Un claquement de langue que tu ne connais que trop bien résonne à ton oreille. Sonorité de frustration, elle est le signe qu’Ume commence à perdre patience. Tu la vois, du coin de l’œil, se piquer le doigt régulièrement en tentant de manipuler la petite aiguille que votre mère lui a confié. Il faut dire que l’exercice est plus que compliqué pour deux petites filles de six ans. Mais vous avez insisté pour le faire vous-même. Vous avez même sorti votre arme secrète, les petits yeux de chiots. Et qui pourrait résister à l’adorable bouille de deux jumelles aux cheveux de neiges ? Certainement quelques personnes, mais pas vos parents, et encore moins votre père. Votre mère aussi a craqué, et voilà comment vous vous êtes retrouvées avec fils et aiguilles en main, à broder du mieux que vous le pouviez votre précieux emblème sur un carré de tissus blanc.

Toi ? Oh, tu galères un peu, mais heureusement, ton index est particulièrement épargné depuis le début de ce projet. Par contre ... Il faut avouer que tu n’es pas très douée pour la broderie. Ta carpe a une drôle de nageoire, et les longues cornes de ton dragon semblent un peu flageolantes. Pourtant, tu y mets du cœur ! Tu fais de ton mieux, concentrée comme jamais, tirant le bout de ta langue comme tu le fais à chaque fois que tu te chaque fois que tu fixes ton esprit sur une chose. Mais non, ce n’est pas ton truc. Tu es bien plus douée aux jeux de stratégie. Tu pourrais passer des heures à déplacer les petites pièces de bois sur la plateau. Tu aimes le son qu’elles font, à chaque coup. Tu aimes l’ambiance paisible qui règne lors d’une partie, et en même temps, la manière dont ton cerveau se met à bouillir face à l’infinité de coups et de scénarios possibles.

Mais non, là, t’es pas dans ton élément. Heureusement, une petite souris viens vite te distraire de cette tâche, plus complexe que tu ne l’aurais cru au départ. Elle glisse vers toi, comme si tu n’allais pas la repérer. Pourtant, tes iris se posent rapidement sur son visage, si semblable au tien. Ce visage curieux et candide, qui te fais sourire.

Tu sens la chaleur de sa petite tête sur ton épaule. Automatiquement, tes mains arrêtent de se mouvoir, déposant le matériel de torture sur la petite table de bois pour se diriger dans la chevelure de ta cadette. Enfin, cadette de quelques minutes à peine. Mais cadette tout de même ! La voix de celle-ci se fait basse, comme si elle s’apprêtait à te révéler un grand secret. Ton attention se porte entièrement sur ses prochaines paroles. A-t-elle découvert quelque chose d’intéressant ? Un trésor ? Ou peut-être des techniques propres à la famille Kara ? Mais non.

"Tu crois que techniquement, elle fait comment la carpe pour devenir un dragon ?"

Secondes de silence, puis éclats de rire. C’est vrai ça, comment elle fait la carpe ? La question est intéressante ! Mais tu t’y attendais pas du tout. Ta jumelle et toi avaient bien plus que l’apparence en commun. Votre étrangeté, enfin, selon les adultes, fait partie du lot. Après quelques secondes de rire, tu portes ta petite main à ton menton, frottant celui-ci de tes doigts comme le fait votre père. Une parfaite imitation ou un réel héritage génétique, la question est ouverte.

« Ta théorie est vraiment bonne ! Mais je pense plutôt que c’est comme un papillon ! Quand la carpe arrive en haut de la rivière, elle saute dans les airs de toutes ses forces et son corps se transforme ... En fait, c’est plus comme nous lorsqu’on grandit, mais très très vite ! »

Avec tes petits bras, tu mimes l’élan de l’élégant poisson qui se projette vers le ciel, pour atteindre son apogée. Tu l’aimes beaucoup cette histoire. Il faut dire qu’on vous la raconte depuis votre naissance. Elle est un peu ancrée dans votre esprit, et même si tu voulais l’oublier, tu n’en serais pas capable.

« Tu y arrives avec ton mouchoir ? Je t’entends te piquer depuis tout à l’heure ! »

Ton sourire est taquin, pourtant, tu n’as pas de quoi être fière ! Tu caches même ton propre mouchoir sous ton coude, comme s’il s’agissait d’un aveu de faiblesse. Tu n’aimes pas trop échouer à faire quelque chose. Non, tu es du genre perfectionniste et ce soir, je sais que tu profiteras des rayons lunaires pour tenter de t’améliorer. Obsessionnelle ? Un poil. Mais à croquer ? Totalement.

