L’aventure en forêt m’a particulièrement bouleversé, si bien que j’ai passé les derniers jours à m’éclipser, garder mon esprit ailleurs. Je ne peux me chasser de la tête l’idée que j’ai été particulièrement chanceux, malgré l’attaque que mon groupe a eu à subir. L’état de Kokusen n’était pas super, mais je n’ai pas osé passer le voir depuis ce qui s’est passé. Pas de nouvelles de Ruka, et Mû… je ne sais pas expliquer ce qui lui est arrivé, ce que j’ai vu.

Est-ce qu’il a été marqué, est-ce qu’il cache des traces de la rencontre avec les Sarugami sous son masque? J’ai beau y penser, je n’ai aucune idée de ce qui s’est réellement passé, et de l’importance de ce moment. Tout ce que je trouve à faire, c’est passer mes journées à la clairière de l’ardeur, à regarder les jeunes pousses pratiquer leurs enchaînements de coups pour apprendre à combattre. Passer du temps, ce qui s'est passé, passer par-ci, passer par là... j'ai l'irritente sensation que tout autour de moi est passif, volatile. J'ai comme l'impression que tout se glisse sous mon nez depuis que je suis revenu, et que rien de ce que je pourrais faire aurait d'importance.

Parfois, je joue tranquillement un peu de musique – du guqin, un instrument d’ailleurs que ma famille affectionne particulièrement – pour détendre l’ambiance de la clairière et me donner de quoi me vider l’esprit, sortir de ma tête toutes les questions sans réponse. À l’occasion, j’en profite pour méditer, peut-être perfectionner un peu mon emploi du chakra de temps en temps, mais… mes journées se ressemblent de plus en plus, sans rien de spécial.

Le plus spécial, c’est quand je mange et que j’ai une cuillère dans la main; je me sens comme observé, comme si elle pourrait me sauter au visage à tout moment. Puis je l’observe, chuchotant que je peux la briser à n’importe quel moment.

Mais pour l’instant, le vent danse et la musique se lève tranquillement; assis sur une grande pierre, je joue en écoutant au loin les petits s’entraîner. Et j’attends que l’ennui passe, que la panique intérieure décide de quitter, et que la paix revienne. «…»

Enfin, un moment de tranquillité, dans lequel je peux m’immerser et ne penser à rien d’autre… Je sens mon propre flux vital m’entourer, se parer de mille couleurs et se laisser porter par quelques notes de musique. Les derniers mois ont été éprouvants, j’ai beaucoup bougé, c’est maintenant le temps de relaxer. Les songes s'éloignent du campement, de l'affrontement, de la réalité qu'est devenue l'endroit qu'on appelle la forêt des cendres... Heureusement que je n'ai pas pu m'aventurer plus loin dans la forêt.

Le joli jeune homme des vents rouges part à la rencontre de l’être vivant au coeur des montagnes bleues. Rares sont ceux qui, d’une telle manière, savent laisser parler librement les couleurs – qui, pour ne pas sembler trop impertinent, sont d’ailleurs vite rangées. Ceux à avoir dansé sur ces notes se comptent sur les doigts d’une main; tant elle est appréciable, tant cette mélopée muette se sait secrète. Tout autant que cette valse innomable qui semble venir de talons ayant foulé le sol et la lande d’endroits plus exotiques que la Cîme.

N’en reste pas moins que je suis content d’avoir un visiteur, quelqu’un qui semble apte à m’écouter et à comprendre la tragédie qui se cache derrière ces quelques cordes qui relient l’imaginaire et le monde matériel. «Je suis content d’avoir un peu de visite. Au passage, vous dansez très bien!» Étant adepte des pas plus traditionnels, je sais remarquer la différence de ses mouvements, qui sont malgré tout particulièrement égayants. Plus vifs, plus libres aussi.

«Je m’appelle Ao Yamanaka. Ces derniers jours n’ont pas été des plus plaisants; pour me vider un peu l’esprit, je viens ici jouer un peu de musique venant de ma famille.» Une famille qu’on a tenté de ravager par le feu, par jalousie et par peur, juste parce qu’elle savait garder avec elle un esprit Secret. Ignoble.

J’en doute, mais peut-être est-il au courant de ce qui m’est arrivé il y a déjà une vingtaine d’années? Le monde est plus petit qu’on ne le croit.

