Petit coin paisible et à l’écart du centre de Seizan. Tu aimes t’y balader depuis l’enfance. La danse du feuillage écarlate, la mélodie de la brise au creux de ton oreille, la silhouette des monts qui se dessinent à l’horizon et ses maisonnettes faites de bois et de pierre. Peu de gens viennent se perdre dans cette partie du village, et ça fait ton plus grand bonheur. Ici, la plupart sont des anciens qui aiment la tranquillité et qui souhaitent reposer leurs vieux os fatigués par les années. Tu contrastes donc avec la moyenne d’âge. Si leurs dos sont courbés, le tien est bien droit et soutient fermement tout ton corps.

Mais plus que la paysage, il y a une maisonnette où tu aimes te rendre. Une simple salle de jeu, loin des paris dangereux et des jeux excentrique, où nombres d’anciens stratèges des rangs de Seizan aiment se retrouver, pour une partie de shogi ou de go. Ne serait-ce finalement pas là, le véritable temps d’Omoikane ? Un lieu calme, cordial, enclin à la réflexion stratégique ?

Tu t’y rends toi-même depuis l’enfance. Ton père t’y emmenait pour te faire progresser contre divers adversaires. Oh bon sang, les raclées que tu t’es ramassée au début ! Mais après tout, quoi de plus normal ? Tu n’avais que 7 ans quand tu as commencé à jouer ici ! Les p’tits vieux te lançaient un regard moqueur en te disant qu’il faudrait encore 100 ans pour arriver à leur niveau alors que tu t’entêtais à vouloir rejouer une partie afin de prendre ta revanche. Revanche ratée bien évidemment. Bien sûr, au fil des années, tu as progressé. Tu n’as jamais réellement cessé de venir ici, pas même après le décès de tes parents. Tu te sens à ta place. Et puis, c’est drôle de voir les anciens s’empresser de jouer contre toi et continuer de te féliciter avec des sucreries. C’est un moment un peu plus doux que le reste de ton quotidien. Un fragment d’innocence que tu conserves précieusement.

De loin, tu repères enfin la petite maisonnette sur laquelle est fièrement affiché le kanji ‘’stratégie’’, peint en noir sur un long tissus rouge. Pourtant, une autre vision attire ton regard. Celle d’une jeune femme se tenant droit devant la porte, un regard interrogateur. Une chevelure courte, sombre, se balançant dans le vent. Un visage peut familier que tu reconnais néanmoins. Il faut dire que sa réputation est loin d’être bonne. Mais est-elle justifiée ? Les rumeurs ne sont toujours que des déformations d’une vérité plus ou moins proche après tout. Il n’y a qu’une manière de savoir, c’est d’apprendre à connaître cette mystérieuse jeune femme qui inquiète tant d’âmes ici.

Tu t’approches, calmement, jusqu’à rejoindre ses côtés. Petit silence entre vous, de quelques secondes alors que vous vous tenez face à la porte.

« Est-ce que ça te dit une petite partie de shogi contre moi ? »

Tu n’attends pas réellement de réponse. Tu ne sais pas pourquoi, mais tu sens qu’elle va te suivre. L’instinct peut-être ? Ou bien cette pointe de curiosité dans le regard que tu ne connais que trop bien ? Sans doute un savant mélange des deux.

Suite à tes questions, tu pénètres dans la petite maisonnette. L’intérieur est plus que traditionnel. Tout est en bois. De part et d’autre de la pièces sont installés des plateaux de jeu autour desquels sont assis les vieux joueurs. L’ambiance est paisible, bercée par les histoires pleines de nostalgies des habitués et le bruit des jetons de bois sur la surface de jeux. Certains jouent en grignotant, d’autres en buvant et bavardant, tandis que certains sont plongés dans un lourd silence de réflexion. Et bon sang que tu aimes ça !

Quelques mains se lèvent et quelques sourires se dessinent sur ton trajet alors que tu te dirige vers un des jeux de shogi encore libre. La brune te suit alors u sais jouer jusque-là tandis que tu prends place, l’invitant à faire de même.

