Le froid de l'hiver se faisait encore un peu sentir, la température demeurait fraîche malgré le printemps. J'avais bizarrement toujours du mal à me lever à cette période ou bien le devais-je à ma nouvelle montée en grade ? Les boules. Maintenant, j'abordais le bandeau blanc des grands pontes. Un grand honneur pour certain, du putain de boulot pour ma gueule. L'unique raison pour laquelle je n'avais pas refusé, c'était à cause de la petite gueule d'amour qui déjeunait sereinement devant moi. Le petit s'était réveillé avant moi, il était déjà à table en train de boire son jus de fruit et manger des tartines. Moi, je me traînais comme un sac, la gueule enfarinée parce que j'avais bossé tard.

Je lui passais machinalement ma main dans les cheveux pour l'ébouriffer un peu, preuve de mon affection pour ce petit con, alors que j'allais m'éclater sur ma chaise. Bordel. Le gamin m'avait déjà servi mon café. Trop bien élevé... et il me connaissait un peu trop. Alors que je levais vers lui mon œil endormi, il affichait déjà un large sourire éclatant. Il était heureux que l'on déjeuna ensemble. Fallait dire que c'était des moments rares.

"  Pourquoi tu souris comme un benêt ?  "

J'étais une mère douce et délicate.

" Je souris parce que je suis content. C'est tout. "

Question bête. Réponse simple.

"  C'est une réponse valable. Merci pour le café, mais tu sais que tu n'aurais pas dû. Fallait me réveiller.  "

Il secoua négativement la tête.

" Je sais que tu es rentrée tard. J'ai entendu la porte faire un gros BOOM. Tu avais l'air très fatiguée alors je t'ai laissé dormir. Ha! Y a aussi ça pour toi. Un monsieur l'a glissé sous la porte. "

Je soupirais devant la trop grande gentillesse de ce fils d'adoption. Yahaba était vraiment un trop chouette gamin pour mériter une mère de substitution comme moi. Mais voilà, maintenant j'y tenais à cette petite tête. Cependant, il m'intrigua quand il tira une lettre portant mon nom. Il me la tendit et personnellement, je l'ouvris avec une certaine désinvolture jusqu'à ce que je découvris qui en était l'auteur. Un petit sourire se dessina sur mon visage. Cette fois, c'était moi qui intriguai le gamin.

" Pourquoi tu souris ? "

Je repliais le document, j'avais des souvenirs qui m'arrivaient plein la tête. De bons souvenirs. Et quand bien même, je compris que l'invitation que je tenais serait d'un calibre bien différent de ce que j'avais partagé avec mon mystérieux écrivain, je me surprenais à avoir hâte.

" Je souris parce que je suis contente. C'est tout. "

Retour à l'envoyeur, mais alors que Yahaba faisait un peu la tête, je lui souris en venant lui ébouriffer à nouveau les cheveux.  Il râla un peu avant d'esquisser à nouveau de toutes ses belles dents.


Le voyage avait été long et chiant. Toutefois, depuis que Seizan avait permis à la plupart d'entre nous de bénéficier d'une monture par l'armée, on gagnait quelques jours sur le temps ainsi qu'un fessier d'acier à force de crapahuter sur nos chevaux. Dès que je fus arrivée dans la région, je confiais mon canasson à qui de droit pour que l'animal se reposa convenablement et put manger tout aussi bien, manière qu'il fut en forme pour le retour. De mon côté, j'avais loué une chambre pour deux nuits - pour le moment. Cela me donna l'occasion de me changer et d'exécuter les ordres de Kamui : me mettre quelque chose d'habillé. Fallait dire que c'était plutôt une rareté de ma part, il ne se rendait pas compte à quel point je lui faisais une fleur. Parce que oui, je ne faisais pas ça pour le grand chef du culte, mais juste parce que j'étais une vilaine fille qui voulait lui rappeler qu'il aurait pu m'écrire avant. Et ouais, il y avait un petit cœur planqué sous le corsage - peut-être celui d'une peau de vache cependant, mais c'était du détail.

Fidèle à moi-même, je débarquais la clope au bec. Je pourrais prétendre que c'était un rituel en arrivant au temple du feu, mais ça serait mentir. Par contre, ma tenue chicos, ça, c'était nouveau. Bien évidemment, comme j'aimais pas faire comme tout le monde, j'avais balayé l'option du yukata pour midinette. Je n'oubliais pas que j'étais une samuraï et qu'il me fallait demeurer prête à agiter mon katana si nécessaire. Porter un kimono, c'était gage de finir par me battre à moitié nue parce que ça ne tiendrait pas la route. Alors, je jouais avec les codes de la féminité et la masculinité, et une forme d'exotisme. Kamui ne pourrait pas me rater... et moi non plus quand je croisai son regard de braise.

Je le vis là, à m'attendre sur le parvis du temple. Il m'adressa un signe de main et m'accueillit avec un sourire. Bordel. S'il y avait un kimono à faire sauter, c'était le sien. Toujours aussi appétissant mon chasseur de Torche. Simplement me perdre dans ces yeux singuliers me rappela le bon moment que l'on avait passé. Ce type, je l'avais dans la peau.

" Ravie de te revoir, joli cœur. Contente de voir que tu n'as pas oublié ta promesse... mais je t'avoue que je suis plutôt étonnée par l'autre aspect de l'invitation. "

Je finis ma cigarette, écrasant le mégot avant de le ranger dans ma poche pour ne pas polluer l'environnement du temple. Le respect était dans les détails.

" Rare de voir le Prédicateur ? Je dirais que le mot est faible. Je dois t'avouer ne jamais l'avoir vu, même lorsque je venais ici pour la journée du Saint-soleil. J'ai le chic pour rater les rendez-vous. "

Un petit sourire amusé se dessina sur mes lèvres, alors que je désignais alors ma tenue.

" Alors ? T'en penses quoi ? C'est assez habillé ? Je ne voudrais pas lui paraître mal polie à cause d'une erreur vestimentaire. "

Mon langage suffirait sans doute largement.

Un petit sourire se dessina sur mon visage alors que celui de mon cher Kamui resta de marbre. Une femme normale aurait sans doute été refroidi par une telle attitude, mais moi je savais pertinemment lire entre les lignes de ses mots. Le petit gredin.

"  Sans toutes ces politesses, hein ? Tu m'en diras tant. Mais c'est quelque chose que je te réserve, beau gosse. "

Je lui adressais un petit clin d'œil complice, avant que nous en revenions au cœur du sujet, celui qui concernait la vraie raison de ma présence dans la région. Oh, bien évidemment, j'aurais largement préféré prendre un petit apéritif en sa compagnie avant les hostilités sérieuses, mais que voulez-vous ? Le boulot passait en premier, le réconfort en était la récompense.

" Je vois. Pas du genre à montrer son minois ? Mouais. "

Un prédicateur qui ne se montrait jamais en public, mais laissait assumer l'image du culte à ses ouailles aux cerveaux retournés ? Un grand classique. Les risques, c'était pour les autres. Encore un type que j'allais apprécier. M'enfin, peut-être que je m'emballais sur cette supposition, peut-être que c'était surtout une grande gueule, pas un guerrier, auquel cas, je comprendrais qu'il jouât les planquer. À moins qu'il y eut quelque chose d'autre derrière ? Mais la plupart de mes questions trouveraient leur réponse quand j'aurai le zigoto en face.

Silencieusement, je suivais Kamui. Je ne lui posais aucune question, j'observais juste le temple, les individus que l'on croisait, tous ces moines pour qui j'avais si peu d'affection, et lui, bien entendu. Il m'emmenait peut-être tout droit en enfer que je le suivrais le sourire aux lèvres. C'était pour dire. Mais je supposais que derrière le déraisonnable et la passion dévorante qui me brûlait les entrailles, il y avait une preuve que tout n'était pas totalement mort au fond de moi. Je pensais avoir renoncé à ces choses-là, il me faisait clairement douter.

Perdue un peu dans mes pensées alors que je marchais à ses côtés, il me sortit de mes songes par le biais d'une flamme embrasant une torche. Je fis un simple mouvement de tête pour acquiescer et me saisir de l'objet. Honnêtement, on aurait pu se servir de notre chakra pour éviter de cramer du bois. Je supposais qu'il s'agissait aussi d'une précaution, un peu comme si on débarquait les armes au poing. Il me laissa passer en premier jusqu'à atteindre d'immenses portes dorées. Je ne pus m'empêcher de siffler.

" Mais c'est qu'il a des goûts de luxe notre Prédicateur. "

C'était un peu trop clinquant pour moi. Je jugerais pas. Enfin pas trop. Mais alors que je conservais cette part légère en moi, Kamui jugea bon de tout de même me prévenir sur le genre de bonhomme que j'allais rencontrer.

