Certains médecins disaient que la première heure d'une garde déterminait l'entièreté de cette dernière. Si, par exemple, vous aviez un cas lourd avec une longueur opération derrière, vous pouviez oublier l'idée d'avoir la moindre minute de repos. Kenichi avait enchaîné trois longues journées de ce type, d'affilé, c'était donc un euphémisme que de dire qu'il attendait un peu de repos avec grande impatience. Il venait de faire sa tournée, de prendre un de ses patients en consultation, et son opération de cette après-midi avait été repoussée au lendemain matin. Que demander de plus ? Armé de son fidèle thé vert, sa blouse blanche posée sur le dossier de son siège, Kenichi était le nez plongé dans des dossiers de nouveaux patients, lorsqu'il sentit la porte de son bureau s'ouvrir.

Il n'attendait personne, les urgences n'atteignaient jamais directement son bureau, alors quoi ? Ou plutôt qui ? En levant le regard, dévisageant la nouvelle arrivante, le jeune Kenichi eut une impression étrange. Il avait déjà vu ce visage, mais où ? Quand ? Bien vite la réceptionniste arriva, essayant de s'excuser de cette interruption d'un :





Ah, il savait où il avait déjà vu ce nom : dans les dossiers d'un de ses collègues. Se redressant de son siège, le jeune homme fit signe à sa collègue que tout allait bien, l'inviter à quitter la pièce d'une simple :





Il n'avait rien de mieux à faire, alors autant aider, non ? Pivotant vers un carton sur le côté, sur lequel était posé l'un des classeurs de son collègue, l'imposant médecin commença à fouiller dans les dossiers, pour enfin en extirper celui de l'intruse du jour. Se redressant, jaugeant l'épaisseur significative du dossier, le Sakamoto en parcourut les premières feuilles, les premières lignes, avant de briser le silence d'un :





Il aurait bien repris l'ensemble des patients, mais sa nouvelle activité dans la brigade le tenait pas mal occupé, ces derniers temps. Il ne pouvait pas porter tout le poids du monde sur ses épaules, mais il pouvait au moins faire ça. Il redressa alors son regard vers la demoiselle, après avoir scruté le dossier une seconde fois, avant de commenter :





Oubliant la politesse la plus élémentaire, le jeune homme fit signe à Ruka de prendre place sur la table d'auscultation, avant de joindre la parole aux gestes.

Chaque patient avait son histoire, ses antécédents, ses craintes à prendre en compte, et c'était encore plus vrai dans le cas d'une guerrière comme celle que le médecin avait devant lui, aujourd'hui. Cette femme avait choisi la voie des armes, la plus risquée de tous et ce n'était évidemment pas sans conséquences. Kenichi en voyait beaucoup des hommes et des femmes, comme elle, passer entre ses mains, jours après. Ce qu'ils avaient en commun ? La volonté de repartir travailler au plus vite, la volonté d'avoir des soins rapides et efficaces pour passer le moins de temps possible à l'hopital. Mais ici c'était différent, car le Sakamoto devait repartir de zéro. Oh oui, il avait mémorisé le dossier de la demoiselle, ainsi que les notes de son prédécesseur, mais ce n'était pas suffisant. Il devait se faire son propre avis, par lui-même, raison pour laquelle il allait sans doute devoir poser de nombreuses questions, que cela plaise ou non à sa patiente du jour.

C'était ainsi qu'un fonctionnait. Il avait appris de ses erreurs, et surtout appris que les guerriers étaient prompts à mentir, pour masquer la sévérité de leurs blessures, si cela leur permettait de retourner sur le terrain plus rapidement. Mais le corps humain n'était pas une froide machine. Il demandait du temps, de la délicatesse et du repos pour recouvrer pleinement ses forces. Autant de choses que les guerriers n'étaient pas prêts à donner, mais Kenichi n'était pas un homme de concessions. Il était un homme de principes, d'honneur et de science...du moins l'était-il, aujourd'hui.

Alors, quand la demoiselle essaya de brouiller les pistes, avançant que le contexte de sa blessure n'était pas important, l'avis du médecin fut tout autre.





Il ne pouvait évidemment pas la force à se mettre à table, à se montrer vulnérable comme elle pouvait l'être en ce moment, mais elle devait comprendre qu'il ne demandait pas cela par hasard. Il se fichait pas mal d'où elle venait, de ce qu'elle avait fait : tout ce qui importait au Sakamoto c'était de la remettre sur pieds, sans prendre le risque de la revoir dés le lendemain. Des soins précis et efficaces, telle était sa marque de fabrique. Mais Ruka ne l'entendait pas de cette oreille. Elle semblait déterminée à lutter contre sa propre faiblesse, lutter contre ce mal qui la paralysait et, si certains auraient pu trouver cela noble, Kenichi n'était pas de ces gens-là.
Il connaissait les limites du corps humain, mieux que personne. Alors, quand sa patiente repartit sur son histoire d'escaliers, le médecin lâcha un profond soupir, alors que la demoiselle enlevait ses atours pour dévoiler la marque au niveau des côtes. Un escaliers, oui ? Cela pouvait bien marcher avec le vieillard qui s'occupait d'elle, avant, mais pas avec lui.





