L'hiver prenait fin. Les jours étaient plus longs, les nuits plus animées et les forges du village de Tetsu retrouvaient petit à petit leur chaleur si caractéristique. Apparemment, un festival typique de la bourgade était en cours de préparation. Çà et là, les locaux commençaient à ériger les échafaudages nécessaires aux festivités. Les voyageurs les plus enthousiastes abondaient déjà depuis quelques jours, leur affluence contribuant grandement au récent dynamisme des habitants de Tetsu.

Arrivé depuis un peu plus longtemps, Mugetsu avait choisi ce havre de métal pour se réfugier du froid mordant de l'hiver du sud. Cette nuit encore, le jeune ronin noyait ses soucis du jour dans l'un des bars du coin, faisant la fête avec un groupe de voyageurs dont il ignorait le nom mais avec qui il partageait l'amour du bruit, des chants grossiers et du saké, au grand dam du tenancier à lunettes.

Pour subvenir à ses besoins le temps de son séjour et surtout pour payer la chambre modeste qu'il louait dans ce même bar, il avait pris pour habitude de monnayer son aide un peu partout. Commis de cuisine, chasseur, bûcheron ou encore apprenti forgeron, le ronin avait revêtu autant de facettes que possible. Assez pour que son nom se fasse connaitre par un nombre croissant de villageois du havre de la forge.

Néanmoins, il n'était pas toujours pas bien vu par les locaux pour deux raisons particulières. La première était son amour pour la boisson qui faisait de lui, selon les dire de plusieurs Tetsujin, un simple bon à rien. La seconde, plus rumeur que vérité, était son amour pour la gent féminine qui lui avait valu plus d'ennuis qu'il n'avait de doigts pour les compter.

Les portes du bar s'ouvrirent brusquement. Rouge de colère, un homme à la barbe impressionnante écartait de ses bras musculeux les clients de l'établissement malgré sa petite stature. Très vite, il se fraya un chemin jusqu'au centre en hurlant à tue-tête tandis que le volume général de l'endroit laisser de plus en plus de place à sa voix rauque.

– La calotte de ses morts, il est où ? La cervelle de la mort, pour qui il se prend cet ivrogne pouilleux !?

Furuheda Juro était l'un de ses forgerons qui faisaient la renommée et la fierté de Tetsu. Connu pour le soin qu'il portait autant à ses créations qu'au maintien du nuage noirâtre qui lui servait de barbe, beaucoup admiraient son travail, mais déploraient son comportement. En effet, en plus d'être doté d'un caractère propre au plus teigneux des ânes, sa surprotection de ses quatre filles toutes en âge de voler de leurs propres ailes mais clouées au nid familial par un marteau tyrannique, faisait de lui un personnage au mieux tourner en ridicule dans le village. Ainsi, lorsque certains de ses clients l'informèrent avoir peut-être aperçu l'une de ses filles sortir de la chambre du nouvel homme à tout faire du village, sa réaction ne se fit pas attendre.

Identifiant finalement l'objet de son ire, le forgeron fixa le ronin d'un regard fou, sa forte poigne se frayant un chemin vers l'un des cols du jeune homme l'obligeant par la même occasion de s'accroupir brusquement au même niveau. Malheureusement, pour un homme aussi enivré que Mugetsu, cette action fut un petit peu trop brusque et son corps le lui fit ressentir à son grand dam.

– Sale chien errant, tu-..!

La réaction fut immédiate. À peine avait-il eu le temps de se saisir du voyageur que plusieurs heures de saké de qualité douteuse et de nourriture bon marché lui retombèrent à la figure dans un torrent écœurant. Stupéfait, Juro resta figé sur place pendant de longues minutes, mitigé entre colère sombre et dégoût. Puis, il hurla une nouvelle fois.