« Yuiga, c’est ça ? Tu sais jouer où tu veux que je t’expliquer les règles ? »

Tes iris bleues se plongent dans les siennes, pétillantes, impatientes. Tu as hâte de découvrir qui est réellement cette Yuiga, au delà des racontars.

Ton instinct a visé juste. Très juste. La nouvelle habitante de Seizan n’a pas hésité une seconde à te suivre dans la petite maison de la stratégie. Une confirmation polie, souriante, aux antipodes de ce que sa réputation laissait croire. Tu avais envie de croire, qu’à force de ne pouvoir parler à personne, la jeune femme sautait sur l’occasion d’un peu de discussion. Mais toi et moi savons que cela serait inconscient de considérer chacun de ses gestes comme purs et innocents. Non, un sourire pouvait cacher un mensonge. Une main tendue, une trahison. Un cadeau, un poison. Pourtant, cela ne voulait pas dire que tu avais à être agressive ou totalement fermée envers la jeune femme, alors même qu’elle ne faisait que répondre à ton invitation.

Il ne fallut pas longtemps pour que vous preniez place toutes deux devant le plateau de bois aux pièces déjà placées en position de départ. Elle déboutonna sa chemise, et tu dénouas légèrement l’attache de ton col. Jouer en étant à l’aise était bien plus agréable, et permettait même de se concentrer un peu plus sur le jeu.

Un petit rire passa la barrière de tes lèvres quand Yuiga se présenta, si l’on peut appeler ça une présentation. Il faut dire que tu n’as pas laissé de mystère sur ta connaissance ou non de son identité. Mais à quoi bon mentir ? C’est en titillant son mécanisme de défense que la jeune femme dévoilera ce qu’elle a à cacher, si elle en a. Rien ne le certifie après tout.

- En effet, vous êtes assez célèbre. Il faut dire que c’est rare de recevoir ici des soldats de l’extérieur, du jour au lendemain.

Petite pause dans ton récit. Tu remues tes longs doigts pour faire circuler le sang dedans, te préparant au possible à cette partie.

- Je suis Kara Saki, mais tu peux simplement m’appeler Saki. Enchantée également.

Ton adversaire savait jouer, et tu dois bien avouer qu’il s’agit d’un véritable soulagement. Tu n’aurais sans doute pas pris grand plaisir à vaincre une personne sans connaissance. Mais un jeu serré avec une personne de la capitale ... ! Oui, ça, c’était exaltant ! Stimulant ! En quoi ses stratégies seraient différentes des tiennes ? Y sentiras tu l’influence d’un mode de vie à l’opposé du tien ? osera-t-elle mettre en péril le roi ? Est-ce qu’elle est une bonne joueuse ? Tu n’en peux plus d’attendre.

- Je suis sûre que tu es une adversaire redoutable, alors j’espère que tu ne m’en voudras pas de ne pas retenir mes coups. J’ai encore des progrès à faire.

Tentait-elle de t’adoucir, ou bien était-ce une simple démonstration de nostalgie face à un jeu qu’elle n'avait pas touché depuis un long moment ? Finalement, tu bouges la première pièce. Simple pion qui s’avance doucement sur le côté du plateau. Le claquement satisfaisant du bois contre le bois. Ton regard qui se lève vers elle, pétillant de curiosité à l’idée de son coup. Tu ne laisseras pas la jeune femme piéger ton général de jade. Tiens, d’ailleurs, très intéressant ce que tu as fait. Tu lui as laissé le côté du roi, manière métaphorique de la placer au-dessus de toi pour cette partie. Tu te mets dans la position du challenger. De l’ennemi qui cherche à détrôner. Est-ce que tu tentes de lui donner confiance, pour mieux la rouler ?

En même temps que cette partie se lance une autre bataille. Une bataille dont tu lances encore une fois les hostilités, un sourire doux et sympathique aux lèvres.

- Alors Yuiga, tu t’habitues à la vie à Seizan ? C’est rare de voir les nouveaux venus trainer dans cette partie du village, c’est assez éloigné du centre.

Tes mains sont retournées sur tes genoux, élégamment. Ton expression est douce, mais ton esprit est en guerre, calculant les prochains coups possibles de la jeune femme, et la stratégie que tu devras utiliser selon ses possibles coups.