Kyoshiro avait toujours fait son possible pour éviter de penser à la mort. Oh il savait que ce sujet était sur les lèvres de tous les religieux, ces derniers s'interrogeant sur ce qu'il y avait après, derrière le rideau, mais le Tadake avait toujours évité le sujet. Pourquoi ? Parce qu'il n'était pas croyant et ne le serait jamais. Il n'était pas assez optimiste pour croire à la réincarnation, ou pour croire en l'existence d'un endroit merveilleux où il serait réuni, avec sa famille et ses proches. C'était un rêve, ou un beau rêve mais, à ses yeux, ce n'était rien que cela...une illusion à laquelle on se raccrochai, pour rendre le trépas et le deuil moins insupportable.
Mais non. Il avait toujours été trop pragmatique, trop réaliste pour imaginer qu'il pourrait y avoir quoi que ce soit, derrière le rideau. C'était sans doute mieux ainsi. Mieux car la vie n'en était que plus précieuse, justement parce qu'il n'y avait rien après...du moins était-ce ce qu'il avait choisi de croire, ce qui expliquait pourquoi il vivait son existence à 200 %. Enfin ceci, c'était avant. Avant qu'il ne soit mis au pied du mur, avant que la Grande Faucheuse ne pende la balance devant ses yeux, sa vie sur un plateau, et celles de ses camarades sur l'autre.

Ce n'était pas un choix, pas un réel choix en tout cas et il le savait. Il se vantait d'être grande gueule et de n'avoir besoin de personne mais, au bout du compte, cette ultime épreuve avait bien réussi à révéler qui il était réellement. Il s'était donc mis face à l'inarrêtable, brandissant fièrement sa lame dans ses airs en sachant que, après cela, il n'y aurait plus jamais de lever de rideau. C'était mieux comme cela, partir dans un coup d'éclat correspondait bien à son style après tout et, comme il l'avait prévu, en un claquement de doigt son monde entier devint silencieux et inodore.
Pas de mouvements, pas de bruits, pas d'odeurs, pas de chakra. Il n'y avait plus rien. Il avait enfin franchi le dernier seuil, la ligne d'arrivée. Puis vint alors un rêve...la chose à laquelle il n'était pas préparé. Il se sentait...nager. Mouvement après mouvement, il évoluait dans cette mer calme et glacée, jusqu'à ce qu'elle ne commence à gagner en intensité. Il serra les dents en luttant contre le courant, en sentant ses mouvements de plus en plus difficile et, enfin, ce fut là que les vagues firent leur apparition.  Il fit de son mieux pour garder la tête hors de l'eau, pour ne pas sombrer, mais une vague plus massive que les autres l'enseveli, lui faisant perdre le contrôle et son souffle.

Il se sentit couler. Kyoshiro était fort, mais le courant l'était bien plus. Il avait beau se débattre, il se sentait s'enfoncer encore et encore, de seconde en seconde, alors que la frustration et le désespoir gagnaient du terrain. De ce désespoir, de cette suffocation naquit sa colère, sa haine, sa rage de vivre qu'il pensait éteinte et, animé d'une énergie nouvelle, il lutta pour regagner son chemin vers la surface. Il avait mal, il arrivait à peine à lever ses bras, il sentait sa poitrine le brûler sous le manque d'oxygène mais il luttait, encore et encore, car l'alternative n'avait jamais été envisageable. Pas pour quelqu'un comme lui.
Puis enfin il sortit la tête de l'eau et, se redressa légèrement, il rejeta la tête en arrière, la bouche grande ouverte à la recherche de cet oxygène dont il manquait si cruellement. Enfin il n'agonisait plus, enfin il ne se noyait plus, enfin il...respirait ?



Il lui fallut quelques secondes pour réaliser qu'il respirait et il aurait pensé être en train de rêver, si sa poitrine ne lui faisait pas souffrir à chaque respiration. Cette douleur était le signe qu'il n'était pas de l'autre côté du voile, ou du moins ne l'espérait-il pas. S'il sentait le feu juste devant lui, à ses pieds, sa main gauche s'étendit pour tâtonner le seul, afin de comprendre son environnement. Il aurait aimé pouvoir sentir de l'énergie, une présence, n'importe quoi mais son corps était trop brisé, trop épuisé pour qu'il ne puisse capter quoi que ce soit.
Portant sa main droite à son torse qu'il sentait meurtri, marqué par l'attaque qui lui revenait à présent en tête. Il se rappelait de ce qu'il avait fait, de ce qu'il avait été prêt à sacrifier mais, malgré tout, il avait...survécu ? Comment ? Pourquoi ?



