Dans l'obscurité de mon atelier, les yeux posés sur un parchemin éclairé par la modeste lumière d'une chandelle, je constatai le papier encré comme on regarde un ennemi dans les yeux : Je cherchais une faiblesse, non pas dans la structure qui se voulait sans défaut, mais bien dans le fond de l'affaire. Je menais une entreprise terrible puisque quasiment suicidaire si je n'arrivais pas à tirer mon épingle du jeu : Infiltrer la brigade d'interrogation.
Pour un jashiniste, c'était presque comme foncer dans un piège à loup géant qui n'attendait que ma nuque pour se refermer... Je regardais, manifestement stoïque, les lettres déposaient comme une promesse, alors que dans mon esprit, j'essayais de trouver toutes les failles possibles dans mon plan.

Il y en avait beaucoup.

Pour me calmer, j'utilisais mon sonar pour découvrir si quelque me surveillait : Évidemment que non, mais cela me permettait de me rassurer sur le danger qui m'entourait... Alors que je comptais alourdir encore plus l'équation avec cette nouvelle épreuve pour ma brave couverture de juunin de Jujou No Sato. Respirant un peu trop fort que je ne le voulais, trahissant mon stress et ma peur, je relisais encore une fois la lettre manuscrite :



La mention du scandale de la fuite de ce couard de médecin pouvait me desservir, mais le chef du village n'ignorait rien de la situation de ses hommes et jouer carte sur table ne pouvait que prouver mon intention de racheter les péchés du père, vil personnage, qui avait mis dans le déshonneur les pauvres jeunes ninjas qu'étaient ses enfants à cette époque.



Il connaissait ma position, mais montrer que j'avais des capacités et que je souhaitais apprendre tout en étant en capacité de le faire vite grâce à mes fonctions cérébrales ne pouvait que rassurer la décision.  La brigade avait des places limitées qu'il fallait mériter puisque peu de personnes avaient les talents pour en faire partie. Mais moi, je les avais... Je le savais, et je me devais de correspondre au profil pour pouvoir noyauter le système et être le plus incognito possible. Un objectif à haut risque, c'était certain, mais avec des bénéfices énormes si j'y arrivais...



Un message simple, presque trop simple, mais j'imaginais assez mal un candidat pour cette position se perdre en figure de style : Le secret se murait dans le manque de textes, de voix, comme le fuinjutsu apposé sur les langues pour clore certains sujets. Ma religion pouvait devenir un gros handicap, surtout avec les signes révélateurs sur mon corps, alors je dénudai mon bras droit bien à l'écart du blanc pur de la lettre pour m'entailler l'épaule sur l'endroit où résidai le triangle pourvu d'un cercle qui montrait aux yeux du monde que j'étais un criminel. Le sang gicla sur le sol, mais je n'en avais cure puisque j'avais les yeux rivés sur le signe de ralliement qui partait dans le carmin sanguin et la chair déchirée.
Une blessure en mission pouvait dissimuler bien des choses, j'espérais que cela allait passer : Une fois la lettre transmise par voie postale, je pouvais être surveillé à tout instant pour vérifier tout sur moi. On ne confiait pas les hautes strates du secret d'État à n'importe qui...

Une entreprise dangereuse, suicidaire, où une seule erreur pouvait m'amener à être exécuté.

Peu après avoir posté cette lettre, j'avais repris le fil de ma vie : Mais que faisait Jun'Ichiro de son temps libre ? Eh bien, il n'étranglait pas les chatons au grand dam des inquisiteurs, mais il travaillait sur des prototypes de marionnettes.

Si je n'utilisais pour l'instant que le Piquant, mon atelier était rempli de projet en cours, ou bien terminé, mais trop imparfait pour être utilisé... L'intelligence était un don qui se mariait mal avec le perfectionnisme. Tout me semblait trop laid, ou lent, ou faible pour que je daigne l'utiliser dans une mission où ma vie et celle de mon frère sont en jeu. Alors, je cherchais des solutions : Résoudre des problémes, c'était un moyen facile et rapide de passer ses journées. Quelques coups de tournevis, un meilleur positionnement des outils ou des armes et le tout gagnait en vitesse d'utilisateur ou un légéreté... Seulement, ce n'était toujours pas assez. Il me fallait un schéma d'utilisation, un plan plus grand que la seule existence de ce bout de bois : Ma marionnette de Mission avait un but simple, mais qu'elle remplissait à la perfection.