" Alalala... les hommes et leurs blablas. De toute façon, même si je le voulais, il me serait difficile de ne pas être moi. Espérons que mon charisme le laisse sans voix. "

Je ne pus m'empêcher de sourire, alors que mon chasseur ouvrit la porte pour me faire entrer… et on pouvait dire que j'étais servie. On pouvait imaginer bien des choses lorsque l'on était en surface, on pouvait aisément fantasmer la réalité du culte. Mais alors là...  M'attendre à voir un type qui tripotait une nonne… c'était un mythe qui s'effondrait. Bonjour la classe. M'enfin, en attendant, la pièce avait de la gueule, je me perdis même un instant sur les statues représentant Kagutsuchi ou les Torches Humaines.  

Pour tout vous avouer, je m'attendais à ce que le Prédicateur soit un type austère et lugubre, le genre de bonhomme qui ne vendait pas du rêve et avec qui on savait qu'on risquait de s'emmerder. Je jetais un regard en direction de Kamui comme pour lui dire que je comprenais ce qu'il voulait sous-entendre par "spécial".

" Je n'aurais pas pensé que mon nom résonne jusqu'à vos oreilles. Mais c'est bien ça. Honoka. Kaname Honoka si on veut être complet. "

Lorsqu'il évoqua des petits noms, je devais avouer que cela me fit sourire. À deux doigts de croire maintenant que je pouvais m'entendre avec lui... mais Kamui m'avait prévenu qu'il n'était peut-être pas aussi net qu'il en avait l'air. Bizarrement, je préférais tourner ma confiance vers le beau brun.... d'autant que ce Yoichi eut le chic, que dire, l'élégance de me balancer sa fumée dans la gueule. Il commençait bien, mais je ne bronchais pas. En tant que fumeuse et forgeronne, j'étais habituée à respirer de la suie, des vapeurs et des tas de merde. Ce n'était pas ça qui allait m'impressionner, je me contentais de chasser les nuages de nicotine d'un revers de la main… jusqu'à sa demande.

" Pardon ?  Vous n'êtes pas ok pour les petits noms, mais par contre me foutre à poil, ça ne dérange pas  ? Vous avez une drôle de conception de l'intimité. "

Je n'eus pas le temps d'en rajouter une qu'il précisa que son voyeurisme reposait sur sa parano. J'avais en effet entendu parler de l'édit impérial. Qui ne l'aurait pas lu après tout. Par contre, j'étais à deux doigts d'être vexée d'être pris une pour Jashniste. J'avais la gueule d'une suicidaire ? Ne répondez surtout pas. Toutefois, la réaction qui me fit plaisir - à mon égo et à la femme en moi - était la réaction de Kamui. Je lui appartenais ? Le petit coquin était un possessif ? Par tous les kamis, à cet instant, je devais dire que j'avais jamais autant aimé l'idée que quelqu'un me posséda. Moi qui pourtant étais une indépendante, me voila toute... émoustiller. Je choisissais bien mes moments.

Lorsque le Prédicateur souleva la possibilité de mes liens avec le garde de la flamme, je ne pus m'empêcher de sourire, mais je ne rajoutais rien à cela. Fidèle à moi-même, puisque visiblement l'idée ne posait pas de problème, je fouillais dans mes poches pour me sortir une cigarette. Je l'allumais nonchalamment, pris une grande bouffée et la souffla sur le Prédicateur. Provocation ? Je dirais juste un retour à l'envoyeur.

" Et bien, mon cher Prédicateur, j'aime bien l'idée que Kamui ait pu dire des choses bien à mon sujet. Je pourrais aisément lui renvoyer ces compliments. Pour ce qui est des menottes, je suis en effet celle vers qui il a passé commande. Cela n'aurait été possible si Kamui ne m'avait pas fourni la matière première. "

Trois jours de labeurs. J'en avais chié, sué, mais j'étais arrivée à quelque chose qui tenait la route.

" Par contre, j'ai dû les confier sans être certaine de leur solidité. J'espère qu'elles ont tenu leur promesse, auquel cas, je pourrais toujours plancher dessus pour en confectionner de nouvelles.  Je n'aime pas faire du travail bâcler. "

Question de fierté de forgeronne.

" Étais-ce la raison pour laquelle vous vouliez me rencontrer ? "

Ou bien étais-ce un prétexte pour autre chose ? Bizarre cette histoire...

Je ne saurais dire pourquoi, mais ce Prédicateur me laissait une drôle d'impression. Je pensais comprendre petit à petit la remarque de Kamui quand il m'indiqua me méfier de lui... bien qu'il ne s'était pas tellement étendu sur la raison de son mépris à son égard. Peut-être qu'on aurait l'occasion d'en causer quand on serait seul à seul. En attendant, c'était à mon tour de me faire ma propre opinion sur le bonhomme.

Il m'avoua ainsi que ma présence ne tenait principalement qu'à la bonne publicité qu'avait fait mon camarade à mon sujet. Je supposais que cela devait flatter fortement mon égo. Juste des bons mots et voilà que le grand chef voulait découvrir le visage qui se trouvait derrière ? Pourtant, je savais pertinemment que je n'étais pas la meilleure de mon domaine, par faute de temps, d'implication sans doute aussi. Mais au moins, je ne salissais pas le nom que j'avais reçu de mon père.

Par contre, là où il m'intrigua, ce fut l'instant où il me quémanda mon opinion sur les torches humaines. Je restais également à moi-même, avec ma franchise légendaire alors que je tenais serrer ma clope entre mes lèvres. Je haussais les épaules.

" Les torches humaines ? J'ai pas encore totalement tranché la question. Je m'interroge. Je ne peux pas dire que j'en ai croisé beaucoup, mais si votre question est de voir où je me situe vis-à-vis de l'opinion publique, je vous dirais qu'à mes yeux, ce ne sont pas des monstres ou de banals yokaïs. "

Bien loin de me laisser impressionner, mon œil parme ne quitta pas le sien. Moi aussi j'aimerais bien savoir quel genre d'homme il était, lui qui se cachait derrière le culte du carbonisme. Je supposais que les déclarations qui me tiendraient après ma réponse allaient m'éclairer un peu. Un petit peu, au même moment où il tomba littéralement le masque. Chacun portait ces cicatrices. J'étais à deux doigts d'avoir de la peine pour lui... seulement à deux doigts. J'avais du mal à saisir son euphorie à l'idée qu'il avait perdu sa femme... bien que peut-être à ses yeux, il ne l'avait pas véritablement perdu.

Soupirant quelques secondes puis prenant une grande bouffée de ma clope avant d'en recracher la fumée, je faisais tourner ces paroles dans ma tête et son idée que la transformation en torche humaine était une bénédiction. Je n'arrivais pas à m'en convaincre. Oh, je saisissais son point de vue mais... j'avais l'impression qu'il manquait des maillons dans la chaîne.

" Mmmm... une bénédiction, hein ? Je dois dire que je ne serai pas aussi catégorique que vous, Prédicateur. Si ma foi en Kagutsuchi est inébranlable, si à mes yeux, le feu est une bénédiction donnée aux Hommes qui nous a permis de nous élever, ce qui frappe les Torches humaines me laissent perplexe.  "

Je repris une bouffée de ma cigarette, portant mon attention sur lui. Mon visage n'était pas sévère, mais clairement blasée.

" Il est vrai que les Flammes des Torches sont d'une puissance inimaginable, d'une beauté indéfinissable. Je reconnais moi-même qu'elle me fascine mais... de ma propre expérience... je ne sais pas. Vous voyez un miracle, je n'y vois que des interrogations, bien que je reconnaisse que je ne suis personne pour connaître les desseins d'un Dieu. Et puisque nous en sommes aux petites confidences, autant jouer carte sur table. "

Ce n'était pas que je cherchais à justifier mes doutes, mais peut-être comprendrait-il pourquoi je n'étais pas aussi formelle que lui. Personnellement, je n'avais jamais été frappée d'illumination, pas ce jour-là en tout cas.

" Je n'irais pas jusqu'à dire que mon histoire est similaire à la vôtre, mais je connaissais aussi un homme, infiniment bon, trop probablement pour ce monde, qui n'était ni pourvu de chakra, ni soldat, et même athée. Il était à mille lieues d'être concerné. C'est alors que je l'ai vu se transformer sous mes yeux, j'ai vu les flammes l'envahir et le consumer. J'ai vu son regard et j'y ai vu de la douleur. Ces derniers mots d'homme conscient étaient plus proches du testament que celui d'une personne qui remerciait les dieux. "

Je soupirais de nouveau, un peu plus dépité parce que les souvenirs me revenaient en mémoire. Cela me semblait toujours pénible, mais c'était ma pénitence. J'avais causé la ruine de Sojiro. Je ne faisais que payer.

