Suite à son intégration officielle de l'escouade de Seichiro, le prêtre de Tukuyomi bénéficiait à présent de son propre cabinet au sein du Bureau d'étude des Yôkais, dont il était par extension devenu membre. Un statut lui permettant entre autres d'accéder à diverses archives et autres travaux  sur lesdites créatures, quand bien même sa méconnaissance scientifique l'empêchait d'en appréhender tous les tenants et aboutissants. Cependant, il pouvait comprendre une quantité non-négligeable de documents, nombre d'entre eux étant d'ailleurs rédigés de manière à pouvoir été compris des profanes, comme lorsqu'il s'agissait de faire des rapports intelligibles sur lesquels les autorités pouvaient fonder leurs décisions. De cette manière, n'importe qui était capable de se renseigner un minimum, sans forcément posséder un bagage académique particulier.

Indéniablement, Kirei profitait de cette opportunité afin de renforcer ses connaissances relatives aux Yôkais, mais il savait que rien ne pouvait réellement remplacer l'expérience réelle. Cela étant dit, nombre de ses nouveaux collègues scientifiques n'avaient eux-mêmes jamais été confrontés à l'une de ces créatures, du moins vivante. Pourtant, à travers les témoignages et les observations des survivants, ils parvenaient à affiner les informations dont ils disposaient, et leur compréhension des différentes espèces. Un exercice auquel s'adonnait le Souhei, bien qu'il continuait à passer la majorité de son temps au Temple. Aujourd'hui était l'une de ces exceptions, en ce que son nouveau chef d'escouade l'avait prévenu de la visite d'une Seizanjin, en la personne de Watari Hanami.

Sans le savoir, il avait d'ores-et-déjà travaillé avec son frère, en accomplissant les Offrandes Sacrées visant à permettre la purge de leur Ordre, gangréné par les lâches et infidèles. Il ignorait toutefois tout de la demoiselle, si ce n'était qu'elle était une Genin originaire de la Montagne, s'intéressant justement aux Yôkais. Tandis que l'apôtre de Jashin était arrivé en avance afin de préparer son bureau, c'est plusieurs minutes plus tard que celle-ci toqua alors à la porte, le jeune homme l'invitant à entrer afin de prendre place. S'il devait se fier à sa première impression, celle-ci était plutôt bonne, en ce que son élégance et sa posture lui rappelaient le raffinement de Shizuka. Une femme qui de toute évidence accordait de l'importance à son apparence, et peut-être aux manières, ce qui ne pouvait que réjouir le moine qui n'appréciait que peu l'indélicatesse.

L'héritier du clan Doji n'avait visiblement point lésiné sur l'éloge des membres du Bureau d'Etude de Toge. S'il comprenait que Seichiro avait vanté ses connaissances au sujet des Yôkais, elle avait également d'ores-et-déjà rencontré Meiyo, ce qui rajoutait une certaine pression sur ses épaules, lui qui se percevait parfois comme un touriste en ce lieux. En réalité, s'il était parvenu à intégrer cette institution, c'est car son unité nécessitait la présence d'une caution morale au regard de ces créatures, et car ses prouesses martiales pouvaient se révéler comme un atout s'il fallait se défendre. Bien évidemment, sa curiosité intrinsèque envers les rejetons d'Izanagi avait également pesé dans la balance, mais plus qu'un véritable scientifique, il se trouvait plutôt ici en tant que prêtre de Tsukuyomi assouvissant sa soif de connaissances, et son érudition relevait avant tout de l'intérêt personnel ou du loisir plutôt que de la recherche.

Son interlocutrice en revanche, semblait se spécialiser dans ce domaine. Elle aspirait à devenir une sage sur ce sujet, et peut-être pouvait-ele même d'ores-et-déjà prétendre à ce titre, en ce que peu de soldats n'accordaient une réelle attention aux Yôkais afin de les étudier et de les comprendre. A fortiori à Seizan, qui restait sans aucun doute l'un des villages plus sceptiques à leur encontre, prônant majoritairement leur extermination. Ecoutant ses propos, il comprenait qu'Hanami souhaitait à terme se lier à un Kitsune, sans nécessairement le forcer à se soumettre. Une véritable coopération, ce qui changeait Kirei de la philosophie de Shizuka, beaucoup plus impitoyable et pragmatique envers ce qui restait à ses yeux des outils.



