Ah, le quartier militaire ! Les petites cases qui étaient mises à disposition des soldats étaient plus que confortables pour tout ceux qui n’avaient pas de réelle demeure ou bien aucune famille à rejoindre. Toi, tu faisais partie de la seconde catégorie. Tu possédais bien une maison dans la quartier résidentiel, mais tu y passais simplement de temps en temps pour faire un peu de ménage. Trop de souvenirs là-bas. Tu n’as même jamais réellement touché à la chambre de tes parents, à part pour y faire la poussière.

Alors oui, tu l’aimes bien ta petite case. Tu y es bien installée. Tu as gardé les mêmes habitudes que dans ta maison d’enfance. Le portrait de tes parents sur le petit autel que tu salut avant de sortir, ton lit agrémenté de coussin sur lesquels tu aimes t’écraser avec une longue journée de travail, les ouvrages rangés avec attention, les cordes tressées écarlates accrochées au mur avec tes vêtements de rechanges. Tout ces petits éléments qui te font véritablement sentir chez toi.

Tu venais d’ailleurs de rentrer dans ta petite maisonnette après un long entrainement et un bon bain glacé. Tes cheveux étaient encore humides et ton ventre criait famine après tant d’effort quand on toqua à ta porte. Lentement, tu laissas glisser la serviette posée sur ton crâne et haussa un sourcil. Peu étaient ceux qui venaient toquer à ta porte. Ta première pensée fut donc de supposer qu’il s’agissait là d’une énième mission qui allait te tomber sur le dos.

Vêtue d’un simple débardeur et d’un pantalon large, serré au niveau de tes hanches, tu te hâtes d’aller ouvrir la porte, prête à découvrir un supérieur avec une convocation, ou encore un genin habituellement sous tes ordres.

« Oui c’est pour qu- »

Tu te stoppes net. Tu ne connais absolument pas l’immense mur de viande qui te fais face et ça, ça veut dire que ton hypothèse de base est sans doute incorrecte. Il t’observe avec un sourire et le regard plein de curiosité.

D’habitude, c’est toi qui fais ça aux autres.

Sa carrure est telle que le soleil n’atteint même pas ton visage. Pourtant, tu n’es pas une des plus petites du village. Mais c’est dans une autre classe que l’inconnu joue. Tu l’observes, un poil surprise, alors qu’il se présente à toi. Sa chevelure brune, un poil hirsute, te fais penser à un ours. Tu sens l’odeur du tabac froid en contraste avec l’odeur acidulée rémanente de ton bain. Tes narines se retroussent alors légèrement.

Kazumasa Temna. Encore un Tenma. Tu commences à te demander combien tu peux en croiser en peu de temps ? Il y a d’abord eu Ojin, au temple de fer, puis Hisao, et maintenant ce grand personnage.

Grand personnage dont la curiosité éveille la tienne. Où a-t-il entendu parler de toi, au point de vouloir te rencontrer ? Tu ne cherches pourtant pas particulièrement l’attention, et tu connais ta réputation comme étant celle d’une étrange demoiselle. Est-ce l’étrangeté qui lui a donné envie de te rencontrer ? Ou bien d’autres rumeurs courent sur toi, sans que tu sois au courant ? En tout cas, bien que le colosse ait ce grand air sympathique, tu hésites. Est-ce vraiment une bonne idée de simplement accepter ? Après tout, tu ne sais rien de lui. Mais alors que ton esprit pèse le pour et le contre de tes possibles réponses, ton estomac décide d’intervenir.

« Groooooooooown »

Le gargouillement a profité du silence pour s’imposer. Tu sens l’embarrassement te monter aux joues. Quelle mauvaise image tu donnes de toi ... ! Et hors de question de refuser maintenant que ta faim est complètement exposée aux yeux du Tenma.

« C’est d’accord, j’arrive, le temps d’enfiler un truc plus convenable. L’histoire de quelques minutes »

Et sans attendre, tu lui claques la porte au nez avant de frapper ton front de la paume de ta main. Bon sang, dire que tu es trahie par ton propre corps ! Il te reste encore un long chemin à faire ... Mais ce n’est pas le moment pour t’apitoyer. Le géant t’attend, et tu as toujours faim. Rapidement, tu bondis dans tes vêtements habituels, attachant rapidement les liens rouges et sèche un peu mieux ta chevelure. C’est ainsi que trois minutes plus tard, tu ressors de ta case, prête à aller déguster ce repas que ton corps réclame, au prix de ta dignité.

« Pardon pour l’attente, je reviens tout juste de l’entraînement. »

Petit moment de silence gênant. Tu ne peux pas t’empêcher de le combler.

« Je payerais mon repas, pas d’inquiétude. J’allais sortir manger de toutes manières, ce sera idiot de vous faire payer. Surtout que je vais moi aussi me permettre de vous poser quelques questions, alors on sera quitte, non ? »

Oui, parce que tu te doutes que vous n’allez pas parler de la pluie et du beau temps. Ce qui veux dire que toi aussi, tu vas pouvoir fouiner dans la vie de celui qui est, de ce que tu sais, l’héritier de sa famille.