Furuheda Kaori était la fille aînée du fameux forgeron de Tetsu. Totale opposée de son paternel, celle-ci avait tout de même hérité de son amour de la forge. Toutefois, désirant s'affranchir de l'influence omniprésente de Juro, elle avait pris pour habitude de s'exercer dans l'ombre de som regard, auprès des clients que lui-même négligeait. Ainsi, la jeune femme s'était constituée une clientèle composée essentiellement de voyageurs itinérants.

Malheureusement, les gens parlaient et les rumeurs circulaient. Alors lorsqu'elle apprit de la bouche de ses sœurs que leur père s'était précipité en direction de l'auberge accueillant l'un de ses clients les plus fidèles, elle comprit très vite que la situation ne pouvait qu'empirer. Cette inquiétude finit par s'avérer lorsqu'en s'approchant de l'établissement, elle entendit ce qui ne pouvait que s'apparenter au bruit tonitruant d'une bagarre générale. Arrivant finalement à destination, la scène qui s'offrit à ses yeux le figea d'une curieuse stupeur mêlant inquiétude filiale, pur étonnement et fou rire imminent.

Là, étalé sur un lit de neige fraîchement tombée se trouvait son bon vieux père, l'esprit baignant dans l'inconscience et le visage couvert de régurgitation. En face de l'homme inerte, Mugetsu se tenait, chancelant, la main posée contre le mur de l'établissement tandis qu'il se courbait en avant, l'autre main soutenant son estomac bruyant.

Le regard embué par un mélange explosif d'alcool et d'action, Mugetsu dévisageait le jeune homme l'interpellant, son visage impassible face à ses paroles, presque ennuyé par l'arrivée du soldat impérial. Le vagabond n'avait pas de problèmes particuliers avec les membres de l'armée impériale si ce n'est qu'il trouvait la majorité d'entre eux légèrement imbu d'eux-mêmes, ivres d'un statut qui faisait d'eux des chiens à la botte d'un maître aveugle des conditions de ses sujets. Ironique venant de ce qui, dans ce cas de figure, ne serait rien de plus qu'un chien errant, n'est-ce pas ?

Alors, lorsque l'épéiste à la touffe d'argent mentionna le fait d'engager des poursuites pour une histoire ne concernant pas la loi aux yeux du samurai au kimono fleuri, il dut consciemment se forcer à ne pas asperger le Seizanjin de déglutis par pure mesquinerie. Toutefois, avant même de pouvoir répondre au jeune homme, un Mugetsu toujours vacillant aperçut du coin de l'oeil ce qui ne pouvait qu'être le poing de la jeune forgeronne se diriger tout droit vers son beau faciès. Une trajectoire impressionnante qui s'acheva en un claquement assez lourd pour être entendu jusque dans le bar tandis que le ronin, projeté vers l'arrière, brisa les portes de l'établissement au grand désarroi du tenancier, suscitant cependant un hourra éméché de la part des clients.

Kaori était connue au sein du village pour sa beauté qu'elle tenait manifestement de sa mère mais surtout pour son obsession pour la forge qui la poussait depuis son enfance à assister son père lorsqu'elle le pouvait. Bien évidemment, une vie dans un tel milieu nécessitait un corps à l'apogée de son potentiel, ne serait-ce que pour faire face à la chaleur intense. Ce corps poussé à son paroxysme était ce qui se dissimulait sous les faux airs de demoiselle en détresse de la jeune forgeronne.

Ainsi, lorsque Mugetsu, hébété, se releva en caressant sa mâchoire, il pouvait déjà sentir l'alcool redescendre à une vitesse folle tant le coup reçu fut puissant, chose qui l'emplissait d'un profond mécontentement qui devait se faire attendre. En effet, rouge de colère, Kaori s'empressa de l'attraper par le col afin de le trainer vers l'extérieur. Là, secouant le ronin de droite à gauche, la forgeronne le sermonna avec autant de tendresse que le ferait son cher père.

– MUGETSU ! Abruti de tes morts, ça va pas de te battre avec lui en sachant ce qui se dit en ville ?! Ça t'est passé par la tête que tu devais d'abord me payer avant d'en venir aux mains avec mon père ?