La jeune femme avait également fait mention des écritures retrouvées lors de certains massacres de villages. Celles relatives à la Nuit Sanglante, s'étaient effectivement retrouvées au Bureau d'Etudes, ce qui n'avait guère manqué d'attiser la curiosité du Faucheur. Se pouvait-il que ces évènements avaient également un lien avec les Yôkais ? Il avait été lui-même présent ce soir-là, et il n'avait pourtant aucun souvenir d'être tombé sur ces créatures.

Acquiesçant aux propos de la jeune femme d'un geste de la tête, ce n'était certainement pas le Faucheur qui allait la contredire sur l'aspect impitoyable du pouvoir impérial. Il aurait également pu développer sur son caractère arbitraire et malavisé, et trouvé en son interlocutrice une oreille disposée à entendre ce genre de discours, mais il estimait que ce n'était guère le moment approprié pour digresser de la sorte. Mieux valait-il faire profil bas, et éviter d'attirer l'attention. Au moins, l'empereur avait pour une fois eu la présence d'esprit de faire le bon choix, en finançant le Bureau d'Etude de Toge... Et encore, peut-être n'était-ce dû qu'à du favoritisme, dans la mesure où l'instigateur de ce projet n'était autre que son propre neveu. S'il avait accompli une bonne chose, on ne pouvait donc exclure que ses intentions étaient potentiellement égoïstes.



Il était difficile pour Kirei de déterminer si son interlocutrice était sincère, lorsqu'elle disait ne pas apprécier l'utilisation du mot dresser. Elle renvoyait sans aucun doute une image assez impérieuse et fière, celle-là même qui lui faisait penser à Shizuka. Et cette dernière était la première à parler secrètement de dressage, voire de domptage, et pas que pour les Yôkais... Pourtant, en écoutant les paroles d'Hanami, celle-ci semblait réellement vouloir établir un pacte un bonne et due forme, dans les règles de l'art, sans vouloir user de moyens de coercition. C'est pourquoi excluait-elle cette possibilité avec des créatures beaucoup plus difficiles à contrôler telles que les Ogres, ce qui laissait sous-entendre qu'elle était tout à fait sérieuse. Une démarche louable, qui pouvait justifier sa soif de connaissances au regard des Yôkais.



L'objectif d'Hanami était très certainement atteignable. Après tout, la famille d'Ao, elle aussi originaire de Seizan, était parvenue à rencontrer un Kitsune dans la région, qui s'était grandement attaché à eux. Il ne pouvait malheureusement ébruiter cette information, sous peine de mettre son ami et ses proches en danger, compte-tenu de l'étroitesse d'esprit des gens redoutant les Yôkais, et évidemment, le risque de malédictions que l'on imputait aux Kitsune.

Ce que la noble demoiselle pensait au sujet des écritures, était également des plus intéressants. Elle était la première à soupçonner que ces écritures avaient pu être reproduites par des humains, ce qui n'était pas forcément une piste très rassurante. Plus que les Yôkais seuls, des Hommes en lien avec les Yôkais ou capables de les contrôler et d'agir avec eux étaient encore plus dangereux. Elle se montrait également sévère sur la réaction qu'avait jusqu'à présent apporté l'Empire à ces attaques, et en redoutait de nouvelles. L'apôtre de Jashin, qui avait été présent lors de la Nuit Sanglante, était peut-être encore plus confus et intrigué au regard de cette situation.

