Rares étaient les occasions où le jeune aveugle s'autorisait à sortir du village, pour autre chose que pour une mission. Il aimait le confort des murs entre lesquels il avait grandi, il avait sa routine et, surtout, c'était dans ce village qu'il pouvait accomplir le plus de chose, alors pourquoi vouloir quitter son enceinte ? Mais aujourd'hui c'était différent. Aujourd'hui il avait une livraison à faire, et c'était pour un client suffisamment important pour qu'il ne souhaite déléguer cela à aucun messager de seconde zone. Bientôt il serait appelé pour une mission. Il le savait, il le sentait, mais pour l'heure le colosse s'extirpa des portes de Seizan, son sabre à la ceinture et un autre sabre dans sa main : la précieuse commande qu'il devait délivrer sans traîner. Il accéléra donc le pas et, au bout d'un moment, dans son empressement et son excitation de pouvoir retourner à sa forge, réalisait qu'il avait pris un détour et devait prendre quelques instants pour retrouver son chemin. Lui, perdu ? Non. Il l'avait été, jadis, mais plus maintenant. Pestant contre lui-même, pour cet empressement qui lui faisait désormais perdre du temps, Kyoshiro réalisa qu'il n'était pas tout seul, lorsque la voix d'une femme fut portée à ses oreilles.
Cette voix était douce et apaisante, à n'en pas douter, mais le jeune homme n'en restait pas moins amusé que quelqu'un lui demande de l'aider à retrouver son chemin. Un aveugle servant de chien d'aveugle...comment pouvait-il ne pas sourire, face à cette image ? Bon d'accord, il allait garder son commentaire sarcastique pour lui-même, pour le moment en tout cas. Au lieu de cela, il se présenta à la demoiselle en affirmant avec confiance :



Certes Seizan était derrière lui, mais il y avait un petit camp, bien plus proche, qui était justement le lieu où il devait remettre sa commande. Bien sûr si la demoiselle cherchait à aller à Seizan alors, après un tout petit crochet, il l'y amènerait bien volontiers, mais il ne pouvait décemment pas oublier la raison pour laquelle il était sorti, pour commencer. Elle n'avait pas besoin de le savoir, pas s'il pouvait agir sans rentrer dans les détails, en tout cas. Pour l'heure, il ne fut s'empêcher de sourire en voyant que, comme à chaque fois, la révélation de sa cécité était un sujet de surprise et de compassion...une compassion qu'il aurait bien aimé enfoncer dans les fondements de chaque personne le regardant avec pitié, mais il préférait se taire. Au lieu de cela, il se contenta de sourire doucement, de hausser les épaules en répondant :



Il aurait pu expliquer pourquoi. Expliquer qu'il voyait les choses différemment, mais il n'était pas du genre à raconter sa vie et il n'allait certainement pas commencer maintenant. Elle avait un endroit où elle voulait être, lui aussi, alors autant s'y rendre sans attendre, non ? Posant la main sur la garde du sabre à sa ceinture, d'un air absent, Kyoshiro ouvrit donc la marche en direction du camp le plus proche, comme indiqué, avant de se rendre compte qu'il en oubliait la politesse la plus élémentaire. Il ne le faisait pas pour lui, mais parce que c'était ce qui était attendu dans ce genre de circonstance. Tendant une gourde d'eau à la demoiselle, il se présenta alors, d'un :



Pas de nom, pas besoin de nom puisqu'ils ne se reverraient sans doute pas après aujourd'hui. Non ? Fort, droit et fier, le jeune homme utilisa ses quatre sens encore fonctionnels pour se repérer, pour essayer de se repérer sans perdre davantage de temps et, quand il sentit qu'un petit chemin de terre s'ouvrait sous ses pieds, confirmant qu'il était enfin dans la bonne direction, il se tourna vers la demoiselle, par curiosité, pour confirmer :

L'écho d'un monde lointain

Shizuka est toujours étonnée lorsqu'elle croise des personnes qui n'accordent que trop peu d'importance à leur handicap. Que ferait-elle si elle venait à être aveugle un jour ? Elle ne pourrait très certainement pas le supporter. Sa situation est déjà bien assez misérable pour qu'elle n'ait pas besoin qu'on lui rajoute des problèmes. Peut-être qu'elle pourrait aller jusqu'à se donner la mort si elle venait à découvrir que son mal était incurable. Elle secoue la tête pour chasser ces sombres pensées, profitant du fait que l'homme soit aveugle -jamais elle se comporterait avec si peu de classe devant qui que ce soit-.