Coudes pliés et les mains levés pour alléger la tension, le ronin esquissa une grimace souriante rappelant l'espièglerie à peine camouflée d'un enfant pris la main dans le sac là où il ne devait pas l'être.

– Ha...haha, Kaori quel plaisir de te voir. Alors comment dire... Je ne l'ai pas reconnu ?

Il n'eut pour réponse qu'une gifle cinglante.

– Ouch ! Ok, ok, je plaisante. Yare yare... Dis, loin de moi l'idée de changer de sujet, mais tu ne penses pas que réagir comme ça renvoie la mauvaise image ? Non pas que ça me dérange, tu le sais déjà, mais pour des inconnus comme...⁣

Termina-t-il en pointant du doigt le Chuunin derrière la forgeronne, jusque-là ignoré par celle-ci dans son léger élan de colère. Réalisant les implications soulevées par Mugetsu, ses joues se teintèrent à nouveau d'écarlate alors qu'elle se retournait l'air gêné, lâchant par la même occasion le sabreur qui retomba sur un lit de neige, en soufflant de soulagement. Il venait de réduire sa sentence pour quelques minutes, certaines, mais chacune d'entre elles était cruciale lorsque vous aviez à vos trousses un monstre aussi sanguinaire qu'une forgeronne en colère.

Dans l'embarras, Kaori prêta peu d'attention aux mots autoritaires du nouveau venu malgré son ton empreint de légèreté. Toutefois, son regard suivit la direction pointée par l'argenté pour venir se poser, teinté d'exaspération, sur la silhouette de son paternel étalé dans la neige de Tsume. Elle offrit un sourire gêné au soldat impérial. Après tout, il restait un client potentiel autant pour elle et pour son père. Et avec le Festival des Lames en approche, ce genre de situation rocambolesque ne pouvait résulter en autre chose que des rumeurs et de la mauvaise publicité. Les yeux de la forgeronne alternèrent entre le visage du sabreur et le corps inconscient de son père pendant un court instant avant de finalement se décider sur le premier.

– Je...euh... je.... Désolée Kunao-san, laissez-moi un instant.

Kaori, les mains jointes au-dessus de ses genoux, s'inclina brièvement en guise de salutations avant de se diriger vers Juro. Le saisissant des deux bras au niveau des épaules, elle traina sans grand effort le corps inconscient du forgeron à l'intérieur du bar, le plaçant assis, dos contre l'un des murs relativement éloignés de la sortie. Si d'ordinaire, elle l'aurait directement ramené chez eux ou aurait juste attendu le réveil de ce dernier, elle devait toujours régler ses affaires personnelles.

Tandis que les Furuheda disparaissaient à l'intérieur de la taverne, Mugetsu dévisagea un court instant le Seizanjin. S'il comprenait les inquiétudes du jeune épéiste, son esprit avait du mal à concevoir une quelconque situation du genre que les locaux n'arriveraient pas à gérer par eux-mêmes. Le ronin les avait côtoyés assez longtemps pour reconnaitre leur hardiesse. Inspirant un bon coup l'air hivernal, il poussa un long soupir achevé par un discret murmure avant de se relever en refusant l'aide de Kunao d'un geste de la tête sans prétention.

– Yare yare daze...

Le ronin écoutait les paroles du sabreur, d'une oreille distraite, plus occupé à se débarrasser des résidus d'hydrométéores lui collant toujours au kimono. Son entreprise achevée, sa dextre se glissa sereinement à sa gourde qu'il déboucha d'un mouvement du pouce. Portant le contenant à ses lèvres, il ingurgita une gorgée indiscrète sous les yeux du Seizanjin.

– D'autres bastons …?

Une seconde gorgée. Il lâcha quelques mots suivis d'un indolent haussement des épaules.