Même si la demoiselle était peut-être mue par un intérêt égoïste, celui de nouer un jour un pacte avec un Kitsune, sa démarche n'en restait pas moins louable et utile à l'ensemble de la société. Après tout, bien des chercheurs avaient révolutionné leur domaine en poursuivant tout simplement le profit ou la gloire. Malgré tout, leurs découvertes avaient objectivement contribué à l'amélioration des conditions de vie et du quotidien de nombreuses personnes, si bien qu'il semblait inconvenant de leur jeter la pierre. Quant aux informations dont le prêtre de Tsukuyomi disposait sur les esprits-renards, celles-ci restaient relativement limitées, et les plus intéressantes ne pouvaient être divulguées. Cependant, il pouvait peut-être venir en aide à la jeune femme, en présentant les choses de manière plus générale.



Le raisonnement de son interlocutrice était parfaitement logique, et tout portait à croire que ces attaques allaient continuer à se répéter. Qu'elles soient le produit de Yôkais vengeurs ou d'humains aux objectifs particuliers, l'absence de réponse de la part des autorités, et la faiblesse des informations qu'elles avaient recueillies, ne pouvaient qu'inciter à poursuivre ces assauts. Hanami demanda également au Faucheur s'il s'était personnellement rendu dans l'un de ces villages, question dont la réponse était bien évidemment positive, puisqu'il avait lui-même pris part à la Nuit Sanglante. Il était un témoin privilégié de ce Jour Béni, et n'avait nullement remarqué la moindre créature. Cependant, il ne pouvait révéler de telles informations de but en blanc, mais pouvait tout de même renseigner sa noble visiteuse, notamment sur le Sanctuaire d'Izanami.



Quant aux autres propos de la demoiselle, ils sonnaient littéralement comme du miel aux oreilles de Kirei, qui non seulement partageait intégralement son point de vue, mais percevait la même rancœur ou le même mépris qu'elle pouvait avoir envers l'empereur. Elle qui en tant que Watari, était fort bien placé pour connaître les décisions politiques arbitraires du pouvoir, bien content de dissimuler la vérité ou d'exploiter le moindre prétexte afin de faire avancer son propre agenda égoïste.

Les remarques du prêtre de Tsukuyomi semblaient être favorablement accueillies par Hanami. Du moins, s'il s'en fiait au sourire que sa douce expression pouvait arborer. Quelque chose de rassurant et d'agréable, quand bien même pouvait-elle feindre ou amplifier sa réaction par politesse. Après tout, en tant que noble habituée de telles entrevues, elle devait avoir atteint une parfaite maîtrise de l'étiquette et de ce genre de réactions d'apparat. Décidemment, elle partageait un nouveau point commun avec Shizuka. Quoi qu'il en soit, s'il aurait aimé pouvoir davantage renseigner la jeune femme dans l'immédiat, il ne pouvait pour le moment se montrer plus précis dans ses indications. Ce qu'il comptait compenser par d'autres conseils.



Poursuivant sur les mystérieuses écritures et les étranges symboles retrouvés dans ces villages, la noble demoiselle soulevait des questions qui intriguaient tout autant le Faucheur. Pourquoi avoir fait usage de ce langage, si ces traces avaient été bel et bien laissées par des humains ? Il ne pouvait parler pour le village de Kusatsu, mais en ce qui concernait celui de Fukuri, théâtre de la Nuit Sanglante, il avait peut-être son idée. Son interlocutrice paraissait d'ailleurs elle aussi envisager l'hypothèse d'un langage divin, se demandant si des prêtres seraient capables de le déchiffrer. Quant à la perspective de découvrir des points de passage vers Yomi no Kuni, elle faisait preuve de la même réaction et de la même prudence que celles manifestées par Ao, lorsqu'il lui avait également fait part de cette théorie. De par son intarissable curiosité et sa Foi Jashiniste, Kirei s'était montré instinctivement excité à cette idée de visiter cet autre Royaume... Mais force était de constater que les avis des personnes érudites avec qui il s'était entretenu à ce sujet venaient tempérer son enthousiasme.