«Pour tout dire, c’est l’une des seules choses qui me permet de garder mon calme depuis… je ne saurais même pas dire… » Un soupire, des mots qui ne viennent pas comme ils le devraient. «… Depuis ce qui s’est passé dans le nord de la forêt de l’étrange?» En disant ça, un petit sourire en coin me vient; elle porte bien son nom, pour le coup.

Enfin.

Je me demande quand même quel bon vent l’amène… sans mauvaise blague ou jeu de mot foireux. Posant mon instrument à ma gauche, j’invite le nouvel arrivant à me rejoindre en lui faisant signe du revers de la main. Autrement, je sors des pans de mon kimono une coupe à thé – une seule, tristement – et une gourde. «Ce n’est pas grand-chose, mais il me ferait plaisir de partager si tu as un moment.» Une infusion froide d’orange sanguine et de fleur d’aconit; un thé froid doux-amer. S’il en veut, je me servirai une coupe et lui laisserai le loisir de prendre le reste de la gourde.

«C’est possible. En tout cas, savoir qu’il y a au moins une autre personne qui me ressemble me rassure.» L’idée de ne pas être fou, d’être à la fois possible et valide; c’est loin d’être évident à trouver. J’ai moi-même arrêté de chercher il y a des années, me disant que vivre à ma façon suffirait à trouver une place qui me conviendrait – ou plutôt à ce qu’elle me trouve.

Assis ainsi sur la pierre, à contempler un être qui dans un autre univers aurait pu être à ma place, m’apporte une certaine humilité. «C’est la seule chose que je peux faire, quand même, être humain; ma famille ne vient pas complètement d’ici, j’ai vécu mon enfance dans les montagnes du fer à essayer de devenir un homme, une machine bonne à servir et défendre des traditions qui n’apportent rien.» Aucune complainte, juste un fait.

Un peu de thé pour que la vérité soit plus facile à avaler, puis je reprends.

Lié au destin du samourai, j’ai su briser les chaînes de fer qui voulaient me retenir, et il n’est pas question qu’on m’attache ainsi une seconde fois; j’ai assez vécu sur un long et unique souffle qui s’étire, je ne compte pas laisser ça se reproduire. «J’ai trouvé un endroit qui me plaît, et après ce que j’ai vécu je le défendrai. Pas en tant qu’homme. Pas en tant que femme. L’esprit humain est bien plus qu’une mesure du corps; je ne sais pas si c’est la même chose pour toi, mais sache que ta façon de voir est vraiment honorable. Je suis d’accord; la vie d’un shinobi ne peut pas se résumer qu’à donner la mort et oeuvrer dans l’ombre…»

Je couvre ma bouche un instant, un léger pincement au coeur me vient et je repense à la fameuse fois où la Froideur Écarlate s’est retrouvée en plein cauchemar. Je tourne la tête vers l’horizon, incapable de suivre et d’admettre à cette atrocité en regardant Akahiko dans les yeux. «Ma collègue, par exemple, a enduré beaucoup pour devenir la kunoichi de renom qu’elle est aujourd’hui; je n’ai pas pitié d’elle, mais je ne peux pas cacher qu’une part de moi reste peinée quand je repense à ce qu’elle a enduré. Ça va paraître bizarre, mais c’est pour ça que j’accepte d’être comme je suis; j’admire la force de ceux qui, comme elle et toi-même de ce que j’en comprends, acceptent le pire. Nous sommes un tout : on m’offre un endroit où je peux m’exprimer, alors je refuse de gaspiller la seconde chance qu’on m’a donné. Certains me jugent, certes; la plupart se rendent compte que j’existe au-delà des apparences, de la même façon que toi.»

Le regard finit par revenir, croiser le sien. Je suis fier d’être shinobi, des talents que je cultive, autant que je suis fier de la personne qui se trouve en face de moi. «Quand j’étais jeune, on a brûlé ma maison et ma famille a quitté Seizan. Elle est venue ici pour retrouver le peu de parenté qu’il restait; la culture de Jujou est beaucoup plus ouverte, j’ai appris à ne pas avoir honte de mon apparence et que les attentes qu’on avait pour moi avant ne valent pas mon bonheur ou celui des gens que je choisis d’aimer aujourd’hui.»