– Eh... ça dépend pas tellement de moi tu sais, Soldat-kun. Les locaux ont le sang aussi chaud que leurs forges et la tête aussi dure que l'acier. Sinon pour le contexte, hmmm que dire ? Une dispute entre amants qui a légèrement dégénéré, je présume.

Ses propres mots lui arrachèrent un sourire empli d'espièglerie mais qui ne fut que de très, très courte durée. Silencieuse, Kaori était de retour depuis quelques instants et avait entendu l'échange entre les épéistes. D'un mouvement vif et précis, l'une de ses paumes s'abattit sur l'arrière du crâne de l'errant, forçant ce dernier à recracher instinctivement sa troisième gorgée.

– Bordel Kaori !

– Ferme-la imbécile ! Tu n'arranges pas ton cas, je te rappelle que tu me dois toujours une épée !

À son grand désarroi, son avertissement n'eut pour conséquence qu'un ricanement à demi étouffé venant du ronin. Alors qu'elle pinçait le bout de son nez, la forgeronne préféra passer à des choses plus importantes et expira longuement l'agacement qui déformait jusqu'à présent ses traits. Une fois calmée, elle se tourna enfin vers Kunao.

– Je vous prie de m'excuser Kunao-san mais toute cette situation n'est un grand malentendu causé par les idiots qui m'entourent. Oh, mais pardonnez mon impolitesse. Je suis Furuheda Kaori, fille de Furuheda Juro, l'ivrogne qui était étalé par terre il y a quelques instants.

Elle marqua une pause et soupira à nouveau en pointant du pouce l'épéiste à ses côtés.

– Cet abruti se nomme Mugetsu. Toute cette situation est notre faute commune. Voyez-vous, la lame à sa ceinture est ma plus récente création que je n'ai pas eu le temps de lui facturer pour des raisons encore plus stupides que lui, à vrai dire...

Mugetsu avait l'habitude. Être sous-estimé était sans doute un rite de passage pour tout indépendant, une constante à laquelle tout un chacun devait se résigner. Paria, vagabond, truand, toutes ces épithètes lui avaient été attribuées au moins une fois depuis son réveil. Ces mots ne pourraient jamais ébranler son égo. Mentionner son aptitude au sabre par contre était un moyen efficace de lui taper sur le système. Pas assez pour qu'il y prête réellement attention ou qu'il ne développe une quelconque rancune. Du moins, en général.

Toutefois, quelque chose à propos du jeune épéiste semblait sérieusement agacer le ronin, malgré son habituelle prudence plus prononcée en présence de forces de l'ordre. Mugetsu n'avait aucune garantie de pouvoir le vaincre si la tension qui s'était installée entre les sabreurs atteignait son apogée. Pire même, il n'en tirerait que des problèmes de plus en plus gros s'ils en arrivaient là. Mais une étincelle de fierté jusqu'alors endormie s'était réveillée dans son for intérieur. Le sourcil arqué, l'errant dévisagea un instant Kunao. Peut-être lui percevait-il tout simplement une certaine arrogance le frottant dans le mauvais sens du poil ?

Sa précieuse gourde rangée, Mugetsu s'approcha de l'argenté d'un pas lent mais saupoudré d'un grain de légèreté, similaire à celui d'un fauve au point culminant de sa chasse. Pourtant, rien dans sa posture, plus désinvolte que menaçante, ne suggérait une quelconque animosité. Ses mains se tenaient assez loin du tsuka de son arme pour qu'un épéiste habile le neutralise avant même qu'il ne puisse dégainer. Néanmoins, il n'avait aucunement l'intention de détendre l'atmosphère.

Depuis son abdomen, Mugetsu relaxa consciemment certains de ses tenketsu afin de permettre au fluide chakratique de circuler comme il le souhaitait. Apparemment, il s'agissait d'une prouesse qui nécessitait une pratique rigoureuse mais cela lui venait naturellement, sans doute un don de son passé.