" Après, est-ce qu'il n'était pas prêt pour ça ? Est-ce que ce pouvoir était trop grand pour lui ? Je n'en sais rien. S'il s'agit d'une bénédiction comme vous le dites, je dois avouer que je ne saisis pas pourquoi il a été choisi et peut-être que vous pourriez m'aider à comprendre, Prédicateur. M'expliquer ce que je n'ai pas vu ou compris ce jour-là. "

Mes interrogations étaient sincères. Je ne cherchais pas à le flouer ou raconter des conneries. Je voulais véritablement comprendre. Ce fut alors qu'il m'offrit l'opportunité d'en rencontrer une. Une vraie Torche Humaine et l'une de celle que le gardien de la flamme noire avait capturé avec mon matériel. Je me tournais naturellement vers lui, mais pas trop longtemps non plus - c'était pas le moment de me perdre dans son regard, c'était pas le meilleur moment pour avoir de mauvaises pensées.

" Si vous m'en faites la proposition, il me serait difficile de refuser. C'est une occasion de voir si mon travail est utile comme vous dites. "

Et certainement aussi de satisfaire, en une façon, ma curiosité. Mais je m'interrogeais à nouveau. Était-ce la pauvre âme après laquelle Kamui courrait ? Celle qui souffrait ? J'espérais sincèrement qu'elle fut apaisée.

Le regard que me lança le Prédicateur me laissait songeuse parce que je ne savais pas quoi en penser, de la même manière que ses paroles. Mais lorsqu'il me parla d'initiation, je ne pus m'empêcher d'arquer un sourcil. Bizarrement, j'étais pas animée par le meilleur des pressentiments, bien que techniquement, rien m'indiquait qu'il me voulait quelque chose de tordu... pour le moment.

"  M'initier ? Personnellement ? Quelle veinarde. "

Si vous sentiez dans mes paroles un soupçon d'ironie, je vous dirais que c'était pas faux, tout en reconnaissant que c'était aussi une chance que le grand Ponte s'intéressa ainsi à ma tronche. Il fallait dire qu'il devait pas y avoir grand monde qui attirait son attention. Par contre, je devais avouer que je ne savais pas trop ce qu'il me trouvait. Je ne me considérais certainement pas comme exceptionnelle, je dirais même que j'étais une femme assez quelconque. C'était peut-être à cause de cette vision que j'avais de moi-même que je ne pouvais m'empêcher d'être aussi méfiante.

Quand Yoichi m'avoua qu'il allait devoir m'abandonner en route, je n'eus qu'un vague haussement d'épaules. Déjà que je trouvais curieux qu'il m'eut convoqué pour me rencontrer en personne, j'avouais que je ne m'attendais pas à ce que l'on dina ensemble... quoique, Kamui m'avait demandé de bien me saper. C'était à se demander en quoi c'était nécessaire. Faire bonne figure ? À deux doigts de me vexer si mon petit cœur de flamme jugeait que je m'habillais si mal que ça.

Enfin bref. Kamui obéit au Prédicateur, non sans réticence. Je le voyais à sa tronche. Fallait dire que j'avais déjà pu l'admirer de près. On s'enfonça encore dans les sous-sols et je devais avouer que je n'avais pas imaginé que la structure du Temple de Feu fut si souterraine. Et encore moins qu'elle renferma une prison. Alors que l'on entendait déjà des cris de gens au bout du rouleau, le rouquin se sentit besoin de me justifier la présence d'humains. Honnêtement, j'étais un peu étonnée. Oh, je savais que le culte des carbonistes en emmerdait certains, cela remettait la religion principale en cause, d'autant que les adeptes se faisaient plus nombreux. Mettre le bordel dans la grande Eglise du Kamisuuhei, remettre en cause la hiérarchie, c'était un peu nier leur pouvoir, leur propre croyance... bref, c'était leur chier dans les bottes. Les religieux n'aimaient pas les rivalités, ils aimaient avoir le monopole.

Peut-être que j'étais naïve, mais personnellement, je n'avais jamais pris ombrage des gens qui croyaient ou non. Ma foi était mienne, elle ne concernait que moi. Je l'imposais pas. Alors ce qu'en pensait les autres, je m'en carrais un peu. On était tous des esprits libres, non ? Enfin bref. Ce qui me surprit, c'était finalement le nombre. Le nombre de personnes enfermées ici... et derrière des putains de barreaux faits en pierre de météore.

"  Je suis étonnée. Je pensais pas que le carbonisme était autant déprécié. Que des gens remettent en cause le culte, ça ouais, je savais. Mais à ce point-là ? "

Mais de tout ce que pouvait me dire le prédicateur, je bugais sur une de ses infos.

"  Wooho attendez, attendez... vous avez dit quoi ? Y a des gugus parmi eux qui ont réussi à dézinguer des Torches Humaines ?  "

Voilà un truc qui me plaisait moyen, mais qui répondait à une question qui m'avait souvent tarauder. Est-ce que tuer une Torche Humaine était possible ? J'avais ma réponse. Est-ce que ça me plaisait ? Pas vraiment. Je dirais même que ça me terrifiait. Déjà parce que les Torches humaines étaient des monstres de puissance de Feu. La tronche des gugus dans les geôles ne payaient pas de mines, et parmi eux, certains avaient été visiblement capables de les terrasser. Ça, ça voulait dire soit que les déterrés des cachots étaient plus puissants qu'ils en avaient l'air - et dans ce cas, si le culte avait réussi à les enfermer... - soit que les Torches Humaines avaient une faiblesse que je ne connaissais pas.

Par contre, on allait pas se mentir. Quand le prédicateur précisa qu'il comptait les relâcher, je ne me faisais pas d'illusion. Si ces gens avaient des informations qui l'emmerdaient, j'étais pas certaine que beaucoup d'entre eux en revinrent, surtout s'ils avaient tué des carbonistes ou des torches. J'avais pitié pour ces gens. Pitié pour leur bêtise s'ils étaient coupables et pitié pour leur situation s'ils s'agissaient de quiproquos.

Sur notre chemin, alors que dans un coin de mon esprit, je me demandais pourquoi les barreaux de ces geôles étaient en métaux précieux, Yoichi me fit m'arrêter devant une des cellules où il me présenta le pauvre damné qui se trouvait à l'intérieur, un chunin de Sakyuu. Je devais avouer que je ne le connaissais pas. Mais quand il indiqua que ce type avait voulu l'assassiner à cause du culte, je ne pus m'empêcher d'afficher une tronche blasée.

"  Ha. Je comprends le tête-à-tête.  Je suppose que c'est devenue une affaire plutôt personnelle. "

Personnellement, j'y voyais plutôt les problèmes futurs que cela pouvait engendrer. Autant les autres prisonniers, je ne savais pas de quel bord ils étaient, autant lui... bah c'était un soldat de Sakyuu. Cette histoire puait du cul violent... Mais techniquement, c'était pas mon problème. Ce type s'était lui-même foutu dans la merde pour des raisons religieuses après tout, et non militaires... mais ça pouvait devenir une épine dans le pied du Prédicateur.

M'en retournant alors vers Kamui, j'allais pouvoir à nouveau profiter d'un tête-à-tête, mais aussi d'une chance de pouvoir plus librement poser mes questions. Tandis que je le suivis, je ne pus m'empêcher de sourire un peu, parlant à voix basse comme lui.

"  Tu m'avais prévenu et j'ai pu constater que tu n'avais pas menti. On va dire que c'est un original, surtout le moment où il m'a demandé de me foutre à poil. J'avoue que je m'y attendais pas. "

Je ne pus m'empêcher de laisser échapper un petit rire, alors que mon regard se tourna vers le carboniste. Oh, j'avais bien retenu ses paroles à ce moment-là. Le coquin.

"  Mais pour en revenir au sujet principal, je t'avoue que je suis assez surprise oui, d'autant que j'ai cru remarquer que les barreaux des cellules étaient faite avec du métal de météore, non ? Je suppose qu'à l'origine, c'était destiné à des Torches Humaines ? Vous les avez déplacés ? "

Ma question me paraissait légitime, et loin de moi l'idée de vouloir jouer les fouineuses, mais puisque j'étais là...

"  À propos, tu sais ce qu'il a voulu dire par "vouloir m'initier" ? Pas que ça fout la pétoche, mais vu ce qu'il m'a demandé la première fois, je ne veux pas finir dans un plan bizarre si tu vois ce que je veux dire... "

Je ne pus m'empêcher de me gratter la tête en imaginant que le bonhomme pouvait en vérité être une sorte de gourou pervers. Ce n'était pas ma came ça et ça le deviendrait sans doute jamais.

" M'enfin, sinon, il a dit que tu avais capturé une Torche. C'était celle dont tu m'avais parlé ? Celle qui était malade ? "

Oui, malade, comme pouvait l'être n'importe qui. Qui avait dit que ces créatures ne pouvaient pas l'être après tout.

La réponse que me donnait Kamui était plutôt intéressante avec son brin de contradiction. Je sentais bien qu'il n'aimait pas le style du Prédicateur, et pourtant il reconnait la valeur de son leadership. C'était plutôt surprenant, mais au moins, joli cœur était honnête avec moi. Enfin, du moins, il ne me cachait pas les défauts qu'il reprochait au maître du culte. J'étais à deux doigts de penser qu'il était un peu jaloux et ça flattait mon égo. Il faut dire que j'aurais peut-être réagi de la même façon en cas inverse. Allez savoir...

