Le temps de ces derniers jours ne s’était pas montré propice à l’entraînement. Les pluies incessantes des dernières semaines avaient détrempé les terrains de la caserne, ce qui avait fait fuir les plus frileux. Pourtant, chaque jour depuis bientôt un mois, une même silhouette hantait les lieux du matin au soir, qu’il pleuve ou qu’il vente. Et cette journée ne faisait pas exception. Le colosse seizanjin s’était donc pointé aux aurores comme à son habitude mais cette fois, le beau temps était au rendez-vous. Après son traditionnel petit footing, il avait passé le reste de la matinée à fracasser des mannequins de bois à mains nues. Le boucan suspect qu’il faisait en pratiquant son « art » pouvait presque s’entendre jusqu’à l’entrée de l’école militaire. D’habitude, Udezuku serait venu lui remonter les bretelles en personne en entendant tout ce raffut. Le vieux Seizankage avait horreur que Ganryu détruise le matériel durant ses sessions d’entraînement. D’autant que la férocité avec laquelle s’employait le jônin, alliée à son mauvais caractère, avait tendance à effrayer les nouvelles recrues. Mais en cette période hivernale, seule l’armée réserviste séjournait à Seizan no Sato. La plupart des gradés étaient mobilisés à l’extérieur du village. Du coup l’académie militaire était quasiment vide et il ne restait plus grand monde à déranger. Quand au matériel détruit, il savait de toute manière que ça serait retenu sur sa solde, comme d’habitude…

Après sa session du matin, le colosse borgne décida de prendre une petite pause. Pour une fois l’air était plutôt sec et le ciel était dégagé. Déjà bien en sueur à la suite de ses efforts, Ganryu profita de cette absence d’humidité dans l’air pour retirer sa veste et l’étendre sur râtelier d’armes qui traînait par là. On pouvait voir sur son buste les nombreuse cicatrices dont il avait hérité tout au long de sa carrière miliaire. Notamment cette impressionnante marque de brûlure qui se démarquait des autres, parcourant la quasi-totalité de son flanc droit. Après s’être dévêtu, il attrapa un linge propre avec lequel il s’essuya le visage. Légèrement essoufflé, il posa ensuite son gros fiac sur une caisse d’équipement et attrapa sa petite gourde en peau de chèvre. Il en avala le contenu d’une seule traite avant de soupirer :

-Aahh ! Ca fait du bien par où ça passe ! Pour une fois qu’il fait beau, je serai pas contre un peu d’action.

Pendant que son regard se perdait dans la contemplation de la piste d’entraînement vide, le son d’une conversation inaudible car trop éloignée pour l’instant, lui parvenait aux oreilles. L’œil attiré en direction de l’entrée de la caserne, le capitaine du village caché des Montagnes Bleues fut surpris de constater l’arrivée de jeunes femmes qui lui étaient inconnues. A leur ceinture pendait pourtant un bandeau shinobi flanqué du symbole du village.  « Tiens, on dirait que Seizan a recruté ces derniers temps ? » A première vue, elles avaient l’air différentes en tout point. La première, blonde avec un visage angélique et des yeux couleur soleil, paraissait calme et réservée. Son acolyte, brune, grande et avec un air un peu farouche dans les traits avait quand à elle, l’air d’avoir une personnalité un peu plus affirmée. Au delà de cette première impression, un détail présent sur les poignets des deux jeunes femmes attira rapidement son attention. Les tatouages en forme de fleurs de cerisiers qu’elles portaient, Ganryu les avait déjà observé dans des rouleaux étudiés à l’académie.

-Hmm des édenistes, dans l’armée ?

Il s’était murmuré cette phrase à lui même sous l’effet de la surprise.  Ce culte n’était pas du tout connu pour ses prédispositions martiales, à l’inverse des carbonistes et des jashinistes. Bien au contraire, de ce qu’il en savait, l’Edenisme prônait la paix et l’harmonie entre les êtres vivants. Ce n’était pas le genre de croyances qui d’ordinaire vous conduisait sur les champs de bataille. A croire que même des agneaux pouvaient s’imaginer devenir des loups de temps en temps. A contrario de cette philosophie pacifiste, l’armée de Seizan no Sato était connue pour son intransigeance et son approche de la vie militaire plutôt musclée. A l’image du colosse borgne, les seizanjin étaient fiers et rugueux dans l’âme. Rien à voir avec le raffinement des sakyuuyans, le cosmopolitisme des togejins ou encore l’excentricité des habitants de Jujou no Sato. Ici, on vivait à la dure au milieu des montagnes. Ce qui rendait la présence des ceux deux édenistes d’autant plus surprenante.    