Peu à peu, l'air autour du ronin se troublait tel un mirage désertique sous un soleil impitoyable. En revanche, aucune chaleur n'émanait de cet étrange phénomène. La lumière semblait tout simplement se faire avaler par quelque chose, des ténèbres qui s'intensifiaient suffisamment pour former un fin voile éthérée, presque transparent, définissant la silhouette de l'homme à l'écharpe. [C1 Spectre]

– Ohhhh... mais c'est qu'il a du mordant en plus. Mais fais gaffe, sous-estimer les gens par ici peut mener à de vilaines surprises. Après tout, même un incapable reste dangereux, une épée à la main tu ne pense pas, gamin ?

Ces dernières syllabes étaient uniquement accentuées pour provoquer le Seizanjin. Assez absurde lorsque d'apparence les deux épéistes ne pouvaient qu'être dans la même décennie voire le même quinquennat ou même moins. Mais Mugetsu ne pouvait s'en empêcher.

– Ils vous apprennent à réfléchir par vous-mêmes, non ? Ou vous êtes bons qu'à suivre ordres et protocoles ?

Malgré ces mots sardoniques, la voix du ronin était claire et posée, comme si ses questionnements étaient emplis d'une profonde sincérité, vraisemblablement absente.

Et il semblait que ces mots eurent l'effet escompté. Malgré la petite démonstration des prouesses chakratiques du ronin, le Chuunin avait décidé de relever son défi sans aucune hésitation. Le contraire aurait été très décevant de la part d'un gradé de l'armée, encore plus lorsque les instincts de l'errant l'imploraient de lui refaire le portrait.

Lorsque l'argenté mis fin à ses paroles, les traits de Mugetsu se fendirent en un rictus amusé, dont la froideur paradoxale n'avait rien d'amical. Un ricanement lent et cynique le suivit. Pour lui, il était devenu évident qu'ils partageaient à ce moment précis le même sentiment, le désir intense d'en découdre. Le voile éthéré de Mugetsu se dissipa, tandis qu'il prit la parole.

– Oh, tu t'approches de moi Soldat-kun ? Tes géniteurs ne t'ont pas appris à te méfier des étrangers ou ils ont aussi laissé cette charge à l'académie ?

Mais Mugetsu, malgré tous ses défauts, était loin d'être une simple brute niaise ne voyant pas plus loin que le bout de son nez. Le ronin avait conscience de la situation dans laquelle il se trouvait. S'il était le premier à dégainer, peu importe l'issue de la confrontation, sa vie serait constamment en danger pour avoir porter atteinte à un militaire de l'armée impériale. Dans le cas où il se défendrait, le pire qu'il risquerait serait sans doute une peine de prison, issue bien plus attirante. C'était pour cette raison que cette attitude était même devenue l'une de ses seules règles de conduites. Il provoquait, bien évidemment, mais jamais il ne donnait le premier coup.

Alors l'errant se contenta de renifler. Les propos du dénommé Kunao avaient du mal à l'impacter car après tout, Mugetsu avait eu l'occasion d'entendre bien pire à maintes reprises. Mais le samourai pouvait-il en dire autant ? S'était-il au moins rendu compte qu'il n'avait devant lui qu'un simple reflet opposé, une lame inverse ? Mugetsu ricana à nouveau.

– Je croyais que c'était ton boulot d'assurer l'ordre public. Absolument rien ne m'oblige à donner le premier coup alors qu'est-ce que t'attends au juste ? Ahhhh.... mais oui, je sais... Si je suis un simple clébard alors t'es sans doute le bon toutou qui attend l'ordre de mordre, n'est-ce pas ?

Théâtral, le ronin marqua à son tour une pause avant d'achever sa tirade.

– Vas-y Médor, donne la papat-....

– ASSEZ !

Tonna Kaori en s'interposant entre les deux épéistes. De ses bras tendus, elle poussa les sabreurs dans des directions opposées et regarda alternativement chacun des belligérants en devenir, la mâchoire serrée et le regard intense en baissant les bras. S'il y a quelques instants la jeune forgeronne se présentait à Kunao comme une simple ingénue, elle était maintenant plus proche de la furie que Mugetsu connaissait bien mieux.