L'apôtre de Jashin admirait la manière dont Hanami et son clan gardaient la tête haute et restaient résolus sans s'apitoyer, en dépit de l'injustice dont ils avaient été victimes. Une volonté et un état d'esprit remarquables dont ses frères Jashinistes et lui-même, pouvaient largement s'inspirer. Encore une fois, il ne pouvait que partager le même constat que la jeune femme, sur l'usage de la terreur par le  pouvoir en place afin de se maintenir. En déplacement à Toge, elle n'avait d'ailleurs pu être mise au courant des derniers développements au sujet du Cavalier d'Argent Hikaru.

Hanami souleva l'hypothèse selon laquelle les écritures et symboles auraient pu être utilisés, sans que leurs auteurs ne sachent pas vraiment les comprendre. Une possibilité tout à fait envisageable, bien que si elle était avérée, cela voulait alors dire que les villages, et notamment le Bureau d'Etude et les chercheurs tels que la Seizanjin, perdaient actuellement du temps à tenter de déchiffrer et interpréter quelque chose dépourvus de sens. Cependant, si ces runes avaient été employées sans réelle maîtrise de leur sens, il restait à définir comment les auteurs de ces attaques étaient parvenus à les découvrir. En tant que Jashiniste, le Faucheur pouvait déjà certifier que l'un des symboles retrouvé à Fukuri n'était point le fruit du hasard, en ce qu'il avait reconnu la marque du Seigneur, ce qui lui faisait plutôt penser à un sens précis à découvrir. Il ne pouvait toutefois divulguer cette information.



Le constat de la jeune femme sur les implications de ces points de passage entre Yomi no Kuni et Onogoro était sans aucun doute valide. La perspective de pouvoir visiter un autre monde que celui qu'ils connaissaient, voire de rencontre des Kamis, peut-être même le Seigneur lui-même, attisait grandement la curiosité de Kirei qui avait bien du mal à tempérer son enthousiasme, quand bien même comprenait-il rationnellement le danger que ces passerelles représentaient. Tentant de se montrer plus responsable, il revint sur les propos de sa noble visiteuse, afin d'en apprendre davantage sur son opinion. Notamment sur les éventuels avantages qu'une telle découverte pourrait revêtir.



Un avertissement sans que son destinataire ne soit en mesure de le comprendre avait en soi quelque chose d'étrange. Peut-être que l'attaque en elle-même constituait le message, mais dans ce cas, quelle était la signification de toutes ces runes et de ces symboles ? Hanami n'excluait pas non plus la possibilité que Takayanagi Hikaru ait pu être neutralisé par le pouvoir impérial ou l'armée, plutôt que les auteurs de ces attaques dont il essayait de remonter la piste.

L'apôtre de Jashin était convaincu que toutes ces écritures avaient une signification particulière, et que leur découverte n'était nullement le fruit du hasard. Soit il s'agissait d'un message destiné à ceux pouvant le comprendre, ou alors elles avaient un rôle rituel spécifique. Bien sûr, il ne pouvait non plus écarter la piste de la diversion, afin de faire perdre du temps aux villages dans des recherches stériles. Cependant, c'était également exposer toutes ces écritures au grand jour, et offrir aux institutions la possibilité de les étudier. Donc si elles étaient authentiques, les utiliser de cette manière afin de simplement ralentir les chercheurs n'apparaissait point comme un pari pertinent sur le plus long terme.



Dans l'éventualité d'une invasion de Yôkais qui se préparait secrètement au sein de Yomi no Kuni, l'analyse de la jeune femme faisait parfaitement sens. S'ils avaient pu attaquer massivement Onogoro, alors ils l'auraient fait depuis longtemps, ce qui pouvait laisser présager que ces éventuels points de passages entre les deux mondes étaient munis d'une forme de protection. Il s'agissait toutefois d'une hypothèse parmi d'autres, et il pouvait exister d'autres explications qu'il valait mieux ne guère négliger tant que l'humanité ne disposait point de plus amples renseignements. Trop de paramètres lui étaient encore inconnus, ce qui renvoyait de nouveau à ce qu'Hanami avait si justement souligné plus tôt : l'importance de l'information, extrêmement cruciale dans chacune de ces affaires.