La prêtresse hausse un sourcil. L'homme semble savoir ce qu'il fait et il se déplace avec une aisance déconcertante pour quelqu'un pourvu d'un tel handicap. Elle le suit, perplexe. Dans le meilleur des cas, il sait ce qu'il fait et la jeune femme sera sauvée de ces montagnes. Dans le pire des cas, elle ne sera certainement pas plus perdue et, elle aura son bouclier humain. Dans tous les cas, elle y gagne, alors pourquoi hésiter ?

La chuunin est surprise par le geste de l'inconnu. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il accepte de lui partager l'eau de sa gourde, elle songe alors qu'il doit avoir des intentions cachées mais elle a bien trop soif et faim pour faire sa difficile. Elle s'empare donc de la gourde et prend deux petites gorgées d'eau avant de rendre l'objet à son propriétaire.



Elle suit le flot de la conversation. Elle fait attention à ses mots, à son intonation. Cependant, elle n'a pas besoin de prêter trop d'attention à son expression faciale avec un aveugle, ce n'est pas déplaisant. Elle continue à avancer, le suivant, à son rythme. Ses pieds lui font mal, mais elle ne se plaint pas. Une femme se doit de rester digne en toutes situations -ou au moins en public-.



L'homme semble se montrer curieux. Shizuka perçoit là une chance d'essayer de lui soutirer des informations. Elle prépare le terrain. Elle se dit qu'à défaut d'y voir grand chose -et encore il se déplace incroyablement bien-, il doit bien entendre quelques rumeurs par-ci par-là et puis, comme il semble du coin, il doit certainement connaître les légendes qui circulent.

La cécité pouvait apparaître de deux façons. À la naissance, en raison d'une maladie inconnue, ou bien à cause d'un accident, sur le parcours qu'on appelait la vie. Perdre un sens était terrible, car l'handicapé se rappelait de sa vie d'avant, se rappelait de ce qu'il avait perdu et, à ce titre, le Tadake s'estimait plutôt heureux d'être né ainsi, plutôt que de l'être devenu. Mais les autres, les capables ne voyaient pas les choses de cette façon. Ils voyaient tous les handicapés de la même façon, comme de misérables créatures diminuées pour qui il fallait ne ressentir que de la pitié, et c'était justement pour cette raison que Kyoshiro n'appréciait guère de devoir recommencer le même processus, encore et encore. Expliquer qu'il n'était pas diminué, qu'il pouvait très bien se débrouiller, tout seul...c'était épuissant de devoir se répéter, encore et encore, mais malheureusement nécessaire.
Un beau jour, il l'espérait, il n'aurait plus à le faire car tout le monde connaîtrait son nom. Mais il n'en était  pas encore là, aujourd'hui. Il devait travailler, toujours plus dur, ce qui justifiait sa présence, ici, en dehors des murs de la cité qui l'avait vu grandir. Il ne tarda donc pas à se présence à cette demoiselle, très poli et, quand celle-ci lui donna son nom, Kyoshiro pencha la tête en signe de salutations respectueuses, notant ce prénom dans un coin de sa tête, avant de répliquer ce qui était attendu de lui.