Votre mère vous observe avec amusement, tandis qu’elle-même brode un tissus avec bien plus d’aisance que vous. C’est incroyable de voir ses doigts faire danser l’aiguille. Le fil de couleur trace ses lignes, avec grâce et légèreté, prenant part à un motif bien plus grand et complexe, composé de fleurs et autres merveilles naturelles, formant un des célèbres paysages à couper le souffle de Seizan.

« Elle est trop douée Maman ... »

Le rire enjouée de la petite fille entraîna le sourire de l'autre, comme un mimétisme incontrôlé. Une surprise et une bonne humeur qui étaient contagieuses. Ume aimait simplement voir le visage de Saki s'éclairer, elle aimait encore plus que ce soit grâce à elle. La chaleur de la maison amplifiait la joie et les rires alors même que la toute petite ne savait pas vraiment ce que sa question avait de drôle. Un peu surprenante, elle voulait bien, mais drôle... C'était du sérieux pour elle ! Pourtant elle savait que le rire de la jumelle n'avait rien de vexant ou de moqueur. Il venait du cœur. Il lui faisait un peu penser à celui de leur père, le sien aussi venait du cœur, aussi réconfortant qu'une grosse embrassade familiale. Comme pour se justifier, elle lui sort son explication. De sa toute petite voix, ses yeux ronds plongés dans ceux de Saki, elle hoche vivement la tête en attendant ce que sa jumelle pourrait en dire. Elle avait tout d'une Kara, c'était ce qu'Ume se disait toujours en voyant à quel point elle avait les mêmes mimiques que leur père. Elles se ressemblaient les deux petites, c'était une évidence sur tous les points mais Saki s'élevait tout de même plus comme un modèle pour l'autre. Alors l'entendre valider la théorie fit bouillir son cœur de joie. Elle se détacha de l'épaule pour la voir mimer son explication. Le regard de la petite s'illuminait, tout en donnant libre court à son rire, en voyant sa sœur imiter la carpe qui finit par s'envoler.

" Comme un papillon". Oui c'était les bons mots, "comme un papillon" ressemblait bien à la façon dont fleurissait cette légende dans son esprit. "J'ai hâte qu'on grandisse ! J'suis sûre qu'on sera des super dragons ! T'imagines à quel point on pourra sauter haut nous ? Parce que c'est quand même plus simple avec des pieds qu'avec des nageoires." Elle en était convaincue, hochant vivement la tête à l'égard de sa jumelle pour appuyer ses mots. La petite Kara étira ses petits bras, engourdis par l'effort minutieux, la précision concentrée, le pauvre corps détendu sentait le contrecoup d'être trop penchée pendant un long moment.


Sa tête s'en retourne vers le bout de tissus qu'elle avait abandonné. "Mmh... Ca avance petit à petit au moins." C'est vrai qu'au moins la carpe ressemblait à quelque chose, c'était bien cette précision qui lui amenait autant d'ennuis. Alors d'un coup elle mit son index sous les yeux de Saki. Mais regarde le pauvre ! L'aiguille arrête pas de le piquer. Pourtant j'ai tout essayé pour l'en éloigner, mais on dirait que l'aiguille est trop attirée par mon doigt. C'est une saleté vraiment/" Non ce n'était pas sa faute, ça devait relever du mystique à ce niveau là. En aucun ça ne devait être une maladresse certaine les mains sur sa première aiguille. Ou bien la force qu'elle mettait pour percer le tissus, force superflue pour un tissus loin des plus épais. Sa bouille transformée en une moue boudeuse, tiraillée entre l'envie d'arrêter de se faire souffrir, le besoin de remplir sa parole après tout le caprice qu'elles avaient fait et la ferme intention de finir ce qu'elle avait commencé. "Comment tu fais toi ? Tu t'es pas piquée ? Je peux voir ?" Mais ce n'était pas comme si la petite Ume attendait qu'on l'autorise pour inviter son regard à chasser de l'oeil le mouchoir de Saki. Sa tête se penchait pour tenter de l'apercevoir. Est-ce qu'elle tentait de le lui cacher ? C'était bien probable. Pourquoi ? Ca c'était moins sûr.