En tout cas, sans vouloir chier sur les détails, il me semblait évident que tout ce que j'entendais depuis que j'avais foutu les pieds dans le temple demeurait que des généralités. Le culte du carbonisme souffrait d'une certaine omerta. Pas besoin d'être soldat ou un génie pour le comprendre. Du coup, moi qui n'étais qu'une simple admiratrice, me retrouvait ici, aussi soudainement, me parut assez curieux. J'entendais bien que j'étais là grâce à Kamui mais pourquoi s'intéresser à quelqu'un comme moi ? ça, c'était le point que je n'arrivais pas à comprendre. Cependant, je n'allais pas me plaindre immédiatement de cet intérêt qui allait sans doute m'apporter des réponses, quelques-unes du moins.

" J'ai peut-être qu'un œil, mais j'ai la chance d'avoir gardé le bon. "

Simple petit boutade concernant ma capacité à reconnaître le métal précieux dont était faites les cellules. J'étais toutefois assez intriguée par le fait qu'il me précisa que ces cages étaient à la limite de l'obsolescence puisque plus utilisé. Néanmoins, l'information la plus intéressante concernait les Torches en elle-même. Je n'avais pas imaginé qu'il eut une différence de force entre elles. À mes yeux, les hommes et les femmes frappés par cette "bénédiction" se transformaient et puis... et puis je n'avais aucune idée de ce qu'il advenait réellement en suite., hormis le fait qu'elles erraient ou devenaient potentiellement dangereuses.

" Celles qui s'éveillent ? Tu veux dire qu'il y a un autre stade après leur transformation ? C'est cette "folie des flammes", c'est ça ? Quel bordel. "

Cela faisait beaucoup d'informations d'un coup, et mon cerveau fusait pour tenter de trouver une logique à tout ça. Déjà que j'avais du mal à comprendre pourquoi certains se transformaient en torche et pas d'autres, maintenant j'apprenais qu'il y avait un autre éveil et il fallait qu'elles deviennent dingo pour ça...  Je ne pouvais pas m'empêcher d'avoir pitié d'elles, d'autant que je comprenais, du moins je croyais comprendre, qu'elles n'avaient aucun contrôle sur rien.

Une clope. Il me fallait une clope. Rapidement, je me mis à fouiller dans ma poche pour en trouver une, il me fallait au moins ça pour mieux réfléchir. Et à peine eus-je pu prendre une première bouffée salvatrice, que mes pensées se mirent à fuser à nouveau en écoutant Kamui.

" Je vois... mais comment reconnais-tu une Torche "faible" par rapport à une autre ? Il y a un signe qui les distingue ? Ou cela ne tient qu'à la puissance de leur flamme ? Ha ! Pardon Kamui... je suis digne d'une harceleuse. "

Je me grattais légèrement la tête en me rendant que j'étais plus bavarde que d'habitude.

" Cela faisait plusieurs années que je voulais en apprendre plus, et voilà que tu me permets d'en découvrir de près. Je me dis que ce n'est pas pour rien que nous nous sommes rencontrés.  "

Un petit sourire se dessina sur le coin de mes lèvres alors que je le suivais toujours. On s'enfonçait dans un nouveau couloir, dépassant à nouveau l'une de ses portes de cellules en métal de météore. Décidément, c'était la caverne au trésor cet endroit. Je n'en avais jamais vu autant et à portée de main. Mon père en aurait été dingue, mais peut-être pas autant que moi lorsque je vis d'en quoi était présentement enfermées ces créatures damnées. Un sceau. Une barrière visiblement assez puissante pour contenir leur puissance. Mon œil parle ne quitta pas la bulle bleutée, fascinée par cette lumière d'où un garde de la flamme blanche dégagea une Torche... mais je ne m'attendais pas à les voir dans cet état. C'était comme si son feu était éteint, elle ne réagissait même pas lorsque son gardien la saisit. Tandis que je suivais la créature du regard, je tiquais sur les propos de mon beau gosse de camarade.

" Nourrir ? Parce que ça se nourrit ? "

Dis comme ça, on aurait dit que je parlais d'un chien. Toutefois, je supposais que c'était en lien avec le fait qu'elle ne "brûlait" plus. Peut-être que par nourrir, il entendait tisonner le feu de cette créature. J'avouais que ça sonnait plutôt dangereux comme manipulation. Suivant toujours mon partenaire, nous nous arrêtions devant une autre torche, enfermée aussi dans une de ses cellules sphériques. La clope au bec, j'observais calmement, j'étudiais en réalité, la créature que j'avais devant moi. Je notais tous les détails que me fournit Kamui, même celui du fruit de mon travail.

" Oh ? Je vois que l'alliage semble tenir. C'est plutôt bon à savoir. Peut-être que je devrais me convertir dans les gadgets et accessoires. "

Recrachant un peu de fumée alors que Kamui vivait son petit moment avec sa prisonnière - quoi ? comment ça vous sentez de la contrariété ? - voilà qu'il y avait visiblement une Torche qui jouait du tambourin un peu plus loin. Styx. J'arquais un sourcil devant ce drôle de nom.

" Vous leur donnez des petits noms ? Qui l'aurait cru. "

Tandis que le carboniste m'emmenait voir "Styx" - décidément, je ne me ferais pas à ce nom - j'écoutais avec attention la petite histoire qu'il me conta, bien loin d'imaginer ce qui m'attendait. J'avais toujours ma cigarette dans la bouche, je hochais de la tête en mettant dans un coin de ma tête chaque information nouvellement acquises. Il était intéressant d'apprendre que cette torche en particulier était déjà parvenue à s'échapper plus d'une fois. Cela en disait long soit sur sa puissance, soit sur les problèmes de sécurité du temple. Je préférais en rire.

" Et bien, une sacrée personnalité ce Styx. Fuyard et bavard, c'est un drôle de... "

Plus un mot. PLus un mot n'était capable de sortir de ma bouche, laissant tomber ma cigarette au sol devant le choc. Je me figeais. Immobile et de marbre, avec l'étrange impression que le froid se saisit de la pièce.  Mon œil parme se posa sur la silhouette derrière la prison-cocon sans quitter la torche humaine du regard et même si je l'avais voulu, je ne m'en sentais pas capable. Ni même de battre des paupières, car j'avais peur que son image ne fut pas réelle. Fermer les yeux, c'était le voir disparaître une nouvelle fois. Est-ce que je rêvais ? Je devais avouer que pendant un instant, le doute s'était immiscée en moi, mais dès qu'il prononça mon nom, je sus. C'était lui. Cela ne pouvait être que lui et je l'avais enfin retrouvé.

J'étais capable de reconnaître ses yeux entre mille, ceux qui autrefois brillaient d'un bleu digne de la couleur du ciel. Il n'était plus animé de la même manière, mais j'y voyais toute la désolation d'un homme. La manière dont il invoqua mon nom me semblait être un appel à l'aide, une torture à mes oreilles, me renvoyant à notre passé commun et à ce terrible jour où je le vis se transformer.

" Sojiro... Bordel de merde... C'est toi... "

Ma voix s'étranglait dans ma gorge alors que je sentis mon putain de palpitant se serrer douloureusement. Je m'étais imaginée mille et une fois ce moment, mille et une fois l'espérance de le trouver pour savoir et comprendre ce qu'il lui était arrivé. Et voilà qu'il était là, devant moi, enchaîné et l'esprit perdu dans un monde que je ne pouvais atteindre. Je sentis une larme rouler sur ma joue, je ne me savais même pas capable de pleurer. Pourtant, j'eus subitement l'étrange force de lever la main, de la poser là, sur cette étrange prison. Par un certain miracle, alors que je ne contrôlais pas mes larmes, je réussis à sourire comme si je venais d'obtenir une victoire.

" C'est moi mon vieux... c'est bien moi, Honoka... Haha... "

Je me mis à rire un peu nerveusement.

" J'ai toujours pas arrêté de fumer comme tu me l'avais demandé, Doc. Et voilà que c'est toi que je retrouve en train de t'enflammer ? "

Secouant la tête face à cette ironique pensée, je ris à nouveau avant de lui dire enfin le message que j'avais toujours cherché à lui délivrer depuis sa transformation.

" Je voulais te dire que Yahaba va bien.  Il va bien mon vieux... "

C'était la dernière promesse que je lui avais faite, celle qui me tenait en vie et qui me poussait à pas crever... et il l'avait compris. Il avait toujours compris au travers de mes actes que je cherchais à me bousiller parce que j'avais honte. Et ce salopard... ce salopard m'avait remis une vie entre les mains.

Chassant l'amertume de mon esprit, je tournais enfin mon attention vers Kamui. Je lui devais des explications. Honnêteté pour honnêteté.

