Couleur de jade et d'onyx dans le ciel de Seizan, la nuit souriait avec sa demi-lune, se riant des multiples flammes qui tentaient, vainement, de disputer son empire. Les laborieux artisans étaient déjà retourner au foyer, quelques martialistes peuplaient encore les terrains d'entraînements, mais dans l'ensemble, le village des Montagne se couchait tôt.
Pourtant, dans un recoin du quartier résidentielle, un sourire dément animait une silhouette sombre. Il l'avait étudié avec soin, notant son emploi du temps, cartographiant le moindre de ses trajets. Après une semaine à pister cette proie, l'occasion se présentait enfin. Mains posées sur les genoux, il plia tour à tour ses jambes. Léger échauffement, une expiration, puis une course soudaine sur les toits. Prise d'élan, l'alégresse se moquait de la gravité.



Hurlement à en réveiller tout le voisinage, le moine entra dans un parfait coup de pied sauté, au grand damne de la fenêtre qui vola littéralement en éclat. Oui, il le savait, le Tadake se trouvait forcément chez lui, et il n'avait rien de prévu pour la soirée.
Ajoutant à cette entrée remarquable une pause triomphale, Maho resta donc mains sur les hanches, torse bombé et sourire resplendissant, ses cheveux virevoltant sous la brise soudainement introduite par le mur brisé. Inspiration, il allait gueuler, au moins l'aveugle était prévenu.



Doigt pointé vers sa cible, menton levé vers le ciel, l'éphèbe affirma toute sa dominance. Oui, il était définitivement inspiré, et il n'avait même pas bu ! Dans un autre monde, sa détermination lui vaudrait une aura enflammée, tandis que ses yeux s'incarneraient en soleil. M'enfin faute de mieux, une fenêtre brisée ferait l'affaire.

La routine du jeune homme était parfaitement millimétrée, enfin c'était ce qu'il aimait à dire mais depuis quelques jours, depuis que le géant des montagnes avait posé son regard sur lui, Kyoshiro avait redoublé d'efforts pour travailler toujours plus. Résultat des courses il était fatigué, épuisé même et aujourd'hui, après des heures et des heures enfermé dans sa forge, Kyoshiro avait décidé de faire un détour par chez lui, plutôt que d'aller s'entraîner directement. Il aurait voulu faire une bonne sieste, mais l'aveugle ne parvint qu'à grappiller vingt petites minutes de sommeil, jusqu'à ce que son corps ne le pousse à se lever. Vêtu seulement de son pantalon, s'étant débarrassé de son t-shirt pour dormir, le colosse erra dans son salon comme une âme en peine, jusqu'à ce qu'un grand bruit fracassant ne le sorte de sa torpeur.
D'habitude il arrivait toujours à voir venir son ami d'enfance, à esquiver ses assauts vigoureux en guise de salutations mais cette fois, encore un peu endormi, les réflexes de l'aveugle furent trop amoindris pour qu'il puisse esquiver à temps. A peine debout et déjà il fut vigoureusement projeté en arrière, percutant avec force le mur derrière lui, avant de retomber sur ses fesses. Il ne lui fallut que quelques secondes pour prendre pied avec la réalité, pestant à pleins poumons d'un :



D'habitude il pouvait rire de ces assauts répétés, mais la fatigue avait rendu le Tadake grognon, ces jours-ci. Il ne dormait déjà pas beaucoup mais, en plus, s'il n'arrivait même plus à se reposer un peu, alors que lui restait-il ? Se frottant l'arrière de sa tête, endolorie par le choc, le colosse se leva et prit quelques secondes pour retrouver ses esprits, pour se rappeler où il avait mis son t-shirt, avant de s'y diriger. Entre temps il soupira, face à ce qu'il supposait être une idée particulièrement foireuse de son ami d'enfance. Un truc à le montrer ? S'agissait-il encore d'une femme dont il était tombé sous le charme,  ou bien un lieu pour prier le divin ? Quoi que puisse être le sujet, le commentaire du colosse ne se fit pas attendre.



Ce fut en sentant une brise fraîche caresser son corps, malgré la porte fermée, que le colosse retraça les événements dans sa tête. Si la porte n'était pas ouverture, comment diable Maho avait-il fait pour rentrer ? Les pièces du puzzle s'assemblèrent enfin dans sa tête jusqu'à ce que, finalement, il n'en vienne à comprendre et pester  à nouveau :

Impossible… Malgré les longues années soutenant leur amitié, on comptait sur les doigts d'une main les fois où le moine parvint à toucher son ami. Hors non seulement il l'avait percuté, mais sa réaction confirmait l'effet de surprise. Déboussolé tout d'abord, puis empli d'une fierté inouïe, Maho fut tout simplement imperméable à toute culpabilité. Sa main gauche maintenue en l'air, quatre doigts déployés, un cinquième rejoignit lentement l'assemblée.