J’aime Hotaru. J’aime Maho. J’aime Kirei. J’aime Naoko. J’aime Shizuka. J’aime Chinone. J’aime Rei et Yui. La réalité ne s’efface et ne se cache pas; j’aime mon monde et je continue de le constuire à chaque instant. Un sourire renait; «Je me retrouve dans chaque personne que je côtoie et rien ne me fait plus plaisir que de comprendre ceux qui m’entourent. Sache-le; si jamais tu as besoin d’un endroit et d’un moment pour souffler, il te suffit de me trouver.» Sans le savoir, l’âme rouge était exactement ce qu’il me fallait pour sortir de ma torpeur, pour me rappeler de pourquoi je me lève à tous les matins.

L’homme, avant d’être un corps, est un esprit, une conscience; je vis pour comprendre ce qui fait que l’esprit est autre chose qu’un vide relatif. Qu’est-ce qui anime le corps? Qu’est-ce qui fait réagir quelqu’un? Comment puis-je rendre ma musique plus douce, nourrir mon humanité et à la fois cultiver celle des autres?

«Je pourrai te partager une musique qui saura te faire danser et mettre de côté ce sentiment de malaise et d’inconfort. Puis, je n’en doute pas, j’apprendrai à mieux danser aussi!» Un petit rire s’échappe; ça me permettra de rattraper Maho et de l’impressionner un peu, quand il passera.

«Encore une fois c’est peu, mais ça me fait plaisir.» Je ne joue pas souvent, et encore moins pour les gens; les sons de cet instrument s’alignent et se délient en de rares occasions, quand ma famille vient à fêter un évènement plus qu’autrement.

J’ajuste un instant mes cordages pour que mon guqin se trouve une nouvelle vie; ce qu’il y a de beau avec la musique, c’est qu’elle est capable de se transformer de la même manière que l’homme, lui qui l’a inventée. De la même façon que moi, cet instrument est capable de jouer une infinité de fois, et de toujours trouver un nouveau message à faire passer.

«Si tu as envie de danser tu peux bien, mais ce n’est pas la musique la plus évidente pour le faire…» Je ne dis pas ça pour le décourager, mais comme il s’agit de musique douce… ma famille n’a pas comme habitude de danser dessus. Je reste quand même prêt à voir s’il arrivera à trouver un moyen de bouger à son rythme.

Avant de commencer, j’essaie un petit quelque chose pour tester la détente de mes cordes.

… Juste un petit quelque chose. «Ce qu’il y a de bien avec les cordes, c’est que même une seule d’entre elle peut produire plein de sons différents.» En replaçant une mèche derrière mon oreille, un sourire tranquille passe sur mon visage. Mon dos fini par être moins redressé, signe que j’arrive finalement à me détendre un peu.

«…»

La musique peut emmener n’importe qui; guider n’importe quelle âme à un endroit seulement fait de beauté, où le temps n’existe pas. On a donné à l’humain d’infinis moyens de s’exprimer, c’est à lui de les développer; la musique est un lit pour l’esprit, dans lequel chacun peut se reposer et se réparer.

On a aussi découvert le chakra, une énergie vitale capable de rendre le monde meilleur, de servir à rendre la vie plus belle. Cette énergie qui s’écoule de mes doigts, sur mes fils; celle-là même qui s’envole et se disperse doucement tout autour. Peut-être que je m’en sers pour alimenter ma musique, la rendre un peu plus subtile et captivante, mais ça fait partie du spectacle.

Les notes s’élancent et valsent ensemble, mes yeux quittent mes cordes et se posent sur Akahiko; lentement mais sûrement, j’ouvre les portes de ma conscience pour le laisser entrer, essayer de lui donner un avant-goût du grand jardin Yamanaka caché près de Seizan. À la fois je m’amuse, à la fois je m’exerce pour voir jusqu’où mon esprit peut aller.

Capable de m’imaginer le grand jardin dans toute sa splendeur, aussi lumineux que la veille du jour où j’ai dû l’abandonner, j’essaie de voir si je peux lui montrer une petite partie de ce ravissant souvenir, de l’endroit d’où vient ma famille, à mon nouvel ami. Qu’il puisse apercevoir, même de loin, ces tendres instants qui me rappelent pourquoi je suis encore de ce monde aujourd’hui.

