Le cortège avait été grand et avait traversé solennellement une partie de la cité afin d'honorer l'un de ces plus vaillants soldats, un hommage digne de l'impérialité qui coulait dans ses veines malgré l'humilité qui l'avait toujours habité : Ryujin Kamisuki était tombé. Il avait sacrifié sa vie pour attirer l'attention de dizaines de monstres, protégeant ainsi ses camarades qui devaient lutter contre un plus puissant. Et s'il existait quelques langues qui ne verraient en son acte qu'un comportement de fou, Yuriko n'était pas animée par ses émotions là. Au contraire, peut-être imaginait-elle même comprendre ses actions désespérées, peut-être avait-il surestimé ses forces... mais il n'y avait pas un être qui ne portait en lui autant de noblesse que celle de son ami.

Alors, tandis qu'elle trainait sur elle le poid de ses choix, de ce même combat où elle avait participé, elle était venue en toute humilité apporter un dernier égard à celui qu'elle avait en haute estime, non pas en tant que soldat de Toge, non pas en tant que prêtresse, mais en sa qualité d'héritière du clan Sugimoto, aux côtés de son aîné Yuudaï. Elle resta avec lui tout au long de la procession, vêtue dans une robe que seule des nobles était en mesure de porter, véritable bien de nez à sa fonction qui pourtant lui quémandait tout détâchement au monde matériel. Mais il ne fallait pas y voir un excès de coquetterie, il y avait tout un symbole, que cela fut les étranges écailles chatoyantes qui brillaient sur le tissu, telles des écailles de poissons qui rappelait à la fois la carpe koï du blason de sa famille mais aussi tout l'amour que possédait Ryujin pour l'univers de la mer. Si elle en avait eu le choix, si elle en avait eu le pouvoir, elle aurait aimé que la dépouille du royal soldat fut emmenée sur une barque pour s'en aller sur l'océan qui lui avait toujours fait envie. Mais elle n'était... personne. Une noble parmi d'autres. Une amie qui saluait celui qui partait en sa dernière demeure.

Mais tout au long de ce funèbre chemin, si son regard s'était perdu dans la mélancolie, il ne semblait que plus déchirant lorsqu'elle reconnut la silhouette du prince monial, Byakuren Minamoto, venut adresser un dernier adieu à son cousin. Elle n'osait imaginer ce qu'il pouvait ressentir, elle n'osait seulement en effleurer la douleur. Homme intègre, elle le savait tout aussi sensible et en sachant qu'il était l'un des maîtres de leur épopée, elle n'avait pas à lui demander pour savoir qu'il devait se sentir en partie responsable. Si Ryujin était un ami précieux, il était de la famille de Byakuren. Tout cela se devait d'être accompagné par autant de trouble que le monde paraissait s'effriter et que leur connaissance dans les yokaïs se remettaient sans cesse en question.

Alors, lorsque vint la fin de la cérémonie, que les derniers saluts furent accordés et que la foule s'étiola, Yuriko pria son frère de l'excuser. Si elle demeurait toujours présente pour lui, elle savait qu'elle devait l'être aussi pour quelqu'un d'autre. Une promesse était une promesse. C'était ainsi qu'elle partie en quête du moine impérial, l'imaginant vouloir se couper un peu de tous. Modestement, elle demanda à quelques âmes croisées si ce dernier n'avait pas été aperçu. On lui souffla alors que quelqu'un lui ressemblant aurait été remarqué dans les jardins de sables et de roches, chemin que la prêtresse suivit en espérant l'y retrouver.  Ce ne fut qu'au cours de quelques détours, qu'elle finit par l'apercevoir.

" Byakuren-sama...  "

La voix de la Mère-Louve se fit douce, bien que l'on n'y notât la peine qu'elle éprouvait encore. Quand bien même la jeune femme avait déjà été éprouvée par le deuil, la douleur, elle, ne semblait que plus pesante. Cependant, elle n'était pas ici pour étouffer son propre chagrin, mais pour soutenir celui à qui elle devait la vie, car sans lui, tous auraient irrémédiablement péri.

Lorsque la Sugimoto arriva auprès du prince monial, ce dernier était en compagnie de sa jumelle, qui, avec une élégance rare, la salua avant de laisser aux deux jeunes gens le pouvoir de discuter en privé. Bien que Yuriko n'avait eu aucune intention de chasser Hyouren, qui, à ses yeux, semblait bien plus légitime à tenir compagnie à son frère, elle ne pouvait nier en apprécier la délicatesse. Oh, la prêtresse n'avait aucune prétention quant à l'objet de sa présence, mais elle était d'une nature à ne pas désirer partager les élans du cœur avec n'importe qui, ou tout du moins, pas avec une personne avec qui elle n'avait pas nourri de lien de confiance. Si elle était proche de Byakuren, elle ne l'était malheureusement pas assez de Hyouren.

" Byakuren-sama...  Si un tant soit peu ma voix peut vous apporter quelques plaisirs, alors j'en serais grée. Mais ne vous forcez pas à sourire lorsque je devine déjà que vous vous sentez affligé plus que nul autre. "

Naturellement, la Souhei s'approcha d'un pas de plus en direction de son ami alors que ce dernier proposa de quitter les jardins pour un endroit plus intimiste et loin des oreilles indiscrètes. Yuriko acquieça d'un mouvement de tête grâcile, avant de tenter de sourire un peu à son tour comme pour chercher à le rassurer.

" Cela serait un honneur pour moi de partager un peu de thé en votre compagnie. "

Sur ces mots, la jeune femme se contenta de suivre son hôte princier jusqu'à ses quartiers personnels. C'était la première fois pour elle qu'elle pénétrait en de tel lieu, et surtout si privé du monial. Jusque-là, elle n'avait eu le loisir de ne le voir que dans la chambre modeste qu'il possédait au temple ou bien dans le monde intérieur qu'il avait construit afin de pouvoir discuter aisément lorsqu'elle était murée dans le silence. Alors, découvrir le milieu luxueux dans lequel se mouvait le prince, lui apparut comme un privilège, même si elle aurait espéré que les raisons de cette chance soient différentes.

Respectant alors l'ordre des choses, elle laissa le maître de la cérémonie du thé faire son office, observant discrètement chacun de ses gestes. Cela lui rappelait ses jeunes années, années où sa mère la forçait à maîtriser ce genre de service afin de pouvoir paraître être une "épouse" parfaite. Aujourd'hui, son rôle serait celui de l'amie reconnaissante. Yuriko attendit que tout le personnel fut partie, avant de prendre la parole.

" Maintenant que nous sommes libres de parler... je voulais commencer par vous remercier. A la vue des cironcstances et de la folie que fut notre rencontre avec le biju, je n'ai pas eu l'occasion de vous montrer ma gratitude pour nous avoir sauvé. "

La prêtresse releva son regard bleu vers lui, essayant d'afficher un visage qui se voulait bien moin triste que la réalité.

" Je voulais aussi savoir comment vous alliez, vous, personnellement... Je sais que vous êtes entouré par votre famille mais... je sais aussi que vous êtes capable de tellement d'abnégation que vous pourriez négliger votre propre ressenti. "

Elle le savait être un homme généreux, sensible aussi. Mais en tant que Souhei, Yuriko n'oubliait pas qu'il n'aurait aucun scrupule à faire passer les autres avant sa propre vie.