Un rire bruyant accompagna ce compte, témoin que pour le Kaice, surprendre son compagnon était réellement un exploit. Cela en disant surement beaucoup sur le surmenage de ce dernier, mais cela l'éphèbe se refusait à l'entendre. Il remarqua avec plaisir que ce dernier cherchait déjà de quoi se couvrir, signe que malgré de vaines protestations, il acceptait le destin !



Le sourire d'enfant disparût au moment même où Kyoshiro comprît le secret de sa mise en scène. Main posée sur le crâne, regard embarrassé, Maho réalisât qu'effectivement, il n'avait pas pensé à la suite de sa triomphante apparition. Le climat montagnard ne rendait pas les nuits particulièrement moelleuses.
M'enfin il ne s'agissait qu'un d'un léger collatéral. Reprenant de la substance, notre énergumène balaya la reproche d'une main, s'armant de nouveau de son enthousiasme débordant.



Et voila, le premier indice venait d'être lancé. Le doigt du malandrin pointait bien évidement vers l'arme démoniaque. Il ne l'avait d'ailleurs pas encore vu à l'œuvre.
Tentant tant bien que mal de couvrir le trou béant avec du tissu le temps que Kyoshiro s'apprêtait, Maho lui tendit ensuite une petite gourde.



Alors oui il y avait quelques feuille de thé et de jasmin dans cette mixture, mais de là à l'appeler ainsi. Il fallait savoir que malgré ses fréquentes incartades, le moine n'avouait jamais ouvertement ses crimes. Ceci dit le forgeron connaissait déjà ses habitudes. Pour tout dire ses capacités d'herboristes en faisait un excellent Mixologue, et la fragrance de saké entremêlée de jasmin citronnée savait séduire les sens.

Le duo quitta donc la demeure, la marche se transforma rapidement en une course légère, l'agilité du pugiliste se mariant fort bien avec la vitesse du sabreur.
Ils ralentirent en arrivant à proximité du quartier marchand, les établissements nocturnes de Seizan se trouvant à mi-chemin entre ce dernier et le parc résidentiel. Véritable poisson dans l'eau, le moine évoluait de façon fluide et décisive, se repérant sans mal dans ce labyrinthe de bars et d'échoppes. Roches et bois se mêlaient dans une discrète, mais plaisante, architecture.
La marche s'arrêta enfin, devant un humble cube en bois dont les murs en papiers dansaient au rythme des ombres. Des voix embrumées par l'alcool résonnaient dans la rue, un duo de guitare peinant à s'exprimer au travers du chahut. Avant même qu'ils ne touchèrent la porte, Maho bondit brusquement en arrière, un imposant quarantenaire s'essayant au vol d'oiseau traversant brusquement la paroi, s'écrasant en roulé boulé sur la route pavée.



Et les voila arrivé à destination, dans un Izakaya n'ayant rien d'extraordinaire. Quelques regards curieux toisèrent leur arrivée, mais ils reconnurent bien vite la longue chevelure du religieux. Déjà une charmante demoiselle s'approchait d'eux. Son regard charmeur s'embrasant lorsqu'elle aperçut Kyoshiro.

Ces petites entrées musclées faisaient partie d'un jeu qui s'était établi entre les deux hommes, au fil du temps. Ils avaient toujours apprécié jouer ensemble, se chamailler vigoureusement, et ces petits jeux n'avaient été que de plus en plus musclés, au fil du temps. On aurait pu croire qu'ils auraient pu se lasser, avec le temps, mais peut-être était-ce la dernière chose qui les rattachait à cette époque où ils s'étaient connus. Alors oui Kyoshiro se prêtait régulièrement au jeu, il l'aurait d'ailleurs fait aujourd'hui aussi, s'il ne peinait pas autant à récupérer son énergie, pour fonctionner à plein régime.
Il n'était donc pas dans les meilleures dispositions, mais cela n'empêchait pas Maho d'être énergique et intense, comme à son habitude. En général Kyoshiro appréciait cela chez lui, mais la fatigue le mettait de bien trop mauvaise humeur, en ce moment. Ainsi, alors que Maho se réjouissait de sa victoire, d'avoir enfin réussi à surprendre l'aveugle, le concerné essaya de calmer sa joie, répondant amèrement :



Oui il avait la défaite difficile, surtout au réveil. De ce qu'il comprenait Maho voulait le trimballer quelque part, sans vraiment lui dire oui et, s'il n'en disait pas beaucoup, Maho était certain que son camarade n'allait pas être déçu du voyage. Combien de fois avait-il entendu ces mêmes mots ?



