Ils savent ce qu’ils ont fait; ils savent que les ombres de la cîme des arbres viennent pour eux. Envoyés pour patrouiller les étranges forêts, nous avons été séparés – pour couvrir plus de terrain, selon le chef –. Une tâche simple; localiser des brigands particulièrement agressifs pour mieux les éliminer plus tard.

C’est là que je l’ai découvert : battu, au sol, probablement sur le point d’être abattu. À l’écart de cet affrontement, caché par un tas de débris et de gros bois,  je trouve le moyen d’entrer en contact avec l’homme. «À ta droite.»

Une voix interne, mais une voix certaine. S’il tourne la tête et réussit à ouvrir les yeux, il verra une dame en bleu, les mains liées par un symbole shinobi. Qu’importe lequel; il n’a pas de temps pour ça. «Je te sors d’ici. Quand tu entendras les explosions, va-t’en. Descends et retrouve-moi en bas.» Il est le seul à m’entendre, à savoir que je suis là.

Les gaillards, trop occupés à ricaner et préparer des coups vicieux et humiliants, ont à peine eu le temps de se retourner que la première salve de bombes venait déjà de rouler à leurs pieds. Deux bombes pour eux, un fumigène pour lui, qu’il puisse tenter sa chance pour s’enfuir.

***

Je ne suis pas stupide.

Hors de question de me salir les mains et de me compromettre; j’ai envoyé une copie valser avec les ennemis que j’ai traqué. En attendant, j’ai pu me poser en bas, attendant la présence mystérieuse que j’ai remarqué en haut de ce temple abandonné.

Prévenant, j’ai réparti quelques faux pièges sur un chemin sûr et sans danger jusqu’à ma cache. Si l’individu réussit à s’échapper de ce charmant combat de coq, je lui ferai signe qu’il vienne me rejoindre. «Suis-moi, on va très vite s’en aller d’ici. Si tu vois des pièges, fais comme moi et ignore-les; ce sont des faux.»

S’il semble assez en état pour courir, suivre mon rythme, je partirai devant au travers les branchages dans le coeur des bois. Autrement, malgré mes maigres forces, j’essaierai de l’aider à marcher en lui offrant une épaule. «Tu ne vas pas crever ici, et certainement pas face à ce genre de bête, je te le jure.»

Ces hommes ont fait assez de victimes, il est hors de question qu’ils s’en tirent avec une de plus.

Portant avec moi le corps et son esprit endormi, je le pose à notre campement, sur quelque tissu suffisant pour empêcher sa peau de toucher au sol. Informant promptement mon équipe, l’un des membres me confie une trousse de soins rudimentaire, puis tous les autres partent en direction des ruines.

Nettoyant plaies et coupures, compressant quelques débuts d’ecchymoses, je fais ce que je peux avec les maigres connaissances tirées de mon village. N’étant pas disposé à me battre non plus, je n’ai pas vraiment eu le caprice du choix.

«...» Patient, je laisse le temps s’écouler. Quand le soir amène la fraîche de la fin de l’automne à mon campement, j’enlève mon obi pour lui en faire un coussin, et pose ma soie sur l’inconnu en guise de couverture.

Alors que le feu se nourrit tranquillement des branchages que je lui ai offert et commence à crépiter avec plus d’ardeur, j’entends l’agitation de l’homme dans mon dos. Il semble paniqué, confus, incertain.

Bougeant quelques bouts de bois pour mieux alimenter les flammes, quelques mots finissent par tonner. «...Je suis Ao Yamanaka. C’est moi qui t’ai guidé jusqu’ici.» Un peu occupé, un peu morose, je ne prends pas le temps de me retourner pour les présentations. Ma tâche est trop délicate pour que je puisse me le permettre, et j’ai peur de me brûler.

Ça se voit, je ne suis pas un expert pour ce qui est de m’occuper d’un feu.

«Je suis venu te chercher parce qu’assez de gens sont morts par leurs mains, et nous avons comme tâche de les éliminer. Je ne saurais pas te dire dans quel état ils sont, mais mon équipe est déjà sur leur cas.»

Une main se tente à replacer une bûche, un sifflement buccal fait comprendre que c’était une mauvaise idée, maintenant teintée d’un léger regret. Quand je finis par me retourner, j’insiste pour lui faire comprendre que «tu n’as pas besoin de t’inquiéter, tu peux prendre un peu de repos; tu n’es pas en danger ici. Reste au chaud et prends un moment pour respirer. J’ai du potage sur le feu, si tu en veux.»

De nouveau assis par terre, de dos au feu, j’expose ma nuque en rattachant mes cheveux pour la réchauffer. «J’aurai quelques questions sur ce qui s’est passé, mais ça peut attendre.»