Les esprits tournés vers la maman chère aux cœurs des deux sœurs en pensant à tout le talent qu'il lui fallait pour être une aussi bonne brodeuse. Ume réalisait que ça devait dur d'être la meilleure maman alors qu'elle ne montrait jamais aucune fatigue ou difficulté. Et elle voyait ses doigts qui se baladaient sur le tissus sans que jamais la pointe ne les rencontre. Elle en rêvait d'une telle fluidité, avec celle-ci ça ne devait prendre qu'une heure à peine pour broder le motif sur la mouchoir. "Ca a l'air si facile quand on la regarde, c'est comme ça avec les gens doués." Qu'elle lançait comme une évidence. "Imagine si papa et maman faisaient équipe, ils seraient imbattables.... " L'art d'idolâtrer les deux plus grands héros de leur vie d'enfant. Elle était sûre qu'on pouvait compter sur eux, qu'ils viendraient toujours les aider. Ils ne pourraient jamais les laisser tomber. " Et nous aussi quand on sera des dragons et qu'on fera équipe. Les jumelles dragons !"

Les carpes ne sautent pas, c’est vrai ça, mais en attendant, elles peuvent bondir hors de l’eau, en se projetant dans les airs, toujours plus haut ! C’est peut-être à force de s’entraîner à bondir hors de l’eau que cette fameuse carpe a réussi à devenir un dragon ! Là où toutes les autres carpes se sont moquées, elle a persévéré jusqu’à atteindre son but. Une jolie pensée, chère à ton petit cœur d’enfant. Après tout, qui ne rêve pas de s’élever au plus haut, pour atteindre une forme de liberté parmi tant d’autres ? Toi en tout cas. Tu es jeune, trop jeune pour penser aussi sérieusement, mais tu sais que tu devras travailler, encore et encore, pour pouvoir prendre les décisions que tu voudras. C’est la philosophie des Kara après tout. Une philosophie transmise de génération en génération et ce, depuis le premier des Kara.

« Moi aussi, j’ai hâte qu’on soit grandes ! On sera deux supers dragons, comme papa ! »

Ton poing s’élève dans les airs, dessinant une courbe semblable à celle d’une étoile filante, avant de s’écraser sur la table dans un léger bruit sourd. Ton autre bras lui, n’a pas bougé, dissimulant le risible résultat de tes heures de broderies. Oui, tu n’as vraiment pas envie qu’elle le voit. Tu préfères voir de la fierté dans le regard d’Ume, plutôt qu’une sorte de pitié compatissante. Votre père n’a jamais ce réflexe. À chaque échec de votre part, il vous encourage simplement à recommencer du début, encore et encore, jusqu’à y arriver, même si cela doit prendre mille essais. C’est parfois une bénédiction, et parfois ... Tu dois bien avouer que tu aimerais rentrer même si tu n’arrives pas à exécuter dès le premier jour un enchaînement. Mais pour atteindre ses buts, il faut se donner les moyens, pas vrai ?

Soulagement ultime lorsque ta sœur avoue à demi-mot rencontrer des difficultés à exécuter ce long travail de précision. Pauvre petit index, témoin des quelques erreurs que la cadette avait commis. Et puis, la fin de ton soulagement. Voilà qu’Ume veux voir ton travail. Ses grands yeux bleus se posent sur toi, pleins de curiosité. Son petit nez s’avance, tandis qu’elle tente de discerner l’horrible motif que tu dissimules sous ton appuis.

« J’ai ... J’ai encore du travail à faire ! Je te montrerais quand ce sera fini ! »

Et quand tu auras passé la nuit dessus, à recommencer jusqu’à avoir un résultat convainquant. Oui, je t’ai déjà dit que ce n’était pas grave et que tu n’avais pas à faire ça, mais t’as toujours pas changé d’avis. T’es têtue comme gamine. Heureusement que tu as de la chance, et que l’attention d’Ume est facilement détournable. Il te suffit de quelques mots pour qu’elle oublie ton mouchoir, quelques secondes, et se concentre sur votre mère.

