Yuriko avait passé toute la nuit à travailler au sein de son Temple, en charge de la préparation des rituels et prières pour les moines supérieurs de Tsukuyomi. Si ce ne fut en rien le plus difficile à mener, cela prenait néanmoins pas mal de temps. Et celui qui lui restait lui était propre, et permettait à la jeune femme de se reposer, s'entrainer, voir méditer un peu si elle en avait le cœur. Cependant, depuis peu, elle avait rejoint les rangs du très connu Bureau d'Etude des Yokaïs. Un prestige à ses yeux, d'autant que ce dernier avait été fondé par les membres de la famille impériale. Toutefois, c'était à dessein qu'elle avait fait ce choix. Ce qui lui paraissait le plus important était de pouvoir mener des recherches sur les fameux "démons" de ce monde, étudier, comprendre, enquêter... pour les raisons les plus personnelles qui soient.

Suite à cette occasion, certains membres du bureau lui avaient d'ors et déjà demandé de contribuer à de nouvelles recherches. C'était alors qu'on lui confia une plume étrange qui n'avait aux premiers abords n'avait rien d'animal, ou plutôt, n'avait aucun lien avec une créature "normale". Cependant... c'était comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Si l'on convenait que l'on pouvait avoir bien des difficultés à étudier de simples oiseaux, imaginer donc ce qu'il en était pour des yokaïs à plume ?

Celle que l'on appelait parfois "la Mère Louve" était en compagnie de Jeido, son taciturne Kaminotsukai lupin, qui faisait figure d'interprète puisqu'elle n'avait toujours pas renoncé à son vœu de silence. L'animal solitaire était un précieux compagnon, d'autant plus que pouvoir profiter de son avis lui était apparu quelque chose de judicieux. Pour quelle raison ? Parce qu'elle avait toujours trouvé que dans les comportements rapportés sur les Yokaïs, il y avait quelques choses à la fois un peu animal et un peu humain.


Mais alors que la jeune femme passait dans les couloirs, son loup marchant au pas à ses côtés, elle aperçut l'une de ses compatriotes discuté avec deux individus de Seizan. Bien qu'elle ne les avait jamais vus auparavant -  ils portaient sur eux les bandeaux caractéristiques de leur "maison"- elle fut intriguée par ce que présentait la jeune femme : une plume.  Rapidement, Yuriko projeta sa voix dans l'esprit de son loup.

" Jeido... ces étrangers semblent avoir en leur possession une plume aussi peu commune que celle que l'on m'a demandé d'étudier... "

L'animal s'arrêta, pointa son regard acéré dans leur direction, avant de dresser ses immenses oreilles vers eux, comme s'il eut été capable d'écouter leur conversation. Il fallait dire qu'ils n'étaient qu'à quelques mètres et que son ouïe développée était à cet instant un atout utile.

" L'étrange femme de Toge souhaite emmener ces visiteurs voir d'autres membres du Bureau. Ce serait peut-être une occasion de les interroger, Yuriko-sama. "

Cela représentait peut-être un point de départ pour elle, une manière de pouvoir commencer à travailler en fonctionnant possiblement par élimination et comparaison. D'un pas décidé, la prêtresse s'avança alors en direction des seizanjin, se faisait voir de la jeune Doji qu'elle ne connaissait que de vue. Cette dernière s'interrompit en l'apercevant. Ne pouvant pas prendre la parole, Yuriko se contenta d'une révérence en guise de salut avant de pencher la tête pour désigner le loup qui venait de s'assoir à ses côtés.

" Je parle au nom de ma maîtresse ici-présente, qui ne peut parler de vive-voix. Sugimoto Yuriko, prêtresse de Tsukuyomi et membre du bureau d'étude. "

Le loup stoppa sa présentation, avant de reprendre.

" Ma maîtresse vous a vu présenter une étrange plume. Accepteriez-vous de discuter de ceci avec elle ? Elle aurait peut-être quelque chose qui pourrait vous intéresser aussi. "

Jeido se distinguait par sa voix caverneuse et bien peu fort sympathique. Le son monolithique de sa manière de parler montrait qu'il n'avait rien d'humain, et bien que Kyoshiro ne pouvait le voir, Hotaru, elle, pourrait aisément lui exprimer que le regard lancé par l'animal n'était en rien amical. Mais pouvait-on s'attendre à mieux de la part d'un loup, après tout ?

Yuriko se tenait devant les deux étrangers, le port droit et altier alors que son compagnon animal parlait pour elle. C'était alors que voyant que la chunin était prête à s'occuper des deux visiteurs, Doji Nozuchi se retira presque silencieusement de la conversation, glissant un simple salut pour vaquer à ses propres occupations.  En attendant, la seizajin semblait avoir retenu toute l'attention de la Sugimoto, lui laissant entrevoir bien plus de matière pour travailler qu'elle ne l'aurait cru. Il ne s'agissait pas d'une unique plume, mais de deux.

Tandis que la guerrière des montagnes lui signifiaient qu'elle était ici pour obtenir des informations, mais qu'elle reconnaissait bien volontiers ne pas être certaine d'être aussi utile, Yuriko secoua la tête négativement, comme pour tenter de la rassurer sur l'équivalence de leurs échanges. En tant que prêtresse, elle se devait d'être au-dessus de ses considérations, cela faisait partie des règles. Elle n'attendait rien en retour... du moins, en apparence. Pouvait-elle réellement prétendre qu'elle n'apprendrait rien d'intéressant ? Rien n'en était moins sûr.

" Jeido, peux-tu rassurer cette jeune femme pour moi ? Dis-lui qu'elle n'a pas à se sentir redevable, même si je n'obtiens rien de notre entretien. "

Le loup tourna la tête en premier lieu vers Yuriko, comme s'il montrait qu'elle s'adressait à lui, avant de finalement reporter son attention sur les deux soldats de Seizan.

" Ma Maîtresse m'indique que ce n'est pas un problème si cela "ne vaut pas le coup".  Si elle peut vous aider, elle le fera sans arrières-pensées. Vous n'aurez pas à vous sentir redevable. "

À ces mots, alors qu'elle s'apprêtait à leur faire signe de la suivre, celui qui était aveugle poussa une interjection à voix haute qui poussa la jeune femme à l'observer avec curiosité, avant que son regard s'abaissa sur son compagnon. C'était une façon pour la chunin de signifier à son camarade lupin de ne pas s'énerver... mais, Jeido grognait déjà un peu, d'autant que ses fines oreilles pouvaient parfaitement entendre les messes basses des deux soldats (Capacité innée - Ouïe développée)

" Ne me manquez pas de respect, Humain. Je ne suis pas l'un de vos chiens ridiculement éduqués. "

Immédiatement, Yuriko porta sa main sur la tête de l'animal comme pour chercher à l'apaiser, mais surtout le poussa à changer de conversation.

" Jeido... Peux-tu inviter ces jeunes gens à nous suivre ? Et, éventuellement leur demander leur nom. "

Le kaminotsukai se mit à grogner tel un râle, avant de s'exécuter selon les consignes de la chunin.

" Mmm... Ma maîtresse vous invite à la suivre et me demande vos identités. "

Sur ces paroles, la prêtresse fit alors un signe pour les guider jusqu'à son bureau personnel, suivit par Jeido, et se montra silencieuse tout le long comme son loup, avant de leur ouvrir la porte de ces quartiers. Elle laissa ainsi ses hôtes entrer en premier, découvrant un endroit plutôt modeste, avec un simple bureau, une bibliothèque bien chargée de diverse ouvrage et deux sièges pour les invités potentiels.

" Je te laisse leur indiquer de prendre place, mais aussi de leur demander l'autorisation de leur parler directement s'il te plaît. "

" Yuriko-sama vous propose de vous asseoir, mais elle me demande également votre autorisation pour vous parler directement dans vos esprits.  Ma maîtresse n'a pas le droit de parler à voix haute, mais elle peut la projeter dans votre tête. "

La Sugimoto ferma la porte derrière elle et s'en alla directement s'assoir derrière son bureau. Le loup, quant à lui, resta prêt de l'entrée comme un gardien ou un surveillant. Pendant qu'elle laissait ses invités choisir le mode de communication, elle ouvrit alors un de ses tiroirs et en sortit alors... une plume.


La togejin déposa alors cette derrière sur la table et la présenta modestement à Hotaru. Par ce geste, elle espérait que la seizanjin put en faire de même avec celles qu'elle possédait.

Jeido était un loup grincheux et il était de nature à aisément le faire savoir lorsqu'il n'avait pas confiance en quelqu'un. Pour lui, les deux seizanjins étaient impudents, quand bien même la jeune femme eut l'amabilité de s'excuser. Le mal était fait à ses yeux. Heureusement, Yuriko joua la tempérance entre elle et son camarade à quatre pattes, et un simple mouvement de tête à l'encontre de ses hôtes leur signifia qu'il ne fallait tenir rigueur de la mauvaise humeur de son ami, qu'elle s'excusait pour lui avant de les inviter. Il était... assez susceptible.

Une fois que tout ce beau monde fut enfermée dans le bureau de la prêtresse, elle eut l'autorisation de pouvoir directement communiquer avec eux. Bien entendu, elle n'avait pas le plaisir de pouvoir projeter sa voix dans plusieurs esprits en même temps, elle partagea donc ces discours en passant de l'un à l'autre, de Hotaru à Kyoshiro, en leur répétant exactement les mêmes mots pour qu'aucun ne fut lésé.

" Je vous remercie infiniment de m'autoriser à user de ce stratagème pour pouvoir converser, et je suis désolée que mes propres vœux puissent ainsi être responsables de cette déplaisante intrusion. Je tâcherais de me faire claire et concise pour ne pas abuser de ma capacité. "

Une fois cette première barrière franchie, le temps de laisser ses deux compatriotes d'un autre village se familiariser avec sa projection vocale, elle guetta alors la plume de Hotaru ainsi que les explications qui l'accompagnaient, et bien vite, la fascination habita le visage de Yuriko. Elle se permit alors à saisir l'objet de l'enquête et de l'observer sous toutes les coutures, avant de la reposer délicatement.

" Voilà qui est intéressant... Nous pouvons déjà nous apercevoir que ces deux plumes n'appartiennent pas à la même créature. Leurs motifs et couleurs sont bien trop différents pour être celui d'un même plumage. "

Ce fut alors que la prêtresse s'enfonça un peu dans son fauteuil, affichant une mine un peu plus troublée.

" Ce qui est curieux, c'est que la plume que je possède aurait été retrouvée à Neppu no kuni et l'homme que vous avez rencontré suspecte que ce lieu puisse cacher... un passage ? Mais, est-ce que deux créatures visiblement différentes pourraient vivre l'une à côté de l'autre ?  "

Yuriko leva ses yeux céruléens vers ses deux hôtes, et peut-être plus naturellement vers Hotaru qui était la principale intéressée d'après ce que semblait avoir compris la prêtresse.

" Il est très difficile de savoir où se situe la vérité et la superstition, mais si l'homme que vous avez rencontré à mentionner une porte vers le royaume des morts, cela pourrait évoquer la déesse Izanami qui veille sur Yomi no kuni et serait la mère des Yokaïs. "

L'attention de la chunin se porta présentement vers la plume de Hotaru.

" Cette plume pourrait appartenir à un yokaï qui garde une entrée... mais delà à imaginer un passage dans l'autre monde... Cela serait relativement terrifiant ou bien... "

Si le royaume des morts était associée à la grande déesse, la mort elle-même, elle, était l'attribut du dieu Jashin. Toutefois, la Sugimoto ne voyait guère le lien qu'il pourrait y avoir entre la plume et celui dont le culte était prohibé.

" Ce marchant ne vous a-t-il rien dit d'autre ? Ne vous a-t-il pas indiqués qui la lui aurait donnée ou trouvée ? "

Le moindre indice pourrait avoir son importance. Dans tous les cas, ne paraissait pas avoir un lien immédiat avec sa propre plume, à moins que des recherches plus approfondies ne fussent organisées à Neppu no kuni.

Alors que la prêtresse venait d'évoquer le fait que les plumes n'appartenaient pas à la même créature, elle vit rapidement la déception se profiler sur le visage de la femme samuraï. Elle en fut désolée pour elle, pensant comprendre que derrière sa recherche, il y avait sans nul doute quelque chose d'important à ses yeux. Comment pouvait-elle le savoir ? Son expression, tout simplement. La Mère-Louve ne put qu'objecter positivement quand Hotaru mentionna que la région était vaste et qu'il était difficile de réfuter l'idée que plusieurs créatures à plume pouvaient y vivre.

" Je suis sincèrement navrée que mes connaissances ne soient pas aussi étendues qu'il vous serait nécessaire. Je n'ai malheureusement pas souvenir que dans les ouvrages de ce Bureau d'Études, il eut mention de description proche de votre plume. Mais je ne peux prétendre avoir tout consulté. "

Yuriko était une jeune femme pleine d'humilité, convenant tout à fait que sa science n'était pas infuse, bien au contraire. C'était aussi pour cette raison qu'elle avait fait le choix d'intégrer l'ordre dans lequel elle se trouvait ici même. Étudier. Apprendre. Comprendre.

" Si vous le désirez, je pourrai continuer à faire des recherches et peut-être que la chance pourrait être de mon côté. Si je venais à entendre ou lire des choses qui pourraient avoir un lien avec un tel plumage, je vous écrirais. "

Une proposition comme une autre qui se voulait bienveillante, mais surtout une manière pour que l'espoir ne disparu pas totalement. Quelle que fut la quête de la seizanjin, Yuriko était la mieux placée pour savoir qu'il ne fallait pas abandonner même lorsque tout vous semblait désespéré. Après tout, n'était-elle pas elle-même au point mort dans son désir de connaître la vérité ?

L'attention de la prêtresse continuait à se promener de l'un à l'autre de ses invités, faisant en sorte de ne pas laisser en marge le forgeron. Si elle comprenait que la dame était la principale intéressée, elle supputait qu'il ne l'accompagnait pas inutilement. Hotaru mentionna alors un autre compagnon qui semblait lui avoir rapporté la légende, avouant ainsi à demi-mot que malheureusement, la souhei ne lui était d'aucun secours... elle ne pouvait ne lui apporter que ses propres suppositions.