Il était dans tous les cas plaisant pour le Faucheur de pouvoir discuter de la sorte avec cette noble demoiselle pleine d'assurance, prête à explorer chaque piste afin de faire la lumière sur les évènements et dévoiler la vérité. Si elle se montrait prudente et pragmatique, elle n'évoluait pas pour autant dans la peur, contrairement à de nombreux chercheurs ou politiques qui préféraient fermer les yeux car redoutant les répercussions, s'ils venaient à se montrer trop curieux. Entre Hanami et son frère Jahsiniste, le clan Watari était décidemment des plus fréquentables, et il partageait visiblement une philosophie ou quelques intérêts communs avec certains d'entre eux.

Un livre pouvait certainement permettre d'en imiter les caractères et les motifs sans forcément les comprendre. Mais un tel ouvrage, même incompris, restait à l'heure actuelle une précieuse relique semblant inaccessible, si bien qu'il était nécessaire de déterminer où un tel ouvrage, ou n'importe quelle autre source, aurait pu être trouvé. Si les villages pouvaient eux aussi mettre la main sur des documents aussi importants, ils auraient d'un coup beaucoup plus de chances d'accomplir des progrès significatifs dans leur compréhension des écritures. Bien sûr, peut-être que certains maîtrisaient réellement ce langage, et savaient ce qu'ils écrivaient ou à quoi serviraient ces symboles. Une hypothèse bien moins rassurante pour l'empire, mais ô combien plus intéressante pour le Faucheur, qui accéderait peut-être ultérieurement lui-même à ces connaissances.



C'est avec un grand intérêt que le prêtre de Tsukuyomi découvrait l'opinion plus générale d'Hanami au regard des Yôkais. Si son intérêt pour leur étude, résultat de son désir d'établir un lien avec un Kitsune, et qu'elle semblait les considérer avec respect et dignité, elle gardait toutefois un esprit lucide et pragmatique sur leur nature plus générale. Sans les diaboliser comme certains, elle les considérait simplement comme les humains, notamment sur ses aspects parfois cruels et vicieux. Un constat qui témoignait aussi d'une certaine misanthropie, mais Kirei partageait son opinion sur les deux peuples. Et de par cette similarité, il était probable que s'ils avaient été en mesure de le faire, alors les Yôkais auraient sûrement tenté de prendre leur revanche sur les humains, indépendamment de qui occupait Onogoro de plein droit. Ce qui était une autre question.



Pour l'apôtre de Jashin, il n'y avait peut-être pas de réponses trop rapides, et plus vite en obtiendraient-ils, mieux il se porterait... Une situation quelque peu comparable à sa position, en cas de découverte de points de passage entre Yomi no Kuni et Onogoro. Si lui ressentirait principalement enthousiasme et excitation, les autres resteraient à juste titre méfiants. C'est en ces circonstances qu'il réalisait d'autant plus que sa véritable allégeance se trouvait dans l'autre monde, dirigée vers le Seigneur. Il appréciait voir le changement à l'œuvre, qu'il interprétait comme signe avant-coureur du Renouveau. Il était également touché par les propos de son interlocutrice, lui confiant qu'elle ne disposait pas encore des moyens de le faire protéger. Une attention à laquelle il n'était pas insensible, et qui démontrait son souhait de faire triompher la vérité, respectant ceux qui, tout comme elle, n'avaient pas peur de se méfier du pouvoir impérial.

Beaucoup de moines n'avaient toujours pas digéré la réforme intégrant leur caste au sein de l'armée impériale. Même si les nouvelles générations avaient toujours connu ce statut de militaire, les plus anciens, à l'instar de Gin, déploraient toujours cette décision, tandis que les plus jeunes ne manquaient pas de s'interroger à son sujet. Ils étaient désormais confrontés à un dilemme entre leur fonction de soldat et leur rôle de prêtre, l'un commandant parfois de tuer, l'autre leur intimant justement de ne point donner la mort. Une position délicate, si bien que certains moines pouvaient potentiellement se montrer plus conciliants ou à même de coopérer en leur demandant une faveur à titre indépendant, plutôt qu'en tant que militaire de l'armée impériale. Quant aux Yôkais, Hanami ne manqua point de préciser son point de vue, qui à la lumière de leurs échanges, faisait parfaitement sens. Une femme pragmatique, qui n'étudiait pas spécialement ces créatures par pure bienveillance comme c'était parfois le cas d'autres personnes.