Boop:

Gardé dans ma cage en fer, j’ai eu beaucoup de temps pour apprendre. Pas que ça soit très facile, mais à force de pratique les notes viennent pratiquement toutes seules. À l’image d’une corde musicale, mes talents shinobi tendent vers mille et un usages et m’accompagnent au travers ma vie.

Devenir ninja m’a permis d’apprendre à m’exprimer, à me montrer plus à l’aise de partager ce jardin secret; je me sers souvent du monde qui danse dans mon esprit pour calmer les plus colériques, offrir un moment de paix à ceux qui se noient dans le désespoir.

La couleur de chaque fleur se veut vivante, vibrante. Tout autant, leurs détails sont flous, signe qu’on se trouve dans un souvenir et que mon esprit n’arrive pas à tout dévoiler; un souvenir ancien, comme peint sur une toile il y a de cela une bonne vingtaine d’années.

«C’est le jardin de ma famille, du temps où je vivais dans la province des montagnes; je n’ai pas l’habitude de pratiquer mes méthodes en tant qu’illusionniste, je voulais voir si la musique était un bon médium pour la transmission. Disons que c’était mon entrainement de la journée!» Je l’avoue, je suis plutôt fier de moi – j’ai rendu l’utile à l’agréable, et même si ce que j’ai employé est d’ordinaire une méthode plutôt agressive, je suis ravi de voir qu’il y a des applications plus subtiles et délicates.

Au travers des notes lentes, l’odeur d’une symphonie de fleurs et de bois s’étend, lacée par la chaleur de quelques rayons du soleil estival. Un temps bien précis de l’année, donc. J’ai beau finir par déposer mon instrument dans l’herbage, la musique continue doucement de faire son travail. «C’est sans risque, ne t’en fais pas; j’ai l’habitude et je n’abuse pas. Si tu veux, je peux te montrer quelques choses, ça me ferait plaisir de te faire faire le tour.»

Rares sont ceux qui ont trouvé le jardin réel depuis qu’il a été rasé, mais suite à ma visite à Seizan je me suis rendu compte que la nature a repris son dû, et que quelques éléments bien précis ont repoussé. Alors que j’accompagne Akahiko dans un coin du jardin, je remarque moi-même que certains plants sont beaucoup plus détaillés, signe que je me souviens bien d’eux.

Le plus évident est le bosquet d’aconit, ou napel. Une fleur bleue, de la même teinte que moi; «L’aconit; une plante spéciale qui sert beaucoup. On peut extraire la couleur des pétales pour faire de la teinture. Les racines sont vénéneuses et peuvent facilement tuer un homme. Les tiges servent pour faire des remèdes.»

En tassant doucement d’une main les branchages, une stèle se révèle au sol, avec quelques mots gravés dessus. «Nous avons peint ces lieux d’aconit en l’honneur de l’esprit des montagnes bleues. Qu’il marche à jamais à nos côtés, que l’on puisse tous jouir des richesses de la nature.»

Tournant de nouveau le regard vers mon visiteur, je lui explique que «ce qui a forcé ma famille à quitter Seizan, c’est justement ça.» Ma voix se révèle encore un peu pincée; je n’ai peut-être pas encore complètement digéré ce geste. «L’esprit des montagnes bleues est très spécial, quelque chose qui se rapproche du folklore et des mythes. La maison Yamanaka était à une époque particulièrement prestigieuse.» La vérité étant que ma famille a pactisé avec un Yokai et lui a offert asile… je ne peux pas vraiment l’admettre aussi simplement. «Au fil du temps et après plusieurs générations, les gens ont finit par croire qu’une force maligne, un kitsune, habitait chez nous et oeuvrait à notre réussite en apportant ruine aux autres.»

Un moment de silence, la musique se fait plus lente.

«Je t’avoue que si ça avait été le cas, ça ne m’aurait probablement pas dérangé; en voyageant à Toge, j’ai appris qu’il existe des gens habités par des esprits-renards. L’ouverture d’esprit de ceux qui viennent du temple de la Lune m’impressionne, et depuis je n’arrête pas de me dire que si j’étais né là-bas, que ma famille y venait, on aurait jamais été chassés. Puis… j’ai vu un kitsune à jujou lors d’un festival; il ne m’a pas semblé mauvais. Je trouve triste que beaucoup de gens aient encore une aversion systématique des yokai et de ceux qui sont différents. Je me dis qu’un jour, je trouverai un moyen de changer ça.»