Il commença donc à s'habiller, conscient que le Kaice ne prendrait pas non pour une réponse et, si l'aveugle était déjà inquiet de savoir où il allait, sentir son ami d'enfance, son frère d'une autre mère pointer son arme démoniaque n'avait absolument rien de rassurant. Si cela devait être une bonne soirée, pourquoi avait-il besoin d'amener son arme, avec lui ? Arquant un sourcil de surprise, il avoua, en soupirant :



Prenant une lampée du thé préparé par l'homme aux cheveux long, Kyoshiro attrapa son arme, comme demandé, avant de suivre Maho dans les ruelles les plus bondées et suintantes qu'il ait pu sentir depuis longtemps. Oh il n'était pas dupe, il savait que cela sentait mauvais et c'était en arrivant, en sentant un homme se faire jeter à travers la porte, que les craintes du jeune homme prirent enfin forme. Mais pourquoi avait-il accepté ? Pourquoi  n'arrivait-il pas à dire non à Maho ? Il lui emboîta donc le pas et, immédiatement, en sentant une serveuse les accueillir, le Tadake joua la comédie et, se fendant d'un sourire dont il avait le secret, s'approcha de la serveuse et posa une main sur l'épaule de Maho.



Un fieffé mensonge évidemment, mais c'était plus fort que lui. Quand il était avec Maho il se prêtait au jeu bien plus facilement qu'avec tout autre être humain sur cette terre. Pivotant, il s'approcha de l'oreille de Maho et, à voix basse, lui murmura :

Mauvaise humeur compréhensible, personne n'aimait après tout les réveils brutaux. Heureusement Kyoshiro se plia au demande de l’intrus, ce dernier prenant même un certain plaisir à le voir ronchonner.
Il ne fallut pas longtemps pour que l'aveugle se transforma. Une jolie demoiselle plus tard, et voici qu'il déployait son charme. Son assurance à tout épreuve alimentait un parler direct qui, couplé à sa belle gueule, ne manquait pas de séduire le galant sexe. Pourtant malgré son aura aguicheuse, Nanami n'était pas exactement une donzelle attendant son prince charmant. Un rire éclatant succéda les propos du Tadake, la belle posant délicatement sa main sur la joue du moine, passant avec un regard malicieux de l'un à l'autre.



Clin d’œil charmant suivit d'une moue faussement triste, puis la belle offrit un discret hochement de tête au Kaice. Ragaillardi par la rhétorique de son frère, le moine lui répondit d'une légère tape dans le dos.



Bien conscient que sa proposition ne trouverait pas suite, il invita le grand blond à le suivre. Ils passèrent derrière le bar, quittant la foule pour traverser une petite cuisine avant d'arriver devant une trappe. Un garde-manger sans doute, sauf qu'à l'ouverture, nulle odeur de nourriture n’accompagnât l'échelle déployée.
S’engouffrer d'un bond dans le trou, ils chutèrent sur de bons mètres, avant d’atterrir dans un décors de pierre. Une galerie souterraine, rien de nouveau pour Seizan, ne serait-ce pour son emplacement. Alors qu'ils avancèrent, un homme se tenait non loin d'une torche, son regard dur s'adoucissant devant la démarche sautillante de l'éphèbe.



Le colosse leur répondit d'un sourire édenté, faisant craquer son large cou en leur faisant signe de continuer, et s'installa de nouveau sur un haut tabouret. Le couloir quand à lui ne tarda pas à s'élargir. La pierre taillée fit de nouveau place au bois, le vrombissement de la foule se fit de nouveau entendre, accompagné cette fois de bruits sourds que ne pouvait que reconnaître l'épéiste. Le choc de la chair contre la chair, des os fracassés, l'harmonie du combat.
Éclairée par des torches murales, une vaste salle s'exhibait. Organisée autour d'un cercle central, on y trouvait deux comptoirs, l'un sur la gauche servant nourritures et, principalement, boissons fermentées, l'autre à l'opposée s'occupant de ce qu'aux différents hurlements on identifierait comme... Un comptoir de paris ?

Évoluant comme un poisson dans l'eau, Maho guidait son compagnon au travers la foule sans le moindre trouble. Ils passèrent non loin du cercle, deux gros calibres s'affrontant au poing, et à la suite d'une projection ils durent démontrer leur agilité. Corps volant esquivé, Maho trouva un endroit un peu plus calme pour se poser.



Sourire en coin, les yeux brûlants d'enthousiasme, le moine fixait son ami. Il était certes facile de trouver un partenaire d'entraînement à Seizan, mais ce club souterrain avec quelques choses de différents. C'était peut-être l'alcool coulant à flot, ou les ryos échangés pour nourrir les paris, mais il y avait quelque chose de plus viscéral, de plus vicieux aussi, dans ses affrontements souterrains.
Maho quand à lui n'était pas un fanatique du combat. Pourtant ici il savait l'apprécier, et honnêtement cela lui plaisait de dévoiler une autre facette de lui même que l'artiste frivole à Kyoshiro. Surtout que, la soirée était pleine de surprise.

