas en disant que parfois, ça me convenait. Bien entendu, maintenant j'avais un garnement qui me cassait les oreilles si je rentrais pas... à deux doigts de le faire adopter par quelqu'un d'autre...

Sans plus attendre, je rangeais le nécessaire, fermant ma forge pour que l'on décampa rapidement de la zone. La clope au bec, on se mit en route pour la surface. Le grand air nous appelait, bien que nos pas brillaient par leur nonchalance. Il n'y avait littéralement pas le feu, et puis, c'était aussi une occasion de causer un peu.


Ce que j'omettais de dire, c'était que c'était précisément pour son boulot et sa manière de travailler que j'étais venue le voir, pas pour sa grande gueule. Et la réputation qu'il se taillait n'était pas celui d'un don juan, enfin, c'était pas ce qui était venu à mes oreilles. Lui aussi était du groupe des provocateurs.


Pour le coup, on avait vraiment discuté que boulot et à vrai dire... bah en fait cela avait largement suffit. Y avait des histoires qui méritaient d'être plus compliquées que ça.

Enthousiaste à foison pour compenser son récent embarras, Maho se laissa guider hors de la forge. Heureusement pour lui, son interlocutrice n'était pas du genre à s'offusquer, et ce jeux de séduction avorté semblait déjà oublié. Parfait, car il l'aimait bien, et il s'en voudrait de gâcher leur rencontre par un trop plein de testostérone.
Tandis qu'elle fermait l'établi, lui se dégourdissait les jambes. Posant les mains au sol, il étira son dos, démontrant au passage une souplesse de yogi. Cela suffisait en général à impressionner des donzelles désœuvrées, mais il en faudrait plus pour une samouraï. Bien qu'habitué aux souterrains, le Kaice préférait de loin la bienveillance du ciel. En y repensant c'était sans doute une des raisons qui l'empêchait de s'investir pleinement dans la forge. Quel intérêt de vivre à la montagne si c'était pour se cloîtrer dans une grotte ?



Il y avait-il une pointe de jalousie dans sa voix ? Il fallait dire que tout semblait si simple avec l'aveugle. Artisan émérite, bellâtre suave, Kyoshiro semblait exceller dans tous les domaines. Bon sang, il avait même réussi à mettre le grappin sur Hotaru, et même s'il était heureux pour eux, le moine avait du mal à renoncer à une pareille paire de jambes.
Il repensait parfois au passé, à l'époque où le Tadake luttait encore avec son handicap, où il lui servait de guide, de protecteur. Un temps révolu, et c'était peut être mieux ainsi. Après tout ce succès ne tombait pas du ciel. Maho le savait, son frère avait défié le destin, et il ne devait sa réussite qu'à une dédication totale. Lui-même se savait bien incapable de fournir autant d'efforts.



Pour la première fois, le sourire du moine prit un goût amer. Un rien de nostalgie, un rien de regret. Il n'était pourtant pas fainéant,  lui aussi pouvait faire preuve d'application. Seulement il lui manquait quelque chose. Le feu de la passion.



Voila une tournure inattendue pour leur conversation, c'était peut-être le clair-obscur des souterrains, au le calme suivant la tempête. Bref, il se laissait guider par l'envie.

Je ne pus retenir un petit sourire en coin quand Maho lâcha que l'aveugle de Seizan était du genre à emballer. Une pointe de jalousie ? Je trouvais ça ironique de la part d'un moine.


Là, je me rapprochais de lui et lui tapai sur l'épaule dans un signe amical, mais je ne pus me retenir de le provoquer un peu ou le rassurer. C'était selon. Me rapprochant simplement de son oreille, je murmurais à son intention.


Petite remarque gratuite sur le fait qu'il s'était grillé tout seul. Je supposais que même si les femmes pouvaient s'amuser à l'admirer, le fait qu'il portait la toge, ça, c'était un répulsif. Enfin... pour la plupart d'entre elles, même si ça devait nourrir les fantasmes. Fallait être masochiste pour pouvoir espérer quoique ce soit d'un religieux. Moi, personnellement, à part m'amuser à les foutre dans la merde avec des situations gênantes...