Votre mère, si belle, si douée, si délicate ... Du moins en apparence. Elle a un sacré caractère. C’est elle la véritable cheffe de maison. Oui, elle vous mène tous à la baguette. Un mot de sa part et vous vous mettez tous au boulot sans rechigner. Votre père ? Il est bien trop amoureux pour oser dire non aux demandes de la dame de la lune. Il peut passer des heures à la regarder du coin de l’œil, en faisant semblant de lire. En faisant très mal semblant d’ailleurs. À chaque fois, les lèvres de votre mère esquissent un tendre sourire avant de se mouvoir pour prononcer son prénom. Et à chaque fois, il redresse la tête comme un chiot appelé par sa maîtresse, avec le regard du plus heureux des hommes. Il a toujours dit être tombé amoureux dès la première seconde, et comment ne pas le croire, quand on voit un tel sourire, une telle étincelle dans ses yeux ?

Ume te tire de ta contemplation, avec son énergie habituelle. Vous avez beau être des jumelles, des copies l’une de l’autre, vos caractères se sont différenciés. Elle a hérité de votre mère. De son énergie débordante et de sa tendresse, tandis que tu as hérité de l’amour pour les livres et la retenue de ton père.

« Oui, on rejoindra l’académie, puis on sera genin ! Et après ... »

Ton doigt désigne le plafond, ou plutôt, le ciel, par-dessus celui-ci, comme un objectif.

« On ira tout en haut ! Au sommet Ume, et comme ça, on pourra être les jumelles dragons, aux côtés de Papa. Une super famille de ninja ! »

Le sommet, symbole de puissance et de réussite, encore plus parlant à Seizan, village des montagnes. Même le Seizankage voit son rôle porté vers les hauteurs. Son bureau ne se trouve pas au sommet du mont Atlas pour rien après tout ! Mais qui sait, peut-être qu’un jour, ce sera à vous de grimper les marches ... ? Non, en fait, ce ne le sera pas. Ce n’est pas un rôle pour un Kara, et au fond de vous, vous le savez. Vous n’en ressentez même pas le besoin. Vous êtes les ombres du village. Une petite voix pleine de sagesse qui murmure ses conseils au creux des oreilles.

Soudain, l’orage tonne. Le ciel se déchire. Les premières gouttes de pluie s’écrasent lourdement sur la roche. Ton esprit s’apaise. Tu aimes l’orage. La mélodie de la nature qui se déchaine. Pourtant, c’est les sourcils froncés que tu cours rejoindre la fenêtre qui donne vue sur le devant de la petite maison.

« Oh non ! Papa est pas encore rentré ... ! J’espère que ça va aller ... »

Sur la pointe des pieds, tu observes le paysage se transformer, s’assombrir, la danse des érables écarlates secoués par le vent, à la recherche d’une silhouette. Ta mère se lève, glisse sa main doucement dans la chevelure d’Ume, avant de déposer ses lèvre sur le front de celle-ci.

« Saki, ne t’inquiètes pas, ton père a vu bien pire ! »

Les grands gestes de Saki illuminaient les yeux de la cadette autant qu'ils faisaient s'étirer fort les commissures de ses lèvres. Le doux rire qui trouvait ça trop beau pour être vrai en sortait alors que ses yeux s'en fermaient, plissés. Se rouvrant de peu ils suivaient le chemin de son poing sur la table. La force qu'elle avait étalée sur la table était superflue, sa jumelle faisait toujours comme si de rien était, pourtant ça se voyait qu'elle prenait tout à cœur. Elle mettait toute sa force dans tout ce qu'elle entreprenait, toute son énergie aussi. Le pire était qu'elle semblait penser qu'Ume ne le voyait pas, alors que c'était la raison pour laquelle les yeux de sa dite cadette se teintaient de fierté et d'émerveillement à chaque fois qu'elle l'admirait en action. Non, elles n'étaient pas tout à fait les mêmes. Les voix qui différaient un peu, des caractères qui avaient déviés du chemin de la gémellité, et d'autres infimes détails. Mais ça ne les empêchait pas d'être proches, comme toujours reliées par le même cordon. Ca se voyait : les liens rouges qui les serraient à la taille étaient les mêmes. Le génie des jumeaux c'était cette complicité inébranlable. Alors si l'honnêteté ne pouvait empêcher de cacher une partie de son échec - c'était ainsi que son père lui avait appris, Ume savait bien que les bégaiements de sa sœur cachait l'imperfection de sa broderie.  C'était comme en entrainement, la perfection sinon rien. En sachant ça, la petite fille détourna plus facilement son attention vers la tendresse des gestes de leur mère. Et aux mots enjoués d'une petite fille répond l'autre. Le retour de ces grands gestes qui faisaient autant rêver la petite Kara qu'ils ne la faisaient sourire à s'en faire mal aux joues. "Et on protègera le Seizankage et le village tous ensemble ! En famille !" En levant aussi le doigt au plus haut, vers le ciel rejoignant celui de Saki. Mais elle le savait, en tant que Kara elles resteraient cachées par les nuages à tenter de faire briller le soleil, laisser ses rayons frapper les monts qui protègent de leur hauteur effrayante le village caché. Elle aimait y penser, se sentir l'ombre de quelque chose de plus grand qu'elle. Elle était fière de se dire que c'était le rôle de la famille et que ce serait sa mission avec Saki. Main dans la main sous la direction de leur papa, grimper jusqu'au sommet de la montagne en se complétant.