" Tu sais... le type dont j'ai parlé dans mon histoire, tout à l'heure avec le prédicateur... c'est lui... Son nom est Hanami Sojiro, médecin civil de Sakyuu. Il est devenu une Torche à l'An 802. "

Mon oeil se tourna une nouvelle fois vers Sojiro, mais je finis par reculer. J'avais conscience qu'il n'était plus vraiment lui, mais s'il était capable de se souvenir de moi, alors il était peut-être encore là, quelque part.

" Dis-moi Kamui... tu m'as dit qu'il a essayé de fuir plus d'une fois... est-ce que vous savez pour aller où ? Et qui est cette... Mater ?  "

Est-ce que je pouvais faire quelque chose pour lui et soulager ces tourments ? Je me le demandais... mais il était clair à mes yeux qu'il souffrait. Peut-être que la solution se trouvait dans ce qu'il cherchait si désespéremment à faire comprendre.

J'avais encore du mal à croire que j'étais parvenue finalement à le croiser. Jusque-là, ce n'était qu'un songe que je ne pensais pas possible de toucher du doigt... mais Kamui m'avait ouvert les portes, m'offrant la possibilité de me repentir un peu. Je me sentis ridicule à verser des larmes, je n'étais pourtant pas du genre si... émotive. Peut-être était-ce parce que depuis toutes ces années, je m'étais foutue une pression sur les épaules dont je n'avais jamais mesuré l'ampleur. Ou bien étaient-ce simplement des larmes de soulagement, de celles qui étaient nécessaires pour me permettre d'avancer, tourner la page, ou un truc du genre. Pour ce que ça valait...

Me reprenant un peu, j'essuyais d'un revers de manche ces pleurs ridicules qui ruisselaient sur ma joue, préférant porter mon attention sur un homme bel et bien là, dans mon présent. Je sentis qu'il eut comme un petit malaise, mais je finis tout de même à afficher un léger sourire à l'égard de Kamui.

" Je suppose que tu es celui qui l'a ramené ? Même si cela peut te paraître un peu ridicule, je te remercie. Même s'il n'est plus vraiment là, je sais que Sojiro n'aurait pas supporté être responsable de la mort de civils…, même si... je trouve son comportement un peu étrange. "

Je ne pus m'empêcher de tourner la tête encore vers lui, un peu inquiète je devais dire. S'il souffrait de son état, l'idée me plaisait pas des masses. Seulement, j'avais parfaitement conscience que je ne pouvais rien faire pour le moment. Mais il était ici, et il ne pouvait blesser personne. C'était une moitié de chemin.

Cependant, voilà, je n'eus pas vraiment le temps de cogiter plus sur les conséquences de ces retrouvailles que du grabuge semblait se faire entendre. Immédiatement, mon cher gardien de la flamme noire s'inquiéta alors que je me contentais de me retourner, arquant un sourcil d'incompréhension. Sojiro paraissait retourner dans sa stase bizarre et recommença à se frapper contre la paroi du cocon. Il voulait sortir ? Une énième fuite ? Mais pour où? Vu la profondeur à laquelle on se trouvait, à des kilomètres sous le Temple, j'étais surprise. Est-ce qu'il entendait un appel pour lequel nous étions sourds ? Une nouvelle affaire qui puait... autant que le problème que vint nous apporter un autre gardien.

" Une attaque ? Bordel, j'ai bien choisi mon jour pour une visite. "

Un trait d'humeur qui n'était peut-être pas de circonstance, mais qui me permettait indirectement de reprendre mon sang-froid, redevant moi-même par la même occasion. En tout cas, Kamui semblait aussi surpris qu'agacer par le problème. Si possiblement le Temple avait déjà eu des soucis internes avec des Torches qui se faisaient la malle, je comprenais que jusque-là, aucune ne s'était rassemblée à l'extérieur pour attaquer le lieu saint. Une première.

Mon beau gosse de camarade se tourna vers moi avec une autorité qui faisait aussi son charme, m'invectivant à me préparer. Il était assez évident pour moi que je ne le laisserais pas tomber, ni même que je pris la fuite. Pas le genre de la maison, ni du code des samuraïs. Honneur, courage héroïque, tout ça tout ça...

" Bien. Espérons que je fasse honneur à mon devoir et que Kagutsuchi nous protège. "

Notons que le plus emmerdant, surtout pour moi, ce n'était ne pas connaître la force réelle d'une Torche humaine. Si tentait qu'il n'y en eut qu'une et visiblement, si on écoutait le gardien, il y avait des problèmes externes et internes. Une vraie partie de plaisir en devenir. Faisant craquer ma nuque et laissant échapper un soupir, mon œil parme se tourna vers Kamui.

" Tu as plus d'expérience que moi, joli cœur. Je te suivrai alors sers-toi de moi. Tu sais comment les attraper, j'attirerai son attention pour que tu puisses briller. "

Je lui fis un petit sourire, alors que je me préparais immédiatement à l'offensive. On n'avait pas le temps de blablater de toute façon, il ne fallait pas que cette torche se mit à foutre le feu partout.

" Allez ma caille ! Viens voir maman ! On t'avait pourtant dit que t'avais interdiction de sortir de TA CHAMBRE !! "


Alors que je m'avançais vers la torche humaine, j'effectuais quelques mudras et au moment où je me mis à brailler, je frappais violemment le sol pour y injecter du chakra. Ce fut à cet instant que plusieurs petits piliers sortir du sol en direction de la torche pour la repousser violemment. Je devais voir comment elle réagissait, sa réactivité, et surtout, comment ses flammes réagiraient à mon doton. Il me fallait tâter le terrain avant de totalement m'enflammer.

Résumé :

C'était la première que je me frottais à une torche humaine en colère, une forme de dépucelage de carboniste si j'avais de l'humour. Pourtant, ici, rien ne me prêtait à sourire, plus maintenant que je percevais clairement toute la détresse de cette chose qui hurlait devant moi. Je me rendais compte à cet instant qu'il n'y avait peut-être vraiment plus rien d'humain et si tentait que cela fut le cas, je n'y voyais que de la détresse.

La puissance de ses flammes était aussi hypnotique que terrifiante. J'avais beau les voir danser sous mon œil, je les voyais aussi dévorer son hôte. Leur force était trop grande pour celui qui était frappé par son mal. Une bénédiction de Kagutsuchi ? Oh non. Une malédiction. Si Yoichi avait vu mainte fois ces créatures perdre la raison, comment pouvait-il encore penser que le Dieu du Feu avait fait d'eux des envoyés ? Le feu n'était ni bon, ni mauvais. Son usage faisait la différence, et là, je n'en voyais pas le bien.

La force de ce feu était si grand que cela rendait les lieux étouffants. Il faisait une chaleur à crever, c'était comme si j'étais dans ma propre forge et que j'en nourrissais le foyer de mon fourneau. Bien vite, je sentis ma bouche s'assécher et la transpiration perlée sur mon front. Mais il fallait pas croire que si peu pourrait défaire une forgeronne. Oh, non ma vieille torche. Honoka ne se laisserait pas bouffer si aisément. J'avais derrière moi de longues journées d'entrainement des souterrains de Seizan, des heures d'expérience à taper de la masse sur le fer brûlant d'une épée en devenir. Le Feu et la Terre étaient mon royaume.

Cependant, pas le temps de porter la couronne. Ma première attaque réussit à repousser la créature, mais on n'allait pas se mentir, elle était pas contente du tout... et la colère la rendait vive. Ni une ni deux, voilà qu'elle se propulsa avec ses flammes pour me foncer droit dessus. Honnêtement, je m'étais préparée à encaisser direct, mais j'avais un ange gardien. Je sentis la main de Kamui me saisir avant de le voir dresser devant moi une barrière de protection.

" Un vrai gardien, hein ? "

Et quel gardien ! S'il était rapide, il en avait aussi sous le pied. Une double barrière. Non seulement il avait un petit talent caché, mais il manipulait le vent. il fut assez puissant pour repousser encore la torche, bien qu'on avait parfaitement conscience qu'on ne pourrait pas éternellement s'amuser à l'écarter.

" Du temps ? Bien. Je te donnerais ce que je peux. "

C'était pas gagné. En vrai, si j'étais une reine de la flamme, je me disais qu'ici, je me retrouvais prisonnière de cette capacité. Mon feu contre le sien serait inutile. Pire, je pourrais peut-être même le renforcer. Je ne pouvais compter que sur l'élément qui se trouvait sous mes pieds pour m'offrir une protection ou en tout cas, encaisser au maximum pour freiner la créature.

" Allez ma jolie, ne regarde que moi. Je suis du genre exclusive comme nana. "

Alors qu'elle s'était remise sur ses deux jambes et qu'elle fonçait sur nous, je me mis aussi à courir dans sa direction en profitant de l'instant pour effectuer quelques mudras. Ce fut à cet instant que ma peau se mit à brunir, me recouvrant d'une couche condensée de chakra doton pour augmenter ma résistance physique, mais aussi à ses flammes.