La musique reprend du rythme et se cache bien moins. Je suis certain qu’un jour, mon esprit sera entendu, que je trouverai la clé pour déverouiller tous les secrets de la conscience humaine.

Preuve de mon ignorance et de mon inculture; mon avis sur la religion m’a mené à ignorer ce fait. Je réponds que «c’est aussi ce que je pense; le kitsune est une forme pure de dualité et d’ambivalence. J’avoue ne pas tout savoir, mais j’essaie de me montrer plus ouvert; je ne suis pas vraiment d’accord avec l’idée de chasser des créatures qui pourraient se montrer neutres, voire amicales dans certains cas…» S’il savait.

Il faudra que je m’informe un peu plus sur inari, et que j’essaie de voir si le Secret a un lien avec ces croyances; on ne sait jamais.

Laissant doucement retomber les ronces sur la plaque cachée, je m’assure de bien comprendre la suite du discours d’Akahiko, et je me révèle une nouvelle fois d’accord : «c’est bien ce qui m’inquiète le plus… le fameux "c’est bien si c’est utile". Si la connaissance et l’intelligence peuvent se développer, c’est facile de les teinter de jugement.» Il tient au dessus de sa main une fleur bleue; d’une paume la braise, de l’autre la bruine.

J’observe sa démonstration avec attention. Rares sont ceux qui savent aligner les éléments sans aligner les signes qui vont avec; de même, ceux qui pratiquent deux affinités aussi. Son statut se comprend déjà beaucoup mieux; de la même façon, "c’est bien si c’est utile" se montre une fois de plus le bout du nez. Tout autant, je cherche à me rendre utile, peut-être pour arriver au point où je pourrai décider du bien que je voudrai fonder.

Pourtant, je ne vois pas Akahiko à travers sa puissance ou son utilité. Ce que je vois, c’est cette dévotion à l’humanité et au sentimental, à ce qui est intuitif et interactif; une force en elle-même. Malheureusement, il m’enlève les mots de la bouche et je suis trop surpris – pas vraiment choqué, cela dit – pour trouver quoi répondre tout de suite.

Ce n’est pas pour rien que mes capacités ne sont pas physiques; je ne suis pas blessant. Je suis une menace qui ne se voit pas, un avertissement qu’il est possible de détruire, de terminer quelqu’un de façon bien plus dramatique que d’un coup de couteau dans le dos. À la fois, je suis ouverture et mansuétude; je manque cruellement de cette agressivité naturelle qui me permet d’être le parfait shinobi, capable de faire couler le sang de ses confrères.

Et je l’accepte.

Je souris, ses compliments viennent me chercher plus que de raison; c’est parfois ce qu’il faut entendre, un peu d’encouragement. Je laisse mon esprit déambuler un moment, les sons danser à travers la verdure. La chaleur du soleil caresse ces deux visages imaginaires, et la douce fumée de l’encens se délie, comme une brise venant de l’océan.

Mon dos finit par se redresser, mes épaules se détendent. C’est le moment de calme qu’il me fallait; que quelqu’un me dise que je ne suis pas horrible. «…Tu choisis ce qu’il y a en toi. Je ne peux pas promettre d’empêcher la mort, mais je suis prêt à jurer de t’aider à voir un monde uni et sans guerre. Si tu acceptes de résister à la rancoeur et à combattre ta tristesse, j’accepte de partager mon jardin avec toi. Tu es bien plus que ça; tu fais preuve de bien plus d’humanité que la plupart des gens que j’ai rencontré.»