Mais il fut plus étonnant pour moi d'apprendre que Kyoshiro et lui étaient des gens si proches. Bon, j'aurais jamais pu le deviner de toute façon, parce que je venais à peine de rencontrer Maho et avec la taupe, on parlait uniquement boulot. Et puis, ils ne se ressemblaient pas des masses.


J'affichais un petit sourire mesquin en coin, ne dissimulant en rien le sous-entendu qui se trouvait derrière le terme "d'ailleurs". Bien que, je pouvais peut-être être surprise par sa ferveur religieuse, qui savait ? En attendant, ça me laissait toujours sur le popotin de savoir qu'un type comme lui avait choisi les ordres. Il en avait tellement pas la gueule...

Tandis qu'on traçait notre chemin, il prit la peine d'expliquer qu'il avait pas trouvé une raison pour le pousser à s'enflammer. Fallait dire que ça venait pas forcément naturellement. On avait beau tenir compagnie à des gens déterminés ou ambitieux, c'était pas ça qui nous permettait de trouver notre propre voie. Quant à moi...


Même si ce que je voulais était pas non plus un truc énorme. Me fallait du temps, et pour en gagner fallait que je reste entière. Aussi con que ça.


On était pas obligé d'avoir des rêves de grandeurs, du moment qu'on était satisfait de sa vie.

Après les provocations, les taquineries, serait-ce une pointe de compassion qu'il reconnaissait dans sa voix ? Il eut quand même le mérite d'accuser le compliment sans fioritures, se contentant d'un simple sourire, et un regard bienveillant. Echange insignifiant sans doute, pourtant il ne pouvait nier un certain sentiment d'infériorité envers son vieil ami. Son égo remerciait la fumeuse.
Quand au reste, Maho avait sa petite idée sur le pourquoi de leur non-rencontre. Il n'avait jamais caché son amour pour le galent sexe, et son vieux se refusait de gâcher son cher rival pour une amourette de jeunesse.



Il eut envie d'ajouter que d'eux deux, elle était sans doute la plus propice à manquer un rendez-vous pour une galanterie, mais bien entendu cette pensée ne traversa pas sa gorge. De plus elle avait beau jouer les séductrices, cela ne signifiait pas forcément qu'elle appréciait conclure.

Bien entendu qu'il appréciait qu'elle partagea sa philosophie, il s'y attendait au final : l'étincelle reconnaissait la flamme. Hélas si ses mots faisaient sens, quelque chose en lui se refusait de l'accepter.



Comme pour accompagner ce sérieux inattendu, la lumière s'épaissit, l'air caverneux devint plus léger, le ciel montagnard accueillait les tourtereaux. Main posée devant ses yeux le temps de s'habituer au changement d'éclairage, le Kaice enchaîna par une profonde inspiration.
Son regard prit soudainement une teinte malicieuse, tandis qu'il posa un doigt sur sa bouche. Une image oubliée venait de traverser son esprit, emmenant avec elle une question brûlante.



Bien entendu la différence d'âge suggérait autre chose, mais on ne sortait pas si aisément d'une vie d'allusions et de sous entendus. Contrairement à elle, l'honnêteté brutale ne lui venait pas aisément.

On continua notre route jusqu'à essayer d'atteindre la sortie des souterrains, mais on ponctuait nos pas de discussions diverses. Tandis que je l'écoutais me fournir de maigres explications sur son absence de motivation, j'avais eu le temps d'allumer une énième cigarette. Il fallait dire que c'était rare de me voir sans, et je les enfilais à la chaîne. Du moins, tant que j'en avais dans ma blague à tabac. Enfin qu'importait, c'était pas mes manies qui étaient importantes, mais plutôt une forme de surprise qui s'afficha sur ma gueule, tournant mon attention en direction de Maho.


Je me mis à secouer la tête négativement comme si je trouvais ça déplorable. Il fallait dire que je trouvais ça vraiment déplorable.


