"Sais-tu ce que tu vas faire?"

Rien. Rien du tout, c’est ça que je ferai. Le problème de Ruka n’est pas petit, mais je ne peux pas me permettre de me pencher sur la question dans l’immédiat. Sa marque n’est pas un sujet inquiétant pour l’instant, et laisser les détails de sa mystérieuse rencontre s’échapper pourrait lui porter un énorme préjudice. D’un autre côté, je dois des réponses à quelqu’un d’autre et parler l’aiderait grandement.

Comme d’habitude, les péripéties s’enchaînent et je n’ai pas le temps de respirer. Depuis l’enterrement, je n’arrête pas et je dois gérer l’ingérable. La marque de Ruka, le retour d’Haruka, l’enfant de Kenichi, les difficultés de Sae, le mystère de Yui, l’état de Chinone…

Heureusement, Kenichi et Chinone sont faciles à gérer, ayant les mêmes mécanismes en cas de problème. Ils oublient, ils travaillent. Parfois, elle boit. Tout le reste, rien ne sera fait tant et aussi longtemps que le village roulera à pleine capacité pour la visite des Ombres des trois autres coins du monde.

"Au moins, c’est rassurant de savoir que ça ne durera pas éternellement."

… Disons ça.

Chinone est dans la cuisine. Sur le coup, il semble y avoir quelque chose de différent… mais ça m’échappe. À part le fait qu’elle semble perdue dans ses propres réflexions, je ne vois pas. Je me sers un bol de bouillon, je viens m’asseoir. Par réflèxe, je tape ma cuillère de bois contre la table deux ou trois coups, pas trop fort. «…»

Je me mets à savourer un peu, me rendant finalement compte que la différence ne vient pas de la jonin en elle-même, mais de ce qu’elle tient en main; son breuvage est chaud, sans alcool. On a l’habitude d’un relatif silence, depuis le temps. C’est après un court instant que je me permets de lui demander – enfin, disons ça comme ça – ce qui lui occupe tant l’esprit. «… Tu es très pensive ces temps-ci.» Et moi j’ai l’air débordé, pour changer.

Simple, mais grandement suffisant; s’il y a de quoi, je le saurai bien vite. Je ne peux que supposer; Chinone n’est pas du genre à se pencher sur le pourquoi du comment, ainsi la visite des Kage n’est pas exactement ce qui la rend songeuse. C’est sans doute ce qu’il y aura autour de l’évènement; les risques de tant de monde à la fois dans la cité de la Cîme.

Je hoche la tête; bien entendu, je m’en doutais. Seulement, j’étais loin de me douter de l’importance de ma mentor lors de l’évènement. J’aurais pu, même que j'aurais dû; c’est Chinone qui m’a recommandé pour la brigade d’interrogation et elle était plus que certaine de son coup à ce moment-là. 

Je sais pertinemment que de tous les soldats de Jujou, Chinone est la plus proche de Kaleah. Advenant que je me trompe, la vérité ne devrait pas être trop éloignée. Notre Kage met entre les mains de Chinone sa sécurité, et ce n’est pas rien.

À entendre cette nouvelle, un sourire me vient; cette preuve de confiance d’un échelon à l’autre me fait plaisir, je comprends parfaitement ce qu’on me demande. Kaleah a besoin de Chinone, ainsi Chinone a besoin de moi. «Pas besoin d’en dire plus, je comprends. Je ne suis qu’une seule personne, mais je vais faire tout ce que je peux pour surveiller jujou.»

Impossible de connaître exactement le déroulement de la rencontre, mais je peux m’en faire une idée : «je m’attends à ce que les Ombres des autres villages n’arrivent pas en même temps et qu’il faudra au moins un ou deux jours avant que leur rencontre officielle n’ait lieu. Avant, je profiterai des festivités et m’assurerai de minimiser les risques. Pendant, je me tiendrai près de l’arbre et garderai un œil ouvert.» À comprendre que je surveillerai autour pour voir s’il y a des… anomalies.

C’est le mieux que je puisse faire; je n’oserais pas m’interposer durant cet évènement sans raison, au risque de faire mauvaise figure. Je ne veux pas non plus avoir à intervenir plus que je ne le devrais; supposons que les Kage ne se rencontrent pas en particulièrement bons termes, ma présence pourrait devenir un problème diplomatiquement parlant – hors de question de passer pour un curieux qui écoute aux portes.