Vous n’avez pas mis longtemps avant de commencer votre marche en direction d’un restaurant pour rassasier vos estomacs. Un repas que vous compariez à une bataille, dans laquelle vous décidiez de vous engager à armes égales. Drôle de métaphore, mais qui suis-je pour vous critiquer après tout ! Vos premiers pas se firent sans un mot. Seuls les pas de Kazumasa résonnaient sur le sol. Bien plus fort que les tient en tout cas, au point où l’on n’entendait plus ceux-ci contre le sol de roche. Ce n’était pas un silence désagréable, au contraire. Après une journée de travail, la brise fraiche de Seizan ne pouvait être qu’une douce sensation.

Pourtant, une discussion était tout aussi stimulante pour deux esprits aussi curieux que les votre. Tu as toujours eu du mal à mettre ton cerveau en pause. À arrêter de réfléchir à tout. Au moindre détails qui attire ton attention, ou aux questions parfois saugrenues qui te passent par l’esprit. Parler avec quelqu’un avait l’avantage de te canaliser. De donner un sujet précis sur lequel te figer, pour quelques temps. Et cette discussion, c’est le Tenma qui la débuta. Tu relevas le nez, pour observer le géant, et lui prêter toute ton attention, du moins, pour cette soirée.

Il confia être débordé, au point de ne pas avoir réellement eu le temps de s’entraîner convenablement. Les responsabilités d’un chef de clan étaient loin d’être négligeables après tout, et son emploi du temps chargé n’était donc pas une surprise.

« J’imagine que vous êtes un peu débordé en effet, mais j’aimerais beaucoup entendre le récit de votre mission, si celle-ci n’est pas confidentielle bien évidemment ! »

Curiosité définitivement enflammée. Oui, tu te demandes bien ce qu’il a pu faire comme découverte, au cours de cette fameuse mission. Autre point : Vous semblez tout deux être des férus de lectures. Une caractéristiques bien trop absente chez tes collègues selon toi.

« Qu’est-ce que vous lisez en ce moment ? Actuellement, j’ai jeté mon dévolu sur les poèmes guerriers d’Asato Mashiiro, un soldat qui était jadis ninja pour Toge. L’œuvre est peu connue mais d’une exactitude et la plume est délicate ! »

Voilà, tu vas bavasser ce soir. Tu as si peu l’habitude d’échanger sur ce sujet avec tes collègues que tu n'as pas su te retenir. Si ça se trouve, le Tenma déteste la poésie, mais non, tu préfères sautes les pieds dans le plat. Au moins, tu pourras rebondir. Tu lis de tout, même si tu ne le dis pas. Oui oui, même des romances à l’eau de rose, je suis au courant pour le livre caché derrière ta petite bibliothèque. Je sais tout.

Finalement, le dernier point de sa phrase t’intrigue également. C’est un bingo pour le colosse, il faut bien l’avouer. Un petit rire passa la barrière de tes lèvres tandis que Kazumasa souleva le noren et ouvrit la porte.

« J’ai vraiment hâte de savoir ce qu’ils racontent sur moi ... Et de goûter la cuisine du chef ~ »

Sur ces paroles, vous pénétrez dans le petit établissement, à l’odeur plus qu’alléchante, provoquant alors à nouveau cri de la part de ton ventre, cette fois étouffé par l’ambiance de l’endroit. Tu te hâtes même de t’installer au comptoir. Les regards se glissent sur vous, avec curiosité. La commande de l’ours des Tenma semblent conséquentes, et pourtant ...

« Je vais prendre un Sukiyaki également »

Es-tu inconsciente de la quantité que cela représente ? Non, du tout. Tu sais bien que cette fondue est normalement prévue pour plusieurs personnes. Les habitués semblent à la fois surpris et inquiets de ta commande, au point où tu te sens presque obligée de faire une petite blague.

« Si le corps est un temple, alors il ne vaut mieux pas être radins sur les offrandes, non ? »

Bon, tu n’avales pas non plus de telles plat tout les jours, mais là, tu as vraiment faim. Entre l’entraînement et le repas que tu as accidentellement sauté, c’est justifié. La fondue ne fera pas le poids face à toi.

« Vous pourriez rajouter une bouteille de saké avec ça ? Si vous avez du Bunkajin, ce serait parfait »

Le saké des littéraire. Du moins, en réputation. L'idée est que ceux qui boivent ce saké l'apprécient tout comme on aime la littérature. Légèrement sec lorsqu'on vient de le verser, il dégage toutes ses saveurs lentement après l'avoir laissé reposer au contact de l'air. L'acidité vive pleine de fraicheur, l'odeur fine du musc et la saveur douce qu'il prend, composent une harmonie agréable. C’est tout ce que tu aimes dans ce saké pourtant assez corsé. Mais c’est comme ça que les langues se délient plus facilement après tout !

Tu tournes la tête vers Kazumasa, gardant ce sourire aux lèvres alors que le chef dépose la bouteille de saké et deux coupes contre le comptoir.

« Alors Kazumasa, vous étiez sur le point de me raconter plus précisément ce qui vous avez poussé à venir jusqu’à ma case ... J’espères que vos collègues n’ont pas été trop enjoliveurs dans leurs commentaires, je m’en voudrais de vous décevoir »