J'expirais un petit nuage de fumée alors que nous approchions toujours un peu plus de la sortie. La lumière se faisait plus claire et blanche, le fond de l'air plus respirable et moins étouffé par l'odeur du métal.


Tout à fait le genre de truc que je comprenais pas des masses. Est-ce qu'un jour je me découvrirais une âme si généreuse pour pouvoir soutenir quelqu'un ? J'y croyais moyen. Quoi qu'il en soit, ça ne tenait de toute façon qu'à lui de trouver son "truc" et pas se laisser s'enfoncer - même si j'étais plutôt mal placée pour dire un truc pareil.

Puis, Maho me surprit encore par une question sortie de son chapeau. Une fratrie ? Il me fallut quelques secondes pour comprendre qu'il devait faire référence à mon fils. La clope coincée entre les lèvres, je lui répondis sans faire trop de chichi. C'était pas comme si je cachais l'infos.


Valait mieux en rire qu'en pleurer, même si mes raisons étaient très éloignées de celle de mes parents. Eux avaient vraiment désiré un gosse. Pas de bol pour eux, c'était moi qu'ils avaient gagné à la loterie. Par contre, pour Yahaba, c'était une promesse et ma culpabilité qui m'avait poussé à le garder. Le cas échéant, je l'aurais naturellement confié à une vraie famille parce que c'était évident que ma fibre maternelle était pas brillante, même si je devais avouer que maintenant j'avais les deux pieds dedans. La chienlit. Dire que je supportais pas le marmot au début et à présent l'idée qu'un enfoiré put poser la main sur lui me mettait dans tous mes états. Je m'étais clairement faite entuber.


C'était à se demander si certains traits de caractère ne se transmettaient pas autrement que par sa lignée pure.


Nous nous trouvions juste à la sortie du souterrain, la lumière du jour était sacrément aveuglante. On s'habituait finalement bien vite à l'obscurité. Maintenant, il était temps de trouver de quoi boire un coup et se poser, puisque monsieur ne voulait pas se faire choper par ses supérieurs.

Il aimerait prétendre à la surprise, mais se serait malhonnête. Après l'épisode de la forge, il savait fort bien où se placerait la demoiselle vis à vis de sa profession. Il entendait ses remarques, mais il n'offrit pas de réponse. Pas tout de suite. D'ailleurs à quel point serait-il crédible alors que, quelques minutes plus tôt, il s'énivrait d'érotisme ? Continuer d'avancer, se contenter de simple soubresaut.
Vu qu'il ne s'y attarda pas, elle tourna la page. Et pour le coup, le sérieux naissant du moine s'éclipsa. Trébuchant presque sous la nouvelle, il se rattrapa de justesse, sa main posée sur la paroi rocheuse, son autre masquant son visage. Il riait, et il s'en cachait à peine.



Mauvais timing. Il s'en rendit compte bien assez tôt, éclater de rire alors qu'elle avouait être adoptée… Indélicat. Maho se calma rapidement, une tendresse dans le regard, il joignit rapidement les mains, ses jambes subitement parallèles, et s'inclina profondément.



Comment pouvait il s'enfoncer d'avantage ? Voila maintenant qu'il décidait qu'elle ne ressemblait pas à une mère ? Certes elle était jeune, mais dans un village shinobi, cela n'avait rien d'étonnant. Dire que cette rencontre avait bien commencé… Le rouge lui montant aux joues, il accueillit avec soulagement les précisions de la forgeronne. Des soucis d'éducation… Cela au moins il pouvait comprendre.



Il n'adhérait pas à ses croyances, mais elle avait surement ses raisons. Qui était il pour se placer entre une mère et son fils ? Notant l'hésitation d'Honoka, le Kaice prit les devants. Ils se dirigèrent donc vers le quartier résidentiel, le rythme de la marche s'accélérant avec l'air montagnard.
Quelques minutes de silence, laisser le temps aux esprits de se reposer, aux idées de fermenter.