Créer des failles dans la défense pour que Shinjin puisse frapper : La queue du scorpion devait traquer et affaiblir le corps, alors que les bombes flashs ou incendiaires devaient le diriger là où je le voulais. J'avais ajouté sans vergogne des filets et de quoi enchainer la proie pour la capture, mais c'était surtout pour faire gagner quelques secondes au katana de l'autre juunin. L'attaque simple n'était pas nécessaire, de quoi stopper ou ralentir suffisait à remplir mon rôle. Pour autant, il me fallait peut-être une marionnette d'attaque, la défense étant superflu vu que j'avais déjà un bouclier humain et un pantin pour occuper la proie.
Ainsi, je planchais ce jour-là sur le prototype de ma nouvelle arme effective : Mujaki, un pantin rapide qui prenait la forme d'un pré-adolescent pour attaquer avec ses lames dans les bras et autres joyeusetés que je listais dans mon esprit, partant du principe que noter c'était perdre du temps. J'avais alors récupéré du bois et des métaux pour concevoir l'enveloppe et, penché au-dessus des entrailles vides, de ce corps presque humain, j'ajoutai quelques mécanismes pour répondre efficacement aux stimuli de mes fils de chakra. Un travail sinistre pour quelqu'un de peu habitué, mais qui pour moi était vraiment... Vivifiant ? L'esprit concentré, le visage stoïque, je pouvais passer des heures penchées à suer un peu dans la chaleur de l'établi, dans le noir, uniquement troublé par la lampe au-dessus de moi pour que je puisse voir quelque chose. Je n'avais pas encore de quoi me passer de l'éclairage lambda et le sonar n'était pas utile pour ce type de travaux.

J'avais vu passer dans le laboratoire de Seizan des yeux nyctalope et, pour le coup, ce choix aurait été efficace et économique en cire de bougie.

La plaie pour camoufler mon signe cicatrisé à peine et je ressentais une vague gène quand je bougeais le bras, mais qu'importe : je pensais à autre chose en créant. L'art, c'était aussi une question d'efficacité ? Je ne me voyais pas comme un artiste, mes créations avaient une vraie utilité pratique et non esthétique. Je ne percevais pas le scorpion, ou ce nouveau jouet, comme des œuvres spécialement belle. J'avais besoin d'une arme assez grosse pour attirer l'attention, alors Tsurai était devenu un insecte agressif... Il me fallait une forme rapide pour me faufiler et frapper, l'idée d'un jeune garçon, ou une jeune fille ? Avait éclos sans demander mon avis. Stoppant mon geste, je relevais les yeux vers le pseudo-torse de l'arme.  

- Non, rajouter de la poitrine ne servirait à rien... "À part si je mets des armes à l'intérieur ?"

La main en hauteur, préparant une couche de silicone pour créer de fausses formes contenant les artifices guerriers, le tout fut annulé par un bruit parasite à la porte de mon atelier. Concentré, j'attendis un bref instant pour voir si c'était une erreur, mais l'émission de mon nom d'une voix inconnu m'amena à penser que j'étais bel et bien la cible de cet imprévu.

Je n'aimais pas l'imprévu.

Non pas que je laissais trainer quelque chose de compromettant, mais le corps avait une date de péremption et tout temps perdu dans des futilités comme ses commerciales qui faisaient du porte-à-porte raccourcissait les instants utiles pour mes projets, autant à court qu'à long terme. De plus, la surprise pouvait être source de danger... Pour autant, l'ermitage rendait suspect et je posais sur la table mon outil pour me diriger vers l'entrée du local que j'occupais... Une location toute simple, me permettant d'entreposer tout ce que j'avais besoin. Décollant du siège où j'étais confortablement installé, puisque je devais rester assez longtemps dans la même position, je fus tenté toutefois d'user d'un de mes nouveaux talents pour vérifier : Je n'avais aucun piège dans la pièce, puisque je ne dissimulais rien de fâcheux, mais on était toujours surpris de manière négative si on ne s'attendait pas aux problèmes. Observant la porte, j'envoyais des ondes en avant pour chercher le moindre problème, mais à part des objets devant moi et le mur, rien ne semblait dysfonctionnel... Les ténèbres n'étaient ainsi le refuge que de ma propre paranoïa.