Peut-être était-ce inutile, car elle n'était pas samuraï et ne serait probablement jamais une de ses clientes, mais cela lui demandait assez peu d'efforts, d'être poli, alors pourquoi s'en plaindre ? Il lui tendit donc sa gourde et la laissa y boire, un moment, avant de poursuivre son chemin. Elle n'était pas du coin et était venue se balader, pour voir d'autres contrées. Une bonne expérience. Dangereuse mais bonne. Bien entendu, quand les paysages furent mentionnés, Kyoshiro ne put s'empêcher de sourire et de sauter sur l'occasion de se moquer de sa propre infirmité, une fois encore, en riant avant d'ajouter :



Oh il était bien le premier à pouvoir en rire, non ? C'était chiant, certes, mais mieux valait y voir du rire plutôt que de laisser les ténèbres s'installer dans sa vie. Ne pas avoir de lumières ne devait pas dire qu'il devait passer sa vie dans le noir. Pas s'il avait le choix.  Il continua donc son trajet sur ce petit chemin de terre, sentant la présence de Shizuka juste à côté de lui, jusqu'à ce que cette dernière ne vienne se renseigner quant aux légendes, rumeurs et folklores locaux. Ah...malheureusement elle avait choisi la mauvaise personne à qui demander cela car, bien confus, l'aveugle avoua alors, en haussant les épaules :



Elle n'allait pas tarder à avoir la réponse car, déjà, quelques petites battisses apparurent, à l'horizon de leur champ de vision...ou tout du moins celui de la demoiselle. L'aveugle allait-il devoir beugler, pour trouver l'homme qu'il cherchait ? Non, car déjà un grand et jeune samurai vint à sa rencontre, s'annonçant d'une voix puissante, d'un :



Oh non, c'était bien trop tentant pour ne pas faire la blague, à nouveau. Serrant la main de l'homme, vigoureusement, Kyoshiro lui tendit le sabre qu'il avait demandé, sa précieuse commande, éclairant son visage d'un sourire taquin, avant de rappeler :



Quoi ? Comme il l'avait dit à Hotaru, jadis, il avait déjà essayé la modestie et celui ne lui réussissait pas. Autant rappeler que son talent était de forger des lames, la livraison n'était qu'un bonus qu'il accordait, quand il se sentait d'humeur de le faire.

L'écho d'un monde lointain

Un sourire gêné se dessine sur les lèvres de la femme lorsque l'homme parle du paysage à couper le souffle avant de rappeler sa situation. Elle se demande s'il ne serait pas en train de se moquer d'elle ou bien d'essayer de la faire culpabiliser, dans tous les cas, elle trouve cela bien irritant. Cependant, elle ne veut pas laisser cet aveugle de la gente masculine avoir le meilleur d'elle. Elle décide donc d'essayer de faire preuve de compassion et d'altruisme en lui faisant une proposition qui serait très certainement dure à refuser pour la plupart des êtres humains dans sa situation.



La belle préfère éviter de prononcer le mot greffe. Elle sait que tout le monde n'y réagit pas forcément bien et, elle pense que les êtres humains n'ont pas forcément besoin de tout savoir. L'essentiel n'est-il pas le résultat, après tout ? Cette proposition n'est évidemment pas faite que de bonnes intentions. Procéder à une telle opération demande a un certain coût et demande pas mal de préparatifs, elle ne ferait jamais ça pour un homme de façon totalement gratuite. Cependant, si l'homme venait à lui servir de cobaye afin qu'elle peaufine ses techniques et avance dans ses recherches, alors cela en vaudrait le coût.

Cependant, cet homme ne lui donne pas vraiment envie de faire le moindre effort, ne serait-ce que pour conserver son masque de gentille prêtresse. En plus d'être handicapé, il ne s'intéresse pas à son pays et fait des blagues un peu bizarre sur sa condition. C'est donc un être de peu d'intérêt qui serait peut-être mieux mort, selon la femme.



Shizuka a bien vu que Kyoshiro porte des katanas, mais cette information n'est pas suffisante pour lui permettre d'arrivée à la conclusion qu'il appartient à l'armée d'Onogoro. Elle s'imagine qu'il n'est autre qu'un noble malchanceux et assez stupide pour penser que le simple fait de porter une arme lui permettrait de faire face à n'importe quel danger ou alors, elle peut imaginer qu'il s'occupe d'une livraison bien que son coeur balance plutôt pour la première option.

