Le village de Seizan était autosuffisant sur pas mal de choses : Le fer, tiré des mines sous la commune, la nourriture cultivée sur les sommets et les hommes qui se passaient le flambeau de la protection des montagnes depuis des générations. J'étais de ces gens-là, enfin, mes parents avaient pris cette voie alors qu'ils n'étaient pas destinés à ça et j'avais continué comme si c'était mon destin.

Et si ça ne l'était pas ?

Assis sur une bûche qui servait de siège depuis, sans doute, quelques années, je regardais les troupeaux de chèvres déambuler sur les hauteurs du village mineur, à l'ombre des grands pics où je pouvais deviner les bâtiments de Seizan. Toyama était une localité qui ne payait pas de mine, mais qui subsistait comme une épine dans le pied des concentrateurs de l'armée... Ils ne voulaient pas la protection persistante de mon foyer et pourtant ils la recevaient, que cela leur plaise ou non. Des générations d'hommes et de femmes vivaient et mourraient proche d'un point central de la civilisation, tout en restant en isolement : Avec des animaux, leur lait et quelques plantes.
Loin du bruit de la foule et des bâtiments qui prenaient toutes la place, j'appréciais ce moment dans une campagne simple et... Efficace ? Cette façon de vivre, elle pouvait me plaire, au final. Soupirant, je regardais le berger se presser pour réunir ses demoiselles qui allaient passer au sceau. Sous le regard belliqueux d'un chien, les bêtes à cornes fuyaient l'humain, pour ensuite se laisser faire car le camarade canin attendait en embuscade. Un vrai maton qui voyait ce bétail comme des prisonniers qu'il fallait encadrer, avec quelques aboiements et une queue qui remuait.

J'étais chargé du transport d'un peu de lait et de quelques plantes pour les médecins de Seizan : Autosuffisant, oui, mais certaines choses tiraient plus du confort que de la survie propre. L'économie de la région n'était pas centralisée autour de cette petite bourgade, mais il fallait se dire qu'elle profitait quand même des petites commandes des habitants de mon patelin. Les deux pieds bien au sol, j'appréciais presque l'assise brutale alors que mon coude s'appuyait sur ma cuisse pour admirer le spectacle d'années de pratique pour tirer la ressource laitière des pis vagabondes. Peu contente, les dames au poil blanc faisaient de petits cris pour montrer leur désaccord, mais qu'importe puisque cette fois, comme les autres, le paysan allait gagner. Derrière moi, une vieille dame se trainait jusqu'à une pompe à eau pour tirer de quoi se laver ou bien pour nettoyer des couverts, je me retournais pour observer son manège : On avait l'eau courante, chez nous. Le mode de vie ici me déconcertait pas mal.
Elle vit bien vite que je la dévisageais, car elle me rendit mon regard, avant de continuer sa route : Je n'étais qu'un petit jeune de la ville, elle n'avait pas de temps à perdre pour moi. Le bandeau sur l'épaule, j'étais catalogué seizanjin et donc comme un intrus, un étranger... Un client, peut-être aussi, mais assis comme je l'étais, je n'allais pas consommer grand-chose. La nouvelle de ma venue uniquement pour surveiller le chariot avait dû passer dans toutes les chaumières : j'étais connu et reconnu.

Pas la peine de me parler, donc, j'étais de passage.

C'était dingue de se rendre compte comme la vie paysanne rendait les gens reconnaissables : Les bras, les jambes, le maintien de la tête ou du dos... Le travail manuel et la rudesse de quelques vies faisaient de quelqu'un un vrai cliché sur patte. Sans doute que de mon côté, je ressemblais bel et bien à un bourgeois. Revenant sur mon spectacle agricole, j'aperçus sur le passage de mes yeux une scène bien étrange : Quelqu'un qui ne ressemblait pas aux locaux. Il était grand, il était fort et il avait l'air presque... Belliqueux ? En tout cas, tout son corps sous ses vêtements démontrait un travail conséquent pour le développer, bien loin de la maigreur ou de la force grasse perçues dans les tabliers ou des chemises du coin.

"Un combattant ?" Je n'étais pourtant pas prévenu qu'un autre soldat devait me seconder... C'était donc un touriste ? Qu'est-ce qu'il venait faire ici ? Fronçant les sourcils, je le gardais en vue.

Même dans les montagnes isolées, il pouvait y avoir des problèmes.

Si le physique du bonhomme démontrait un développement corporel optimal, ses techniques martiales ne détonnaient pas : C'était parfaitement fantasque de voir ainsi ce cours de taijutsu au milieu d'un village civil. Ce type de spectacle, on pouvait le percevoir à Seizan, notamment dans la caserne où je pouvais de temps en temps passer pour dispenser un peu mon savoir en kenjutsu... Mais ici, entre les vieilles aigries et les chèvres, c'était... Étrange.

En tout cas, cela faisait tache.