La jeune femme témoignait d'une grande ambition, et peut-être avait-elle le potentiel de les réaliser un jour. Au minimum, elle restait une descendante du clan Watari, une noble en quête de vérité et pragmatique, à la vision lucide, et qui se démenait afin de faire la lumière sur les récents évènements. S'inspirant de la philosophie de Seichiro, le Faucheur voyait en elle une future alliée qui pourrait se révéler être un atout à l'avenir. Une raison supplémentaire de l'aider dans sa quête, et d'entretenir de bons rapports avec elle, ce qui s'avérait d'autant plus facile qu'il n'avait pas à mentir ou à simuler quoi que ce soit. Elle partageait d'ailleurs le même constat que lui : l'empereur était à la fois fort, car trônant au sommet de la hiérarchie d'Onogoro, mais faible, en ce qu'il dépendait aussi des seigneurs, et bien évidemment des Kage qui dirigeaient directement l'armée. D'un autre côté, il pouvait toujours trouver une excuse afin de se débarrasser d'un dirigeant encombrant, mais quelles pouvaient être alors les conséquences ? Soulevant ouvertement la question, Kirei répondit dans la foulée, lui qui avait déjà effleuré la question lorsqu'Ao lui avait rendu visite.



Compte-tenu de sa défiance envers le pouvoir impérial, et de l'histoire de son clan qui en avait été une victime directe, il était légitime d'imaginer qu'elle se rangerait plutôt aux côtés de son Kage et de Seizan. Même si sa nature pragmatique pouvait peut-être l'inciter à rester fidèle à l'Empire, si cela pouvait lui permettre de tirer son épingle du jeu. Une question dont la réponse n'était en fin de compte pas si évidente.

Le prêtre de Tsukuyomi ne put retenir un sourire, lorsque son interlocutrice dressa un parallèle entre les Yôkais et les humains. Plus précisément, lorsqu'il s'agissait de généraliser sur la stupidité de leur espèce. Il était clair qu'un tel constat restait caricatural, mais d'une manière ou d'une autre, Kirei ne pouvait s'empêcher de le trouver partiellement vrai, pour peu qu'il soit légèrement reformulé. Si tous les hommes étaient loin d'être stupides, beaucoup l'étaient, et sans être une caractéristique globale de l'humanité, elle restait un trait non-négligeable. Il considérait également les propos de la jeune femme comme emplis d'une grande sagesse, lorsqu'elle s'exprimait sur la manière dont leur peuple Ebisu avait lui-même catégorisé les Yôkais en un tout homogène, prisonnier d'une étiquette qui venait nécessairement limiter sa perception de la réalité, et de l'hétérogénéité des différentes espèces constituant ces créatures.



Les preuves afin d'écarter les seigneurs les plus encombrants pouvaient en effet facilement se fabriquer. Si l'empereur demandait simplement le départ de quelqu'un, alors comme le disait la demoiselle, les chances étaient grandes pour qu'il s'exécute. Un Kage était cependant beaucoup plus délicat à limoger, et Hanami considérait elle-même que l'une des puissances majeures pouvaient potentiellement réussir à s'émanciper de l'Empire en obtenant son indépendance. Pour le Souhei, il était d'ailleurs difficile d'imaginer les trois autres villages s'unir face au quatrième. Comme elle le disait si bien, ce n'était plus l'empereur lui-même, mais bien sa fonction et l'héritage du premier souverain, qui inspirait le respect et permettait de maintenir l'unité d'Onogoro. Comme il était possible de l'imaginer, elle préféra toutefois ne pas se positionner ouvertement d'un côté comme de l'autre, admettant malgré tout qu'elle agirait selon les meilleurs intérêts de son clan.