– Vous en avez pas bientôt fini avec votre concours de qui à la plus grosse ?! Toi...

Dit-elle en pointant le ronin du doigt.

– T'as de l'audace de l'ouvrir aussi fort quand le bordel de ce soir est ta faute.

Mugetsu se contenta de souffler du nez tandis que Kaori se tournait à présent de Kunao, vers qui elle fit quelques pas.

– Et toi ! Je me fiche bien d'où tu viens et de qui tu es. Si tu penses pouvoir venir te pavaner ici et insulter les locaux, tu te mets le doigt dans l'œil. Si tu es ici en tant que festivalier, alors aie un minimum de respect pour ceux qui l'organisent !

Au rouge qui colorait ses joues, il était facile de discerner les émotions ressenties par la Tetsujin. Si elle ne le disait pas explicitement, les mots de Kunao avaient heurté son point sensible. Comment réagiriez-vous si un inconnu se mettait à critiquer votre passion, votre raison de vivre alors que vous-même doutiez déjà de vos capacités ?

– Quelle soirée...

La forgeronne soupira bruyamment, ses épaules suivant le mouvement lent de haut en bas. Si les deux sabreurs ne pouvaient apaiser la tension, elle se devait de remplir ce rôle au risque de rendre encore plus compliquée une nuit qui l'était déjà bien assez. De nouveau calme, elle reprit en direction du Chuunin, l'air fatiguée.

– Écoutes Kunao-san, je ne suis encore qu'une apprentie et Mugetsu est mon premier client. Cela fait quelques semaines qu'il monnaie ses services en ville, à ma connaissance ce n'est pas un voleur.

Elle baissa le regard.

–S'il s'est battu avec mon père ce soir, c'est surtout car cet idiot s'imaginait d'autres choses. Il ne m'accepte pas en tant que forgeronne et Mugetsu ne faisait que me rendre service, en réalité...

Son visage semblait doucement retrouver en vitalité alors que ses yeux se plissèrent légèrement. Kaori venait d'avoir une idée, une idée qui pourrait satisfaire tout le monde. Levant brusquement la tête, son regard plongea dans celui du Seizanjin, un sourire enthousiaste au coin des lèvres.

–Oh ! Mais bien sûr. Kunao-san ! S'il te plait tout ce qui m'importe à propos de cette lame est de tester sa qualité...

Elle fit un pas en avant et s'empara d'un mouvement rapide des mains de Kunao. Dans ses yeux brillait l'éclat d'une ferveur passionnée, son esprit n'était plus dans le présent, il voyait de l'avant, un futur qu'elle ne laisserait pas passer.

– Je t'en prie Kunao, affronte-le s'il te plait, ne serait-ce que pour repartir du bon pied ! Toi t'as pas intérêt à te défiler, t'as pas le choix.

Lança-t-elle en direction de l'homme au kimono fleuri. Celui-ci avait profité de l'intervention de Kaori pour s'abreuver à nouveau. Rangeant une dernière fois sa gourde, il se gratta la tempe, un peu confus du déroulement des événements. Cependant, il connaissait assez bien la forgeronne pour savoir qu'il ne pourrait échapper à cette situation. Alors, il haussa simplement les épaules.

– Eh... Si ça peut te faire plaisir...

L'éclat du Seizanjin fut accueilli par un long silence stupéfait. Kaori restait immobile, l'air perplexe et quelque peu incapable de correctement comprendre ce qu'il venait de se passer. Elle l'avait vu, l'avait entendu mais n'arrivait tout simplement pas à réaliser l'ampleur de la réaction du Chuunin.