De ce ciel qu'elles pointaient, surgit l'éclair qui déchira le paysage de sa lumière. Son grondement arracha un sursaut à la petite Ume et l'autre jumelle courait déjà à la fenêtre. Elle avait senti l'humidité dans l'air, l'odeur des jours de pluie mais l'orage l'avait surprise. Sinon les pleurs du ciel l'avaient toujours bercée de ses doux cliquetis, ses hurlements spectaculaires la mettait sur les nerfs. Une horreur des bruits trop forts, un mélange enfantin entre frayeur et énervement. Comme les aiguilles qui se plantaient dans son index, ça lui arrachait un claquement de langue sur son palais. Un tic que ses parents trouvaient insupportable. On lisait en elle et ses habitudes expressives, les émotions qui se montraient facilement. "Dis pas n'importe quoi Saki, on parle de papa quand même ! S'il a sauté assez haut pour devenir un dragon, un orage c'est rien pour lui." La main qui se glisse entre ses mèches aide à la détendre un peu, encore plus la douceur des lèvres de sa mère sur son front. Elle faisait toujours ça quand elle arrivait à la fin d'une histoire le soir et que ça ne suffisait pas à combler la curiosité des deux petites qui en réclamaient encore. Alors en rigolant à moitié comme pour partager un peu de douceur à sa sœur qui s'inquiétait elle ajouta : "Il va simplement revenir tout mouillé et salir toute la maison !" Un regard jeté vers Nanaka, à se dire que l'idée ne devait pas l'enchanter, qu'il faudra déjà se préparer à sa fureur contre le pauvre papa.

Une jumelle occupée avait laissé son œuvre à la portée d'une autre et malgré toute bonne volonté c'est la curiosité qui l'a emporté. Ses mains d'enfant se posent sur l'objet qu'on avait tenté de lui cacher et elle comprenait pourquoi, mais comme on avait coutume de dire "Il fallait bien commencer quelque part.". En comparant les tissus il fallait s'avouer que même s'il l'avait fait souffrir, sa carpe ressemblait bien plus à une carpe que l'autre. Tirant sur la manche de sa mère, Ume glissa quelques mots à son oreille. "Dis maman, tu pourrais broder 'Saki' sur le mien, s'il te plait ? Je sais qu'elle va y penser pendant des jours s'il n'est pas bien fait..." Un échange des deux mouchoirs pour soulager sa jumelle. Elle finirait l'autre tranquillement, avec toujours plus de picotements sur sa main. Le visage de sa maman se teinte de complicité, la petite savait bien que c'était ce qu'il y avait de plus facile pour elle. Ses mains y étaient habituées, pour différencier les affaires de deux petites filles identiques. Et elle ne pouvait pas résister à une mise en confidence.



La petite Ume se lève pour rejoindre Saki près de la fenêtre, ses bras tout fins passent autour des épaules de sa jumelle, pour un geste de consolation. "Ne t'en fais pas trop tu sais, il finit toujours par revenir. Et puis ça lui ferait de la peine de savoir que tu étais inquiète." Ses yeux s'attardent aussi au travers des feuillages, sans voir aucune ombre humaine. "On pourrait aider maman à préparer le dîner pour quand il rentrera, ça lui ferait plaisir c'est sûr." puis elle rajouta tout bas à son oreille. "Surtout s'il réveille la colère du vrai dragon de cette maison." Référence à cette maman qui paraissait si douce mais qui n'arrivait plus à les duper. Demi-sourire dans l'espoir d'éteindre la flamme de l'inquiétude dans le cœur de Saki.