Ce n'était pas une requête. Joignant le geste à la parole, le jeune homme invita la demoiselle à s'allonger sur la table d'auscultation, devant lui. D'un des tiroirs, il sortit un breuvage qu'il versa dans une tasse, avant de s'approcher de la table à nouveau. Passant sa main chaude dans la nuque de la demoiselle, il l'aida à se redresser en lui tendant la tasse d'un :



Laissant à la demoiselle temps de boire et s'allonger à nouveau, Kenichi se débarrassa de sa blouse qui masquait sa massive stature. Une fois à l'aise, uniquement vêtu de son uniforme habituel, il se concentra et, instinctivement, du chakra d'une teinte verte, couleur des plantes, couleur de la vie vint recouvrir ses deux mains à la perfection, comme de véritables gants chirurgicaux. S'approchant, pour commencer son analyse, il apposa ses mains au-dessus de l'ecchymose de Ruka, avant de répondre à sa question en tournant ses yeux sombres et perçants vers elle, avant de souffler :

Contrairement à la demoiselle face à lui, et à tous les autres guerriers qui étaient passés entre ses mains, à un moment ou à un autre, Kenichi ne se voyait pas comme un fonceur. Il connaissait bien l'essence de ces guerriers, des hommes et des femmes d'action, des individus jetant leur propre sécurité aux orties pour le bien de leur famille, de leurs amis, de leur peuple et, si le Sakamoto admirait énormément cette dévotion, il savait aussi à quel point cela pouvait être dangereux d'ignorer ses limites. Le corps n'était pas une machine qu'on pouvait réparer à l'infini. Il avait ses forces, ses faiblesses mais surtout ses limites et, si l'essence d'un guerrier était de repousser ces limites, encore et encore, l'essence d'un médecin était de connaître ces limites, les identifier et agir en conséquence.

Le Sakamoto avait sa propre façon de faire les choses. Il ne mentait pas, ne berçait pas ses patients d'illusions et se contentait de dépeindre la vérité sous ses traits les plus honnêtes et francs, afin de donner à ses patients toutes les informations nécessaires, quitte à briser leurs petites illusions au passage. À quoi bon leur mentir, si c'était pour les revoir, peut-être dans un pire état que maintenant, quelques jours ou semaines plus tard ? Ce n'était pas un service à rendre, à cette guerrière, que de minimiser l'impact de ses blessures ainsi que le temps qu'il lui faudrait pour recouvrer toutes ses forces.

Le temps était la seule constante à prendre en compte. Le temps était la seule chose dont le corps de la demoiselle avant besoin, Kenichi était juste là pour donner un petit coup de pouce, histoire de mettre ce corps sur les bons rails, histoire qu'il puisse guérir correctement. Mais rien de tout cela ne pourrait être fait, aussi longtemps que Ruka essayerait de minimiser l'importance de sa blessure.
Libre à elle de jouer la dure, elle ne faisait que rendre cette expérience que plus pénible pour elle, voilà tout. Une fois la potion avalée, l'homme se débarassa du superflu, recouvrant ses mains d'une fine couche de chakra, avant de se pencher au-dessus du corps de sa patiente, qu'il allait devoir traiter. Surpris de voir que la demoiselle semblait être un peu plus coopérative, il hocha positivement la tête face à la question sur la façon la plus prudente de monter un escalier.

Puis vint la partie difficile. Non pas sur le plan technique, Kenichi avait l'habitude de ce genre de traitement, mais plutôt difficile pour sa patiente, car il y avait une limite à la douleur que la potion permettait de masquer. Elle avait mal et cela n'allait pas s'arranger. Ainsi, ne perdant pas de temps, l'homme invita sa patiente à se mettre en place et, lorsqu'elle avoua ne pas être capable de rester immobile, dans son lit, son médecin commenta :





D'ordinaire il donnait ses indications après les soins, mais c'était bien le signe de la confiance qu'il avait en ses capacités. Il savait comment cela allait se terminer, alors pourquoi attendre ? Si Ruka ne voulait pas rester dans son lit, alors le moins qu'elle puisse faire c'était de ne pas trop bouger, histoire de ne pas pousser son corps trop loin.  Fermant les yeux un instant, les mains positionnées parallèlement au-dessus du corps de sa patiente, le Sakamoto prit une profonde respiration, avant de prévenir.