Les seules fois où le jeune aveugle gratifiait le peuple de son auguste présence, c'était lorsqu'il voyait un intérêt et une opportunité d'être remarqué, repéré, et que son souvenir soit ancré dans les souvenirs de ses congénères. Rien de ce qu'il faisait n'était jamais gratuit, il agissait toujours dans son propre intérêt avant celui de tous les autres, contrairement aux préceptes qu'il était supposé suivre. Alors qu'est-ce qui était différence, cette fois ? Était-il un jouet des émotions humaines comme la solitude, contrairement à ce qu'il voulait bien laisser croire, ou y avait-il une autre raison ? Oh certes certaines journées étaient plus pénibles et vides que d'autres, et le Kaice avait toujours une place particulière dans le cœur de l'aveugle, mais ce dernier avait surtout du mal à se concentrer, ces temps-ci.
Alors oui il râlait face à cette entrée fracassante, ronchonnait comme lui seul savait le faire mais, au bout du compte, il avait pleinement conscience que cette sortie pourrait peut-être lui apporter le quiétude dont il avait réellement besoin. Quoi de mieux qu'une sortie pour se changer les idées, et aborder la journée suivante d'un meilleur pied que la veille ? Il n'était pas très optimiste mais, maintenant qu'il état réveillé, il ne pourrait de toute façon pas se rendormir et était trop fatigué pour s'entraîner. Forger ? L'assurance de se fracasser les doigts.

En arrivant sur place il se força un peu pour revêtir le masque public qui était le sien, en espérant que cela se fasse plus naturellement par la suite. Feindre jusqu'à ce que cela se fasse tout seul, hein ? L'aveugle commença donc par mettre son ami en avant, auprès de la serveuse mais, de ce qu'il comprit rapidement, cette femme n'était pas la raison de la présence du duo. Maho n'était pas ici pour courtiser une demoiselle ? Étrange, mais cela rayait au moins un scénario de la liste qui s'était créée dans la tête du colosse.

Silencieux, Kyoshiro suivit donc son ami d'enfance et, lorsqu'il l'invita à bondir dans la trappe juste devant lui, l'aveugle arqua un sourcil d'interrogation. Non mais vraiment, où l'emmenait-il ? Aussi curieux qu'inquiet, il bondit donc et, se redressant, caressa la paroi du bout de ses doigts, pour en découvrir la nature. Une cave ? Une grotte ? Intrigué, il suivit Maho jusqu'à ce que celui-ci ne rencontre une autre tête connue, promettant une fois encore que la soirée serait intéressante. L'avait-il amené, ici, pour se donner à quelque spectacle de son cru ? Il espérait que non car, s'il pouvait le faire, l'envie de l'enfant de l'hiver n'était pas encore là.

Un pas après l'autre, le colosse suivit donc le duo jusqu'à ce que, finalement, il ne commence à entendre des bruits et de la foule, un peu plus loin.



Dans quel cabaret des bas-fonds était-il en train de le traîner ? La question disparut dés que le colosse pénétra dans la pièce, entendant le bruit de corps se fracassant l'un contre l'autre. Il lui fallut quelques secondes pour tout entendre, pour tout comprendre mais, alors que le puzzle s'assemblait dans sa tête, les ténèbres disparurent pour laisser la place à l'un des plus francs sourires disponibles dans la panoplie de l'aveugle. Le torse bombé, sentant son corps s'éveiller à nouveau malgré la fatigue, il posa une main ferme sur l'épaule de son ami, lui lâchant jovialement :



Oh oui il était trop fatigué pour s'entraîner tout seul, mais se foutre sur la gueule avec un autre gugusse, c'était une toute autre histoire ! Ragaillardi par cette nouvelle vivifiante, l'enfant de l'hiver se rapprocha du comptoir le plus proche, attrapa un tabouret avant de se lever dessus, pour être bien visible du reste de la foule. Le torse bombé, la fierté dans son poing serré, il leva la tête et ce fut à pleins poumons qu'il couvra le brouaha de sa voix puissante, en direction des spectateurs et des participants.



Une façon subtile de se faire connaître, qui allait sans doute lui attirer bien des regards courroucés. Eh bien quoi ? Son ami lui avait bien dit de ramener sa lame, non ? Autant la mettre à l'usage dés à présent.