Je portais bien évidemment mon armure, mais le feu, ça ne s'arrêtait jamais à ça. Ce fut à ce moment-là que mon corps s'alourdit, mes pieds s'encrèrent dans la terre, prête à la réception alors que mon œil ne la quittait pas.

" VIENS PAR LA! "

Juste avant que son poing m'arriva dessus, je m'armais de mon fourreau que je dressais droit devant moi pour arrêter son poing. Un coup risqué ? Oui. Je pourrais y laisser la protection de ma lame, mais c'était sans compter le coup que je préparais juste après. C'était ça de vouloir jouer avec une femme de corps à corps, on avait le goût du risque.

Résumé :

Lorsque l'on me regardait me battre, il était facile de supposer que je prenais des risques inconsidérés, surtout pour moi. C'était peut-être vrai, surement même. Je n'étais pas effrayée par l'idée d'être blessée et en vérité, je m'en foutais peut-être un peu trop. Mais il y avait une chose avec laquelle je déconnais jamais, une règle du bushido me poussant à accepter de perdre si nécessaire ou de me déshonorer un peu plus : protéger les autres. Et si pour protéger quelqu'un, je devais me jeter dans les flammes ou sur une lame, soit. Certains y verraient un acte suicidaire, moi j'y voyais uniquement mon repentir. Je n'étais qu'un pion, qu'un soldat de l'armée… Mais j'avais aujourd'hui un devoir qui allait au-delà, je pouvais pas crever.

J'allais donc devoir donner de ma personne, peut-être pas comme je l'aurais imaginé, mais on allait faire avec. Loin de me débinée, j'encrais mes pieds dans le sol pour recevoir la Torche humaine qui me fonçait droit dessus. Il n'y avait aucune once d'hésitation dans son attitude et quelque part, ça me rassurait. Si j'étais sa cible, elle s'en prendrait pas à Kamui et je pouvais honorer le temps que je cherchais à lui faire gagner.

" Bordel ! "

Je ne me retins pas de lâcher ce juron gratuit au moment de l'impact. Son putain de poing de flamme était si brûlant que j'entendis le bois de mon fourreau craquelé sous sa puissance, mais je sentis surtout son feu me lécher la joue et un jet de flammes s'en prendre à ma gorge nue. Fallait pas oublier que j'avais sorti ma plus belle tenue de sortie ! Mon armure, elle, se tenait sous ma chemise, mais uniquement taillée pour me protéger le buste. Alors, je pouvais pas nier que je l'avais bien senti, le feu de Kagutsuchi. L'intensité de sa force sur ma peau, cela m'asséchait presque la bouche et les yeux, et pire pour moi, je crus un instant que mes doigts auraient pu y rester.

Sauf que la coquine m'aimait pas le moins du monde, et bien qu'elle me crama ma chemise - on pouvait dire que je sentais littéralement le roussi - son autre poing heurta la protection que je dissimulais jusque-là sous l'élégance du coton blanc présentement brûlé. Heureusement pour moi, le forgeron n'avait pas fait de la merde et cela encaissa le choc sans se fissurer. Cependant, l'onde que cela envoya dans le métal qu'engourdit sur le moment. Est-ce que c'était suffisant pour m'arrêter ? Hey ! J'étais plus endurante que ça !

La main sur la garde de ma lame, je m'apprêtais à la dégainer pour répliquer, c'était sans compter, mon gardien de la flamme réussit son petit tour et je vis brusquement des chaines de chakra apparaître de tout côté pour saisir la Torche. Alors si vous vous demandiez si j'avais pensé à ce que vous croyez, alors... oui. Heureusement, j'étais assez professionnelle pour pas trop gamberger à la vue de la situation. Bref.

" Tu m'impressionnes joli cœur, mais j'ai peur de pas être le genre de femme à tenir les gens en laisse. Je peux peut-être… FAIS CHIER ! "

Je n'avais pas eu le temps de finir ma phrase que le cocon de Sojiro s'effondra à son tour. C'était impressionnant comment tout pouvait partir en cacahuète en quelques secondes. Si je savais ma vie en danger à cause de la torche derrière moi, l'idée s'était évaporée en quelques secondes dès que je l'avais vu foncer sur Kamui. S'il s'en prenait à lui, le gardien aux jolis yeux mourrait... et je mourrais à vrai dire aussi parce que je ne pourrais me battre avec deux torches en même temps, d'autant plus qu'il s'agissait de Sojiro. Alors quoi ? M'opposer à lui ? C'était ce à quoi j'avais finalement toujours aspiré, non ? Mourir de sa main. Qu'il eut une justice pour sa sœur et que moi j'eus été capable d'affronter ma punition avec honneur.

Sauf que le destin s'amusait à me faire des doigts d'honneur à tout bout de champ. Alors que je m'apprêtais à faire un pas vers "Styx", il passa à côté de Kamui. Il passa même à côté de moi pour se ruer sur son "congénère" et frapper la torche humaine avec une violence que je n'avais jamais connu à Sojiro lorsqu'il était humain. Je ne m'étais jamais sentie aussi perdue qu'à cet instant précis : j'étais soulagée que Kamui n'eut rien, j'étais profondément triste de voir la rage de Sojiro s'exprimer au grand jour, lui qui était incapable de faire de mal à une mouche, et étrangement heureuse aussi de voir qu'il était encore un peu là. ça,

Aucun mot de sort de ma bouche. Alors que je tenais encore ma lame à la main, Kamui se rapprocha de moi pour vérifier si j'allais bien. C'était sa présence qui me sortit de sa torpeur.

" T'inquiète pas pour moi... j'en ai vu d'autres. Contente que toi t'es rien. "

Mais immédiatement, mon attention se tourna vers "Styx" qui finit par quasiment achevé sa camarade. Mon regard était un peu perdu dans l'incompréhension, mais tandis que le garde de la flamme se plaça entre moi et Sojiro dans une volonté de me protéger, mon œil, lui, ne quittait pas la torche humaine.

" Je dois t'avouer que je suis complètement paumée... je m'attendais pas à ça. "

Le hurlement de Styx semblait attiser ces autres camarades, mais il invectivait tout le monde à partir. C'était ce que je pensais comprendre. Mais là où je fus surprise, c'était que Kamui me demanda mon opinion. Le cœur ou la raison ? Il me faudrait peut-être mélanger un peu les deux, sans savoir si cela serait la bonne décision.

" Je sais que cela va te paraître bizarre, mais Soji... Styx... semble tenter nous dire quelque chose. Il cherche à fuir quelque chose. Mater arrive... mater partir. J'aurais tendance à penser que ce "Mater" est un problème un peu plus costaud que ce à quoi nous sommes confrontés. "

Je posais mon œil sur Sojiro, lui qui était toujours là et me donnait l'impression de souffrir. Cela me brisait le cœur, mais je n'avais clairement pas le temps de chouiner.

" Tu vas penser que je suis stupide, mais Styx nous a sauvés la vie. En tant que samuraï, j'ai une dette envers lui... Il nous faut comprendre ce qu'il tente de nous dire, j'aurais tendance à choisir l'option de le suivre. S'il a déjà pu s'échapper plus d'une fois du temple, il nous trouvera une sortie...  "

Je voulais lui faire confiance. Je voulais comprendre.

" Mais peut-être que tu as des ordres contraires en tant que gardien de la flamme. Je suis assez débile pour suivre une torche humaine, mais pas assez pour que te forcer à risquer ta vie pour moi.  Si tu dois rejoindre le prédicateur ou bien les autres gardiens pour la sécurité du temple, je le comprendrais. "

Je fonçais vers l'inconnu, mais je n'oubliais pas que mon devoir était de protéger, même de moi.

Résumé :

Alors que nous étions en train de prendre une décision cruciale, je devais avouer que Kamui trouva le moyen de froisser un tout petit peu mon égo. Délires d’honneur de samuraï ? Aïe aïe aïe. C'était comme s'il se foutait de la gueule de ma vocation. Moins 10 sur la note. Mais peut-être que la fatigue me rendait un tantinet irritable, je ne nierais pas que je lui répondis d'un ton un peu agacé.

" Mes "délires" d'honneur ne sont pas pour lui, juste pour moi et ma conscience. Et je ne m'attends pas à ce que tu comprennes.  "

Au moins c'était dit, bien que ce n'était certainement pas l'endroit pour une querelle d'amoureux. En revenant au sujet essentiel de notre débat, il m'indiqua qu'il n'y avait qu'une sortie unique, ce qui techniquement sentait pas tellement bon pour nous et que le Prédicateur était un assez grand garçon pour se dépatouiller. Mais cet idiot ne put s'empêcher de rajouter qu'il voulait veiller sur moi. Si j'étais grincheuse il y a quelque seconde, je ne pus m'empêcher d'esquisser un sourire en coin. Il m'en faisait vraiment voir de toutes les couleurs celui-là.