Puis le contact se fit. Elle allait grimacer, au départ, mais d'ici quelques poignées de secondes la potion ferait effet, et tout irait bien ensuite. Lorsque les mains se posèrent autour de l'ecchymose, le médecin ouvrit les vannes et déversa son chakra, goutte à après goutte, dans le corps de la demoiselle pour accélérer la guérison, et faire disparaître cette vilaine marque sur ce corps fragile. Le processus allait prendre quelques minutes ou plus mais, pendant tout ce temps, l'homme fit preuve d'une concentration à toute épreuve, car il s'agissait de la vie de sa patiente qu'il avait entre ses mains.

À un instant durant le processus, sentant que la marque diminuait en taille, il continua le procédé mais posa son regard vers la demoiselle, pour lui demander :

Pour le commun des mortels, il n'y avait pas plus incroyable et trépidante vie que celle des guerriers qui se battaient pour leur village. Combien d'enfants n'avaient pas rêvé d'être l'un de ces prestigieux épéistes de Seizan ? Combien ne s'étaient pas imaginé à la tête d'un village, d'être celui vers qui on se tournait lorsque la tempête redoublait d'intensité ? Combien souhaitaient remplir les rangs de ces fiers shinobis et samouraïs, risquant quotidiennement leur vie pour  leurs compatriotes ? C'était bien le frisson qui attirait autant de personnes, le frisson et le pouvoir que détenaient tous ces guerriers dans le creux de leurs mains.

Kenichi comprenait ce rêve, cette recherche de grandeur, mais ne la partageait pas pour autant. Pour lui, être shinobi n'était qu'un métier comme les autres, un métier bien plus dangereux que les autres au taux de mortalité terriblement plus élevé que le reste. Sachant cela, comment pourrait-il se réjouir ou être excité à l'idée de devenir un mort en sursis ? Toutes les balafres, les blessures et les traumatismes, il s'en était occupé. Il avait été le témoin de la violence qui régnait hors des murs de Jujou et, en son fort intérieur, le Sakamoto remerciait son ancêtre d'avoir priorisé la médecine sur toute autre forme de carrière.

Certes Kenichi avait été entraîné comme tous les autres, pour lui permettre d'être autant un médecin ici, à l'hôpital, que sur le terrain en cas de besoin. C'était un pré-requis auquel il n'avait pas pu se dérober, mais absolument pas une carrière qu'il envisageait sur le long terme. Il était médecin avant tout, cela ne changerait jamais : de cela, au moins, il en était absolument certain.
Mais, d'expérience, Kenichi savait que les shinobis composaient la majorité de ses patients, et aussi les blessures les plus lourdes et intéressantes à traiter. S'il n'avait eu qu'à traiter des rhumes et de l'arthrite toute sa vie, assurément il serait devenu chèvre, bien qu'il entendu encore son père lui répétait qu'il y avait de la vertu à soigner même les maux les plus bénins.

Il préférait soigner ces guerriers. Cela lui donnait un sens de la réalité du dehors, déjà, et en plus ils étaient généralement de bien plus intéressante compagnie que les vieux qui en profitaient pour parler des récents événements de leur insignifiante existence. Non, même si sa patiente du genre semblait aussi têtue que les autres, Kenichi préférait s'occuper d'elle et de sa...chute d'escalier.

Le processus n'allait pas être rapide et, malheureusement, il n'y avait qu'une certaine dose de douleur que ses potions pouvaient absorber et masquer.Le reste, elle allait devoir l'endurer et, de toute évidence, elle le réalisa rapidement alors qu'elle détournait le regard. Fier ? Peu enclin à montrer sa douleur, sa faiblesse passagère ? Elle ne serait pas la première, mais cela importait peu au Sakamoto. Ainsi, lorsque la demoiselle commenta la situation assez sarcastiquement, le médecin commenta sur un ton neutre :





Il ne fallait pas prendre la voie des armes et espérer s'en sortir indemne. Ces blessures n'étaient que le reflet des risques pris par cette demoiselle. Aussi Kenichi balaya cette discussion dans un recoin de sa tête, se concentrant sur le chakra qu'il diffusait dans le corps de sa patiente, en observant la trace des dégâts diminuer en taille, petit à petit. Certes il aurait pu allait plus vite, mais à quel prix ? Pour que la douleur n'en soit que plus vive ? Non, un peu de patience n'avait jamais tué personne.

Ainsi, levant le pied pour que la douleur soit supportable, le Sakamoto continua son œuvre jusqu'à ce que la trace ne soit plus qu'une fraction de ce qu'elle était, quelques minutes plus tôt. Ses mains fermes toujours recouvertes de ce chakra couleur émeraude, l'homme se concentra pour donner les dernières touches, pour soigner les dernières traces de dégâts en expliquant :





Relevant la tête, pour faire comprendre d'un regard l'importance d'y aller doucement, de ne pas forcer les choses, Kenichi s'arrêta avant la fin de sa phrase. Curieux, notant le teint rougi de sa patiente ainsi que son regard posé sur lui, le Sakamoto demanda, intrigué :