Ah enfin il le retrouvait ! Brillant d'enthousiasme, brûlant d'une joie simple et franche, le Tadake resplendissait, replongeant non sans nostalgie le moine dans ses souvenirs. Ils étaient souvent comme ça à l'époque, quand ils pouvaient encore s'amuser avec l'insouciance de l'enfance. Ce qu'il ne prédit pas par contre fut le toupet monumentale de l'aveugle.
C'était sa faute, il aurait du le voir venir, pourtant en voyant son compagnon sauté sur un tabouret, il ne put s'empêcher d'enfoncer son visage dans ses mains. Et ben, voila au moins qui pimenterait la soirée.

Silence, toute la salle demeura muette, des dizaines de regards fusillant l'inconnu du regard. L'air devant soudainement pesant, et entre les poings fermés et les grognements, on pouvait sentir le départ d'une bagarre. Après tout il ne s'agissait pas d'un club ordinaire. Nous restions à Seizan, forgés par l'austérité des montagnes et la lutte contre les Yokaïs, les autochtones ne prenaient pas l'honneur à la légère.



Tension volant un éclat, au rire gras du colosse se joignit toute la salle, bruit de chopes contre le bois se joignant à allégresse. Toutefois, alors qu'il aperçut plusieurs gaillards se rapprocher de Kyoshiro, Maho bondit de sa place. De sa grâce féline il enjamba l'assemblée, se plaçant volontairement entre l'inconscient et la foule.
Sourire aux lèvres, il démontrait à son charisme. Un parlé chantant, mélodieux, que confortait une tenue fière, dont l'élégance flirtait avec la féminité.



De par l'attention que lui portait la foule, on sentait que le Kaice n'était pas étranger à ce lieu. Ce respect n'était sans doute pas inspiré par sa carrure d'éphèbe, était-il monter sur le ring ? Là toutefois n'était pas la question. Une série d'hurlements accompagna sa prise de paroles, et dans l'agitation générale des chaises furent réarrangées, des tables retournées, l'attention de la salle se tournant vers le ring.
Maho en profitant pour se rapprocher de son ami, une lueur complice dans le regard, une main sur l'épaule.



Il se permit d'insister sur les derniers mots. S'il savait que Kyoshiro ne craignait pas vraiment les attaques fourbes, il devait comprendre la différence entre un terrain d'entraînement et ce lieu. Les combats s'arrêtaient souvent avant un drame, mais techniquement... Aucune règle n'interdisait l'homicide.
Enfin, l'ambiance ce soir semblait conviviale, et prenant place au premier rang, le moine ne serait jamais loin. Un des gaillard s'affrontait plus tôt (celui n'ayant pas virevolter) attendait l'aveugle dans le ring. Le dépassant en hauteur et en largeur, il écrasa ses énormes poings l'un contre l'autre, un sourire de prédateur assombrissant son visage.



Ah voir ce que répondit le concerné, mais l'arène était prête pour l'action. Une jeune femme aux formes irréelles s'avançant, se dandinant en panthère sur d’impressionnants talons. Plantureuse créature, elle s'arrêta dans une pose outrancière, main levée. Silence soudain, compte à rebours implicite...

Il était de notoriété commune que l'enfant de l'hiver avait la langue bien pendant et, malheureusement, il était encore beaucoup trop considéré comme un vantard dont les paroles n'avaient aucun poids. C'était l'avis donné par ceux qui ne le connaissaient pas mais, quand venait l'heure de faire ses preuves, bon nombre de bouches finissaient toutes par se fermer. Il était bon et il le savait, alors pourquoi se taire ? Pourquoi en avoir honte ? Au nom de quel obscur concept, comme celui de la modestie, devrait-il être réduit au silence des petits et des inutiles ? C'était armé de cette évidence qu'il monta sur la tabouret, pour faire porter sa voix et sa détermination à qui voudrait bien l'entendre. Il sentit évidemment la tension et s'en délecta avec plaisir jusqu'à ce que, enfin, un homme ne brisa le silence d'un rire gras, face au spectacle donné par cet aveugle. Enfin un homme qui reconnaissait le talent ! Une rareté, ces temps-ci.
Sautant enfin de son tabouret maintenant que l'annonce était faite, maintenant que sa place était réservée, le jeune homme sentit l'arrivée de quelques volontaires ou participants offusqués. Fort heureusement Maho intervint – bien que cela ne soit pas nécessaire – en mettant en garde les idiots, de ne pas prendre sa cécité pour un évident signe de faiblesse. Certes c'était vrai, Maho connaissait assez bien son ami pour le savoir de sa propre expérience, mais :



Sentir le désarroi s'emparer de sa proie n'avait vraiment pas de prix, c'était ce qu'il avait appris à apprécier au fil des années. Maintenant que le secret était éventé cela ne rendait la tâche du colosse que plus difficile, car son adversaire serait sur ses gardes, mais la victoire n'en serait aussi que plus satisfaisante. Son adversaire désigné, l'attendant dans l'arène, le colosse attrapa une arme émoussée normalement utilisée pour les entraînements et, d'un geste plus difficile qu'il ne l'aurait cru, détacha son arme démoniaque de sa ceinture avant de la tendre vers Maho.