Un sentiment de joie gagne la jeune femme lorsqu'elle perçoit enfin la terre promise. Comme quoi les aveugles ne sont pas si inutiles et dépendants des autres qu'elle aurait pu le penser. Elle hausse un sourcil en voyant débouler un samouraï, visiblement une connaissance de Kyoshiro, ou plutôt un client. Aux yeux de la prêtresse de Toge, cela ne ressemble qu'à un échange entre deux babouins, mais elle conserve son habituel sourire.



Le remercier semble être le minimum que la belle puisse faire pour ne pas passer pour une ingrate et puis, elle a faim et soif. S'il accepte sa proposition, elle ferait ainsi d'une pierre deux coups.

la première impression était toujours déterminante, le Tadake le savait mieux que personne. Quand il croisait la route de quelqu'un, il pouvait sentir son regard empli de pitié à son égard, car tout ce que l'autre voyait était le bandeau autour de ses yeux, avant de s'interroger sur la personne dans son ensemble. Aveugle avant tout, aveugle uniquement, voilà ainsi qu'il était vu par ses congénères et, si parfois cela le rendait malade, il comprenait. Il comprenait, car il fallait être aveugle pour se forcer à voir les choses, à voir le monde sous un tout autre angle. Aurait-il été lui-même, ou comme tous les autres singes arpentant les rues, s'il était né entier ? Encore une question restée sans réponse, mais ce sujet fut amené dans sa tête, par la proposition de la demoiselle. Lui rendre la vue ? Quelle que puisse en être l'origine, ce n'était pas la première fois qu'il l'entendait et, si d'habitude il rejetait cette offre d'un revers de la main, la demoiselle face à lui était trop douce et gentille pour ne pas mériter une explication.



Je m'y suis fait...quelle plaisanterie. Avait-il seulement eu le choix de faire autrement ? C'était se reprendre en main ou admettre sa faiblesse, son incapacité à faire quelque chose de sa vie, et ce n'était pas prêt d'arriver. Pas de son vivant, en tout cas. Il préférait ce monde flou et sans forme ou, plus exactement, il avait appris à le préférer, par peur que le monde réel soit bien trop laid à son goût.



Il laissait donc son imagination remplir le vide jusqu'à ce que, au bout d'un moment, la demoiselle vienne à s'enquérir de ses activités. Devait-il préciser qu'il était forgeron et samouraï ? Oh non, elle aurait l'occasion de le réaliser bien assez tôt. Au lieu de cela il sourit, plaisantant en restant volontairement vague.



Le sauvetage état un bonus non-négligeable, mais il n'avait clairement pas l'intention d'en faire une habitude. Après tout il était un guerrier, et non pas un chevalier sur son blanc destrier. Peut-être l'en voudrait-elle pour rester aussi mystérieux, mais qu'y pouvait-il ? Il était joueur, après tout. Fort heureusement leur petit périple toucha à sa fin et, lorsque le jeune homme put remettre sa commande à son camarade, la demoiselle allait sans doute comprendre que Kyoshiro était forgeron...ce n'était pas tout le puzzle, mais au moins une partie. Il était plein de surprises mais elle n'était pas en reste non plus, à en juger par l'invitation qu'elle fit à son camarade, qui ne manqua pas de surprendre ce dernier.



Qui essayait-il de convaincre ? Un repas gratuit n'était jamais une chose qu'on pouvait refuser. Fort heureusement, à quelques pas d'ici, les deux tombèrent sur ce qui semblait être une auberge, avec ce qu'il y avait de boissons et de mets pour remplir leur panse. En poussant la porte, les senteurs de ces mets, des thés et de la sueur des travailleurs harassés agressèrent l'odorat du jeune homme, mais ce dernier essaya de lutter, avant de faire porter sa voix en direction du tenancier.



Les deux furent dirigés à une table, dans un coin plus calme de la battisse et, si Kyoshiro invita la demoiselle à s'asseoir d'abord, lorsque vint son tour, il ne put s'empêcher de passer le dos de sa main droite contre ses narines, le temps de s'habituer aux différentes senteurs qui continuaient de l'agresser. Préférant expliquer la raison de son geste, il s'excusa alors d'un :

L'écho d'un monde lointain

Shizuka ne comprend pas le refus de l'homme. "S'y être fait" ? Ne serait-il pas encore meilleur s'il retrouvait la vue après "s'y être fait" ? Ce raisonnement lui semble anormal et complètement illogique. Pour ne pas comprendre, elle ne comprend pas, ça c'est clair. Elle ne comprend pas non plus comment. Au moins, il la remercie pour sa gentillesse. Mais, la femme se moque de ces remerciements, elle a l'impression d'être passée pour une idiote et n'aime pas cela. Surtout qu'elle faisait l'effort de lui présenter une proposition d'une importance et d'une difficulté non-négligeable. S'il change d'avis un jour, la femme à la chevelure blanche acceptera-t-elle seulement de le soigner ? Dur à dire. Elle raterait sans doute l'opération pour lui faire payer ses moqueries.

La prêtresse manque d'échapper un soupir lorsque l'homme dit qu'il sauve apparemment des femmes en détresse. Une nouvelle raison de l'apprécier encore et toujours moins. Elle n'aime pas le mot "sauver" et encore moins le mot "détresse" qui laissent derrière eux une image de faiblesse, de misère ou de vulnérabilité. Et Izanami sait à quel point notre Togejin déteste qu'on la regarde avec pitié. Cependant, elle conserve son masque et pouffe de rire face aux mots de l'aveugle.

Quelle n'est pas la surprise de la fidèle d'Inari lorsqu'elle comprend que l'homme est forgeron. Elle cache son visage derrière l'une de ses manches, l'espace de quelques instants, histoire de cacher son expression de surprise. Elle se demande comment un homme qui n'est pas pourvu du sens de la vue peu bien faire pour forger une si belle arme sans se broyer les os d'un coup de marteau mal placé.  Elle décide cependant de garder son interrogation pour plus tard et préfère inviter Kyoshiro à manger. Proposition acceptée -pour le plus grand bien de l'égo de la femme et pour la vie de l'homme-.

Ils entrent dans une auberge et l'homme prend immédiatement l'initiative de passer commande avant d'aller s'assoir. La femme le suit silencieusement.



Le regard de Shizuka se pose sur les dangos, puis sur le thé dont elle renifle l'arôme.  Elle ne savait pas que cette région était connue pour ce genre de mets et boissons. Elle croyait que le thé était la spécialité de Jujou et des régions voisines, mais peut-être que les feuilles ont été importées.  La prêtresse se méfie, elle ne fait pas trop confiance aux gens des montagnes pour faire de bons plats et préparer de bons thé.



La jeune femme trempe doucement ses lèvres dans la boisson chaude, méfiante. Mais au final, elle découvre une saveur plutôt plaisante bien que moins adaptée à son palais que celle des feuilles qu'elle fait infuser chez elle. Elle s'essaie alors aux dangos, ce n'est pas vraiment ce qu'elle a l'habitude de manger et cela ne vaut pas la cuisine des chefs de Toge, mais cela n'en demeure pas moins respectable.

Si le jeune homme plaisantait souvent sur sa cécité, non pas pour se tourner en ridicule mais pour apporter un peu de légèreté à une situation, il n'était pas homme à vouloir rentrer dans les détails, plus que nécessaire, sur la façon dont il percevait son absence de lumière. Tous les médecins qu'il croisait voulaient le guerrier, le soigner, le rendre plus complet, mais ne comprenaient-ils pas que c'était ce manque de lumière qui le rendait si spécial ? Si unique ? Certes voir avait ses avantages, pensait-il, mais si se soigner signifiait devenir comme tous les autres alors non, il ne franchirait jamais le pas. Pas s'il avait le choix, pas encore en tout cas. Peut-être finirait-il par changer d'avis, un jour, mais pour l'heure l'homme était désireux de réussir, de se créer un nom en arborant fièrement sa cécité, plutôt qu'en la cachant par honte. Il n'insista donc pas sur le sujet et mena rapidement la demoiselle jusqu'à l'auberge la plus proche, car elle comme lui ne diraient pas non à un repos bien mérité.
Les odeurs ici étaient fortes et, si le jeune homme s'excusa de se couvrir le nez, précisant que l'odeur ne venait pas de Shizuka même si cela semblait évident, la demoiselle sembla s'en accommoder assez rapidement. Elle fit même preuve d'une curiosité toujours plus grande, en venant s'enquérir de la manière dont il était capable de forger, malgré l'absence d'un élément principal lorsqu'on souhaitait donner forme à un objet. Difficile de forger un sabre, simplement en connaissant sa forme, au toucher, non ? Eh bien si, c'était possible si on passait suffisamment de temps à pratiquer. Kyoshiro ne voulait pas trop vendre la mèche sur son petit secret, expliquant alors simplement :