Curieux de voir à quel genre d’entraînement les deux recrues allaient s’adonner, le jonin les gardait du coin de l’œil, toujours assis sur sa caisse. Quitte à prendre une petite pause, autant se distraire en regardant ce que ces demoiselles avaient dans le ventre. Après tout, si elles avaient reçu leur bandeau de genin, c’est qu’elles devaient avoir un « petit quelque chose en plus ».

Bien qu’il se trouvait à quelques mètres des deux jeunes femmes, des bribes de leur discussion parvenaient jusqu’aux oreilles de Ganryu. Apparemment, l’objectif du jour était de travailler sur leur technique de ninjutsu. Si il y avait bien un domaine avec lequel notre colosse n’était pas doué, c’était bel et bien les arts shinobis. Ce n’était pourtant pas faute d’avoir essayé d’en maîtriser les bases durant sa jeunesse. A l’instar des rares personnes possédant le don du chakra, il avait du lui aussi en passer par les sempiternelles leçons de ninjutsu qu’on donnait dans à l’Académie militaire. Mais son incapacité à donner forme au flux d’énergie qui parcourait son corps l’avait éloignée de la voix du ninja, le conduisant à la place sur celle du soldat. Un mal pour un bien en somme ! Car avec son mauvais caractère et sa dégaine de déménageur, il aurait fait un piètre espion.

En revanche il savait reconnaître des débutantes quand il en voyait. Si la plus grande paraissait posséder de bonnes bases, son ami éprouvait des difficultés à modeler son énergie. Alors qu’il continuait de les écouter en silence, leur petite gymnastique de mudras lui donnait le sourire aux lèvres. La jeune femme aux cheveux blonds enchaîna timidement les signes avant qu’une étincelle ne jaillisse du bout de ses doigts. « Du raïton ? » Ce genre d’affinité primaire était assez rare et reconnue pour sa puissance. Ganryu avait d'ailleurs pu observer la puissance dévastatrice dont pouvait faire preuve un utilisateur de raiton expérimenté lors de ses missions avec Akari. Bon pour ce qui était de cette jeune genin, on était encore loin de ce que pouvait faire Akari. Rien de bien étonnant à cela puisque des talents comme celui du chuunin sakyuuyan, on en trouvait un tous les cents ans. Sa comparse avait l’air de s’en sortir un peu mieux quand à elle, faisant jaillir un mur de pierre d’assez bonne taille du sol à la suite de combinaison de signes.  

A les regarder pratiquer leurs mudras, cet entraînement ne lui manquait pas le moins du monde ! Il s’était toujours senti ridicule quand il pratiquait ces gestes incantatoires étant plus jeune. Pour notre colosse, les mains servaient à enserrer la garde de son arme ou à briser la mâchoire de ses adversaires. Cependant malgré ce léger dédain qu’il éprouvait envers les arts shinobis, il ne put s’empêcher de se rappeler les mots de son maitre Shoto : « Les mudra sont une partition à apprendre par cœur, mais tu restes la source de leur musique.  Le réel secret d’un jutsu réside dans la maîtrise de ta propre énergie. La perfection des gestes viendra avec le temps. Ce qui compte avant tout, c’est le flux de chakra qui circule en toi. Tant que tu ne le maîtriseras pas, aucun mudra, aussi parfaitement exécuté qu’il soit, ne te sera d’aucune utilité. »  

L'attention d Ganryu s’arrêta tout particulièrement sur l’idée de visualisation sur laquelle Reiichi était en train d’insister. On lui avait souvent répété la même chose par le passé, même s’il n’avait jamais vraiment compris de quoi il en retournait… Peut être était-ce la clef du problème de son amie ?  Mais aux yeux du colosse, ce qui gênait sa camarade se trouvait à la source de son jutsu et non à l'arrivée..  En tout cas, la présence de ces étincelles électriques sortant du bout de ses doigts  sous entendait qu’il ne s’agissait pas d’un problème de mudras. Aux yeux du capitaine du village caché des Montagnes bleues, cette recrue avait surtout besoin de mieux sentir l’énergie qui parcourrait son corps.
Le colosse se leva pour aller réenfiler le haut de sa tunique à présent sec. Puis après avoir réuni ses affaires, il commença à se diriger vers la sortie du terrain d’entraînement. Alors qu’il s’apprêtait à dépasser les deux jeunes femmes, il s’arrêta pour les jauger du regard. Il s’arrêta tout particulièrement sur le visage de Zanashi avant de s’exprimer d’une voix grave mais neutre :