Raison pour laquelle j’ajoute que «pour éviter d’être de sembler malvenu, je garderai mes distances. J’interviendrai si tu me donnes un signal concret, sinon je te ferai un rapport après la rencontre seulement. Je ne veux pas être trop proche et qu’on me prenne pour curieux ou un espion.» Que je ne sois pas moi-même une anomalie, donc. 

D’un point de vue pratique, c’est normal qu’il lui ait été demandé de déléguer; opérer avec un clone déjà sur le terrain revient à s’amputer d’une réserve d’énergie qui pourrait se montrer précieuse. Non seulement ça, mais…

Je cogne à nouveau ma cuillère contre mon bol. Dedans, cette fois, mais toujours doucement. Même un petit coup ou un accrochage ruinerait l’idée de Chinone. Il est facile pour certains de distinguer un clone de l’original, voire de reconnaître un clone tout simplement.

«Il est mieux pour nous de rester préparés, oui. Même si ce n’est pas optimal, déléguer libère toutes tes ressources personnelles. Je pourrai m’occuper de l’extérieur pour toi, ce n’est pas un problème.» Mais comme dit, je ne suis pas multiple et je ne suis pas infaillible… 

Je ne peux empêcher toutes les informations de circuler, certes. Je peux par contre écouter et assurer que rien n’arrive directement à l’extérieur de l’arbre de la Jujoukage. «Ça risque en effet de beaucoup parler. Si j’entends quoi que ce soit qui peut compromettre la réunion en elle-même, j’avertirai de suite. Autrement, je le rapporterai plus tard pour que tu puisses informer Kaleah.» Si ce n’est pas pressant, je ne dérangerai pas.

Remplacer Chinone n’est pas une mince affaire. J’ai l’avantage d’être particulièrement conscient de mon environnement et de pouvoir traquer le chakra, ce qui est déjà un bon avantage. «Est-ce qu’il y a un endroit en particulier que tu veux que je surveille? Je pourrais laisser moi-même un clone pour assurer la sécurité des bureaux de la brigade. Ça couvrirait au moins les lieux et ça protégerait un minimum nos secrets de quiconque essaierait d’infiltrer.»

S’il devait y avoir une brèche, c’est à cet endroit selon moi qu’elle serait. Pas ailleurs; si on essaie de trouver quelque chose d’incriminant sur la Cîme, c’est certainement là qu’on irait. La brigade est connue pour conserver les nombreux secrets et mystères de Jujou; c’est paradoxal, mais c’est notre réalité. On vante les mérites et l’efficacité d’une organisation qui garde jalousement l’information et qui agit dans l’ombre. «Autrement, je peux y aller moi-même. Ou ton clone serait peut-être mieux placé à cet endroit. »

«D’accord, je ferai ça.» Si elle est prête à déléguer la tâche, je suis prêt à suivre ses instructions et m’y tenir; je ne dois pas faire autrement. Il vaut mieux intervenir que de laisser tout aller et risquer une catastrophe.

On convient donc rapidement que ma présence n’est pas directement requise à l’arbre, que c’est là où la sécurité serait normalement la plus serrée. Je lui précise que «je ferai quand même un tour près pendant la réunion, juste pour faire sûr que le compte soit bon. S’il y a plus de gens que prévu, même s’ils ne sont pas une menace, il sera bon de le savoir. Si la réunion dure sur plusieurs jours, je le referai, sait-on jamais.» Je ne vais pas laisser la possibilité que quelconque personne déterminée à tout savoir s’en sorte sans avoir été au moins remarqué.

Autrement, je suis d’accord qu’il vaut mieux rester près des gros quartiers, sachant que tout le monde risque de passer au moins une fois. «Il y a aussi que s’il doit y avoir du traffique ou des rencontres il y a de fortes chances que cela se produise au grand marché.»

Chinone me fait confiance, moi aussi je lui fais confiance; au moment de prendre ses pilules, je lui dis qu’au besoin, il y a un moyen simple et efficace pour elle de m’alerter. «Je veillerai sur les quartiers. Je ne veux pas douter des quatre Ombres, mais si besoin est, tu as un moyen efficace de me faire signe rapidement. Je resterai toujours en alerte; s’il te faut du renfort, copie mon chakra. Je saurai ce que ça veut dire si je sens ton propre chakra changer.»