Il lui était difficile d'expliquer comment il faisait, car cela était devenu naturel à force de pratique. Il avait appris, il avait échoué et il en avait tiré les leçons qui s'imposaient. Il ne voyait pas vraiment quoi dire de plus, pour le moment. Le duo put enfin goûter à une courte pause et, si Kyoshiro en profita pour réchauffer ses entrailles avec le thé qui lui fut apporté, il écouta tout de même la question de la demoiselle, quant à la façon dont il pouvait évoluer dans cette région, en dépit des évidentes menaces. Haussant les épaules, il expliqua alors :



Oui, il n'avait pas encore expliqué qu'il savait aussi se battre, mais il retenait cette information. Pourquoi ? Parce qu'il ne savait strictement rien de cette demoiselle, mis à part qu'elle appréciait les voyages. Voyager, seule, avec les yokais qui rodaient au dehors ? C'était suffisant pour piquer la curiosité du jeune homme, qui demanda alors :



Peut-être avait-elle d'autres atouts dans sa manche, peut-être cachait-elle très bien son jeu, on peut-être était-elle terriblement chanceuse, pour être arrivée ici en un seul morceau. Kyoshiro était intrigué, suffisamment intrigué pour laisser son travail de côté, pour la journée, et lui proposer :

L'écho d'un monde lointain

L'homme reste vague quant à la façon dont il forge en dépit de sa cécité, la femme est légèrement déçue mais en tant qu'artisane et herboriste, elle comprend qu'on puisse vouloir garder secrètes ses techniques de production. Et puis, au fond, elle ne compte pas investir beaucoup d'énergie dans la création d'armes et armures, juste ce qu'il faut pour  pouvoir se protéger et gagner quelques ryos. Mais, elle préfère de loin investir son temps et son énergie dans la concoction de drogues et de poisons qui se marient mieux avec son style de combat.

Shizuka croit comprendre ce que veut dire l'homme par "les montagnes n'ont aucun secret pour moi", à force de vivre dans un environnement particulier, on finit par s'y habituer et par le connaître, presque par coeur. Enfin, elle ne connait certainement pas les environs de Toge comme cet homme connait ces montagnes, puisqu'elle n'a pas toujours été dans ce village, mais elle commence tout de même à bien connaître les lieux.

Les dangos ne sont pas mauvais, contrairement à ce que la femme aurait pu imaginer. Elle hausse un sourcil lorsque son interlocuteur la questionne à son tour. Elle aurait dû s'en douter, mais ce n'est pas grave, elle sait déjà quoi lui répondre.



Elle ment sur le dieu, mais elle dit vrai concernant son statut de prêtresse, les faits étranges et les Yokais. En réalité, c'est plutôt à Izanami qu'elle pense quand elle s'intéresse aux Yokais et aux faits étranges et c'est à elle qu'elle accorde la majorité de ses prières, le reste allant à Inari. Shizuka décide à pousser plus loin sa réponse au cas où elle tiendrait là une opportunité de s'enrichir ou de commencer à tisser un réseau d'informations.



La femme sourit face à la proposition de l'homme. Si seulement elle avait une destination... ou du moins, si seulement quelqu'un connaissait le trajet pour s'y rendre. Elle ferme les yeux une fraction de seconde, toute souriante et pouffe de rire avant de reprendre la parole.