Un pont traversé, les bâtisses montagnardes s'offraient à la vue. Mélange de bois et de pierres, beauté austère de Seizan, les rues n'étaient ni vides ni bondées. Un juste milieu, une mesure.



Sur ses belles paroles le Kaice s'arrêta. Gen Gan An, une maisonnée de bois aux murs extrêmement fins, semblait être leur destination. Un salon de thé, un endroit insolite pour boire un coup non ? L'étonnement ne fut que plus grand que lorsque, ouvrant la porte coulissante, l'intérieur correspondait en tout point à un salon de thé classique !
Il y avait même des moines parmi les clients… Une vieillarde s'avança tranquillement vers le duo. Petite, agile pour son âge, elle possédait toutefois une lueur de malice dans les yeux. Le loups reconnait le loups. Cette femme avait vu la couleur du sang.

Je voyais bien que Maho se retenait de rire. Je ne savais pas exactement sur quoi, genre que mon père pouvait pas avoir de gosse ou bien que c'était moi qui en avais adopté un. Dans l'absolu, c'était une aberration dans les deux cas. Quoique Yukio avait tout pour être un bon père, hormis son caractère de grincheux à chier. Il ne m'avait pas uniquement adopté parce que ma mère était en mal d'enfant et que ça lui bouffait de pas pouvoir en avoir, mais parce que quelque part, lui aussi, ça le travaillait un peu. Plus pour une question de transmission et d'héritage que de biologie. Je savais qu'il ne voulait pas que ces connaissances et son travail se perdirent dans le néant. Question de fierté.


Je haussais les épaules, j'étais pas vexée. Même moi dans une autre vie ça m'aurait fait marrer.


Je faisais de mon mieux pour Sojiro, même si on allait pas se mentir, c'était pas le rôle qui me convenait le mieux. J'avais appris avec le temps à me faire à la présence du gamin, à ses élans collants de petit garçon, même si le plus pénible pour moi était qu'il tenait absolument à m'appeler "maman". Ça, je l'avais pas toléré pendant un long moment, mais ce petit con m'avait eu à l'usure.

Bon après, on ne pouvait pas dire que j'agissais vraiment comme une "mère", j'apprenais sur le tas et je me reposais beaucoup sur mon vieux pour le gérer. Pourtant, malgré mes maladresses, malgré le fait que je le repoussais, Yahaba revenait toujours à la charge, réclamant mon attention et avec une véritable volonté de bien faire, de m'aider, même pour les choses insignifiantes. C'était un brave petit, avec un esprit vif et plus brillant que je ne le serais jamais. En vrai ? Il tenait beaucoup de son oncle, raison pour laquelle je l'encourageais à faire comme lui et devenir médecin... et surtout ne pas être comme moi.


Oh bien entendu, je n'en savais rien, je faisais seulement des conjonctures en fonction de ce que m'avait indiqué mon vieux quand on m'avait remis entre ces mains. Une caravane attaquée, tout le monde était mort sauf un bébé. On ne m'avait jamais indiqué qui faisait partie du convoi, ni ce que ça transportait, donc je n'avais même pas la garantie qu'il y avait ma famille, ou bien l'étaient-ils tous ? Je ne le saurai jamais.

En attendant, on discutait, mais on avançait aussi. Sans trop m'en rendre compte, je m'étais mise à suivre Maho, silencieuse une fois que l'ont pu profiter de l'air frais de l'extérieur. J'en profitais pour allumer une nouvelle cigarette après avoir fini la précédente, au même instant où le moine décida de briser le mutisme imposé. Il semblait n'être passionné par rien de son propre aveu. Je ne trouvais ça pas tellement grave. Il aurait bien temps de trouver son bonheur un peu plus tard et puis, la passion, cela pouvait prendre tant de forme qu'il se mettait sans doute trop la pression pour la trouver.


Autant regarder les choses avec philosophie. Et puis, sur ce discours bien banal, voilà que le bonhomme me fit m'arrêter devant une maison de thé. Vous imaginez ma tête ? Parce que je vous mentirais pas que j'avais froncé du nez en le regardant. Je n'eus pas le temps de dire quoique se soit qu'il m'intima de lui faire confiance, chose à laquelle je soupirais avec un soupir avant d'éteindre ma clope. On allait bien voir où ce traquenard m'emmenait...