- Tu dois ouvrir tes tenketsus… Sans ça, tu pourras faire autant de signes que tu veux, il ne serviront pas à grand-chose…

Peut être était-ce la chaleur de cette matinée de début de printemps ? En attendant, pour une fois Ganryu se sentait d’humeur plutôt sociable. D’ordinaire il aurait continué son chemin comme si de rien n’était. Mais la présence de ces deux jeunes recrues édenistes avait su piquer sa curiosité. Bon comme à son habitude, il avait fait preuve de manque de tact, mais que voulez-vous ?  Ganryu était du genre à aller à l’essentiel. C’est pourquoi, avec la même impudeur avec laquelle il avait commencé à s’adresser à ses interlocutrices, il continua son propos :

- Ton amie a raison, en partie... Visualiser le résultat de ta technique est important. Mais tant que tu ne l’alimenteras pas plus en chakra , la foudre qui sommeille en toi ne prendra pas forme.

Le colosse seizanjin serra son poing devant les deux jeunes femmes.

- Regardez.

Une espèce de fumée noirâtre commença à émaner du poing de Ganryu. Visible à l’œil nue, le fluide de chakra enveloppait sa main qui finissait même par disparaitre sous ce tapis de vapeur sombre. Face à ce spectacle, les deux jeunes genins pouvaient sentir comme une pression sur leurs épaules. S’il avait continué de développer sa technique de fluide, elles auraient même pu commencer à ressentir les nausées caractéristiques qui accompagnent  d'ordinaire son jutsu. C’est pourquoi il s’arrêta avant qu’elle ne commencent à se sentir  malades. Après cette petite démonstration, Ganryu replongea son regard dans les yeux couleur soleil de Zanashi avant de s’exprimer :

- Cette fumée noire était un afflux de chakra pur. Comme vous avez pu le voir, je n’ai pas eu besoin de mudra pour le matérialiser. Tout ce que j’ai eu à faire, c’est me concentrer sur mon flux d’énergie pour augmenter sa puissance. Je n'y connais rien en ninjutsu pour être honnête. Mais je sais que pour qu'une technique soit puissante, il faut ouvrir entièrement vos points vitaux et laisser votre énergie abonder sans la restreindre.

C’était un peu rustre comme explication mais ça convenait parfaitement à sa personnalité plutôt frontale. Restait à voir si ce premier contact n’allait pas faire fuir ses interlocutrices.

« Sa compagne » ? Le mot leva un sourcil surpris sur le front de Ganryu. Les couples dans l’armée seizanjin étaient plutôt rares. La vie militaire dans les contrées du sud était moins raffinée, plus dur et sauvage, que dans les autres pays. Il était donc peu commun d’y voir des couples se créer à cause de cette vie mouvementée. Il ne connaissait que Hotaru et Kyoshiro à s’être risqués à concilier leur idylle avec un quotidien dans l’armée. Mais il savait aussi que le couple formé par ses amis était un cas à part, car constitué de deux des guerriers les plus expérimentés qu’on trouvait au village caché des Montagnes Bleues. En tout cas une chose lui paraissait sûr, c’est que ces deux jeunes filles étaient parfaitement complémentaires niveau caractère. En effet, là où il entendait les doutes gangrener les paroles de la blonde aux yeux solaires, Reiichi quand à elle, faisait preuve de positivé et d’une spontanéité qui avait l’air d’être une parfaite béquille pour Zanashi.

Zanashi avait tout particulièrement l’air d’avoir besoin de quelqu’un comme Reiichi dans sa vie. En effet, plus il l’écoutait, plus notre colosse devinait des fêlures dans la voix de la jeune genin. Ce genre de blessure, Ganryu les reconnaissait au premier coup d’œil. Lui aussi avait du apprendre à se reconstruire après l’assassinat d’Ina. Il avait beau ne pas connaître « le pourquoi du comment » à l’origine de la douleur qui semblait dévorer la petite blonde, il savait que ses blessures étaient profondes. Le manque de confiance en elle qui se ressentait dans ses propos était assez caractéristique des gens brisés par la vie. Cependant il fallait aussi rester réaliste. Si Zanashi souhaitait vivre une vie de shinobi dans l’armée de Seizan no Sato, il fallait lui répondre honnêtement. C’est pourquoi, bien que sa voix gardait sa gravité habituelle, son ton se fit un peu plus solennel :

