Il n’est plus là, mais personne ne sait exactement où il est, ni dans quel état, comme si on ne savait pas quoi me répondre. J’ai beau poser des questions, savoir qu’il a été blessé une première fois puis attaqué après son rétablissement, je n’arrive pas à découvrir quoi que ce soit de plus.

Ça devient frustrant.

«Vous n’avez vraiment aucune idée d’où se trouve Kokusen, ou même dans quel état il était lorsqu’il est parti?» L’homme qui m’accueille à l’entrée me dit une fois de plus que non, qu’il n’y a aucune mention de cela à son dossier et que ce n’est pas nécessairement à moi d’être mis au courant.

«J’ai un rapport à faire, j’ai besoin de savoir,» un mensonge éhonté, le rapport de ma mission échouée est sans doute en train d’être rédigé par Ruka, mais en même temps… si je prévois en remplir un, je ne peux pas lâcher le morceau.

Pourtant, toujours rien. «D’accord. Et il n’y a personne qui s’est occupé de lui à qui je pourrais parler? N’importe qui; une infirmière, un médecin, juste quelqu’un.» Pas qu’il le sache. Il ne sait pas qui s’en est occupé, comme si les informations avaient été gardées cachées et qu’il ne fallait pas en parler.

Le dernier bout de ma mèche finit par brûler, je sens la colère monter et je suis sur le point d’envoyer ce misérable promener. Se promener dans l’enfer de mon monde intérieur dix minutes, histoire de lui apprendre une bonne leçon. Si ce n’était que de moi, à l’instant il ne saurait même plus son propre nom.

Heureusement, quelqu’un vient à son aide sans forcément s’en rendre compte.

Les mots me manquent, mes pensées se frôlent mais ne s’alignent plus. Un homme s’approche et même si je voudrais essayer de m’expliquer clairement, fomenter quelconque offense verbale pour lui faire comprendre que je n’en ai pas fini avec l’autre plébéien… tout se perd et le sens refuse de se faire.

«Je… hum…» Des mots, Ao. Des mots.

«Excusez-moi, je… j’ai… presque fini.» Je veux lui laisser la place qu’il puisse s’entretenir avec l’accueil, mais je n’ai pas tout à fait réglé la situation pour laquelle je suis venu. Pourtant je n’arrive à rien.

Parfois, la beauté du monde nous rappelle que les mots ne valent rien, et nous laisse complètement perdu. Si on me posait la question, je ne suis même pas certain de connaître mon propre nom.

Nos yeux ne se croisent pas longtemps; mon regard se détourne alors que quelques mots de plus s’alignent et que la paix revient à l’accueil. Je n’ai pas compris tout de suite qu’on me demandait de m’écarter, ni même que j’étais en présence de l’un des médecins du centre hospitalier.

Posant mes yeux ailleurs, j’arrive à me calmer et à comprendre ce qui est en train de se passer et qui j’ai devant moi – sans pour autant le regarder –. J’accepte de suivre, ajoutant que «c’est gentil de votre part.»

L’agacement n’aura pas fait long feu.

On s’éloigne, laissant seul celui qui gère normalement les visiteurs. Il me faut un moment pour me rappeler ce que je fais ici, et je me demande même si c’est encore une bonne idée de demander. Simplement, j’indique que «oui, c’est pour ça que je suis ici.»

Je ne veux pas en dire trop pour ne pas perdre trop de temps, mais après mon passage à l’entrée je ne serais pas surpris qu’on ait rien à m’apprendre. «J’ai été envoyé en mission avec un Genin, il s’appelle Kokusen. Il a été blessé et amené ici. On m’a dit qu’il serait normalement sorti et qu’il a été blessé à nouveau; j’ai besoin de lui parler, mais je ne le retrouve plus.» Rien de plus simple.

«Je ne le connais pas beaucoup, mais ce qui s’est passé après notre mission dans la forêt de l’étrange me fait continuer de me questionner. J’ai rencontré Kokusen quelques jours avant notre départ; il m’a parler de quelque chose qu’il trouvait inquiétant, une marque. Je me dis que ça doit être la raison pour laquelle il s’est retrouvé ici une seconde fois, mais je ne peux pas trouver de réponse à mes questions.» C’est un peu rageant, surtout sachant qu’il avait déjà été salement amoché quelques semaines avant.