Mais, dans son dos, le calme qui s'était installé devant la taverne était progressivement brisé. D'abord, ce fut par un ricanement étouffé qui laissa très vite sa place à un éclat de rire tonitruant, sans aucun doute audible par la silhouette de plus en plus lointaine de l'épéiste de Seizan. En effet, le ronin avait du mal à cacher son hilarité tant les actions de l'argenté lui semblaient surréalistes. Peut-être était-il plus qu'un simple automate obéissant aux ordres reçus après tout ? Cette simple pensée faisait remonter dans son estime le dénommé Fumiri Kunao, malgré le caractère presque enfantin de sa colère.

Les noctambules qui s'étaient amassés autour des trois protagonistes se dispersaient, un peu dépités de la tournure des événements, leurs murmures se dissipant dans le vent hivernal. Reprenant ses esprits, Mugetsu laissa s'échapper un soupir avant d'essuyer de l'index le coin de son œil. Avec le départ soudain de Kunao, il lui parut tout bonnement naturel de reprendre le cours de sa soirée là où il l'avait laissé, avant les interruptions des uns et des autres. Il prit ainsi le court chemin en direction de la taverne sans dire un mot de plus, mais fut stoppé net par une main venue se poser sur son épaule d'un mouvement vif.

– Mu-get-su...

Doucement, il tourna la tête pour confronter celle qui l'avait arrêté. Avant même de poser ses yeux sur le visage courroucé de la jeune forgeronne, il savait pertinemment ce qu'elle allait demander de lui. Le ronin n'était pas dupe, malgré ses airs. Il avait une dette à payer et la patience de Kaori atteignaient ses limites.

À nouveau, l'errant soupira, presque discrètement.

– Yare yare daze...




Kaori était claire. Quand bien même la colère lui embrumait l'esprit, elle avait pris soin de bien faire comprendre une chose au ronin : il n'aura pas accès à ses services tant qu'il n'aura pas testé sa nouvelle création. Une lame pour des lames...

Alors Mugetsu emboita le pas de Kunao, l'air un peu renfrogné mais bien décidé à s'acquitter de sa dette. Il était un indépendant, un vagabond sans attaches qui ne pouvait s'éterniser nulle part. Les dettes étaient le genre d'attaches qu'il abhorrait tant elles avaient tendance à attirer le plus de complications. De plus, Kaori était utile. Ce n'est pas tous les jours que l'on tombe sur un forgeron épargnant ses clients de frais monétaires en échange d'un simple contrôle de qualité. Même si l'idée ne lui plaisait pas, l'errant devait se rendre à l'évidence : il n'avait plus tellement le choix.

Apercevant enfin Kunao au bout de la large rue parsemée de neige et encadrée des murs d'habitations, Mugetsu se réjouissait au moins à l'idée d'avoir une nouvelle occasion de persifler le jeune Chuunin. Senestre posée sur son saya laqué, le ronin, d'un mouvement du pouce, dégaina son sabre de sorte que le tsuba de l'arme lui retombe sur le doigt, laissant une petite partie de l'arme hors du fourreau. Le mouvement avait néanmoins causé ce fameux bruit métallique, cette mélodie si caractéristique à l'oreille de tout sabreur qui se respecte retentit alors dans l'allée vide. Il l'avait sûrement entendu.

Sans attendre une quelconque réaction de la part de l'argenté, l'homme au kimono fleuri entonna, assez fort pour être entendu dans toute la rue. L'air neutre mais un peu ennuyé, un sourire narquois vînt vite gracier son visage tandis que de sa dextre, il empoignait son écharpe fétiche. Mugetsu avait une idée sur comment atteindre le Seizanjin.  

– Oï Soldat-kun... Je crois que ton apprentissage du Bushido n'est pas terminé. Ou me dis pas que t'as oublié que des cicatrices dans le dos étaient la plus grande des hontes pour un digne épéiste... Fumiri Kunao.

À vrai dire, Mugetsu n'était pas un expert du Bushido, loin de là, mais cela n'avait pas grande importance. Non, car Kunao, lui, l'était.

Le corps était une chose fascinante. Une machinerie de chair, d'os et de tendons soumise à la moindre pensée d'un esprit au fonctionnement nébuleux. Au-delà de cette simple définition se cachait aussi une archive de vies plus ou moins mouvementées, une banque de sensations. Bruits, odeurs, goûts, tant de ressentis qui, à termes, se retrouvaient gravées dans les fibres les plus infimes du corps.

Pour Mugetsu, l'écho du fer s'extrayant de son fourreau, un chant de métal contre métal, était l'une de ses sensations que son corps ne pouvait oublier, peu importe l'état de son esprit. Elle avait le don de le faire frémir, les poils de sa nuque se dressant suite au grincement. Ce n'était pas de l'anticipation, ni de l'appréhension. Simplement le résultat d'une poussée d'adrénaline, car ce son était aussi synonyme de mort.

Mugetsu souriait. Non, il ne s'imaginait pas triomphant au-dessus de la dépouille de l'argenté, même s'il avait du mal à garder loin cette image de sa tête. L'errant se contentait juste de l'idée de pouvoir l'affronter, un compromis permettant relâcher la pression de la soirée. Il souffla du nez.

– À tes ordres, mon grand...

Toutefois, s'il n'avait pas l'intention d'offrir à la reine chtonienne une nouvelle âme à materner, il était clair que, pour le ronin, du sang allait couler ce soir.




Obsidiennes perçantes rivées sur la silhouette du Seizanjin, le ronin ne cachait plus son envie d'en découdre. Au fond de tout homme sommeillait un animal, une bête intéressée uniquement par l'envie de prendre une autre vie. Consommer pour le simple but de consommer. Certains parvenaient à dompter, en partie, ce prédateur aveugle. Certains, comme Mugetsu, parvenaient même à la libérer par intermittence, la bête se manifestant alors par un bourdonnement étouffé, une pression invisible qui démontrait l'objectif de celui-ci qui la libérait : chasser. [Gêne - C2, Rang B]


Empoignant de ses deux mains l'arme forgée par Kaori, Mugetsu inspira profondément. Alors que l'air froid du village de Tetsu emplissait ses poumons, il pouvait sentir à travers ses tenketsus le flot enivrant du chakra s'emmagasiner le long du katana entre ses mains. Lentement, le métal de l'arme disparaissait dans un amas de ténèbres immatérielles.

Soulevant son sabre au-dessus de lui, le ronin fendit l'air en abaissant l'arme avec précision et grâce. La lame siffla, un chant mortel dans le silence, tandis que ses ténèbres filaient avec rage en direction de la lumière de l'argenté. Puis, Mugetsu surenchérit. Sans perdre un instant, il souleva de nouveau son épée et trancha l'horizon, le geste laissant dans son sillage une nouvelle lame de chakra se combinant à la précédente pour former une sorte de croix éthérée déferlant sur le Seizanjin [Esprit Vide + Néo-Samurai - C1 + C2.2, Rang B].



Animé par la curiosité de déchiffrer la réaction de son adversaire face à son assaut, le fleuri fléchit subtilement les genoux, s'ancrant dans une posture basse. Son arme, désormais abaissée, dessinait une ligne silencieuse vers le sol. Il prit une profonde inspiration, laissant ses sens se déployer, tissant une toile de perception autour de lui. Mugetsu laissa échapper un souffle mesuré, ses yeux se fermant doucement. Alors que la silhouette physique de son opposant s'effaçait derrière le voile sombre de ses paupières, sa présence spirituelle, plus subtile, prenait forme dans les profondeurs de son esprit [Senseur - C1, Rang B].



Le ronin rouvrit finalement les yeux, son sixième sens s'étant aiguisé au-delà du perceptible. À première vue, son attitude détachée pouvait donner l'impression qu'il sous-estimait Kunao, mais la réalité était tout autre.  En vérité, il n'invitait non pas seulement son adversaire à lancer la prochaine attaque, mais il se préparait déjà à y riposter avec une précision qui ne laissait aucune place au hasard. Dans le calme de son regard, un défi muet était lancé.

Récap: