C'était l'heure de ma visite annuelle à Nessa. Je m'étais rendue au temple deux jours plus tôt, comme à mes habitudes. Le temps d'adresser quelques prières, me renseigner un peu sur l'état du culte et surtout s'il y avait eu des incidents avec des Torches humaines. Je n'en faisais pas étalage, mais je demandais quand même. Pour la forme. Peut-être par curiosité aussi. Quoiqu'il en fut, une occasion en entrainant une autre, il me parut assez opportun de passer par le village de Sakyuu.

J'étais une vieille genin à ce moment-là. Je traînais de la patte pour tenter de passer au grade au-dessus parce que ça me convenait de faire partie de la caste basse. On m'en demandait pas trop, j'étais plus libre, notamment des besognes administratives et des responsabilités. Le seul hic restait que la paie n'était pas terrible. Mais on n'avait rien sans rien. M'enfin, mon grade militaire, aussi petit fut-il, me permettait de me présenter au porte du désert où je montrais patte blanche, bien évidemment. Je donnais mon nom, ma provenance, je ne cachais pas qui j'étais et je comprenais même que l'on me fouilla. Ma chance était que Seizan et Sakyuu étaient plutôt sur de bonnes longueurs d'ondes. Pas follichon non plus, mais c'était toujours mieux que rien.

Par contre, je n'étais pas là pour être une touriste, bien que l'envie me manquait pas. Le village du Nord avait sa petite réputation comme nous dans le Sud. Si nous, on était des épéistes et forgerons reconnus, eux avaient un sens de l'ingénierie qui ferait pâlir un mort. C'était ça qui m'amenait. Apprendre. Attention, il n'était certainement pas question de piquer des informations ou autres délires d'espionnages. Ça ne serait pas vraiment fin de ma part, d'autant que les raisons de ma venue étaient plutôt personnelles. Je voulais surtout découvrir leur artisanat et ce qui me fascinait un peu : leur marionnette. Je savais, c'était un peu bizarre comme une samurai comme moi, je devais avouer que leur fonctionnement attisait ma curiosité. Y avait un truc presque magique qui réveillait la gamine qui était en moi. Bien perdu au fond de moi, mais là quand même.

" Je me demande s'il y a un atelier ouvert au public... "

Bien vite, je me laissais flâner un peu, clope au bec à déambuler dans ce village qui me laissait en vérité un peu songeuse. Parfois, je me surprenais à me demander ce que je serais devenue si une famille sakyuujin m'avait adoptée. J'étais fière d'être une Kaname, aucun regret d'avoir été élevé par mon vieux Yukio, ni même d'avoir appris le métier de la forge. Mais comme quoi, un petit rien pouvait changer grandement les choses. La vérité sur ma naissance ne m'avait jamais véritablement tracassée, d'autant que j'estimais n'avoir jamais manqué de rien... mais au fond, il y avait toujours cette question merdique du " et si ? ". Et si les caravanes n'avaient pas été attaqués, est-ce que j'aurais vécu avec mes parents ? D'où ils venaient exactement ? Étaient-ils seulement présents d'ailleurs ? Étaient-ils de Sakyuu ? D'ailleurs ? Trop de questions et je voulais pas m'en rendre malade.

Au fil de mes pensées, j'avais fini par atterrir... et bah bordel je n'en avais aucune idée. Mon œil borgne se baladait dans les environs, je reconnais pas les rues ou la placette. C'était bien une première. Pa recontre, il était hors de question que je restasse là comme une demeurée et bien vite je reverrais un type en train de plancher sur du papier, là, sur un bout de muret, sans se soucier du monde autour. Il avait une drôle de dégaine, mais rien qui ne pouvait m'effrayer.

" Excuse-moi de t'interrompre gueule d'ange, mais je voudrais savoir où... Mmm ? "

Je m'arrêtais dans ma phrase alors que mon œil se posa sur ses dessins. C'était des patrons de mécanismes divers, des calculs, des schémas. Voilà un truc qui m'intéressait. Crachant un rond de fumée sur le côté, je finis par relever mon attention sur lui.

" Ton projet a l'air pas mal. T'es ingénieur ? Si oui, tu m'intéresses peut-être."

Avec du bol, il était marionnettiste... ou pas.