«En allant poser mes questions à l’avant, j’ai eu l’impression que les réponses sont là, mais qu’on refuse de me les communiquer.» Je secoue la tête lentement avant de me frotter un œil. La fatigue, les nerfs à vif…

Je suis certain que l’évènement qui a mené au feu dans une partie de la forêt – qu’on appelle la forêt des cendres maintenant – n’est pas aléatoire. Tout comme ce qu’il s’est passé avec mon autre équipier, Mû. J’ai trop de questions, tout se passe trop rapidement pour que j’aie le temps de trouver des réponses; je n’ai pas la patience de gérer des gens qui veulent les cacher.

Un ouragan coincé au fond de la gorge, l’impression que les mots passent une fois de plus dans le vide et qu’il n’y a personne pour les entendre. C’est en étant tendu de partout qu’une bonne inspiration se fait. On me confirme ce que je pensais, mais on m’oblige tout autant à me résigner.

Impossible pour moi d’apprendre quoi que ce soit ici, à part que Kokusen a quitté en relative santé. On dira pour le bien des choses que c’est suffisant, même si encore une fois je me retrouve sans traces, sans une idée pour savoir ce qu’il est advenu de lui.

J’ai affaire à communiquer avec la brigade ou même notre Kage, mais si je ne vois pas Kokusen d’abord je ne peux confirmer mes impressions. Le plus difficile ne serait pas de le faire parler, mais bien de le trouver; «c’est… c’est quelque chose que j’ai déjà essayé de faire. Ce Genin est un cas particulier; il n’a pas de réel sensei et n’est assigné à aucune équipe, je ne sais pas vers qui me tourner. Si on me disait par exemple qu’il n’est plus présent, qu’il est déjà reparti en mission, je pourrais patienter, mais je ne sais rien.»

Cette affaire m’épuise grandement, ça se voit. J’en ai beaucoup dans mon assiette en ce moment, si bien que je ne sais plus où donner de la tête. «...Excusez-moi. Je n’insisterai pas. Je me rends bien compte que je suis fatigué; pour tout dire, j’ai beaucoup trop de choses à gérer et je ne dors presque plus…»

La panique vient trop souvent trouer mon sommeil en m’obligeant à sortir de chez moi pour me promener, parfois au beau milieu de la nuit. Je m’incline poliment, avouant que «ça serait très gentil de votre part.» La tête se lève, les yeux aussi, mais pas pour très longtemps. Un tel malaise ne m’arrive pas souvent, mais je n’y peux rien quand je suis ainsi confronté. À tous sa faiblesse, et je sais reconnaître la mienne.

«Je ne veux pas abuser de la situation et de votre générosité non plus; si vous êtes à l’aise de me prescrire quelques somnifères, pour une nuit ou deux, j’accepterais.»

«Je ne le connais pas à ce point…»

Je ne sais pratiquement rien de Kokusen, mais il ne m’a pas donné l’impression d’être très proche des gens de son village. Il m’a semblé plutôt solitaire, pour tout dire. J’aurais même pu complètement l’oublier, me dire que ce n’est qu’un genin sans importance, mais de savoir qu’il a été attaqué une seconde fois m’inquiète. La suite d’évènements qui s’est produite durant notre mission me reste en tête; si Mû a été marqué, qu’il est traqué à cet instant précis, qu’est-ce que je peux faire? Si Kokusen a été attaqué justement parce qu’il n’est pas resté sur ses gardes, qu’est-ce que je peux faire?

J’accepte sa prescription.

Le monde ne peut pas s’écrouler en entier pendant que je dors, n’est-ce pas? Je vais finir ma journée, préparer une lettre pour Ruka, puis essayer de passer une nuit complète sans avoir la sensation que les rues sont complètement infestées.

«Encore une fois, merci.»

Au cas où, je suis avisé de revenir; je ne crois pas avoir de problème, mais ça serait dans mes cordes d’en inventer. Je m’incline une fois de plus, répondant que je comprends et que «je n’y manquerai pas.»

Avant de le laisser en paix, j’ose lui demander; on a quand même fait la conversation à l’envers, il faudrait bien que je me rattrape. Comment le revoir sans savoir son nom? «…Et comment vous appelez-vous? Ce serait difficile de vous retrouver sans votre nom.»

Après cette demande, s’il me répond, je me présenterai à mon tour; «Je m’appelle Ao Yamanaka. Je suis ravi de faire votre connaissance, je vous revaudrai ce service. Merci quand même d’avoir pris le temps de discuter avec moi.»

Je ne veux pas le retenir plus longtemps, et encore moins rester trop longtemps; je me sens encore un peu… étourdi, faute d’un meilleur mot. Un dernier salut, et je quitte pour aller récupérer ce qui m’a été offert.