Plus efficace qu’un clone ou qu’une invocation, c’est un signal clair et pratiquement instantané. «À part par le biais du garde, je n’aurai pas d’autre moyen de faire passer le message, ou de t’alerter discrètement…» Ce sera le plus difficile; on devra communiquer à sens unique – Chinone devra continuer de me faire confiance tandis que je devrai rester attentif.

Pourtant, juste de savoir qu’elle compte sur moi et qu’elle me considère digne d’être son remplacement à l’extérieur me rassure assez pour croire que tout se passera bien. «Dans tous les cas, savoir que je n’aurai pas à m’en faire pour l’arbre rend les choses bien plus simples.»

La réunion peut attendre après le danger, mais le danger n’attendra jamais la fin de la réunion. C’est logique. Je comprends pour le reste où elle veut en venir; impossible qu’il s’agisse d’une petite rencontre routinière – ça n’arrive normalement jamais – et si Kaleah a vu la nécessité d’organiser un tel évènement, c’est qu’il doit y en avoir long à dire et rien de guilleret.

«Je vois ce que tu veux dire; ça n’arriverait pas autrement que par nécessité.» Et dans l’état des choses, l’inquiétude qui la ronge est tout autant que Jujou soit menacé par l’évènement – en ayant des visiteurs inopportuns – et aussi par ce qui l’amène.

Quelqu’un d’autre m’avait parlé de ce potentiel changement, qu’il faudrait peut-être choisir un camp futur. Akahiko, lors de notre rencontre, m’a fait part de ça. Tout porte à croire qu’il a raison, et qu’il en sait bien plus qu’il ne le laissait croire. Ça serait sans doute ça, le secret de la brigade que Kaleah lui a partagé. Si ça ne l’est pas, cela implique que ses instincts s’avéraient particulièrement aiguisés mais qu’il ne pouvait rien dire.

Plus ça va, plus je me dis que je devrai le revoir. Ça fait si longtemps, pourtant.

«Je te promets de rester sur mes gardes et de ne pas hésiter à venir à l’arbre de Kaleah, dans ce cas. En échange, est-ce que je peux te demander un faveur?» C’est strictement pour moi, mais j’ai besoin de savoir certaines choses.

«Penses-tu que tu pourras m’informer de ce qui se sera dit à la réunion? Ou au moins m’aviser des noms qui ressortiront au fil de la discussion?» Je repense à Ruka, à ce qu’elle a vécu avec ce… Shunzui. «Si tu le peux, j’aurai besoin de savoir de qui ou quoi on devra se méfier.»

Certes, c’est une énorme demande. Je comprendrais si c’est impossible, mais ça ne coûte rien de le demander. Je le demande en tant que collègue et que camarade, pour mieux savoir à quoi m’attendre et ce qui devra être prêt pour ce qui devra inévitablement être fait.

Si méfiance doit être le mot, alors je l’accepte. Ma demande était entièrement faite de déraison, je le savais très bien. Le refus potentiel qui vient avec ne me surprend pas; même si Chinone veut se montrer bienveillante et partager avec moi ce qui sera dit, il est fort possible qu’elle ne le puisse pas.

Alors, simplement, c’est moi qui le ferai. «Dans ce cas, avant que tu rencontres Kaleah, je veux que tu saches ceci. Comme c’est ma demande, j’ai besoin d’en savoir plus sur certains sujets et certaines personnes.» Je ne suis pas en position de mander de moi-même des bouts d’information à notre Kage. Je n’oserais pas, non plus.

«Tu connais Ruka, pas vrai? J’ai déjà travaillé avec elle, nous sommes bons amis.» Un peu de contexte ne peut pas faire de mal. «Elle recherche à se venger de quelqu’un. Il s’appelle Shunzui. J’ai besoin d’en savoir plus sur lui si je veux aider Ruka. C’est un ancien Jujoujin qui l’a trahie et qui a tué ses parents quand elle était jeune.» Un traître à notre faction, donc.

«Puis, il y a quelqu’un d’autre. Je pensais le revoir après mon intronisation dans la brigade, mais ça ne s’est jamais fait, c’est comme s’il avait disparu. Il s’appelle Akahiko; j’aimerais savoir où il est. » Il est peut-être en mission secrète, ou quelque chose du genre.