" Tout à l'heure, vous avez mentionné que cette plume aurait été trouvée dans une cargaison de vos parents, n'est-ce pas ? S'ils étaient marchands, peut-être que cette créature s'intéressait à ce qu'ils transportaient ou bien ont-ils pris un chemin qui se trouvait sur le territoire du yokaï en question.  Il vous faudrait vous renseigner sur la topographie des lieux et peut-être que cette idée de "porte" pourrait faire sens. Une grotte, un fossé, un passage quelconque ? "

Et puis, finalement, le visage de la prêtresse se fit un peu plus grave, en réfléchissant à une autre possibilité, bien qu'elle eût quelques difficultés de faire le lien avec la plume en soi.

" Ensuite...  le dieu associé à la mort et vivant aussi dans le royaume souterrain... n'est autre que Jashin. Je suppose que vous êtes déjà au fait des drames dont le culte en son nom est responsables... mais je ne vois guère le lien qu'ils pourraient y avoir avec des yokaïs eux-mêmes... à moins d'une association malsaine. "

Yuriko se perdit un peu dans ses pensées, avant de s'avancer un peu sur son bureau. Elle se rendait bien compte de ses limites, mais au moins, elle aurait essayé.

Si Yuriko avait pris quelques routes pour assouvir quelques sombres desseins personnels, elle n'en restait pas moins une âme altruiste. Venir en aide à son prochain lui était toujours paru comme être un noble devoir, et parfois même, elle s'y accrochait pour ne pas tomber dans ses obscures pensées. Si le chagrin pouvait conduire sur des chemins tortueux, la Souhei n'en restait pas moins assez forte pour garder la tête hors des eaux troubles. Alors, il lui était apparu bien naturel de tendre la main à cette congénère d'une autre contrée. Lorsque Hotaru la remercia, elle effectua un mouvement de tête comme pour signifier que ce n'était rien.

" Ne le soyez pas, cela est bien naturel. "

Au-delà de son rôle au sein du Bureau d'étude, Yuriko était aussi une prêtresse "dévouée".  Elle avait appris à écouter, analyser, conserver un esprit clair pour mieux comprendre une situation... même si elle convenait elle-même que ce n'était pas toujours aisé.

Se laissant porter par ses diverses réflexions, la jeune femme n'hésita pas à spécifier quelques idées dont elle ne doutait pas que les seizanjins y avaient pensé.

" Je me doute bien que vous avez déjà dû penser à tout cela, je ne peux vous apporter que le seul confort de penser comme vous. Je suis certaine que votre patience et votre ténacité paieront. Vous trouverez la vérité. "

Est-ce que ces mots étaient uniquement adressés à Hotaru ? Ou bien était-ce aussi une espérance pour elle-même ? Les deux sans nul doute. Mais lorsque l'évocation de Jashin glissa sur la table, le commentaire de la samuraï ne pouvait être que soutenu. Si Yuriko avait eut la chance de ne jamais s'y frotter personnellement, les échos de leurs crimes avaient été entendus.

" J'espère sincèrement que votre passé et votre présent ne soient mêlés au dieu de la mort. "

Laissant de côté cette terrible possibilité, la jeune femme finit par quitter son siège. Dans le même temps, Jeido, qui se tenait toujours près de la porte, en fit de même. Si dans un premier temps la prêtresse salua à nouveau Hotaru pour la tenir informée de ses propres découvertes, elle ne souhaitait pas retenir ses invités plus longtemps, d'autant que bien du travail les attendait.

" Je vous remercie sincèrement tous les deux de l'aide que vous pourriez rapporter au Bureau. Toutes vos découvertes seraient appréciées et nous pourrions ainsi tenir le monde au courant du moindre danger s'il devait y en avoir un. "

D'un pas tranquille, la jeune femme vint à la porte pour la leur ouvrir.

" Je suppose que vous avez encore beaucoup à faire, et je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps, en sachant que je ne vous suis d'aucun secours. Sachez toutefois que vous pouvez aller consulter certaines archives du bureau. Certains ouvrages sont à la disposition du public, même s'ils ne sont pas aussi touffus d'informations que nous le désirerions. "

Il n'était pas impossible que certains parchemins regorgeassent de détails dont n'avaient pas connaissance la Mère-Louve. Quoiqu'il en fût, elle préférait au moins leur indiquer la possibilité de fouiller un peu plus.

" Je vous souhaite bonne chance, Hotaru-san, Kyoshiro-san. Que vos pas vous guident vers la vérité que vous cherchez. "

Mais peut-être que la véritable question était de savoir s'ils étaient prêts à la découvrir.