C'est avec un grand intérêt que l'apôtre de Jashin écoutait la situation actuelle du clan Watari, actuellement dirigé par le grand-oncle de la jeune femme. D'après ce qu'elle disait, elle était a priori la première dans la ligne de succession, ou du moins, celle faisant consensus auprès des siens. A l'instar de Seichiro au sein du clan Doji, ses frères et sœurs ne semblaient pas spécialement intéressés par la fonction, et ils formaient une fratrie unie aidant grandement à prévenir toute tension ou dispute potentielle dans le cadre de la succession.

La théorie d'Hanami concernant les origines du chakra était intéressante. Ce n'était pas la première fois qu'il avait entendu parler de cette hypothèse, qui l'avait lui-même toujours intrigué. Elle avait la conviction que cette faculté des humains à manipuler cette énergie mystique était d'une manière ou d'une autre héritée des Yôkais. Une idée fondée mais audacieuse, en ce que le Souhei s'interrogeait sur la manière dont un tel transfert d'aptitudes avait pu s'opérer, et surtout, comment il parvenait à se perpétuer de génération en génération, quand ces pouvoirs semblaient parfois surgir chez des individus dont les ascendants étaient a priori dépourvus de chakra. A moins que sans le savoir, tous descendaient des mêmes individus ayant secrètement bénéficié d'une greffe ou autre manipulation corporelle en lien avec les Yôkais. La jeune femme doutait également de la capacité des humains à pouvoir repousser ces créatures, si elles parvenaient à s'allier et à s'organiser.



Le moine concevait sans peine que la famille était une raison extrêmement forte et fédératrice pour laquelle se battre. L'héritière du clan Watari suggéra également qu'il pouvait envisager de se lancer en politique. Une remarque qui le touchait sincèrement, a fortiori lorsqu'elle émanait d'une noble formée à la diplomatie ainsi qu'à ce genre de domaines. Sûrement était-elle habituée à flatter ses interlocuteurs afin de se faire bien voir d'eux, une possibilité qu'il ne pouvait pas écarter. Néanmoins, cela faisait toujours plaisir à entendre, lui qui reconnaissait que certaines de ses aspirations étaient parfois plus politiques que spirituelles. Sans l'existence de la Voie du Seigneur, lui permettant de corriger ce monde défectueux grâce à l'avènement du Renouveau, il se serait peut-être lancé dans une telle carrière, en laissant tomber la religion. La demoiselle s'interrogeait également sur le bénéficiaire d'un tel soulèvement d'un ou des villages.



Ecoutant attentivement le récit d'Hanami, le Souhei comprenait qu'elle avait ainsi été préparée par son grand-oncle à prendre un jour la succession du clan. Ce qui expliquait ses talents en matière diplomatique, et qu'elle se sa ligne politique ne divergera pas nécessairement de celle de son aïeul. Il était intéressant d'apprendre que les Watari continuaient à devoir ronger leur frein, et à tempérer leur désir de revanche après l'infâmie dont ils avaient été victimes. Une approche qui devait être difficile, mais qui restait certainement la meilleure afin d'assurer le succès futur de leur clan.

Si Hanami partageait le point de vue du Faucheur quant aux meilleures chances de survie de l'espèce humaine face aux Yôkais, grâce à la maîtrise du chakra, elle doutait malgré tout que cela soit suffisant afin de faire face à une attaque de plus grande ampleur. Une hypothèse à laquelle il valait mieux être préparé. Elle considérait qu'il serait également possible de communiquer avec certaines espèces, un point de vue rassurant en ce qu'il émanait cette fois d'une chercheuse pragmatique, et non d'un Togejin idéaliste.