Ce sentiment de perdition et d'inconnu prenait corps dans le cœur du jeune homme, alors qu'il prenait conscience de cette nouvelle réalité. Il avait cru que c'était la fin de son parcours, qu'il avait tiré le rideau une nouvelle fois mais, s'il en croyait cette douleur, il avait le droit à une nouvelle chance. Mais en était-ce seulement une ? Alors qu'il peinait à regagner une position stable, sa poitrine le brûlant à chaque respiration, ce ne fut qu'au bout de quelques instants que le jeune homme entendit quelque chose. Un...souffle ? Comment avait-il fait pour ne pas l'entendre, plus tôt ? D'instinct, sa main gauche se tendit devant lui, pour essayer de malaxer du chakra et créer une lame enflammée, de celles dont il avait le secret, mais la douleur se fit immédiatement plus intense, plus insupportable, le pliant en deux en le forçant à serrer les dents.
Le chasseur était-il devenu la proie ? Un pathétique prisonnier sans défense ? Son avenir était-il aussi in certain qu'il se l'imaginait ? Essayait de faire taire les pires scénarios qui tourbillonnaient dans sa tête, la tête toujours tournée vers le feu, ce fut avec les yeux fermés que Kyoshiro essaya de s'adresser à la personne à qui appartenait ce souffle.



Une pathétique tentative d'humour qui, en faisant naître un ricanement amusé chez l'aveugle, le plia à nouveau en deux sous le coup de la douleur. Il faudrait du temps à ses côtes pour s'en remettre, de toute évidence, mais c'était sans doute son esprit qui était le plus perturbé dans cet histoire. Était-ce une illusion ? Un rêve? Un cauchemar ? Ou une vaste plaisanterie dont il devait attendre la chute ?

Il aurait voulu se relever, mais il ne le pouvait pas. Tout ce qu'il pouvait faire était de se concentrer sur sa respiration, et se préparer au pire.

Donner sa confiance n'avait jamais été quelque chose de naturel, pour le jeune homme. Il ne pouvait pas lire les intensions sur le visage de son interlocuteur, il ne pouvait pas anticiper le pire et, lorsqu'il eut le malheur de baisser sa garde, le pire arriva à de multiples reprises. Il avait appris très tôt une leçon que beaucoup ne connaissaient jamais, la leçon qui disait qu'il ne pouvait faire aveuglément confiance à personne et que sa garde devait toujours être levée. Peut-être était-ce un excès de prudence ou de la paranoïa, mais cela ne l'avait-il pas aidé à rester en vie, jusqu'à présent ?
En réalité, à présent qu'il se sentait respirer et qu'il sentait son cœur battre, le colosse se repassait la dernière scène dans sa tête, avec un sourire amer au visage. Jamais il n'aurait cru en arriver à un point, dans sa vie, où il se sacrifierait pour quelqu'un. Jamais il n'aurait pensé pouvoir passer sa vie après celle d'une autre...était-ce la trace qu'il était en train de mûrir, ou que sa vie avait désormais moins de valeur qu'avant ? Une question intéressant, interrompu par son corps qui, malgré les soins, hurlait de douleur à chaque mouvement de sa poitrine. Il était en vie, c'était déjà bien, alors peut-être ne fallait-il pas pousser le bouchon plus loin, non ?  Et pourtant, se savoir en vie n'était pas suffisant, puisqu'il ne savait pas où il était.

Peut-être était-ce un sursis. Peut-être était-ce une courte pause avant une inévitable séance de torture, pour lui tirer les vers du nez. Peut-être que tout ceci n'était qu'une cruelle illusion, après tout. Dans sa tête il s'était déjà préparé au pire, car le meilleur n'était pas quelque chose avec lequel l'aveugle était familier. Quoi qu'il puisse arriver, on essayerait toujours de l'écraser, l'entuber ou l'humilier pour ce qu'il était, c'était la loi de cette vie qui était la sienne, et il ne donnerait pas à ces salauds le plaisir de baisser les bras. Plutôt crever...une deuxième fois.
On aurait pu penser qu'une expérience de mort imminente vienne tuer la rage qu'il avait en lui et pourtant...pourtant non. Il avait échoué. Il n'avait pas réussi à vaincre la bête alors, à la place, il avait donné à d'autres l'occasion de le faire. Était-ce là le mieux qu'il pouvait faire ? Était-ce là le sommet de son ambition ? Cette seule idée lui donnait la nausée alors que, bientôt, le crépitement des flammes ne vint le ramener à la réalité.

Il détestait cela, l'inconnu. Ne pas savoir ce qui allait lui tomber sur la tête, et quand. C'était épuisant de devoir rester en alerte, alors qu'il était physiquement et mentalement à bout. Bientôt un bruit fut capté par ses oreilles. Un bruit de bouche. Un bruit de mastication, comme une invitation silencieuse à se nourrir. Était-il prisonnier d'une bête ? D'une créature ne parlant pas sa langue ? Ou un individu désireux d'en révéler le moins possible sur lui, y compris sa voix ? Non, il n'allait pas tomber dans le piège. Décidé à ne pas baisser sa garde, ce ne fut qu'en sentant le tintement du métal que sa curiosité fut réellement titillée.
Tâtonnant le sol, ce ne fut que lorsque ses doigts caressèrent le métal que le jeune homme s'autorisa un sourire soulagé, ce sourire d'une amitié retrouvée. Sans Sekitsui il se sentait nu, il n'avait pas honte de l'admettre, mais une partie de lui se demandait si son adversaire ne jouait pas avec lui. Le pousser à prendre des forces, à s'armer, pour être un challenge à la hauteur, par la suite ? Qu'à cela ne tienne, il n'allait pas rester à rien faire.

Ni une ni deux, Sekitsui à présent posée à sa droite, tout contre lui, l'aveugle tatônna le terrain à la recherche de quelque chose et, bientôt, son index et son majeur trouvèrent le bord d'une large feuille. L'attirant vers lui en se redressant, non sans un certain grognement de douleur, il devina rapidement au toucher la nature de ce qui lui était présent. D'autres auraient pu faire la fine bouche, rejetant un assortiments d'insectes coupés ou écrasés, mais Kyoshiro avait déjà vécu une expérience similaire et il était encore là pour en parler. Cela n'était pas si terrible que cela, en fin de compte.

Alors qu'il plongea sa main dans le buffet devant lui, dévorant un insecte après l'autre, il fut soudain replongé dans une scène étrangement similaire. Il était aussi perdu qu'il l'était jadis, aussi faible, aussi blessé, aussi...brisé. Ce constat lui laissa un goût amer au fond de la bouche, alors que son esprit faisait le parallèle entre les deux situations. Un feu de camp crépitant, un assortiments d'insectes, un individu potentiellement puissant mais tristement silencieux. Cela aurait pu être une coincidence, si Kyoshiro croyait à ces sornettes, mais ce n'était pas le cas.
Qui lui donnerait des insectes à manger, franchement ? Qui garderait le silence, quant à ses intentions ? Reposant la feuille presque vide face à lui, essuyant sa bouche du revers de sa main gauche, Kyoshiro rassembla ses forces pour briser à nouveau le silence d'un :




Il n'était jamais rentré dans les détails, avec qui que ce soit. Il avait expliqué à Hotaru et Maho que quelqu'un l'avait sauvé, dans ce chemin de montagne, mais il n'avait révélé ce qu'il savait, ou le moindre détail sur cette interaction. Ce moment-là n'était que le sien et celui de personne d'autre. Mais les similitudes étaient trop évidentes pour que ce soit le fruit du hasard. Se pourrait-il que … ?



Ouvrant enfin ses yeux, affichant ses prunelles nacrées, il les tourna dans la direction de la présence silencieuse et, enfin, prononça un mot, un surnom qu'il n'avait pas prononcé depuis une quinzaine d'années.



Il y avait encore la mince, infiniment mince possibilité qu'il se trompe, mais il ne voulait pas avoir tort. Kyoshiro ne savait pas s'il croyait aux signes, ou au fait que chaque chose arrivait pour une bonne raison mais...s'il y avait bien un moment où il voulait des réponses, où il voulait revoir celui à qui il devait la vie, c'était bien aujourd'hui.