Cela devait remonter au début de la semaine. Il avait suffi d'une simple visite pour que je me décidasse à me foutre dans la merde jusqu'au cou. Une semaine où j'avais croisé un drôle de marionnettiste dans ma boutique, qui, en échange d'une arme faite de ma main, m'avait donné l'emplacement du lieu dans lequel je me retrouvais. Là. Précisément. Devant ce putain d'arbre d'Eden.


Y avait pas à dire, cela avait de la gueule et j'en avais chié pour en arriver jusque-là. Après le départ de Kuukyo, je m'étais dit que son affaire puait trop pour que j'y misse mon nez dedans. Je supposais que c'était la voix de la raison qui me causait. Il fallait dire que le faux gamin avait bien titillé ma curiosité, mais, honnête ou pas, il y avait trop de non-dit dans ces propos. Je sentais qu'il voulait que je m'y rendisse et mes tourments étaient de savoir pourquoi. Pour mon bien ou satisfaire une expérience qu'il ne se sentait pas de vivre lui-même ? Ma première idée était que c'était un piège. N'importe qui pourrait le penser et techniquement, je le pensais toujours, même maintenant que je me retrouvais devant l'arbre et pourtant...

Cela m'avait pris comme une envie de pisser. Cela m'avait fait cogiter toute la nuit. Si j'avais involontairement découvert le secret des pierres de météorite, voilà qu'il me pendait au nez un nouveau délire : celui de découvrir celui qui était liée à l'Arbre d'Eden. Cela m'avait fait sourire un instant. J'étais une samuraï et une forgeronne, voilà que je me rêvais scientifique ? Quelle connerie. Seulement, pour une raison qui échappait à ma propre compréhension, j'avais envie de le voir, cet arbre. Un truc unique. Un truc qui peu de gens pourrait prétendre avoir vu. Ma vie était pourtant déjà assez merdique et voilà que je me lançais moi-même dans les embrouilles ? Mais en vrai, je supposais que des dingueries insoupçonnées me trottaient déjà dans la caboche. Du coup, j'avais pris mes affaires et un cheval. Le gosse avec papy, et j'étais déjà partie.

Il me fallut quatre jours pour arriver dans les montagnes de l'Est de Kuma no kuni. Si le plan des montagnes était assez sommaire, j'avais un ordre d'idée de la direction à prendre. J'avais embarqué mon canasson jusqu'à ce que je ne puisse plus le faire avancer, mais je pris soin de le laisser dans une zone où il pourrait brouter et boire, le temps de mon retour. Le reste ? Je me le tapais à pied, comme une bonne vieille seizanjin. Connement, j'avais quelque peu écouté Kuukyo et j'étais partie seule. Égoïste avait-il dit. Je m'étais contentée de dire à mon fils que j'avais une nouvelle mission à accomplir et que j'allais me paumer dans les montagnes. Je n'avais pas osé lui donner un délai de retour parce que je n'avais aucune idée de ce qui m'attendait.

Quoiqu'il en fût, le reste de mon voyage se fit sans trop de mal. J'avais pas croisé une âme qui vive, pas de yokaï non plus - et ça, c'était une chance inespérée. Bon pied bon œil, je m'étais forcée à pas jouer la carte de la paresse, j'étais restée pro. Je jouais pas avec le feu - la blague - jusqu'à atteindre une crevasse. Une belle et grande crevasse entre deux montagnes à la con. Tout à fait le genre d'endroit où tu pourrais crever la bouche ouverte que personne ne viendrait te chercher ici. Mais c'était en ce lieu qu'il y avait l'arbre, l'arbre que je contemplais maintenant depuis un jour entier.

Claquée, j'avais posé la tente dans ce lieu. Déjà parce que j'avais besoin de récupérer de ma randonnée, après parce que j'avais besoin de réfléchir.

" Et maintenant ? "

Je m'étais mise à soupirer.

" J'ai l'air complètement conne. "

Comme à chaque fois que j'avais besoin de me calmer ou bien que j'étais troublée, je m'étais allumée une clope et j'avais attendu. Attendu quoi ? Une révélation. Le cul au sol, mon oeil améthyste n'avait pas décroché de l'Arbre d'Eden. Et dire que ce truc avait du chakra dans la sève. Et dire qu'avec ce bois, même coupé, on pouvait faire des miracles pour ceux qui avaient perdu un bout de leur chair. Dixit de ce qu'il advenait de lui. Mais si Kuukyo l'avait déjà dépouillé de ses branches utiles, il avait laissé ... ce fameux fruit. Un fruit encore plus chelou que je l'imaginais.


Honnêtement, il m'inspirait pas des masses. Même pas du tout. Pourtant, c'était peut-être là tout l'objet de mes interrogations. Les paroles du marionnettiste résonnaient encore en moi. Une rareté absolue. La grande inconnue. Savoir être égoïste. La dernière chose pouvait être source de beaucoup de mes problèmes. Mais ici... Si l'Arbre d'Eden était une rareté, est-ce que lui arracher ce fruit, c'était pas causé sa perte ? Je pourrais après tout le planter et espérer avoir un nouvel arbre ? Mais j'y connaissais rien en botanique. Même pas sûre que le fruit supporta le transport. Alors quoi ? Le rapporter ? Impossible. Ramener un connaisseur ici ? Venir seule me faisait déjà chier, alors si je devais recommencer avec de la compagnie.... Le bouffer ? Pourquoi je ferais ça ? J'avais mon gueuleton avec moi.

" Qu'est-ce que t'espérais ma vieille en venant ici... "

Je me le demandais. Un miracle. Des réponses. Des solutions. Un remède. Secouant la tête alors que je finissais ma cigarette, j'écrasais le mégot par terre avant de le ramasser. J'étais pas là pour saloper les lieux. Nonchalamment, je m'avançais vers l'arbre qui me paraissait bien plus grand une fois en dessous... ou ce n'était qu'une vision de mon esprit, moi qui n'était pas grand-chose au final. C'était à ce moment-là que j'étirais mon bras et j'arrachais le fruit, le contemplant dans ma main. J'étais sans doute sur le point de faire une connerie - si c'était pas déjà fait.

" Bon bah... bon appétit. "

Faisant une tête de femme peu convaincue, je finis quand même par mordre dedans. Pourquoi ? Sans déconner, je savais même pas pourquoi je prenais ce risque. Je jouais carrément avec le feu, mais je m'étais dit que si c'était un piège, on aurait pu prendre n'importe quel autre pigeon pour faire ce que je faisais. Si c'était pour me faire la peau, il y avait tellement plus simple aussi. Bref. Quitte à enchainer des trucs qui n'avaient aucun sens, j'étais plus à ça prêt.

Mais après avoir croqué un bout, je finis par regarder la pomme que j'avais commencé à becqueter.

" Bordel... c'est aussi dégueu que cela en avait l'air. "

Et pourtant, j'étais assez abrutie pour la bouffer entière.