" Et moi, je ne veux pas qu'il t'arrive un truc à cause de moi. Protège tes jolies fesses avant les miennes. De toute façon, je suis comme la mauvaise herbe : increvable. "

Je laissais échapper un vague rire jaune pour marquer l'ironie de mes propos. Néanmoins, j'en pensais pas moins sur l'idée qu'il devait penser à lui en premier lieu. Je ne voulais pas porter la culpabilité qui lui arriva un truc par ma faute. C'était un chic type, comme Sojiro l'eut été avant, alors je ne voulais pas revivre ça. Seulement, on connaissait tous mon haut niveau de chance...

Alors que la décision fut prise, Kamui indiqua à son "ancien" prisonnier que nous étions prêts à le suivre, cependant, il n'eut aucune réaction pour son geôlier, il me regarda moi. Je ne mentirais pas en disant que cela ne m'avait pas troublé, je ne savais pas trop comment réagir avec lui. Sojiro ou Styx ? Lequel des deux me "parlaient" vraiment ?

" Guide-nous, Styx. "

Il fallait qu'on lui fit confiance... ou bien c'était moi qui m'accrochais à un espoir de fou ? Quoiqu'il en fut, on tailla la route rapidement, n'apportant plus aucun regard à la Torche brisée sur le sol. On aurait pu croire qu'elle serait la seule, mais vu le bordel qu'il semblait régner dans le temple, c'était râpé. Personnellement, je me rappelais des propos du garde de la flamme blanche. Il avait bien indiqué qu'il y avait autant une attaque de l'extérieur que de l'intérieur, alors d'autres Torches, je m'attendais à revoir, mais pas ainsi.

Quand sur notre chemin on vit l'une de ses "créatures" épuisées sur le sol, sans nul doute à cause de sa tentative de fuite, j'eus un peu pitié. Mais Styx la nomma "sans nom". Dire que je trouvais ça bizarre serait un euphémisme, mais...

" Mmmm... tu m'as pas dit tout à l'heure que lorsque tu avais trouvé Sojiro, il vous avez donné son "nom" c'est ça ? C'est lui qui s'était soi-disant baptisé Styx ? "

Ma question était plus une confirmation qu'une réelle demande à vrai dire, mon cerveau - ou tout du moins ce qui fonctionnait - fusait dans les réflexions. Je me disais que si Sojiro s'était rebaptisé avec un autre nom, celle qu'on avait vue ne l'avait peut-être pas fait. Mais comment pouvait-il le savoir, hein ? Il y aurait deux espèces de Torches humaines ? Il pouvait le sentir ? En tout cas, il devait y avoir un type qui en savait plus sur le sujet : Yoichi. Sûrement que si je m'en sortais vivante, il faudrait que je lui réclamasse une rencontre, au culot bien entendu... en espérant qu'il me demanda pas encore de me foutre à poil.  

Notre échappée se passa sans encombre jusqu'à la deuxième grille et là, cela commença littéralement à sentir le roussi. J'avais beau être habituée à voir des macchabées, cela piqua quand même mon délicat petit nez. Des gardes, sans aucun doute. L'attitude de Kamui le trahit un peu, tout comme je le sentis d'ailleurs bien plus tendus. Je supposais que ces types-là étaient potentiellement des camarades, son appréhension était compréhensible. Moi, par contre, je faisais moins de chichi. Je voulais vraiment me barrer de ce tombeau.

Seulement, en matière de chose à laquelle je m'attendais pas à découvrir, j'eus droit à un sale spectacle. Il y avait des corps carbonisés un peu partout, des cellules ouvertes et sans doute le plus désoeuvrant : une torche humaine en train de littéralement dévoré un cadavre. C'était la première fois que je voyais un truc pareil. Je pouvais même dire que je n'avais jamais entendu parler d'un truc pareil. Cette créature-là était en effet plus proche d'un yokaï que de ce qui aurait pu être, dans un certain passé, un humain.

Mon œil regarda cette chose avec une certaine fascination, rien de malsain toutefois, juste, je m'interrogeais, encore et toujours. Mon seul point de comparaison à présent était Styx et son attitude me conforta dans l'idée qu'il n'avait rien à voir avec celle qui bouffait dans le prisonnier dans sa cellule. Il était étrange de noter comme il apparaissait qu'il eut une conscience. Lorsqu'il barra la route de Kamui de son bras, qu'il tenta d'expliquer à sa façon que c'était une perte de temps de s'intéresser à cette torche, je me rendais compte qu'il y avait un truc qui clochait dans l'existence même des Homura Bito.

" Je suis encore loin de tout capter, mais je pense qu'il essaie de nous dire que cette torche est du même genre que celle qu'on a vue à moitié crevée en bas. Par contre, je ne comprends pas si " Mater" est celle qui donne des noms ou bien si elle est à l'origine de ceux qui n'en portent pas. "

Mon regard se leva sur Styx, j'opinais de la tête comme pour lui signifier que j'avais compris qu'on ne devait pas traîner. Naturellement, je portais ma main sur l'épaule de Kamui, même si je savais que cela serait d'un moindre réconfort.

" Si on reste plus longtemps ici, on ne pourra jamais trouver le responsable de ce foutoir. Viens... continuons. "

Morts, on ne servirait à rien.

" Styx, fais-nous sortir d'ici. "

On avait pas le temps de niaiser et on devait s'en sortir pour botter le cul du coupable de ce merdier, d'autant plus qu'on était encore loin de la sortie et mon sixième sens me disait que d'autres saloperies pourraient bien nous arriver sur le coin de la gueule.

Résumé :

C'était impressionnant de constater que plus on se posait de questions, plus on manquait de réponse. J'avais toujours espéré que je pourrais résoudre quelques énigmes au sein de ce temple, et voilà qu'en réalité, cela ne faisait que me plonger un peu plus dans la confusion. Bordel qu'est-ce que ça me faisait chier ! Mais pas le moment pour bibi de perdre le nord. Le plus important dans l'immédiat était que moi et Kamui sortions nos délicats petits culs de cet enfer, enfer dont j'espérais aussi faire sortir Sojiro mais...  mais quoi ? Encore la preuve que j'avais pas encore cogitée assez. Il me faudrait me prendre la tête pour les détails plus tard. Notre survie était ce qui m'importait en premier lieu.

Styx me concéda ma demande - ou bien n'obéissait-il qu'à lui-même, j'étais pas encore fixée - prenant les devants et nous ouvrant la route. Nous continuâmes notre ascension, toujours bercés par les odeurs de chairs brûlées, de traces de combats et de corps calcinés. Je n'avais malheureusement pour eux pas le temps d'un regard. Est-ce que j'étais froide et sans cœur ? Non. Pragmatique. Je savais pertinemment que je ne pouvais plus rien pour eux et morte, je ne leur servirais à rien. Alors, je continuais à courir, sans aucune certitude, dernière une torche humaine et un gardien de la flamme. On était une équipe improbable, mais notre trio était la garantie - je l'espérais - de notre survie.

D'ailleurs, Styx ne manqua pas de nous sauver la vie une seconde fois et encore contre une torche humaine qui, contrairement à la première, n'était pas possédée par une rage incontrôlée. Non, celle-ci nous céda la fuite, elle resta assise comme si elle avait été sonnée par l'ordre de Sojiro.

" Merci. "

C'était tout ce que je pouvais lui dire à cet instant, une maigre forme de gratitude pour son geste, me demandait s'il se sentait encore humain ou bien plus une torche humaine, et auquel cas, ne l'avais-je pas poussé à s'opposer "aux siens" ? Le plus ridicule dans cette situation improbable, c'était que je me sentais encore coupable envers lui. Je lui avais pourri sa vie humaine, et voilà que je foutais le bordel dans sa vie de Torche ? J'avais vraiment un karma de merde qui allait d'autant plus prendre une part dans la réalité lorsque nous arrivions dans la salle du Prédicateur.

" Bordel de merde. "

Les mots m'échappèrent littéralement quand je fis face au spectacle le plus bizarre qu'il m'eut été donnée de voir dans ma vie de soldats : des humains prisonniers de torches humaines. Cruelles ironies, n'est-ce pas ? J'étais peut-être pas la seule à avoir un mauvais karma. Par contre, si ce groupe était les seuls survivants, quand on savait comment fourmillait un temple religieux... c'était plutôt maigre. J'espérais vivement que la plupart d'entre eux eurent le temps de se faire la malle, mais il fallait avouer que c'était le dernier de mes soucis.