J’allais lui dire de faire attention, de ne pas se surmener, mais à le voir aller il semble déjà capable de se déplacer sans grande douleur. «Ne t’en fais pas pour eux, ils sauront se débrouiller. Puis… je t’ai bien vu faire, tu ne les a pas ménagé non plus.»

Un petit rire, histoire de me montrer un peu moins stoïque. Une telle démonstration de force est plus qu’honorable. Alors qu’il s’avance, je lui prépare tranquillement un bol de bouillon avec quelques racines et gibier déniché par – je n’étais pas là pour le confirmer mais je connais assez bien mon équipe pour me douter – notre chef, vu qu’il semble avoir froid.

Et faim aussi, très clairement.

«Oui, c’est ça. Je suis encore nouveau, et je ne suis pas le plus expérimenté, mais j’apprends. Tu me dis si tu en veux encore un peu, je dois en garder pour les autres mais je peux sûrement en partager un peu plus.»

Je dépose le bol chaud devant l’homme, et c’est en commençant à me servir que j’entends finalement le bruit. La tête légèrement tournée vers le feuillage, les yeux plongés dedans, je n’arrive pas à discerner une signature énergétique que je connais.

Signe de danger.

Le combattant semble avoir remarqué la même chose que moi; sortant des pans de mes vêtements quelques objets, je glisse subtilement vers lui une petite balle – une bombe, dis-je silencieusement, en bougeant seulement mes lèvres -  et un couteau ninja. Je les lui confie, au cas où on en aurait besoin.

Alignant quelques signes contre mon ventre pour les préserver de la vue de l’innoportun visiteur, je dis tout haut que«ce n’est pas le moment; montrez-vous.» Autour de nous, cachés dans les bois, des copies intangibles de moi se mettent en place, prêts à faire peur à quiconque se mettrait dans la tête de nous attaquer.

Tout bas, je dis à l’homme de se tenir prêt, car «j’aurai sûrement besoin d’une distraction; je compte sur toi.»

Hors de question.

Je n’allais pas laisser cette intrusion impunie. Certainement pas.

Elle ose écourter mon repas, et admet être l’instigatrice de ces violences? «On s’en permet gros, à ce que je vois. Souhaites-tu qu’il t’arrive le même sort? Je peux m’en arranger.» Le sourire n’y est pas, et mon camarade du moment doit bien remarquer une certaine froideur mécanique dans mes propos.

Elle ne partira pas d’ici.

Alors qu’il s’élance vers elle, je comprends rapidement qu’il est soumis à son emprise; un mal sans cause, capable de le maintenir ainsi, ne peut être que mental. Une autre illusionniste? «Tu rejoindras les tiens, crois-moi.» L’indigène offre une bonne distraction, si bien que je trouve une opportunité de me masquer avec un autre fumigène.

Beauté fatale n’a pas osée frapper; je ne suis pas si gentil.

Après un certain silence, on pourrait penser que je me suis enfui; la fumée est toujours présente. Une voix grandiose résonne alors à son esprit : «Tu ne sais pas ce qui t’attend.»

Les clones se dirigent lentement mais sûrement vers elle, faux couteaux à la main. Prêts à l’entailler, à la cribler de toutes parts. Je ne me targue pas de ce genre de scrupules; une femme, aussi délicieusement jolie soit-elle, n’obtiendra rien de moi, pas même un peu de pitié.

Il est sous ma protection.

Ce n’est que quand la fumée se défait que je me révèle à nouveau; je n’ai pas fui, comme j’aurais pu le faire. Mes mains à nouveau liées, mes yeux plongés dans les siens, quelques mots viennent à son oreille : «Magen : Sen-mai ha...» Illusion démoniaque; la danse des mille lames.

Qu’elle voit son monde retourné, noirci par mon esprit; qu’elle sente sa chair se faire poignarder, qu’elle comprenne la gravité de son erreur. Qu’elle ferme les yeux et accepte sa douleur, jusqu’à ce qu’elle ose les ouvrir et constate que ce n’était qu’une autre réalité. Qu’elle sente quand même les coupures danser sous sa peau encore parfaite et hâlée.

Elle voulait une démonstration de force? Elle est servie.

«Tiens, c’est cadeau.» Finalement, une poignée de shuriken viennent en sa direction, ceux-ci bien réels. Tout ceci n’avait pour but que de lui faire relâcher son emprise, que les chaînes mentales immobilisant le combattant se délient lentement mais sûrement.

C’est sa proie; il a des comptes à rendre et je ne lui enlèverai pas ce plaisir.

Résumé rapide: