Voir Dabi ainsi me désole…

Lors de notre rencontre aux forges de Seizan, il n’avait pas cet air; il me semblait trop absorbé par son travail et me donnait l’impression d’être de ceux qui vivent à travers leur profession. De la même façon que Kenichi le fait, en toute honnêteté. Dabi est un forgeron particulièrement habile, je me serais dit qu’il est venu jusqu’ici sans doute pour les affaires, mais il ne semble pas avoir beaucoup de choses avec lui.

«Oui, c’est ça; je l’ai rencontré à S-…» Je n’ai malheureusement pas le temps de répondre en entier. On m’aurait dit qu’il n’y a pas grand-chose derrière notre rencontre et ce serait vrai, mais ne pas avoir la chance de parler de mon voyage est regrettable.

Une jeune femme nous approche, tenant un petit quelque chose dans sa main. Elle, par contre, venait pour les affaires et il ne lui fallut que peu de temps pour l’admettre. Si elle nous approche, c’est à cause de la coquetterie de mes habits et je ne lui en veux pas pour ça. Le moment n’est pas le mieux choisi, mais elle remarque aussi que Dabi ne semble pas dans son assiette.

Je laisse en paix le forgeron un instant, me levant pour jeter un œil au contenu de la boîte qui s’offre pratiquement à moi… ou inversement, à laquelle je m’offre presque totalement. «J’aimerais bien visiter votre stand un peu plus tard, vos bijoux sont ravissants!» Qu’elle soit assurée que je repasserai. Pour l’instant cela dit, je suis pris à lorgner une paire de bracelets jumeaux, l’un arborant la marque du yin et l’autre, celui du yang. Faits d’une barre de métal pliée où on y a aligné des perles d’ivoire et d’ébène, ils semblent assez solides et d’une qualité certaine.

Ma tête se tourne légèrement vers mon compagnon. «Si je les achète, en porterais-tu un?» Lui en offrir un et porter l’autre me ferait particulièrement plaisir; s’il n’est pas du genre à porter des accessoires par contre, je n’insisterai pas. Je peux trouver autre chose.

Mon regard se pose de nouveau sur Dabi, lui disant que «si ça peut te remonter un peu le moral, je suis prêt à t’acheter quelque chose. L’armure que tu m’as offerte m’a maintes fois sauvé la vie, je te dois bien ça!»

À la dame, je demande si «vous ne vendriez pas des Omamori, par hasard? Peut-être qu’une amulette pour la chance lui remonterait le moral? Et qui sait, peut-être que cela ferait de l’un de ses rêves une réalité.» Je ne suis pas si supersticieux, mais on ne sait jamais; Dabi a peut-être quelque chose dans sa vie qui le pèse, et qu’il a besoin d’un petit encouragement.

«Juste un instant.» J’étais parti dans ma réflexion; cet habit que je porte vient des montagnes, je me souviens très bien du magasin et d’avec qui je l’ai acheté. Je voulais sortir des pans de mon vêtement un bout de parchemin et trouver de quoi lui écrire, mais je devais d’abord tourner mon attention ailleurs. La vente viendra ensuite, je suis certain que mademoiselle comprendra cela.

En premier, Dabi. Tournant une épaule vers lui pour mieux le regarder – maintenant qu’il semble un peu mieux – je lui dis distraitement, un peu à la va-vite, que «ce n’est pas grave, et au contraire c’est moi qui te remercie. Viens, ne reste pas dans ton coin; je veux t’offrir un petit quelque chose.» Lui faisant signe de s’approcher, je me tourne davantage.

Maintenant, Kenichi. Je compte déjà acheter pour nous deux une paire de bracelets, mais j’aimerais bien qu’il se choisisse lui-aussi quelque chose qui lui ferait plaisir. «Je vais nous prendre les bracelets, mais j’aimerais aussi t’offrir quelque chose de plus. Viens trouver quelque chose à ton goût; même si tu ne les porterais pas souvent, savoir que je t’ai offert quelque chose qui te plaît me ferait plaisir.»

Ensuite, mademoiselle.

J’en reviens finalement à ce que je souhaitais lui dire. J’explique que ces vêtements viennent d’un peu loin, que «j’ai acheté mon kimono et mon obi lors d’un voyage près de Seizan; ce sont des pièces uniques qui viennent d’une famille de couturières. Leur boutique s’appelle "De fil en aiguille".»

Puis, après un moment à observer un peu plus intensément le contenu de la boîte, j’entends dans la voix de la jeune femme un brin d’inquiétude. Simplement, je lui demande : «que voulez-vous dire? Y a-t-il quelque chose que nous devrions savoir? En tant que membres de l’armée de l’empereur, vous pouvez nous dire si quelque chose vous inquiète.»

Une occasion parfaite de m’informer, et de faire le travail que Chinone m’avait demandé. S’il y a quelconque risque pour le village ou quoi que ce soit pouvant perturber les festivités, je me dois de le découvrir.

Mes humeurs passent un sale quart d’heure.

D’abord, mon coeur était empli de gratitude pour Dabi devant cette gracieuse offre et son amitié. Distraitement, je lui dirai que «ça fait chaud au coeur. SI tu n’es pas trop occupé, j’aurai quelqu’un d’autre à te présenter, sans doute une nouvelle cliente.» Ces objets mystérieux dont Chinone m’avait parlé… peut-être que Dabi saurait les travailler pour elle? J’aurai sans doute un peu de temps pour les mettre en contact avant qu’elle n’ait à acquitter de ses fonctions…

Puis, les paroles de la jeune femme viennent me tirer un rire ainsi qu’une joie certaine. D’autant plus que mon compagnon a su trouver un petit quelque chose qu’il pourra conserver, de quoi lui faire penser à moi quand je serai – inévitablement – loin de la Cime. Je réponds donc à mademoiselle : «on s’entend plutôt bien, oui!» Un sourire mièvre au possible et les yeux qui se détournent un instant sur Kenichi lui donnent un bien grand indice sur ce que j’insinue.

Mais… ça n’a pas duré longtemps. J’ai eu le temps d’expliquer que «je ne suis plus trop certain, je crois qu’il s’agit de la petite famille Kamiko, mais maintenant j’ai le doute…»

Un nom vient cependant à mes oreilles, et je repense à ce qui a été dit de lui. Shunzui, celui qui a tué les parents de Ruka, qui a trahi le village et qui est responsable de la mort de Rei, mon jeunot. À l’entente de ce nom maudit, mon visage se tord de surprise et une main vient couvrir ma bouche.

Pas lui. Pas ici. Pas maintenant.

Ça se voit que le sujet est sensible, qu’elle n’ose pas parler à haute voix. «Il aurait bien du culot de se présenter ici, lui… Êtes-vous certaine qu’il est ici?» Je suis obligé de douter; la Cîme le recherche activement. S’il y avait une quelconque trace de sa présence, il aurait vite été repéré…

Dans tous les cas, je ne peux pas alerter Chinone maintenant. Ça pourrait gâcher l’évènement, d’abord, et ensuite si je n’ai aucune preuve de sa présence il ne me sert à rien de risquer la panique. «Avez-vous entendu parler d’autre chose? D’autres personnes suspectes, par exemple. Je suis désolé de vous poser ce genre de question, mais en savoir plus m’aiderait beaucoup dans mon travail…» Je ne veux pas avoir à faire ça maintenant, à briser cette belle matinée si vite, mais j’ai besoin de savoir.

Il faut laisser la jeune femme partir, mais pas avant que je ne prenne un moment pour la rassurer; il n’est pas question qu’elle parte d’ici d’humeur mauvaise. D’abord, je lui explique qu’«il ne faut pas s’excuser pour ça! Je vous assure que vous n’avez pas plombé l’ambiance, et je vous remercie de nous avoir averti malgré cela. C’est bien d’être prévenant!»

Si je ne peux avoir de preuves qu’il se passe quelque chose dans ces rues en ce moment, je pourrai au moins me tenir aux aguets. Dans son cas, révéler cette information fait en sorte qu’elle peut repartir le coeur léger en sachant qu’au moins, quelqu’un a été averti.

Ainsi, j’achète tout ce que je voulais pour celui avec qui je m’entends bien et moi-même, prenant aussi pour Kaji un Omamori. C’est peu de chose, mais je ne saurais montrer ma sympathie autrement que par quelques mots gentils et un petit signe d’affection.

«En tout cas, merci pour tout ceci! J’espère que vous continuerez à profiter des festivités! Je passerai sûrement faire un tour plus tard à votre échoppe, pour voir ce que vous avez d’autre!» … Si j’en ai le temps. Je suis pas mal certain que l’occasion se présentera, nous sommes encore tôt le matin, mais je ne peux pas tout prévoir, surtout maintenant que je dois réellement surveiller les lieux…

Faisant au revoir de la main à la charmante vendeuse, je ne peux m’empêcher de penser à ce qu’elle a dit. Après un petit moment, j’en viens à penser qu’il serait bien trop risqué pour Shunzui, surtout aujourd’hui, de se présenter. On ne revient pas sur les lieux du crime quand les quatres plus grandes armes de l’Empereur sont présents, ou pas sans une bonne raison ou une bonne façon de se cacher.

Quand la rencontre sera terminée j’en informerai Chinone en lui expliquant clairement que j’ai jugé bon de ne pas déranger pour une incertitude. Pour l’instant cependant, je retourne mon attention vers mes deux compagnons.