Je n’ai pas de moyen de le savoir, et si on pouvait simplement m’informer un peu, ça me calmerait. «Pour tout le reste, je n’ai pas besoin de savoir. La non-présence d’Akahiko m’inquiète; il avait l’air… on va dire mélancolique, quand je l’ai rencontré. Amical, quelqu’un de gentil mais d’aussi… uhm…»

C’est bête de dire ça, surtout sachant tout ce que Chinone elle-même a vécue.

«… Marqué par ses responsabilités. J’ai la distincte impression qu’il est lui aussi parti. Je ne voulais pas trop en demander, et il ne faut pas pousser Kaleah en ce moment elle a d’autres choses à faire que gérer mes questionnements, mais je suis persuadé qu’en savoir un peu plus sur eux m’aiderait. Ou au moins, m’aiderait à mieux préparer Ruka.»

Pour sa revanche, oui. Nous sommes finalement plusieurs à avoir des pulsions vengeresses, à la Cîme. Tout nous est arrivé en même temps, au point où les coïncidences ne se peuvent plus. La mort de Rei, la mort des parents de Ruka - la trahison de Shunzui qui vient avec - la disparition d'Akahiko... Il se passe quelque chose.

Aucune idée de ce que c'est, mais je dois nous mettre au point pour assurer qu'on s'en sorte. La vengence a bien souvent un prix; si je peux l'avoir à rabais, ou même m'arranger pour qu'on puisse en avoir sans payer...

Un soupire. Soit.

«… D’accord.» Déception. Il me faudra chercher les réponses en solitaire, découvrir si mon ami a réellement quitté de lui-même ou s’il n’en est rien. J’ai mes soupçons puisque je ne le revois plus, mais impossible de réellement être au courant. Insister m’est inutile, je comprends parfaitement pourquoi elle met son pied à terre.

La vérité, c’est qu’elle a raison. C’est cette tempérance et cette gentillesse qui me nuit le plus, au point où elle me fâche. Encore une fois, je me fais materner, et ce sentiment d’incontrôle m’est écrasé au visage. Tout le monde sait ce qui est bien pour moi, ce qui serait mauvais, et ce qui doit être fait. Même quand je fais l’effort d’y réfléchir.

Soit, je trouverai moi-même la réponse à ma question. Comme à chaque fois, je ferai mon propre choix. J’ai renié les enseignements de la Montagne, craché sur mes propres sentiments pour avoir le peu de statut pour lequel j’ai travaillé, et j’ai finalement fait plier une famille en entier.

Je ne ferai pas d’erreur cette fois non plus, quand Akahiko sera en face de moi je saurai quoi lui dire, qu’il soit traître ou non. Seulement, j’aurais voulu me préparer au pire. Ce n’est pas grave, il me reste encore quelque chose contre quoi m’armer.

Shunzui. «C’est lui, le responsable?»

Cet être est une aberration et ne mérite rien de moins que d’être détruit. Il mourra, rien n’est plus sûr. «J’en parlerai à Ruka. Je devrai la préparer à l’affronter.» Lui trouver quelqu’un pour la soutenir dans sa revanche et assurer sa réussite (à part moi) n’était pas voulu, mais savoir que Chinone est prête à s’en mêler me rassure. «On devra apprendre à travailler avec elle, si on veut l’aider dans sa traque. Ruka a un fort tempérament, même si je veux la guider… je ne suis pas le mieux placé. Quand la réunion sera finie, est-ce que je peux compter sur toi pour la préparer? Les talents de Shunzui sont similaires aux nôtres.» Un illusionniste et un empoisonneur; c’est la pire chose qui puisse arriver à Ruka, elle qui n’a jamais peur de se jeter dans le tas.

«C’est tant la vengeance de Ruka que la tienne; je ne veux pas la laisser sans m’assurer qu’elle ait ses chances et qu’elle soit prête.»

"Ne réponds pas à ça, Ao. Mords ta langue."

Je sais, mais c’est difficile. C’est un trop grand risque à ses yeux, qu’importe sous quel angle j’aborde la chose. Pour elle, Akahiko est un problème, ayant déjà choisi son camp – qu’il ait été forcé ou non. Pour moi, ce n’est pas si simple. Il a vécu avec les mêmes défauts que moi, mais s’est retrouvé dans la même position que Chinone. En quelque sorte, il est ce que je serais sans doute devenu en suivant le parfait parcours du shinobi. Je devrai le déconstruire moi-même car, je ne le sais que trop bien, ce chemin qu’il emprunte le mènera à sa perte.

Mais si ça avait été moi à sa place, aurais-je fini de la même façon? S’il est encore ici, aurai-je la chance de l’aider? S’il ne l’est pas, serai-je obligé de l’aider? Les réponses n’existent pas encore. «…» Ma seule certitude, c’est que Chinone sera coincée entre lui et moi. Je ferai ce qu’il faut pour joindre les deux bouts, pour que l’enfant des vents rouges ne reste pas perdu et que la sanguinaire ne se fasse pas couper.

Par contre, une tête le sera.

«Elle ne fonctionne pas comme moi; sa façon de travailler ressemble beaucoup plus à la tienne… mis à part son surplus d’énergie.» À comprendre; Ruka n’est pas connue pour sa patience, et ce n’est pas quelque chose que je peux facilement régler. Elle n’a pas par instinct cette froideur dans ce qu’elle fait, et je n’ai ni froideur ni chaleur.

Il lui faut apprendre à être polaire, prête à se retenir et ne pas se laisser emporter par ses émotions. «Comme elle me l’a dit, elle est dépendante à la perte de contrôle. Ressentir ses émotions pleinement et se laisser submerger l’aide à se réveiller.» Là est tout le problème; quelqu’un capable de danser sur ses cordes sensibles devient son plus grand danger.

«Je ne veux pas qu’elle se retrouve devant Shunzui et qu’elle perde le contrôle.» Car j’ai l’intime impression qu’elle y passera forcément. «Penses-tu qu’il y a un moyen de lui apprendre à se contrôler?»

Entendre Chinone me conforte dans la proposition que j’ai faite à Ruka il y a peu. Ce qu’il lui faut est horrible, mais me semble effectivement nécessaire. Seulement, je ne pouvais pas me résoudre à lui faire subir ce genre de chose sans avoir d’abord une opinion extérieure – et éclairée.

J’avoue, donc. Levant nerveusement les mains, j’explique que «… j’étais sensé lui apprendre à garder son sang froid face aux illusions, mais… finalement, je lui ai proposé autre chose.» Le problème, c’est qu’autrement je ne m’y connais pas.

La haine fait beaucoup de mal, mais pour ce qui est de Ruka… la puissance du désespéré est peut-être ce qu’il lui faut. Cette marque qu’elle porte en est une bonne preuve, et indirectement les propos de ma mentor me renvoie à ce que je pensais.

Pour aider Ruka, je devrai la pousser dans ses derniers retranchements, la forcer à combattre et maitriser cette colère qui l’emporte si souvent. «Quand les évènements à Jujou seront terminés, je pense que je n’aurai d’autre choix que de lui enseigner moi-même à garder contrôle d’elle-même.»

Rien n’est plus dangereux… et rien n’est plus ressemblant pour moi à l’instant. Ça ne veut pas dire grand-chose, mais j’ajoute que «Ruka et toi avez bien des choses en commun, en fin de compte. Je ne dis pas ça pour remuer un couteau.» Leurs idées se ressemblent beaucoup.

Je me rappelle quand Ruka m’a parlé de vengeance, d’à quel point sa poursuite est essentielle pour elle. «… Il y a beaucoup de vengeance à faire, disons ça comme ça.» Une pensée me fait gondoler un tantinet; «c’est assez comique qu’on soit tous plus ou moins sauvages, ici. On reprend bien la loi de la jungle, je trouve.» Je divague sans doute un peu trop, mais je viens à avouer une dernière chose.

«… Même après tout ce qui est arrivé ces derniers temps, je ne regrette pas ma place en tant que ninja. La veille de l’enterrement, j’ai pleuré. J’ai regretté. Aujourd’hui, même si c’est encore lourd à porter, je me sens en paix.»

… «J’ai hâte de voir votre vengeance se concrétiser, et j’espère pouvoir vous accompagner jusqu’au bout.» Certes, je pourrais y rester, mais… je serai là le moment venu.

Vous m’avez sali, tous autant que vous êtes.