Ainsi, je m'étais entièrement retourné pour constater toute l'ampleur de la chose et il m'avait remarqué comme moi, je l'avais vu : Chacun savait que l'autre n'avait rien à foutre là et pourtant, on y était. En même temps. Une sacrée coïncidence qui fut confirmée avec son pas décidé vers moi. Je suivais son avancement avec beaucoup d'intérêt. Sa taille était assez haute, peut-être autant que Ganryu, et mon camarade du jour n'avait rien à envier avec le colosse juunin. Un vrai bœuf, qui se planta devant moi, suivis de quelques marmots fumant d'effort sous le léger froid de fin d'hiver : Les enfants adoraient la nouveauté et surtout de pouvoir approcher l'excellence martiale des soldats et autres artistes capable d'aligner deux coups de poings sans chanceler.
Le nouveau venu m'accosta donc rapidement pour vérifier si j'étais du village, perceptible à l'horizon par ses grands bâtiments et la montagne qui l'avoisinait. Pour toute réponse à cette question, je tapotais de l'index le signe de mon lien avec le village de l'index, comme pour souligner un peu bêtement : "Bravo champion, tu sais utiliser tes yeux." Seulement, il ajouta son nom et je fus bien obligé de répondre verbalement, vu que je n'avais pas mon appellation présentée sur mon vêtement... Comme un ouvrier, ou un esclave.

- Enchanté, je m'appelle Kunao. Les petits me dévisageaient, c'était noël pour eux d'avoir ainsi un combattant et un soldat le même jour... Des murmures s'organisaient déjà pour savoir qui était le plus fort, comme des paris, mais sans enjeu, juste le plaisir de s'imaginer un combat fictif.

Évidemment, avec sa dégaine de super-guerrier, il avait la faveur du public. Je me permis de sourire à l'attention avant de revenir sur mon interlocuteur.

- C'est bien ce que tu fais, d'occuper les enfants en leur apprenant un peu des mouvements. Bien pour quelle raison ? Je n'en savais trop rien, sans doute qu'ils étaient destinés à devenir des éleveurs ou des agriculteurs comme leurs parents. Rares étaient les jeunes de leur âge à s'enrôler dans l'armée.

De ce que j'avais compris, hors des murs des villages centraux, on détectait très vite les bébés capables de manifester du chakra de manière... Efficace ? Et on les prenait. Soit par la demande, jouant sur la gloire de la chose, soit par l'achat. Un vrai budget dans l'empire était alloué à la récupération des futurs combattants et un vrai marché, c'était créé, en parallèle, avec des bandits ou juste des profiteurs qui cherchaient avant tout le monde ces gamins-là pour les kidnapper et les revendre, histoire d'empocher eux-mêmes le gain. Je n'avais jamais eu à approcher ces raclures, mais une partie des civils, si, à priori.
L'idée, fugace, que ce type faisait partie de ces connards de voleur me passa dans la tête, mais vu comment les enfants l'appréciaient, il n'y avait là que de la bienveillance spartiate. Pour autant...

- Tu as repéré quelques futurs soldats dans le lot ? Revenant sur le public, enjoué devant la discussion, je fis un petit clin d'œil pour m'attirer les faveurs des plus ambitieux péquenauds. Certains se débrouillent bien, pour les coups de poings... Qu'en est-il des pieds ? Ricanant, je me levais pour étirer un peu le bas du corps trop peu sollicité avec l'assise. Et toi ? Quel métier fais-tu ?

Mercenaire, sans doute, on ne gagnait pas sa vie en proposant des cours de taijutsu à des petits paysans...

Pour un homme qui était venu vers moi pour me parler, il paraissait bien distant : Devant ma question presque innocente sur la présence de futurs soldats, il avait esquivé la question. Pourtant, dans ma demande, je ne cherchais qu'à gonfler l'égo des petits paysans qui déja, dans le dos du guerrier, râlaient en avançant leurs grands atouts : Des bras longs et forts, une tête bien remplis et, pour certains, un cri de guerre préparé depuis des lustres ! Dans ce brouhaha, il restait un silence pesant entre nous deux. Il se méfiait de moi ?
Ma question sur l'emploi de l'homme qui était bien loin d'être un commerçant ou un paysan amena une réponse évasive, quoique ... Une valeur fondamentale raisonnait dans tout ça : La liberté, le fait de ne pas être "piégé" dans une activité, ou sous la férule d'une organisation ou d'un homme. S'il y avait un message caché, je ne le percevais pas : Quel déserteur irait sous-ligner son destin devant un membre de l'armée impériale ? Ainsi, bien loin de l'idée d'avoir un fuyard sous les yeux, je me disais que c'était un vagabond comme un autre. Un peu excentrique, toutefois.

- Je vois. J'ai travaillé avec des mercenaires récemment, c'est un travail que tu as dû faire aussi vu ta technique ! En tout cas, je salue votre initiative. Un nouveau clin d'œil aux mioches qui assistaient à tout. J'aurais bien aimé avoir une présentation, mais vous êtes en pause ! Quel dommage... Aussitôt, une ribambelle de tête brune et blonde se jetaient devant le vagabond pour me proposer de me montrer ce qu'ils avaient appris.