Plaisantait-il ? Difficile à dire, pour quiconque ne connaissait pas la valeur de Sekitsui aux yeux de l'aveugle. Cette lame était le symbole de sa réussite, de la confiance que le géant des montagnes lui accordait. Une fois l'arme entre les mains de Maho, le colosse s'avança dans l'arène, l'arme émoussée à la main et, lorsque son adversaire lui fit la promesse d'essayer d'y aller doucement, la réponse qui suivit fut aussi impertinente que possible.



Quoi ? Devrait-il changer ses bonnes habitudes, juste pour un triste inconnu qu'il ne reverrait pas après aujourd'hui ? Certainement pas. Sa phrase fit écho au signal qui fut donné, la brute se ruant sur lui avec toute l'agressivité dont elle pouvait faire prendre. Kyoshiro avait la rapidité et les réflexes pour lui, tandis que la brute était plus forte et endurante que bien des autres participants, ici. L'aveugle en eut rapidement la preuve dès les premiers échanges, secs et rapides, jusqu'à ce que la brute ne parvienne à le repousser en arrière, l'obligeant à bloquer plutôt qu'esquiver son coup.



Kyoshiro sentit ses avant-bras trembler sous le poids de l'attaque qu'il venait d'encaisser, signe que laisser la brute le toucher n'était clairement pas une option. Serrant les dents, s'armant de tout le sérieux dont il pouvait faire preuve, il initia la charge suivante, bondissant et noyant la brute sous autant de coups que possible, pour ne pas lui laisser le temps de passer lui-même à la charge. C'était fatiguant, certes, mais efficace car au fur et à mesure la brute se faisait plus lente, moins précise, ce qui permit à l'aveugle de lui lancer trop coups consécutifs. Un coup à l'avant-bras, un autre sur le flanc et, enfin, un dernier à l'extérieur du genou, ce qui poussa la brute à ployer ce même genou à terre. Avant même qu'elle ne s'en rende compte, la brute tomba inconsciente à terre, quand Kyoshiro lui fracassa sa lame émoussée non pas sur la tempe mais la mâchoire, pour éviter une blessure trop grave.

Victorieux, le colosse se tourna vers l'assistance et, frappant son torse, la tête levée, il brisa le silence qui s'était installé d'un :



Oh que c'était agréable. Oh que cela lui avait manqué, ce moment où il se sentait si puissant, si...invincible ! Seulement voilà, ce fut au bout de quelques secondes qu'il réalisa avoir frappé un peu fort. Il s'approcha donc de son adversaire et, du bout de l'épée, commença à le pousser pour voir s'il était encore de ce monde.



Un faible grognement suffit à rassurer le forgeron. Enhardi par sa victoire, il se tourna vers le reste de l'assistance, se montrant provoquant en espérant que quelqu'un d'autre vienne le rejoindre, dans l'arène. Il était motivé, il était chaud, un seul combat ne ferait pas l'affaire.

Obligé de bondir, Maho rattrapa le précieux projectile à deux mains, bien malheureux de se retrouver avec pareille responsabilité. Il connaissait la rareté d'une arme démoniaque, et plusieurs regards suivirent la trajectoire de l'épée, pas encore sûrs de ce qu'ils venaient de voir.

Heureusement l'affrontement commença, et ayant retrouvé sa place, enlaçant son trésors comme un être chéri, le Kaice se délectait du spectacle. Force brute contre finesse, puissance contre technique, Kyoshiro démontrait en ce moment même l'importance des traditions martiales. Il n'était pas à fond, cela ne faisait aucun doute, et pourtant il jouait avec sa proie avec aisance.
Le moine savait fort bien la difficulté de ce genre d'exercice pour un épéiste. La lame était faite pour tuer, et il était bien plus aisé de jouer à la bagarre pour les pugilistes. Pourtant son compagnon s'en sortit à merveille, et les hurlements de la foule témoignaient leur enthousiasme.



Tandis que deux serveurs s'occupèrent d'évacuer le malheureux, trois individus pénétrèrent dans le cercle. Deux d'entre eux partageaient la carrure du précédent participant, le troisième par contre était bien plus fin. La massue qu'il traînait au sol témoignait toutefois de sa force, un gourdin de bois au moins aussi grand que lui, accompagné d'un sourire meurtrier.
Maho lui restait parfaitement serein, un message subtile pour son compagnon lui signalant qu'il n'avait pas à s'inquiéter. La présentatrice par-contre sauta sur place, faisant au passage danser son généreux corsage, sa voix envahissant l'espace sans la moindre difficulté.