Les torches étaient nombreuses, mais parmi elle, il y en avait une qui sortait formellement du lot. Immédiatement, mon attention fut captivée par elle. Oh, ce n'était pas sa gueule d'enflammée que je regardais, mais son armure, une armure entièrement faite de pierres de météorite. Mon sang de fille de forgeron se mit à bouillonner dans les veines. Qui n'était pas forgeron aurait sûrement eu bien du mal à comprendre mon intérêt. Ce matériau était aussi rare que précieux à mes yeux, je dirais même presque un rêve de gosse. Quand Kamui m'avait apporté une pierre pour lui forger menottes et chaînes, je n'avais jamais été aussi excitée de pouvoir faire tourner mes fourneaux, mais là... on parlait d'une armure complète... portée par une torche humaine. C'était une dinguerie inimaginable. Et me voilà la tête encore assénée par des questions toujours plus nombreuses… dans une situation encore plus bordélique que prévu.

Si mon œil ne semblait guère vouloir quitter le maître des Torches, je finis toutefois par mis forcer quand Yoichi prit la parole. Ce type était beaucoup trop décontracté pour être honnête et je ne pus m'empêcher de soupirer.

" La prochaine fois, Prédicateur, vous me permettrez de choisir le lieu de rendez-vous. Je dois avouer qu'être invitée et être à de doigts de finir rôtie n'est pas de mon goût. "

C'était évident que je ne serais pas prête à bouffer un barbecue de si tôt. Cependant, j'imaginais que la situation devait être bien plus pénible pour Kamui et mon étonnement fut bien plus grand en constatant que Styx le protégea de son impulsion. J'arrivais pas à me sortir de la tête qu'il restait un peu de Sojiro en lui...  Soutenant l'action de mon "ami", je me tournais quelques instants vers le gardien de la flamme, posant une main sur son poignet comme pour lui signifier de rester calme et de ne rien tenter. Par contre, moi et ma grande gueule...

" J'avais oublié que les amitiés viriles naissaient toujours dans le feu du combat. Mais je suppose que vous allez rencontrer " Mater " ?  "

Une question balancée au culot, parce qu'en soit, je n'en avais fichtrement aucune idée. Mais ce ne fut pas sans sueur que je quittais ma position de derrière Styx, échangeant nos places à me mettant devant lui, comme si je désirais être son bouclier.

" J'aimerais bien savoir ce qu'il va advenir de nous tous. Humains comme torches humaines. Parce qu'on peut pas dire que vous n'avez pas mis un sacré bordel en ces lieux. Des humains qui tuent des torches, des torches qui tuent des humains. Sans déconner, ça rime à quoi ? "

Mon œil bascula de Yoichi à la torche armurée.

" Pourquoi je suis réellement ici ? Et c'est qui, lui ?  "

Je désignais la torche du menton.

" Comment pouvez-vous posséder une telle armure ? Qui a été assez dingue pour vous forger ça ? Et vous, Prédicateur ? Comment…  Bordel. "

J'avais tellement de questions que je me mordis la lèvre pour ne pas éclater. Reprenant une bonne inspiration, je tentais de retrouver mon sang-froid.

" Je ne sais pas quelle est la volonté de Kagutsuchi, et je sais que je n'aurais jamais la prétention de comprendre. Par contre, voir une torche humaine bouffer un macchabée, ça, je suis quasiment certaine que c'est pas son délire. Je sais pas ce que vous foutez et je sais pas ce que vous voulez...  "

Mon regard se posa respectivement sur Yoichi et la torche inconnue, avant de chercher au fond de ma poche une cigarette. Le temps de l'allumer, je finis par prendre une grande bouffée. Il me fallait bien ça pour retrouver ma concentration.

" ... et en soit, j'aurais tendance à vous dire que j'en ai rien à branler... mais je me fous pas d'eux. Ni eux d'ailleurs. "

D'un geste du pouce, je désignais en premier lieu Styx et Kamui, puis enfin les humains encerclés avec leurs gardiens de feu.

" Tout ça pour dire que j'aimerais savoir si je suis en train de fumer la dernière clope du condamné ou bien si je vais pouvoir encore rouler mon joli petit cul dehors ? "

Une jolie métaphore pour savoir si j'allais rester en vie et sous quelle condition. Mais surtout, si je pouvais faire en sorte de les sauver eux.

Résumé :

Le Prédicateur avait toujours le mot pour rire, un vrai petit rigolo. Notons que je ne pouvais nier la véracité de ses propos, si c'était pas le feu ou l'épée, la clope aurait potentiellement ma peau. Mais qu'importait l'humour noir du grand chef, je n'étais pas aveugle. Dès que j'eus prononcé le nom de "Mater", la torche armée s'était un peu raidi. J'avais touché une corde sensible ? C'était bon à savoir.

En tout cas, si on pouvait dire les choses ainsi, Yoichi m'indiqua avoir négocié nos vies aux prix de la leur. Sur un certain plan, c'était de bonne guerre mais...  Pourquoi j'avais comme l'impression qu'on n'était pas tellement gagnant ? Bien que je n'étais qu'au bas de l'échelle et que bien des choses m'échappaient, je me rendais compte que j'avais presque pitié de la situation du Prédicateur. Suivre ses torches, il le faisait en réalité sans aucune garantie pour sa propre vie. Le fardeau des grands chefs ? Possible. Par contre, j'étais pas plus renseignée sur qui était "Mater".

Ce fut à cet instant que le grand général tout feu tout flamme ouvrit la bouche. Je savais pas pourquoi, mais il me gonflait déjà. Il avait dans le ton quelque chose qui me foutait les glandes, et j'allais être honnête, je me retins de répliquer. Je ne pus m'empêcher de grimacer quand il parla de "sales pattes d'humains". Je lui aurais bien envoyé dans la gueule qu'il avait dû en être un... enfin, si je pouvais le comparer à Styx. Seulement, je supposais que Yoichi avait dû sentir que j'avais quelques démangeaisons verbales qui me titillaient un peu trop, il se plaça entre moi et le grand dadet de feu comme un bouclier pour rappeler les termes de ses négociations.

" Tssss.... si je devais utiliser mes sales pattes, ça serait pour te les envoyer au travers de la gueule, pauvre con... "

Je ne pus m'empêcher de baragouiner dans ma barbe, me détournant de cette torche qui me mettait les nerfs. Si j'avais pitié pour la plupart d'entre elles, je mentirais que pour celle-là, j'avais moins d'empathie. Il ne lui fallut qu'un geste pour pousser toutes ces camarades à le suivre, même Styx pour qui je retins mon envie de l'arrêter, mais...  si je l'avais déjà trouvé une fois, je pouvais bien le faire une seconde. Je savais aussi que c'était la seule façon pour lui de retrouver une partie de sa liberté. Je préférais le savoir dehors que dans une cage, même si c'était égoïste de ma part. Après tout, rien ne me disait qu'il ne pouvait pas être un danger pour les autres, mais que voulez-vous, je devais être une incroyable romantique égoïste. À ceci qu'encore une fois, je ne pouvais que me contenter de le voir partir.

Une fois que nos assaillants furent partis, Kamui prit les rênes, comme le lui avait demandé Yoichi. Lorsqu'il se mit à gueuler, il me surprit sur le moment, mais c'était sa manière à donner un coup de pied au cul à tout le monde. Fallait voir la gueule des survivants, tous étaient sonnés et je pouvais pas leur en tenir rigueur. Si mes blessures étaient superficielles, et même après tout ce que j'avais vu ici, je pouvais pas me permettre de chouiner. Il fallait que l'ordre revienne et moi que je retournasse au pays.

Le monde se remit en marche, et Kamui revint vers moi. Lorsqu'il me parla de "cadeaux", je ne pus m'empêcher de sourire un peu. Ces cadeaux coûtaient cher dans tous les sens du terme.

" Mes talents ? Mmmm... je ne sais pas trop en quoi je te serais bien utile, mais je te le dois bien. Je dois respecter mes "délires" de samuraï. "

Cette fois, je pris cela comme une boutade. Oui, je pouvais être mesquine.

" Si tu as besoin de moi, tu sais déjà où me trouver. "

Ce fut à cet instant que je laissais échapper un soupir, tout en finissant ma cigarette.

" Je comprends que tu as beaucoup à faire, je ne vais pas te rester dans les pattes. J'emmerderai tout le monde de toute façon et je suis une très mauvaise infirmière. Je vais d'abords faire un détour par Sakyuu, le temps de me restaurer. Je rentrerai sur Seizan dans la foulée. "

J'eus alors un petit sourire pour Kamui dont la tâche s'avérait monumentale. Je le plaignais.

" Je sais pas de quoi sera fait demain, et quand bien même ça doit être la merde, notre seule tâche est de continuer à rester debout pour les faire encore plus chier. Alors, reste en vie Kamui. "

Je m'avançais légèrement vers lui, déposant un simple petit baiser sur la joue en guise d'encouragement - et pour qu'il se tapa un peu la honte, sinon c'était pas drôle. De ma nonchalance naturelle, je pris le chemin de la sortie, lui faisant un petit signe de la main en guise d'au revoir. Ma route à moi, elle, devait continuer ailleurs. Des pépites dans les poches, une carte surprise et des questions à ne plus savoir qu'en faire. Les vacances ne seraient pas pour tout de suite... Vie de merde.

Résumé :