C'était sommaire, des pieds bien posés aux sols, mais des coups de poings trop lents et peu puissants : C'était normal vu leur âge, mais je m'accroupis pour voir de plus près ce lot de paysans qui se croyaient soldats. Souriant, je suivais les mouvements d'une manière concentrée, jusqu'à faire semblant de tomber en faisant mine d'avoir été poussé par la puissance dégagée par le coup. Le coupable fut choqué, avant que je ne rigole, bien content de la petite blague que j'avais faite !
L'assistance me suivit dans la petite hilarité, avant que je ne me relève en époussetant la petite poussière qui avait pris sur mon pantalon. Présentant ma main, je voulais faire remporter au petit la palme du grand gagnant du concours de pousse-pousse ! À la manière d'un sportif, dans un sport de combat, il se retrouva le bras tendu en l'air devant les applaudissements moqueurs du reste de ses copains.

Allait-il s'en souvenir, plus vieux ? J'espérais.

Revenant sur l'instructeur de cette brochette, je lui souris également en déclarant :

- Effectivement, tu leur as bien appris les coups de poings ! Croisant les bras, je réfléchis quelques instants. J'ai toujours privilégié le kenjutsu, l'art de la lame... J'avais précisé pour les petits qui ne savaient pas. C'est récemment que j'ai un peu travaillé mon taijutsu, car on n'a pas toujours le choix. Sans ma lame, je n'étais pas grand-chose. Un peu désolé de cette constatation, je me ressaisissais vite : Tu as peut-être des choses à m'apprendre, c'est même sûr en fait. Adoptant une posture détendue, les bras derrière la nuque, je proposais alors : Et si je participais à ton cours sur les coups de pieds ? Je dois attendre que le lait soit rassemblé pour ensuite surveiller son transport, donc j'ai du temps... Pas mal de temps, en fait. Regardant la réaction du monsieur, je me dis alors que peut-être, il ne voulait... Je lui laissais alors une porte de sortie : Enfin, si tu veux bien sûr.

Les petits criaient de joie devant leur nouveau copain qui allait rejoindre la fête, mais rien n'était fait encore : Si le public était conquis, puisque facilement admiratif, l'enseignant paraissait plus méfiant de moi alors qu'il n'y avait aucune raison. On avait confiance dans les soldats de l'Empire, non ?

Non ?

À mon vingtième coup de pied, je posais ma jambe à terre, un peu fatigué par l'effort : Ryuuza était un professeur sévère, mais juste. Son taijutsu était solide, bien solide, et la technique qu'il enseignait aux petits de Toyama relevait d'un vrai monitorat plutôt que juste balancer ses bras et ses jambes n'importe comment. Les enfants faisaient des progrès stupéfiants, je voyais des gamins un peu gauche se métamorphosais sous la répétition et l'œil analytique du bonhomme. Pour autant, il n'était pas une armoire à glace intimidante pour eux puisqu'il avait ce petit rien qui les poussait à s'améliorer pour lui plaire, pour lui faire plaisir, pour être digne... Je ne savais trop.
En tout cas, après notre échange, il ne m'avait pas jeté un regard... Peut-être qu'il cherchait à me faire chanceler devant son indifférence ? Qu'importe, je prenais ces leçons comme elles étaient, même si elles étaient tournées vers les petits du village civil. C'était mon statut de soldat qui l'avait amené à ainsi me tourner le dos ? Refermant sa coquille alors qu'il l'ouvrait si facilement avec d'autres ? Je n'en savais trop rien, mais tant pis.

Ma mission était de rapporter du lait de chèvre, mais d'enquêter sur un parfait étranger.

Faisant une pause bien méritée, je vis les petits piailler quand l'un des leurs réussis à faire un enchainement précis et redoutable, le genre de chose qui pouvait amener un combat à son terme très vite : Une succession de coup de pied sur plusieurs zones, jambes, bassin et visage, sans jamais reposer le pied par terre... Quelque chose de puissant, demandant une défense particulière, et donc impossible pour un combattant lambda non entrainé au taijutsu. Même moi, qui avait les bases, je pouvais avoir du mal à me défendre face à ceci, si un adulte me faisait subir cette terrible attaque. "Heureusement que c'est un enfant." Soupirant, je levais les yeux au ciel pour capter un peu la course du soleil... Le temps passé, inexorable, et je suais devant l'effort. Une bonne heure était passée, voire plus, et depuis le temps la traite avait dû être faites.
Revenant sur la troupe hétéroclite, je les vis porter, triomphale, le petit guerrier qui avait fait de grands progrès. Souriant, fier sans avoir rien fait de la petite société, je regardais la réaction du professeur. Lui aussi, il était content de ses élèves ? Sans doute et ce lien, ténu, face à la nouvelle génération me fit un peu chaud au cœur. Il était froid, mais il tenait au futur comme tout un chacun.

Ce n'était pas un mauvais homme.

Prenant congé sans rien dire, je partais vers un chariot qui se chargeait peu à peu de petits fût. Les secrets restaient ici, mais je conservais le nom et la silhouette de ce bonhomme rencontré, au cas où : Le futur allait nous dire si j'avais raison de m'en souvenir ou non.
Tapotant l'épaule du cochet, je m'asseyais à ses côtés en lui exprimant la volonté de partir : Tout était prêt, en fait il ne manquait que moi... "Toujours en retard."