Le Souhei ne put lui-même s'empêcher de sourire, en entendant son interlocutrice évoquer le caractère politique des moines. Elle avait certainement raison, mais ces derniers étaient eux-mêmes tributaires de l'Empire, et malgré eux des instruments d'une politique qui n'était pas vraiment la leur. Après tout, l'Empereur lui-même était le chef indirect du Kamisuuhai, et depuis la réforme, les prêtres étaient même devenus des soldats de l'armée. Il s'agissait de l'une des raisons pour lesquelles Kirei considérait l'Empire comme ennemi des Yôkais, car il n'avait nullement lésiné sur les moyens afin de les ériger en ennemis de l'humanité, ou de conforter son pouvoir en contrôlant plus directement la caste monastique. Cependant, les scénarios évoqués par la jeune femme ne pouvaient pas être balayés d'un revers de main. Rien ne garantissait que des Yôkais ne s'étaient pas infiltrés au sein de l'appareil décisionnaire d'Onogoro, ou à des postes clés, ou qu'il existait des ententes secrètes entre des dirigeants et certaines de ces créatures.



Clairement, les actions d'Hanami n'étaient pas vraiment ce que l'on pouvait appeler faire profil bas. Le Faucheur restait toutefois certain que tout ceci n'était qu'un prélude ou un travail préparatif à la satisfaction de plus grandes ambitions, qui restaient pour le moment dissimulées. Il était difficile de croire que le clan Watari souhaiterait simplement se contenter de récupérer une bonne image, sans chercher à conquérir davantage de pouvoir et à prendre une revanche plus nette sur l'Empire et leurs détracteurs. Des considérations qu'elle évoquait d'ailleurs à demi-mots, en parlant du jour ou ces mécréants viendraient leur manger dans la main. Son point de vue concernant le clan Doji était aussi des plus instructifs, en ce qu'elle ne les percevait pas comme des rivaux, mais potentiellement des partenaires.

A mesure que la jeune femme affinait ses propos, le prêtre de Tsukuyomi comprenait mieux la vision que pouvait être la sienne. Tout comme elle, et pour les mêmes raisons, il doutait qu'une manipulation à grande échelle ait été à l'origine du chakra chez les humains, même s'il pouvait comprendre en quoi même les moins privilégiés auraient pu être concernés. Quant au rôle des Yôkais, elle faisait mention d'un apprentissage, une idée novatrice qui méritait sûrement d'être aprofondie.



En parlant des Kaminotsukais, comme le disait Hanami, on ne pouvait d'ailleurs exclure que d'autres Yôkais soient capables de maîtriser le langage. Il était clair que dans un tel contexte de guerre, ceux qui en avaient la capacité n'allaient peut-être pas être des plus enclins à chercher à communiquer avec les humains.



La situation d'Himetsu, le Kitsune vivant avec Ao, était particulière, en ce qu'il revêtait même une forme humaine. Peut-être communiquait-il par l'esprit, mais de ce que Kirei avait compris de sa situation, il pouvait parler tout à fait normalement. Ce qui venait confirmer la théorie des deux chercheurs. Tout comme la demoiselle, il était également convaincu que l'Empereur avait souhaité mettre sa caste cléricale au pas, en ce qu'il était bien placé pour observer la manière dont elle s'était faite peu à peu corrompre par le pouvoir impérial. Certes, il n'était pas encore présent lors de la fameuse réforme, mais le témoignage de Gin, du haut de ses sept décennies, semblait confirmer que cette décision de l'empereur avait marqué un tournant pour leur ordre, qui s'était retrouvé beaucoup plus politisé qu'auparavant.



Les paroles de son interlocutrice n'étaient certainement pas les plus optimistes, considérant comme Seichiro que cette menace résultant d'une association entre humains et Yôkais était non seulement élevée, mais aussi probable. Un constat qui paraissait cependant lucide , ne ce que des signes pointaient d'ores-et-déjà dans cette direction. Ceci rendait leur enquête d'autant plus importante. Se remémorant le début de leur conversation à ce sujet, il se souvint alors d'une autre hypothèse du noble Jounin, qu'il ne manquerait point de transmettre à l'héritière du clan Watari. Celle-ci s'interrogeait d'ailleurs sur ce qu'il pouvait bien avoir à gagner, parmi tout ce qu'ils avaient pu aborder jusqu'à présent.