De l'intimité à l'incongru, difficile de croire en écoutant leurs propos que, quelques heures de cela, ils furent de parfaits inconnus. Un rapprochement céleste, enfant bâtard de cordialité sinueuse du Kaice et de la franchise débridée d'Honoka. Après s'être offert chacun un morceau de cœur, ils pénétrèrent le Gen Gan An. Structure banale aux premiers abords, et la dame remarquerait en marchant l'absence totale d'alcool.
Le Souhei ne lui avait pourtant pas menti. Ils arrivèrent rapidement dans un jardin pittoresque, de simples meubles de bois, une végétation succincte, et un petit morceau de panorama comme l'offrait si généreusement ce relief de montagnes. Fidèle à lui-même, le jeune homme tira une siège pour la forgeronne, un sourire légèrement taquin accompagnant sa politesse.



Ponctuant parfaitement sa phrase, la tenancière arriva, une carte en ardoise finement gravée pour le couple improvisé. Un menu classique, mise à part peut être pour la sélection anormalement longue de thé épicé. Promenade du doigt de l'éphèbe, il pointa sans même regarder, un clin d'oeil complice à la vielle, puis il offrit la carte à sa compagne du jour.



Lui faisant signe de se rapprocher, tentant sans grand succès d'éviter tout sous-entendus, il se permit de soupirer.



Peu de temps après, la tenancière arriva avec un une cruche en terre, une poterie toute simple, et des petits gobelets du même acabit. Une fois le couvercle levé, l'odeur ne trompait personne, et remplissant les deux verres, le moine lança la danse.

Pittoresque. Le mot était faible lorsque je mis les pieds dans l'établissement évoqué par mon camarade. Un piège ? J'en avais presque l'impression tellement je détonais avec le décor, et je ne parlais pas spécialement de mon attitude. Il y avait quelques minutes, je me tenais encore dans ma forge, enfin... je cherchais mes outils de travail dans celle de mon père. Vous imaginez ma tenue ? La suie, la sueur, la poussière. Et il m'emmenait dans une maison de thé guindé. Cela en était presque drôle.



Ce fut à ce moment précis que la vieille qui tenait les lieux apporta les cartes, mais je n'eus guère le temps de zieuter ce qu'il y avait à l'intérieur, que mon petit moine coquin s'occupa de prendre les commandes et la commande. De toute façon, je n'aurais pas trop quoi su commander... même après la révélation qu'il me fit concernant la réalité des boissons.



Un petit sourire se dessina au coin de mes lèvres, alors qu'en vérité, je n'avais jamais été spécialement difficile sur le sujet. Je savais apprécier ce qui était bon, bien évidemment, mais je pouvais me contenter tout aussi bien de quelque chose de simples. Quand on menait une vie un peu austère où on vivait avec le minimum et le basique, on chiait pas un flan sur ce que l'on voulait bien nous offrir.



Il y aurait forcément un type qui boirait le coup de trop et avec malchance, cela tomberait dans l'oreille d'un moine qui se méfierait le jour où ses compagnons diront qu'ils iront boire dans cet enseigne. Moi, maintenant que je connaissais les lieux, je pourrais faire semblant de m'acheter une conduite en me la jouant faussement distinguée.

Quoique fut mes potentiels plans pour l'avenir, je me concentrais sur le moment présent où la vieille tenancière nous apporta une cruche et ses verres, que, bien évidemment, on s'empressa de remplir. Cela sentait plutôt bon, ça me plaisant avant même d'y avoir goûté. Me saisissant de mon gobelet,faisant miroiter mon œil parme quelques secondes dans le précieux liquide, je levais finalement mon verre à la demande de Maho.



Espérons que l'on vivrait assez longtemps en tout cas, parce qu'il fallait bien se rendre à l'évidence, on était certainement pas les enfants les plus raisonnables de l'Onogoro.