Les quatre combattants placés au quatre points cardinaux, la belle prit de nouveau sa pose. L'attention de l'audience renouvelée, le départ fut de nouveau lancé ! Cette fois les deux colosses s'élancèrent en même temps sur l'aveugle, l'un s'élançant dans une série d'assaut tandis que l'autre cherchait une prise. L'autre quand à lui rôdait autour en véritable loups, sa masse traînant lourdement au sol, attendant une opportunité.
Maho lui profitait pleinement du spectacle. Conscient des capacités du Tadake, il n'était même pas sur ses gardes. Même s'il savait que nous n'étions jamais à l’abri d'une petite surprise. Mais bon, il était mieux placé que quiconque pour savoir que surprendre Kyoshiro relevait de l'impossible.

La patience n'était pas la vertu du jeune aveugle, tout comme la retenue d'ailleurs. Si quelque chose l'intéressait, il fonçait tête baissée pour s'en emparer, puisqu'il pensait cela être son droit, et il ne laisserait personne se mettre en travers de son chemin. C'était exactement la même chose ici, la raison pour laquelle il n'était pas bêtement resté en arrière à attendre son tour, préférant annoncer sa participation à qui voudrait l'entendre. Ainsi il s'assurait d'attirer l'attention des plus forts et des plus arrogants, ceux qui supportaient mal une telle intervention, ceux qui voudraient le faire descendre de son piédestal et ne le lui laisser que le goût de la boue et la défaite dans la bouche. Oui Kyoshiro entendit son ami lui demander d'attendre, l'inciter à un peu plus de retenue, mais Maho connaissait assez bien l'enfant de l'hiver pour savoir que ce n'était clairement pas son style.

D'ordinaire Kyoshiro était celui qui attaquait en premier, celui qui abreuvait son adversaire de coup à n'en plus finir et, une fois encore, cette stratégie se montra payante. Le feu était son élément mais il savait aussi faire preuve de sang-froid, étudiant, attendant son tour pour deviner son adversaire et frapper au bon moment. Cette stratégie s'avéra payante car, enfin, Kyoshiro fit ployer son colossal adversaire, jusqu'à l'envoyer en pays des songes avec la subtilité qui était la sienne. Une petite célébration, un petit défi au reste de l'assistance et voilà à présent trois adversaires qui rentraient dans l'arène pour tenter leur chance. On passait directement de un à trois ? Si la présentatrice indiqua à l'aveugle le moyen d'abandonner, comme s'il en avait besoin, ce fut en souriant et avec dédain que le forgeron répliqua :



Vint alors le moment de la lutte, qui fut sans commune mesure avec ce qu'il connut précédemment. Individuellement ils étaient forts mais pas autant que le forgeron, en revanche ils avaient l'avantage du nombre et, assaut après assaut, ils forcèrent le samouraï à reculer, à esquiver, à se faufiler entre les attaques, jusqu'à ce que le troisième larron ne se mêle enfin au jeu. Déjà qu'à deux Kyoshiro s'en sortait de justesse mais, là, quand l'attaque à la masse fut portée, la force du coup projeta le Tadake en arrière, même en positionnant sa lame comme moyen de défense. Enfin, un vrai combat !  Enfin, il se sentait vivant !
Souriant, comme un prédateur débutant sa chasse, le guerrier partit à son tour à l'attaque, expédia un coup d'estoc dans la gorge du premier lutteur, lui faisant perdre son souffle suffisamment longtemps pour lui asséner un coup sur le haut du crâne, assez fort pour venir l'écraser sur le sol. La masse du troisième l'obligea à bloquer, le coup le faisant décoller du sol, alors que l'autre brute en profitait pour sauter sur le forgeron. Kyoshiro bondit par-dessus de justesse, tournoyant, son attaque horizontale se fracassant contre la tempe du lutteur jusqu'à ce que, enfin, seule ne reste debout que la brute à la masse.
Les deux guerriers se jaugèrent l'un l'autre, tournant en rond dans un silence presque religieux, jusqu'à ce que l'assaut brutal ne reprenne vie. Seul, sans le renfort de ses compagnons pour distraire le bretteur, la brute ne parvint à faire mouche avec aucun de ses assauts, le colosse répétant la tactique du premier tour, répétant les assauts sur ses mains encore et encore, jusqu'à ce que la douleur ne force la brute à laisser tomber son arme, jusqu'à ce que le Tadake ne la projette à terre d'un balayage au niveau des jambes, la lame émoussée pointée vers sa gorge jusqu'à ce que l'adversaire ne finisse par se rendre.

Le souffle court sous l'effet de l'effort fourni, Kyoshiro laissa tomber sa lame à terre, pensant que cela s'arrêterait ici pour le moment. Se tournant vers l'assistance derrière lui, sa fierté n'en fut alors que plus grande.