Bloqué ainsi dans un refuge solide, je fis les premiers pas pour ouvrir et laisser entrer la lumière naturelle dans l'antre de l'obscurité. Devant moi, une dame de taille moyenne et brune, rien de bien particulier à noter... Qu'est-ce qu'elle venait faire ici ? Lorgnant un instant sans rien dire, j'attendais qu'elle s'annonce. Sans bruit, je diffusais les mêmes ondes, mais cette fois l'ouverture me révélait enfin la présence de quelqu'un, que je voyais bien avec mes seuls yeux. Je prenais pleinement conscience de cet outil, et de ses limites.

- Hmm. Je grommelais, bien frustré d'être arrêté en si bon chemin. C'est pour quoi ? Dans l'enceinte de Jujou No Sato, je n'avais rien à craindre, sauf d'être interrompu dans mes travaux.

Derrière moi, dans la zone que pouvait rechercher la vraie Chinone, elle pouvait trouver nombre de pantins laissés à l'abandon, car inutile ou imparfait, ainsi que des membres sans rien pour s'attacher qui devaient aller à Tsurai sans que je ne trouve de réels intérêts à le disposer sur le scorpion déjà bien membré. Enfin, dans un coin, une caisse qui contenait des boulons et des clous pour associer tout cela ensemble et quelques accessoires textiles ou capillaires pour "habiller" la chose : La marionnette qui trônait sur la table était ainsi blonde, avec une perruque tirée de cet endroit.

Encore rien de vraiment incriminant... Sauf du mauvais gout.

- Je n'attendais rien de moi de la brigade d'information. Le visage neutre, je ressentais néanmoins une petite appréhension : Venir ainsi directement me voir, après ma lettre, démontrait soit d'une confiance absolue, soit que quelque chose se tramait. Vous en savez sans doute déjà long sur moi et mes activités.

C'était l'interrogation absolue : Ces tests, quels étaient-ils ? La préparation n'était plus à l'ordre du jour, si ce que je faisais était un jeu alors, j'étais tombé en plein dans la partie : La dame devant moi semblé lambda, mais avec les révélations, elle prenait une aura bien macabre, secrète et mystérieuse. Réfléchissant un instant sur ce que je pouvais dire, ou devais dire, toute fois, je regardais autour de nous la présence de quelques assaillants, ou espions : Les ondes, toujours les ondes, mais aucun secret en présence devant moi, à gauche ou à droite.
J'avais supprimé ma preuve de ma liaison avec le jashinisme et c'était bien la seule chose qui me faisait peur : Quel autre sale petit secret, je pouvais dissimuler ? Guère plus que ce qui était déjà au grand jour. Mon père était un déserteur, et la lumière avait été sur moi trop tôt, et trop fort. J'avais adopté donc bien à temps la posture du soldat modèle, ni trop discret, ni trop extravagant durant les missions pour ne prouver que mon efficacité.

- Je serai donc présent demain, en fin d'après-midi, je suis ravi que m'a demande fut retenue, même si ce n'est juste que pour des tests. Seulement, cette phrase sur ma conscience ou non des épreuves qu'on allait me soumettre me mit la puce à l'oreille. Elles avaient sans doute déjà commencé. Dois-je venir avec des outils ou un objet particulier ? Oh... J'ai dû rater le moment où vous m'avez donné votre prénom, quel est-il ? Je n'imaginais guère le jeu de la métamorphose et donc je cherchais à connaitre mon interlocutrice, vu que c'était mon premier contact avec la brigade de l'information suprême. Me pressant sur le côté, je fis un geste pour montrer l'intérieur : Vide, évidemment, et lui indiquer de s'avancer. Entrez, si vous le voulez, je dois avoir du thé à faire infuser entre deux clés à laine.

C'était sans doute vrai, même si je ne buvais guère durant mes heures dans le local : Shinjin avait dû glisser quelques bières, ou du saké, sur mes étagères pour en faire un endroit de stockage pour sa propre consommation. Je ne perçus pas du tout la présence du ninja dans mon local et pour moi la seule personne en présence était donc la jeune dame devant moi.

Rester serein, gentil et honnête... C'était ma meilleure chance. Je n'avais rien à cacher et j'étais juste un patriote : Un bon rôle.