Même si j’ai mes suspicions et mes réserves, je me vois amplement capable de lui faire confiance; «…Tu choisis ce qu’il y a en toi. Je ne peux pas promettre d’empêcher la mort, mais je suis prêt à jurer de t’aider à voir un monde uni et sans guerre. Si tu acceptes de résister à la rancoeur et à combattre ta tristesse, j’accepte de partager mon jardin avec toi. Tu es bien plus que ça; tu fais preuve de bien plus d’humanité que la plupart des gens que j’ai rencontré.» Les sentiments sont comme les couleurs; on ne peut pas passer une vie entière en une seule couleur, de la même façon qu’on ne peut pas survivre sans joie ou sans colère. «Tes sentiments sont forts, tes couleurs sont vives même si tu vis dans le noir; tu es mon égal, et je veux bien être ton ami. Si tu as besoin de soutien, je serai là.»

Hochant la tête, j’affirme à mon nouvel ami que «je comprends très bien ce que tu veux dire, et c’est beaucoup de courage d’accepter de changer et de se refaire. Ça prend du temps, mais je t’assure que ça viendra!» Les dieux ne me reviennent pas, mais je comprends moi-même parfaitement l’importance de l’acceptation de nos pairs.

Malheureusement, elle non plus ne nous revient pas toujours, même si l’humain vit plus de ça que de la présence de quelques idoles cachées au fin fond du monde. Il me regarde, et je souris; mes yeux se plissent aussi, signe d’une grande sincérité. Les gens ne se regardent pas assez dans les yeux, et oublient que le monde sait danser sur les pupilles de l’homme.

Je hoche à nouveau la tête; «je garderai ça pour moi, je te le promets.»

Des mots certains et clairs qui m’annoncent des évènements incertains, imprévus. À cet instant précis, mon esprit me crie de me souvenir de cette conversation que j’ai eue avec Kirei il y a quelques temps. C’est pratiquement, idée pour idée, ce que je lui avais dit.

Un frisson me passe bord en bord du dos; je n’ai jamais été aussi certain d’entendre la vérité sans même une toute petite preuve. Mon air serein tourne lentement mais sûrement à la surprise; les mots viennent tout seuls mais ne cherchent pas à le contredire. «Je… écoute. J’ai eu une conversation comme ça il y a peu de temps. J’en suis à penser que bientôt, les villages ne s’entendront plus ou que l’armée sera forcément scindée…» Surtout depuis l’ajout des moines dans ses rangs.

Comme je l’ai dit à Kirei, mon choix est déjà fait, et à moins d’éléments très convainquants, il ne risque pas de changer. Espérons juste que je ne tomberai pas dans le mauvais camp le moment venu. Ce n’est que quand il tire la langue que je finis par comprendre et je réalise que mes questions n’auraient pas pu trouver réponse, même si Akahiko aurait bien voulu me les offrir.

«Ah! Tu fais partie de la brigade.» L’air pensif, j’ajoute que «ça ne me sert à rien de poser trop de questions, dans ce cas… mais sache que je te crois. Je ne peux pas te promettre de faire le même choix, mais je te promets de garder tout ça secret. Si je finis par rejoindre la brigade, je serai curieux de savoir le reste de ce que tu as à dire.»

Peut-être que je comprends mal l’utilité du sceau, mais… Chinone fait déjà partie de l’escouade. On parlait, avant qu’on aille visiter l’Épine, que ça pourrait être une bonne idée que je tente de rejoindre l’unité. «À voir si j’en ai le talent, et des nerfs assez solides aussi. Sache que je te respecte et que je sais que ce n’est pas une position facile…»

… J’avais presque oublié où j’avais emmené mon ami; à force de trainer dans mon esprit, ça devient peut-être un peu trop naturel. «Pardon! Je t’avoue que parfois je me perds un peu.»

Le décor idyllique commence à fondre, l’infâme réalité le dissout. La chaleur des bons sentiments et du soleil d’été des montagnes sont remplacés avec une certaine lenteur par la fraîche de la fin d’hiver; au même moment, mes doigts finissent de se tendre et de danser. Le temps ne passe pas si vite dans le monde des pensées et des rêves, et ce qui y a été dit y restera.

Je dépose mon instrument, appuyant mes mains l’une contre l’autre pour étirer mes jointures. «C’était divertissant, tu ne trouves pas? En tout cas, je suis ravi d’avoir fait ta connaissance! Si ça te dit, j’ai quelques achats à faire; tu voudrais magasiner un peu?»

Je n’ai rien contre l’idée d’être accompagné, puis j’aimerais bien apprendre à le connaître un peu mieux. Autant joindre l’utile à l’agréable!