Il aurait cru pouvoir en profiter davantage, mais un cri dans l'assistance le poussa à faire volte face, la pointe d'une dague venant trancher son t-shirt. Bondissant en arrière au même moment, remerciant ses sens et sa perception des choses, le forgeron comprit qu'une des brutes n'avait pas accepté sa défaite, extirpa de sa botte une dague pour essayer d'arracher une revanche qu'elle pensait mériter. Ce n'était plus un jeu, cet idiot en avait vraiment après la vie du samouraï.



Son ton ne souffrait d'aucune ambiguïté, mais il ne suffit pas à stopper le mauvais perdant pour autant. Ce dernier reprit son assaut, bondissant et effectuant des mouvements amples pour toucher sa cible, jusqu'à ce que Kyoshiro ne vienne à sa rencontre, repoussant le perdant en arrière d'un coup de pied au plexus solaire, lui donnant les quelques secondes dont il avait désespérément besoin. Il avait peut-être laissé tomber sa lame, mais il se tourna en direction de son ami, tendant sa main droite pour finalement demander, à pleins poumons :

Kyoshiro ne s'était pas attendu à grand chose de cette soirée, car il savait que Maho avait le chic pour s'attirer des ennuis à longueur de temps, mais il devait bien avouer être agréablement surpris du déroulement des choses. Maho était l'une des rares personnes à connaître Kyoshiro, savoir ce qui le faisait vibrer et, surtout, savoir comment lui redonner le sourire même dans les jours les plus durs. Un combat, il ne lui en fallait pas plus pour le faire se sentir vivant et nouveau et, alors qu'il pensait avoir la victoire, c'était sans compter sur le côté mauvais perdant de son adversaire qui brisa les règles, en sortant une dague pour planter l'aveugle. Beuglant, demandant à son compagnon d'enfance de lui lancer sa lame démoniaque, le colosse tendit son bras et attrapa l'arme, avant que Maho n'intervienne pour couper court à cet affrontement.
Pourquoi l'arrêter maintenant, alors que les choses étaient aussi bien engagées ? Certes Kyoshiro venait de gagner, mais cette victoire n'avait absolument rien de savoureuse quand il s'agissait de l'abandon de son opposant. Il n'y avait seulement qu'en écrasant son adversaire qu'il pouvait réellement se sentir pleinement vainqueur.





Fort heureusement pour le jeune homme, la soirée ne faisait que commencer car, à présence, c'était une armoire à glace tout en muscle qui bondit dans l'arène, pour se présenter à lui. Serait-ce un gros plein de soupe, lent et facile à prévoir comme tous les autres ? Le Tadake n'était pas certain, car l'assurance de l'homme face à lui ne semblait pas feinte ou exagérée. Souriant à la provocation du géant devant lui, il sortit son arme de son fourreau, dévoilant Sekitsui dans ce que cette lame avait de plus beau et de plus tranchant, répondant sur le même ton insolent :





Le jeune homme s'attendait à un gros, à des attaques lentes mais, quand le géant commença à jouer avec ce massif marteau comme s'il s'agissait d'un vulgaire bâton, quand il commença à le manier avec aisance dans les airs, l'aveugle comprit et sentit que ce combat ne serait aucunement aussi facile que les autres.





Refermant sa poigne autour du manche de son arme, il observa et sentit le marteau se mouvoir devant lui, comme une muraille insurmontable et, pendant quelques secondes, l'esprit de l'aveugle se mit en marche. Que faire ? Par où attaquer ? Devrait-il viser les jambes, ou bien jouer sur l'esquive pour fatiguer son opposant ? Cette dernière méthode n'était aucunement glorieuse, mais peut-être était-ce préférable à la défaite, non ? Enfin le colosse n'eut guère le temps de préparer des plans car, déjà, le marteau du géant manqua de peau de lui fracasser le crâne, si c'était sans compter sur ses puissantes jambes et son agilité supérieurs à la moyenne. La première attaque fut esquivée, certes, mais la charge du géant allait être une toute autre paire de manche. Pendant un instant la fierté de Kyoshiro le poussa à affronter cette charge de plein fouet, mais il revint rapidement à la raison, se décalant au tout dernier moment, sentant le métal de la lame frôler ses vêtements et son corps alors que, dans le même mouvement, il essaya de pivoter et d'attaquer de sa lame l'arrière des genoux de l'adversaire. Que cette attaque fonctionne ou pas, conscient qu'il en avait échappé belle, le forgeron se redressa alors et, d'un mouvement, Sekitsui s'allongea et s'étendit, prenant la forme d'une lame-serpent dont les crocs rampaient à présent par terre.





Maintenant c'était à lui de charger, à lui de fouetter l'air avec sa lame pour imposer son rythme, pour empêcher le géant d'utiliser la pleine force de son marteau.