Il ne pouvait pas expliquer comment il arrivait à forger, car cela reviendrait à expliquer comment il pouvait marcher, comment il pouvait la sentir en face de lui, et ce sera une explication aussi longue que floue. Il usait de tous ses sens pour se repérer, mais c'était cela tenait plus à de l'art qu'à un procédé très clair. Alors il ne voulait pas embrouiller la tête de la demoiselle, avec des explications qui ne seraient pas plus riches en enseignements. Par contre ce qu'il pouvait faire c'était de creuser la surface, savoir comment elle était arrivée ici...et la réponse lui déplut quelque peu. Il fit de son mieux pour le masquer, évidemment, hochant la tête à l'écoute de la réponse, mais Kyoshiro avait toujours eu une relation tumultueuse avec les hommes et femmes de foi. Ses parents l'étaient. Ceux qui l'avaient recueilli à Seizan l'étaient, mais le Tadake était toujours sourd à l'appel du divin. Voilà pourquoi il ne fit aucun commentaire aux face prières de la demoiselle, et à des méthodes qu'elle n'était pas prête à dévoiler, de toute évidence.

Chacun avait ses petits secrets, non ?

Il ne s'intéressait pas aux Dieux, car ces derniers ne pouvaient lui donner aucune réponse qu'il ne pouvait pas obtenir, lui-même. Il fut, cependant, plus intéressé par les talents d'herboriste et d'artisane de la demoiselle. Tous deux commerçants, tous deux à la recherche de liens commerciaux, ils évoluaient dans des sphères similaires et pourtant si différentes. Elle récoltait de l'herbe, tandis que lui forgeait des objets qui permettaient de gagner des guerres. Quel genre de lien pourraient-ils lier, en sachant cela ? Haussant les épaules, le colosse admit alors :



Il n'avait pas honte de son domaine d'activité, pas le moins du monde, mais il comprenait qu'un accord serait compliqué, avec la demoiselle qui lui faisait face. À défaut de ne pouvoir arriver à un accord, ne pouvait-il pas au moins l'escorter jusqu'à son prochain arrêt ? Voilà l'idée de départ, mais la demoiselle rendit les choses plus complexes, en avouant qu'elle ne savait pas où elle allait. Alors non il n'allait pas jouer les chiens de garde pendant toute une éternité, il avait bien d'autres objectifs qui ne l'attendraient pas.
Soupirant légèrement, avouant qu'il était alors dans une impasse, Kyoshiro engloutit une autre lampée de thé, pour réchauffer son corps et son esprit, avant de relever le visage vers la demoiselle. Se fendant d'un petit sourire, plus discret, il conclut alors d'un :

L'écho d'un monde lointain

Shizuka remarque l'absence de commentaire face à sa présentation en tant que prêtresse. Elle en conclut donc que l'homme est un athée ou bien qu'il n'apprécie guère les préceptes des fidèles de Tsukuyomi. La seconde option lui semble la plus probable étant donné que nombres de personnes haïssent les Yokais. Elle décide donc de ne rien ajouter à ce sujet là, pour éviter de voir son humeur se dégrader.
La réaction de Kyoshiro quant à la mention des liens commerciaux la fait sourire. Elle ne sait pas jusqu'où vont ses compétences de forgeron, mais elle imagine qu'elles excèdent les siennes ou qu'elles les excèderont étant donnée que la prêtresse favorise les herbes. Mais, si elle favorise les herbes, elle porte tout de même un grand intérêt aux armes et armures pour lesquelles elle envisage investir, à l'avenir, afin de se confectionner des pantins de qualité.



Elle finit son plat et dépose quelques pièces sur la table. Le repas était bon, mais ne pouvait rivaliser avec ceux que concoctent les chefs du village de Toge, ce qui ne l'empêche pas de laisser un pourboire -pour la forme-. Elle ne manque pas de proposer ses services même si Kyoshiro n'a pas l'air d'être le genre d'homme qui s'en remet à l'usage de drogues. Mais, qui ne tente rien n'a rien.



Sur ces mots, la Togejin se lève. Elle ne voit pas l'intérêt de rester dans cette taverne plus longtemps.  L'inaction n'a jamais été son truc. Elle préfère se reposer pour récupérer des forces, partir immédiatement à la recherche d'informations qui l'intéressent.