- Parfois, la souffrance fait partie intégrante de la vie. Tes techniques ne sont qu'un moyen de parvenir à tes fins. Ce sont tes intentions qui leur donneront une valeur. Dans certaines situations, nous sommes amenés à tuer pour protéger. Mais on peut aussi se tromper et parfois, des innocents trinquent… Que tu le veuilles ou non, si tu te voues à un destin de shinobi, ça t’arrivera. Des gens souffriront à cause de tes futures décisions, c’est un fait indubitable quand on devient soldat. Si tu as du mal avec cette idée, je te conseille de réfléchir au chemin que tu es en train d’emprunter.

Ses propos étaient plutôt durs, mais il ne pouvait se résoudre à mentir à Zanashi pour seulement la rassurer. Il savait ce qui attendait ces deux jeunes shinobis à l’avenir. Une vie de soldat demande d’ouvrir les yeux sur la nature du monde. Ganryu avait été brisé, lui aussi, par la vie. Sa reconstruction s’était faite au prix de sa vision juvénile et chevaleresque de l'existence. Il est nécessaire de savoir se salir les mains quand on cherche à éviter le pire. Il n’y a jamais de victoire sans pertes, c’est une leçon que les nombreuses cicatrices qui parsemaient son corps lui rappelait sans cesses. Il plongea tout à coup son regard dans celui de Reiichi. La grande brune avait beau avoir plus d’assurance en arrondissant les angles concernant les doutes de Zanashi. Aux yeux de Ganryu, son instinct protecteur pour sa compagne risquait de l’aveugler à l’avenir. D’ailleurs quand elles évoquèrent les risques que pouvaient encourir Zanashi, il leur demanda d’une voix un peu plus curieuse :

- Brûler les étapes, hein ? Je crois que c’est plutôt vous qui sous-estimez la vitesse avec laquelle les choses peuvent évoluer.

Il jeta un coup d’œil à leur bandeau de genin. Puis d’une voix un peu plus culpabilisante, il continua son propos :

- Prendre son temps pour apprendre est un luxe réservé aux membres de l’académie… Le bandeau que vous porter signifie que vous êtes des membres à part entière de l’armée, pas des apprenties. Vous ne vous entraînez plus seulement pour apprendre, mais pour vous préparer à vos futures missions.

Il repensa fugacement aux récent évènement du village de Fukuri. En effet, sa dernière mission avait été un véritable fiasco. Elle avait consisté à retrouver la piste du jonin Takayanagi Hikaru. Il avait disparu après avoir pris en filature une bande de jashinistes. Pour le retrouver, le village avait pourtant mobilisé Ganryu en compagnie d’Hanami et Honoka, deux des meilleures kunoïchis de tout le pays. A eux trois, ils formaient une partie de la fine fleur des soldats du village de Seizan no Sato. Malgré cela, ils avaient essuyé une cuisante défaite… Non seulement ils échouèrent dans leur opération de sauvetage,  ne pouvant sauver la vie de leur camarade disparu. Mais ils furent en plus obligés de fuir pour sauver la leur face à la puissance démesurée de leurs adversaires. La déroute était totale et le goût encore amer qu’elle lui laissait en bouche justifiait à ses yeux, ce discours plutôt rude :

- Sur le champs de bataille, tu dois pouvoir compter sur toi même. Pour te protéger, et pour protéger les tiens…      

Sentant que ce premier contact était un peu trop sec, le colosse adoptait une attitude un peu plus douce. Il avait beau être un ours mal léché, le but de son propos n’était pas de les décourager, mais de leur offrir une nouvelle perspective sur le futur de leur carrière militaire. C’est pourquoi, avec une voix adoucie et plus compréhensive, il leur confia :

- En revanche, la destruction n’est pas une fin en soi avec le chakra. Le ninjutsu médicale en est un parfait exemple. Par contre, je ne connais aucun grand ninja médecin qui ne soit pas pleinement maître de son énergie interne. Si tu as peur d’exploiter ton potentiel et de ce qu’il représente, alors tu dois te concentrer sur cette limitation en premier. Apprends à connaître ta force pour la dompter. Bien qu’il soit un don, le chakra n’est qu’un outil au même titre que le marteau l’est pour le forgeron. Comme je l'ai dit, c’est ce que tu en fais qui compte… D’un autre coté, si tu prends trop de pincettes avec ta progression, tu t’exposes sans le savoir à des dangers que sous-estime.

Il laissa son regard divaguer dans le vide quelques secondes, avant de terminer d’une voix mélancolique:

- Il existe dans ce monde des monstres et des hommes que vous devrez arrêter. C’est la réalité de notre métier. Quand viendra ce jour, et croyez moi il viendra…  Vous serez forcées de mettre votre vie en jeu. Dans ces moments là, l’expérience devient secondaire et c’est la volonté qui prend le pas.

Il fallait s’habituer à la personnalité du colosse seizanjin. Ganryu avait beau débarquer comme un cheveux sur la soupe dans le quotidien des deux kunoïchis, la sincérité sèche de ses paroles n’avait pas d’autre but que de les pousser à réfléchir leur condition. D’ailleurs afin d’adoucir un peu cette première rencontre, il décida de se présenter en bonne et due forme :

- Désolé, mon but n’est pas de vous démoraliser... Comprenez bien qu’en tant que capitaine ici, il est de mon devoir d’apprendre à connaître les éléments qui composent notre caserne.

Il s’inclina légèrement en avant en signe de politesse :

- Mon nom est Tadaktsu Ganryu. Et vous deux ? Comment vous appelez vous ?

Ganryu savait que ses paroles étaient dures, sans fioritures. Cependant, il ne s’attendait pas à entendre en réponse, les mots qui sortirent de la bouche de la jeune kunoichi aux cheveux dorés. Elle avait beau paraître fragile en apparence, le sérieux qui habitait son visage suggérait la présence d’une volonté plus qu’affirmée. Lorsqu’elle mentionna sa convalescence, cela retint tout particulièrement l’attention du colosse de Seizan. Zanashi avait beau ne pas s’attarder en détails sur les raisons de sa blessure, Ganryu sentit rapidement que l’histoire qui se cachait derrière avait particulièrement marqué la jeune femme. La mélancolie qui s’était emparée d’elle au fur et à mesure de récit, il la connaissait bien. C’était celle qui habite d’ordinaire les gens traumatisés. Lui même était hanté par le même type de souffrance. Le genre de blessures qui vous laisse autant de cicatrices à l’intérieur qu’à l’extérieur. Mais c’était aussi en passant par ce chemin de croix, qu’il avait été capable de se forger une volonté à toute épreuve. Hélas, cette résilience avait un coût. S’abandonner à sa quête de vengeance se faisait au prix d’une part de sa propre humanité. C’était comme brûler la vie par les deux bouts. Pourtant, même s’il sentait en la jeune femme, le même genre d’appétit vengeur qu’en lui, elle semblait encore en mesure de se raisonner. Peut-être était-ce la présence de Reiichi qui l’empêchait de basculer ? En tout cas, Zanashi gardait les pieds sur terre. Elle refusait de se voiler la face quand à ses capacités physiques actuelles. D’ailleurs, après les avoir écoutées, Ganryu leur répondit d’une voix plus douce qu’auparavant :

- Enchanté, Zanashi, Reiichi. Et désolé si mes mots vous ont paru assez durs. Maintenant que tu le dis, j’aurais du remarquer plus tôt que tu n’était pas en pleine possession de tes moyens.

Ganryu comprenait bien mieux l’attitude protectrice de Reiichi envers sa compagne. D’ailleurs, quand la jeune genin aux cheveux couleur d’ébène lui confia être dans l’armée depuis un moment, il se rendit compte qu’il avait confondu sa prise de précautions avec un manque d’expérience. Elle ne couvait pas son amie, elle l’empêchait juste de brûler les étapes. Ce qui en soi, demeurait plus que compréhensible. Le colosse se gratta la tête, trahissant la gène qu’il ressentait après leur avoir fait la leçon sans en savoir plus. Il leva ensuite son œil vers le ciel, avant d’afficher air pensif l’espace de quelques secondes. Puis il fixa les deux jeunes filles avant de leur annoncer :

- J’ai quelque chose qui pourrait t’aider.

Le capitaine seizanjin porta la main à l’une des poches intérieures de sa veste. Il en sortit une petite bourse de cuir marron à l’intérieur de laquelle se trouvaient des pilules militaires. Après les avoir triées dans le creux de son imposante paluche, il n’en garda qu’une seule avant de ranger le reste. Tandis qu’il tenait le comprimé entre son pouce et son index, il commença à en décrire les propriétés à ses deux interlocutrices :

- Ceci est une pilule de renforcement musculaire. Prend là, c’est cadeau. Ne t’inquiètes pas quand à sa provenance, je peux t’assurer que la kunoichi médecin à l’origine de sa confection est fiable.

Sans lui demander sa permission, Ganryu attrapa la main de Zanashi pour venir y déposer la pilule confectionnée par Yui. Il referma la main de la jeune fille autour de l’objet, s’assurant qu’elle le garde bien, puis la lâcha. Bien sûr, il comptait s’expliquer sur on geste. C’est pourquoi, après avoir donné la pilule à Zanashi, il leur confia :

- Bien sûr, quand je te dis de la prendre, ce n’est pas pour tout de suite. Attends d’être complètement remise de tes blessures pour l’essayer. Ce comprimé te permettra de comprendre avec plus de précision ton flux d’énergie. Il a pour particularité d’ouvrir les tenketsus de celui qui le consomme, augmentant ainsi la quantité de chakra qui circule dans son corps. Un autre de ses effets permet de répartir uniformément ton chakra dans ton corps, ce qui renforce ta résistance corporelle. D’ordinaire, les soldats les consommes pour augmenter leur durabilité au combat.  

Un air sérieux se dessina sur le visage du capitaine du village caché des Montagnes Bleues. Le ton de sa voix redevint un peu plus sombre tandis qu’il continuait son propos :

- En revanche, la consommation de cette drogue n’est pas sans effets secondaires. Le comprimé que je t’ai donné est ce qui se fait de plus doux. Mais sache que tu devras subir un léger contre-coup après l’avoir utilisé. Les symptômes varient en fonction des gens… Fatigue, légers mots de têtes ou encore un petite extinction de voix… C’est pourquoi tu ne dois surtout pas le prendre avant d’être rétablie à cent pour cent.

Même si ce petit cadeau ressemblait à une expérience farfelue à première vue, Ganryu savait de quoi il parlait. Il ne s’était pas étendu sur le sujet, mais il avait éprouvé les mêmes difficultés que celles qui bridaient la genin au regard solaire. Dans ses jeunes années à l’académie, il avait éprouvé de grandes difficultés à sentir le flux d’énergie qui parcourait son corps. Mishima Shoto, le maître de Ganryu, avait usé du même genre de stratagème pour le débloquer. Évidemment, la différence de carrure entre notre colosse et Zanashi devait être prise en compte. Mais il savait aussi que le dosage du comprimé restait trop léger pour la rendre malade. De plus, son but n’était pas de fournir une solution artificielle sur le long terme. Il offrait à Zanashi une porte d’entrée vers une nouvelle forme de compréhension de son énergie. Le reste ne dépendait que de sa persévérance et de son travail. C’est pourquoi, le ton de sa voix se fit sérieux quand il s’exprima :

- Cette drogue peut te permettre d’entrevoir le potentiel qui se cache en toi. En revanche, ça ne remplacera jamais les heures de travail. Mais disons que ça peut t’offrir un point de départ pour progresser. Le resté dépendra uniquement de toi.

Après s’être fagoté convenablement, s’assurant qu’il n’avait oublié, notre colosse fit un signe de la tête en direction des deux jeunes femmes. Même si cette rencontre l’avait intrigué, il ne fallait pas qu’il s’attarde plus longtemps dans les environs. Un rude entraînement au Mont Orochi attendait Ganryu avant de partir vers le nord-est, en direction de Jujou. Tandis qu’il s’apprêtait à quitter les terrains d’entraînements, il se retourna vers Zanashi et Reiichi :

- Tu peux aussi la garder pour une future mission. Qui sait-ça te sera peut être utile un jour ? En tout cas, si jamais vous voulez progresser en technique de combat au corps à corps, n’hésitez pas à faire appel à mes services. Il se trouve que je dois partir en mission de reconnaissance du coté de Jujou no Sato demain. Mais je me ferai un plaisir de vous aider à vous entraîner à mon retour.

Après s’être  légèrement incliné de l’avant en signe de politesse, Ganryu s’exclama d’une voix plus détendue :

- Sur ce, je vous souhaite un bon entraînement à toutes les deux !

Il s’éloigna ensuite avant de disparaître au coin de l’entrée qui marquait le début des terrains d’entraînements.